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Robin Azevedo Valérie, 2019, Sur les sentiers de la violence. Politiques de la mémoire et conflit armé au Pérou. Paris, Éditions de l’IHEAL, coll. « Travaux et mémoires », 268 p., bibliogr.[Record]

  • Vicken Kayayan

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  • Vicken Kayayan
    Département d’anthropologie, Université de Montréal, Montréal (Québec), Canada

L’anthropologue Valérie Robin Azevedo, professeure à l’Université Paris Descartes, présente dans cet excellent ouvrage la possibilité d’explorer la construction des mémoires de la guerre civile péruvienne (1980-2000) au sein des communautés andines quechuaphones. Comme présenté dans l’introduction et le chapitre 1, ce conflit fratricide a opposé les forces étatiques péruviennes au Sentier lumineux (Sendero Luminoso) — guérilla révolutionnaire d’idéologie maoïste guidée par l’ancien professeur de philosophie Abimael Guzmán. Selon la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) mise en place entre 2001 et 2003, la guerre civile aurait fait plus de 70 000 morts et 15 000 disparus ; 40 % des victimes étaient originaires d’Ayacucho, département à majorité quechuaphone et berceau du Sentier lumineux. Loin d’aboutir à un projet de réconciliation nationale, l’enquête de la CVR créa des « concurrences victimaires » entre les deux parties (p. 49), chacune voulant transmettre sa propre vision de l’histoire. Cette situation a mené à l’impossibilité de façonner une mémoire nationale consensuelle, créant ainsi une condition d’antagonisme social en temps de paix. À partir d’une rigoureuse enquête ethnographique multisite et longitudinale (à partir de 2004, avec des retours réguliers jusqu’en 2012) dans les Andes quéchuas d’Ayacucho, l’auteure présente une analyse minutieuse des représentations « sémantiques » et « sémiotiques » du conflit. Robin Azevedo ne s’intéresse donc pas aux représentations factuelles de la guerre, mais bien aux sens attribués aux faits historiques, tels qu’ils apparaissent dans la tradition orale et performative des communautés quechuaphones d’Ayacucho. Entre autres, cet ouvrage permet d’entrevoir les (més)usages du recours au passé et les façons dont les mémoires de la guerre s’inscrivent à différentes échelles (locales, régionales et nationales). Somme toute, cet ouvrage présente une étude anthropologique des mémoires de la guerre, un projet de recherche bien distinct du travail de l’historien. L’une des « grandes forces » de ce livre est qu’il permet de surpasser les débats théoriques au sein de l’anthropologie andine. En effet, comme signalé dans le chapitre 2, jusqu’aux années 2000, l’anthropologie du Pérou n’avait pas encore achevé un travail holistique permettant d’appréhender la complexité des dynamiques socioculturelles des communautés quéchuas durant (et après) le conflit. La discipline demeurait coincée dans un long débat entre les culturalistes et les ultrarelativistes (postmodernistes). Toutefois, étant donné qu’à partir des années 1980 l’armée péruvienne a décrété l’état d’urgence dans le département d’Ayacucho (et que très peu de travaux de terrain ont pu y être menés), ces approches sont tombées dans une anthropologie spéculative et sans terrain. Ce n’est qu’au début des années 2000 que la recherche ethnographique redevint possible dans les Andes, proposant ainsi de nouvelles approches et interprétations des expériences quéchuas durant la guerre. C’est dans cet esprit de « renouveau ethnographique » que l’auteure enquête sur les mémoires du conflit et leurs représentations performatives et narratives en temps de paix. Sur les sentiers de la violence présente donc une optique novatrice — caractérisée par la richesse ethnographique — et permet d’aborder un sujet délicat (la guerre) sans tomber dans les extrêmes : l’ouvrage n’accorde pas une valeur surdimensionnée à la culture andine (approche culturaliste) et ne tombe pas dans l’excès inverse, soit nier toute spécificité culturelle (approche ultrarelativiste) (p. 119). Très habilement, dans les chapitres 3 et 4, l’auteure centre ses analyses sur deux représentations de la guerre afin de démontrer la pluralité et la complexité des mémoires du conflit. Premièrement, elle analyse une danse présentée aux concours carnavalesques d’Ocros en 2004 et 2005 par des habitants quéchuas du village de Cceraocro. Cette performance faisait allusion aux massacres de la population locale perpétrés par le Sentier lumineux pendant les années 1980, ce qui permettait de redonner un …