DossierPrésentation

Renouveler l’ethnobiologieApproche comparative d’un ver marinRenewing EthnobiologyComparative Approach of a Marine WormRenovar la etnobiologíaEnfoque comparativo de un gusano marino[Record]

  • Simonne Pauwels and
  • Laurent Dousset

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  • Simonne Pauwels
    CNRS, Aix-Marseille Université, CNRS, EHESS, CREDO UMR 7308, Labex CORAIL, CREDO, Maison Asie-Pacifique, Aix-Marseille Université, 3, place Victor Hugo, 13003 Marseille, France
    simonne@pacific-credo.fr

  • Laurent Dousset
    EHESS, Aix-Marseille Université, CNRS, EHESS, CREDO UMR 7308, Labex CORAIL, CREDO, Maison Asie-Pacifique, Aix-Marseille Université, 3, place Victor Hugo, 13003 Marseille, France
    laurent.dousset@pacific-credo.fr

L’analyse des classifications naturelles et des représentations et pratiques autochtones concernant les vivants non humains a, depuis ces deux dernières décennies, trouvé un second souffle, renouvelant les anciennes approches ethnobiologiques pour leur prêter une plus grande attention à la fois théorique et méthodologique. Ceci répond à une double nécessité. L’une, à proprement parler anthropologique, se situe dans la lignée des travaux proposant des formes de typologies sociétales originales, fondées sur les rapports spécifiques que les humains entretiennent avec la « nature » ou leur environnement au sens général du terme (voir, par exemple, Descola 2005). Elles ont donné naissance à la vague du tournant ontologique (ontological turn), dont Eduardo Viveiros de Castro semble être l’un des principaux initiateurs. La seconde raison pour laquelle les études ethnobiologiques connaissent un nouvel essor date en fait des années 1990, lorsque des chercheurs (biologistes, chercheurs en sciences humaines et sociales et sociétés autochtones) ont opéré à l’interface de la protection des espèces et de la protection des espaces naturels. Julian Inglis (1993), par exemple, soulignait que non seulement la sauvegarde des espaces et des espèces ne pouvait être durable si elle n’impliquait pas les populations locales dans les prises de décisions et les modes de gestion, mais, de manière plus générale, que les savoirs locaux (savoirs écologiques traditionnels ou traditional ecological knowledge) devaient être considérés au même titre que les savoirs dits scientifiques pour produire une compréhension plus englobante de la « nature ». Convaincus de l’importance de cette ethnobiologie renouvelée, les deux auteurs du présent dossier (Simonne Pauwels et Laurent Dousset) suggèrent néanmoins que les objectifs définis ne peuvent être convenablement atteints que par l’utilisation de méthodologies empiriques qui placent au coeur de l’analyse des rapports entre humains et non-humains la parole et les représentations autochtones ainsi que leurs systèmes de croyances ou encore leur organisation politique. Le but n’est pas de produire de grands renversements théoriques ni de chercher coûte que coûte la sauvegarde des espaces et des espèces, mais de documenter et d’analyser au plus près du terrain la diversité des réalités ethnobiologiques. C’est l’ethnographie raisonnée, davantage que les spéculations rhétoriques, qui nous permettra non seulement de mieux comprendre les ontologies, mais aussi de les pérenniser. Les deux articles qui suivent cette introduction veulent ainsi contribuer à combler un vide ethnographique au sujet d’une espèce marine particulière, Palola viridis. Nous verrons qu’un être aussi insignifiant en apparence qu’un ver marin peut occuper un rôle central dans des sujets fondamentaux tels que la mort et les cadavres, la fertilité ou encore le cycle lunaire annuel. Par la discussion interposée de ces deux cas d’étude (l’un aux Fidji, l’autre au Vanuatu), nous suggérons à la fois des séries de questionnements et de relations qui peuvent être interprétés comme des accroches ethnobiologiques, mais nous proposons également les premières pistes d’un type d’approche comparative où une espèce du vivant peut jouer le rôle d’indice pour des formes d’organisations sociales dont les différences et les similitudes deviennent ainsi palpables. Les Eunice sont des vers marins de la classe des Polychètes (13 000 espèces) répartis dans toutes les mers du globe, de la Méditerranée jusqu’aux eaux fraîches au sud de l’Australie. Cependant, sous la forme de Palola viridis (autrefois Eunice viridis), qui vit dans les récifs coralliens des îles du Pacifique et d’Asie du Sud-Est insulaire (Indonésie, Timor oriental, Philippines), le ver joue un rôle social qui dépasse celui qu’il occupe dans d’autres régions, où son usage semble se limiter le plus souvent à servir d’appât pour la pêche à la ligne. Son nom lui a été donné lors des premières observations …

Appendices