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Avec Le chemin et le champ. Parcours rituel et sacrifice chez les Mixe de Oaxaca (Mexique), Perig Pitrou livre un ouvrage fondé sur un matériau ethnographique extrêmement riche, issu d’un terrain réalisé de 2005 à 2008 dans des communautés villageoises paysannes mixe de l’État de Oaxaca (sud du Mexique). Outre les descriptions minutieuses, de longues retranscriptions de discours rituels — en langue mixe avec, en regard, la traduction française — rythment la progression de l’argumentation et sont suivies d’analyses fines, témoignant d’une maîtrise de la langue. L’auteur commence par poser les logiques de l’enchaînement rituel (1re partie, p. 19-117) avant d’explorer les modalités de la participation des « entités de la nature » dans les activités humaines (2e partie, p. 121-208). Cela lui permet, en dernier lieu (3e partie, p. 211-309), d’analyser le fonctionnement des institutions politiques mixe « en précisant les divers rôles que les agents non humains […] sont amenés à y remplir » (p. 13).
Certes, il n’est plus à démontrer que, dans de nombreuses sociétés autochtones, des « entités de la nature » interviennent dans les entreprises humaines. Mais cela ne signifie pas que le sujet ait été épuisé. Il reste à l’anthropologie la tâche de préciser et d’expliciter « les catégories d’action à travers lesquelles ces interventions sont conçues » (p. 311), nous dit l’auteur, c’est-à-dire d’éclairer les mécanismes qui rendent effective cette participation. Pour cela, il s’agit de s’intéresser aux procédures d’accord qui permettent aux humains de collaborer avec les agents non humains, et donc de « mettre en évidence les procédures de traduction et de représentation qui assurent la communication entre des êtres ontologiquement distincts » (p. 14).
Au fil de l’ethnographie, les modes de participation de ces entités, en premier lieu, de « Celui qui fait vivre », se révèlent être pluriels et complexes. Un concept est central dans l’argumentaire. Il s’agit de la « co-activité », soit la « participation de chacun [humains et non-humains] à une activité commune » (p. 315), lors de l’action rituelle, mais aussi au-delà, qu’il s’agisse de la croissance de l’enfant (p. 141-157) ou de la délibération politique (p. 230-231). Or, si les activités politico-judiciaires comprennent également des formes de co-activité, elles reposent plus précisément sur des « opérations de délégation ». Ainsi, le titre de l’ouvrage rend compte de la coexistence de deux régimes de coordination de l’activité, présents côte à côte et dans lesquels les entités non humaines sont appelées à remplir des rôles différents. Tandis que le champ se réfère à la synchronisation d’actions simultanément accomplies à plusieurs échelles par les différents acteurs (lors des rites de semailles, par exemple, p. 134-136), le chemin, lui, décrit une organisation hiérarchique et diachronique « à l’intérieur [de laquelle] le chef avance à la tête du groupe qui le suit » (p. 13). Ce dernier rend compte du « système des charges » abordé dans le chapitre huit et la troisième partie de l’ouvrage (p. 189-309).
Le chemin et le champ accorde une place prépondérante à l’étude contextualisée des gestes et discours rituels. L’auteur mobilise les concepts d’« identification » et de « condensation » rituelles développés par Michael Houseman et Carlo Severi (1994) et pense le rituel comme la mise en acte d’un réseau de relations entre des entités distinctes, appelé à exister en-dehors du rituel lui-même (Houseman 2012 : 15-16). Toute l’efficacité du rituel réside dans cette « mise en acte ». Le déplacement vers le sommet de la montagne et les sacrifices et discours rituels qui l’accompagnent sont ainsi perçus comme autant de manières de solliciter un être que l’on vient « déranger » (chap. 2 et 3), tandis que le retour au village et les repas qui s’ensuivent participent à la mise en scène de l’acceptation, par les non-humains, de l’offrande rituelle et donc de la collaboration (chap. 4). En outre, les prières et gestes rituels performés par les humains décrivent ces entités et la manière dont elles agissent. Ils leur donnent une consistance à tel point que, comme les personnages d’un roman, les non-humains en viennent à influencer les manières de penser et d’agir, donc à exister virtuellement dans le monde (p. 315-317).
Le résultat est un beau livre qui, bien que s’adressant d’abord à un public savant, spécialiste des problématiques de recherche en Méso-Amérique, reste compréhensible pour le lecteur tant que celui-ci maîtrise les bases de l’anthropologie. Les concepts et idées qui y sont développés sont minutieusement élaborés et situés, section après section, de manière que la construction même de l’ouvrage rende son contenu accessible. En outre, Le chemin et le champ constitue un bel exemple d’une étude cosmopolitique qui incite le lecteur à réfléchir au caractère mouvant et multiple des associations qui produisent les systèmes de relations caractéristiques d’une société.
Appendices
Références
- Houseman M., 2012, Le rouge est le noir. Toulouse, Presses universitaires du Mirail.
- Houseman M. et C. Severi, 1994, Naven ou le donner à voir. Essai d’interprétation de l’action rituelle. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.