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Qui peut guérir ? Et comment ? Daniel Schurmans posait déjà ces questions dans le titre de son ouvrage précédent, La fonction guérisseuse. Essai comparatiste sur les pratiques de guérison. Qu’est-ce que guérir ? Qui guérit ? Comment ? (2016). Ces questions restent au centre des préoccupations de celui-ci, qui compare la variété des pratiques et les changements des théories qui fondent la cure des psychotiques. Le livre se situe à la rencontre des pratiques hospitalières et des changements théoriques qu’elles adoptent, ainsi que des expériences de terrain de l’auteur en Afrique occidentale auprès des guérisseurs et leurs savoirs. Nous sommes conviés à un exercice complexe : garder à l’esprit la variété et les changements des interprétations et des pratiques dans la cure des psychotiques tout comme l’ancrage des savoirs et des pratiques dans les cultures.

Nous nous trouvons rapidement devant un excellent livre d’introduction à la variété des interprétations et des pratiques affectant la cure des psychotiques et des névroses. Très prudent et nuancé, l’auteur sait que le patient sera l’acteur principal de sa cure. Les pratiques des guérisseurs africains du Sénégal et de la Côte d’Ivoire incitent leurs patients à accomplir des actes ouvrant un chemin de retour vers le groupe, qui reste la référence principale de celui ou de celle qui s’en éloignait.  

Deux citations de Schurmans suffiront pour saisir la préoccupation fondamentale de son travail :

Peu importe qu’il s’agisse ici d’une cause, ou de l’effet d’une maladie préexistante : même dans ce dernier cas, la dégradation de la position sociale entraîne un cercle vicieux qui entretient ou renforce la « maladie ». Dans les hôpitaux, ces phénomènes sont perceptibles de façon quasi expérimentale : le malade hospitalisé se trouve — provisoirement ou non — au bas d’une échelle sociale où les médecins, le chef infirmier, occupent les hautes marches. Il essaie d’exister dans ce milieu, d’y retrouver une position, dans une relation de concurrence avec d’autres patients.

p. 226

Ce qu’on appelle maladie mentale est un trouble fonctionnel de la relation au monde. Elle possède un versant cérébral sur lequel les moyens biologiques peuvent agir, mais l’autre versant, celui qui est extérieur à l’organisme et comprend les causes véritables, obéit à d’autres lois. Pour tout résumer d’un mot, sûrement imprécis et insuffisant, ces causes sont les contradictions existentielles.

p. 238-239

La lecture de ce livre joue le rôle d’une très utile introduction à l’anthropologie médicale, présentée ici en deux parties. La première met en place le cadre critique qui fonde l’approche de la frontière de la psychiatrie et de l’anthropologie, à la fois histoire et critique des options théoriques et mise en place de pratiques réajustées. La deuxième partie s’appuie sur deux éléments : l’expérience du terrain africain et les nouveaux patients issus des migrations tragiques des dernières années.

La position du lecteur de cet ouvrage n’est pas commode. Elle suppose l’adoption de deux options principales. Elle place au centre le sujet de la cure : c’est lui qui est le véritable test de la pertinence des avancées théoriques et pratiques de la cure. Qu’est-ce qui fait soin ? Qu’est-ce qui guérit ? Quels que soient les détours de la recherche et l’évolution des pratiques de soin, c’est la cure qui compte et la complexité de chaque sujet porte la limite du travail professionnel des spécialistes. Les auteurs des recherches ne sont pas les sujets de la cure et tous restent cadrés par les options de la culture dont ils proviennent. Ces préoccupations demeurent au coeur du travail de Schurmans et de la lecture de ses ouvrages.