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Ce livre raconte l’histoire du sida telle que Yanick Villedieu l’a vue se dérouler sous ses yeux au cours des quelque quarante dernières années. Journaliste scientifique à l’émission Les Années lumière — il en a été l’animateur de 1982 à 2017 — sur ICI Radio-Canada, Yanick Villedieu retrace, à travers cinquante courts chapitres, les grandes étapes de l’incroyable épopée scientifique que cette maladie pas comme les autres a déclenchée ; il évoque aussi les avancées progressives réalisées dans la prise en charge clinique des personnes séropositives ; enfin, il insiste sur les diverses formes que la mobilisation des personnes atteintes a prises au fil des années. Comme dans ses précédents ouvrages — Demain la santé (1976), La Médecine en observation (1991), Un jour la santé (2002), tous parus aux Éditions du Boréal —, Yanick Villedieu démontre dans ce nouveau livre son extraordinaire capacité à rendre compte, dans une langue claire et précise, des débats que le VIH/sida a engendrés dans le milieu des virologues, des épidémiologistes et des cliniciens ; il le fait en mettant de l’avant la collaboration entre les différents groupes de spécialistes travaillant sur le sida plutôt que leurs oppositions.
Dès les premières pages, l’auteur démontre son intérêt pour la question de la prise en charge clinique des malades en présentant un événement survenu en 1982 à Montréal. Le Dr Réjean Thomas, qui est alors un jeune clinicien, rencontre un homme homosexuel dans la trentaine qui présente, au retour d’un séjour à New York, des symptômes qu’il croit être apparentés à « la maladie des Américains ». Le sida a alors fait irruption dans la vie du Dr Thomas pour ne plus jamais en sortir ; peu après, le Dr Thomas a mis sur pied une clinique spécialisée qui continue jusqu’à ce jour de soigner des personnes atteintes du VIH/sida. La note publiée en juin 1981 par le Center for Disease Control d’Atlanta marque, selon Villedieu, l’acte de naissance scientifique de la maladie dont souffrait ce premier patient du Dr Thomas. Comme tous les autres cliniciens, le Dr Thomas devra attendre jusqu’en 1985 pour disposer d’un premier test de dépistage des anticorps du VIH et jusqu’en 1987 pour pouvoir prescrire un premier médicament antirétroviral appelé AZT. Ce n’est qu’en 1995 qu’arrivent les trithérapies qui se sont vite révélées très efficaces. Malgré le formidable volume de recherches, aucun vaccin n’a cependant encore pu être mis au point.
Yanick Villedieu poursuit son ouvrage en signalant que cette mystérieuse infection qui n’avait pas encore de nom était déjà présente à Montréal en 1982 et qu’elle suscitait une véritable panique dans les milieux gais. On ne savait en effet rien à l’époque au sujet de ses modes de transmission. Peu à peu, des chercheurs ont reconstitué les filières de contamination des personnes infectées en remontant vers le « patient zéro » ; quant à la source originelle du VIH, les routes empruntées par le virus pointèrent assez rapidement en direction de l’Afrique. En 1983, des chercheurs français de l’Institut Pasteur ont découvert un rétrovirus — baptisé LAV — qu’ils affirmèrent être à l’origine de l’effondrement du système immunitaire des malades du VIH/sida. Peu de temps après, l’Américain Robert Gallo annonça avoir isolé un rétrovirus baptisé HTLV‑III qu’il considérait être en cause dans la production de cette nouvelle maladie. Le LAV et le HTLV‑III, qui étaient en réalité le même virus, furent rebaptisés en 1986 « virus de l’immunodéficience humaine » ou VIH. Yanick Villedieu explique par le détail, et dans un style respectueux de tous les chercheurs, comment les équipes française et américaine finirent par se réconcilier en 1987.
Le 4 juin 1989, Yanick Villedieu est au Palais des congrès de Montréal où se déroule la cinquième conférence internationale sur le sida. À cette occasion, Yanick Villedieu s’est entretenu avec le Dr Jonathan Mann, directeur du Programme mondial de lutte contre le sida à l’OMS. Le Dr Mann a alors précisé qu’un demi-million de personnes étaient atteintes du sida à travers le monde alors que cette maladie n’existait même pas huit ans plus tôt. En 1999, un rapport de l’OMS évaluait à 50 millions les personnes infectées par le VIH depuis le début de l’épidémie, et à 16 millions le nombre de personnes qui en étaient mortes. Villedieu commente ces chiffres en plusieurs endroits de son livre en s’intéressant particulièrement à la question de l’accès à des traitements abordables pour les personnes porteuses du VIH dans les pays pauvres. L’accord signé en novembre 2001 par cinq grands laboratoires pour fabriquer des médicaments génériques est présenté par Villedieu comme un tournant dans l’histoire clinique du sida.
La perspective historique adoptée a conduit l’auteur à diviser son livre en quatre sections correspondant aux décennies 1980, 1990, 2000 et 2010. La section dédiée aux années 1980 est la plus longue, avec ses seize petits chapitres qui portent, entre autres, sur l’apparition des premiers malades du sida — le cas du Québécois Gaétan Dugas (1953-1984) qui a été considéré comme le « patient zéro » à l’origine de la diffusion du VIH en Amérique est discuté d’une manière approfondie qui exclut définitivement cette possibilité —, sur la découverte à Paris du virus du sida et sa redécouverte à Washington, sur l’origine africaine du virus et sur les liens entre amour et mort dans une courte vignette à portée philosophique. Les onze thèmes retenus pour les années 1990 sont présentés sous la forme de comparaisons : entre les pays occidentaux et l’Afrique ; entre les formes homosexuelle et hétérosexuelle de transmission du VIH ; entre de grandes figures (Rudolf Noureïev et Maurice Tourigny) mortes du sida ; entre l’apport de grands chercheurs comme Jonathan Mann, Paul Farmer et d’autres. Durant les années 2000, il était devenu possible de vivre avec le VIH/sida grâce aux médicaments antirétroviraux disponibles pour un grand nombre de malades ; dans une douzaine de courts textes, Villedieu montre que la situation varie néanmoins selon que les malades vivent à New York, Paris, Delhi ou Kigali. Les recherches se multiplient durant la décennie 2010, mais le sida reste toujours invaincu ; l’espoir de pouvoir guérir du sida grandit. L’ouvrage s’achève avec une très brève section dans laquelle l’auteur dresse un tableau des ressemblances et des différences entre les épidémies du VIH/sida et de la COVID‑19.
Les lecteurs trouveront dans ce livre une synthèse rigoureuse du savoir qui s’est progressivement construit autour du VIH/sida. Cet ouvrage est appelé à devenir une référence essentielle pour quiconque travaille sur l’un ou l’autre aspect de cette maladie. Il s’impose comme lecture pour les praticiens de l’anthropologie médicale.