Présentation Citoyennetés et mobilisations en Inde[Record]

  • Catherine Larouche and
  • Pierre-Alexandre Paquet

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  • Catherine Larouche
    Département d’anthropologie, Université Laval, Pavillon Charles-De-Koninck, bureau 3417, 1030, avenue des Sciences-Humaines, Québec (Québec) G1V 0A6, Canada
    catherine.larouche@ant.ulaval.ca

  • Pierre-Alexandre Paquet
    Nelson Institute for Environmental Studies, University of Wisconsin-Madison, 122 Science Hall, 550 North Park St., Madison, WI 53706, États-Unis
    paquetpierrealexandre@gmail.com

Communément appelée la plus grande démocratie du monde, l’Inde (à l’instar d’un nombre considérable de gouvernements actuels) semble néanmoins tendre de plus en plus vers l’autoritarisme et un nationalisme d’exclusion qui invitent à se repencher sur la question de la citoyenneté. L’objectif de ce numéro d’Anthropologie et Sociétés est de mieux comprendre ce que la citoyenneté implique concrètement pour différentes parties de la population dans le contexte politique actuel, en se penchant sur la pluralité des pratiques sociales et culturelles qui sous-tendent, définissent et autorisent la participation citoyenne en Inde aujourd’hui. L’élection du Bharatiya Janata Party (BJP) en 2014, avec Narendra Modi comme figure de proue, semble en effet avoir provoqué un tournant dans l’histoire de la démocratie indienne, où les bénéfices de la citoyenneté deviennent de plus en plus réservés à la population majoritaire, hindoue (Chatterji et al. 2019 ; Mohammad-Arif et Naudet 2020 ; Jaffrelot 2021). Plusieurs mesures récentes semblent signaler cette transformation, dont la modification à la Loi sur la citoyenneté (Citizenship [Amendment] Act, 2019), votée en décembre 2019, qui facilite l’accès à la citoyenneté pour les réfugiés de pays limitrophes, à l’exception des musulmans. Ces transformations juridico-légales de la citoyenneté témoignent d’une mouvance ethnonationaliste plus large qui se manifeste sous diverses formes : la révocation du statut autonome du Cachemire — un état à majorité musulmane — en août 2019, les attaques perpétrées contre les musulmans consommant de la viande de boeuf lors des campagnes récentes de protection de la vache sacrée et la multiplication d’actes violents et d’émeutes à plus grande échelle visant les musulmans, la plus importante minorité religieuse du pays. Tous ces phénomènes laissent planer un doute quant à la capacité et la volonté du gouvernement indien d’assurer le traitement équitable et la protection de ses citoyens. Ils ébranlent également les principes de laïcité et d’égalité inscrits dans la constitution indienne (Shani 2017 ; Bhargava 2010). En revanche, si une conception de plus en plus exclusive de la citoyenneté semble s’imposer depuis l’élection du BJP, la citoyenneté en Inde a toujours été, en quelque sorte, un objet aux contours insaisissables. D’une part, la citoyenneté a toujours été accordée parcimonieusement : entre 2017 et 2021, seuls 1044 demandeurs ont pu l’obtenir en moyenne par année (Upadhyay 2022), tandis que l’Inde ferme toujours la porte à la double citoyenneté. D’autre part, ceux et celles qui possèdent la citoyenneté en bénéficient rarement de la même manière. La citoyenneté de jure ne procure pas les mêmes avantages aux plus démunis, aux basses castes, aux femmes ou à divers groupes ethniques — qu’ils soient majoritaires ou minoritaires. Elle n’est pas non plus comprise de la même façon par tous. Dans une ethnographie documentant les luttes pour le droit au logement dans un bidonville de Noida, près de Delhi, Veena Das (2011) note, avec raison, que la citoyenneté est une revendication plus qu’un statut formel. Cette citoyenneté peut se construire et se revendiquer à travers les « pratiques officielles du vote », mais aussi à travers les « performances quotidiennes d’appartenance à une société » et « les demandes d’accès aux ressources de l’État » (Anand 2017 : 8). Pour Das, considérer la citoyenneté comme une revendication plutôt qu’un statut qu’une personne détient ou non permet ainsi de montrer la précarité tout comme les espoirs qu’apportent le fait d’être reconnu comme membre d’une communauté politique étatique. Dans la même optique, ce numéro envisage la citoyenneté comme une notion constamment redéfinie, renégociée et en mouvement. Les articles de ce numéro illustrent cette dynamique en s’attardant notamment aux mouvements de mobilisation ou de non-mobilisation de la minorité musulmane …

Appendices