Abstracts
Résumé
Cet article étudie les modalités de traitement des restes humains des victimes du conflit armé produits par l’activité médico-légale au Guatemala depuis les années 1990 et la manière dont ils ont été mobilisés dans le processus de mémorialisation de la violence politique passée. Ces restes humains sont ceux de populations civiles, majoritairement autochtones, victimes d’une politique de terreur instaurée par les gouvernements militaires dans les années 1975-1983. Après le retour à la paix, la réticence persistante des institutions nationales va conduire les acteurs de la société civile à assumer seuls la prise en charge funéraire et mémorielle des restes exhumés. Leur collaboration avec les anthropologues médico-légaux, qui se poursuit depuis une trentaine d’années, a vu l’intégration toujours plus forte de la pratique médico-légale au processus mémoriel. D’abord mobilisée pour mettre au jour des traces matérielles de la violence, endossant par la suite un rôle actif dans les processus de requalification et la prise en charge funéraire des morts exhumés, la pratique de l’exhumation est finalement elle-même intégrée dans les éléments mémorialisés.
Mots-clés :
- Duterme,
- Guatemala,
- anthropologie médico-légale,
- exhumations,
- mémorialisation,
- site mémoriel,
- funérailles,
- violence politique,
- État et société civile
Abstract
This article examines the handling of the human remains of victims of the armed conflict produced by forensic science in Guatemala since the 1990s and its integration into the Memory process. These remains are those of civilian populations, the majority of whom from indigenous populations, who were victims of an antisubversive terror strategies implemented by military governments between 1975 and 1983. The persistent reluctance of national institutions led civil society actors and forensic anthropologists to assume sole responsibility in exhumations and burials, which has been going on for some thirty years. The forensic practice became increasingly integrated into the remembrance process. Initially mobilized to uncover the material traces of violence, and taking on an active role in the requalification processes and in the funeral care of the exhumed dead, the practice of exhumation is finally itself integrated into the memorialized elements.
Keywords:
- Duterme,
- Guatemala,
- forensic anthropology,
- exhumations,
- memorialization,
- memorial site,
- funeral,
- political violence,
- State and civil society
Resumen
Este artículo estudia las modalidades de tratamiento de los restos humanos de las víctimas del conflicto armado, productos de la actividad forense en Guatemala desde los años 1990, así como la manera en que fueron movilizados como parte del proceso de rememoración de la violencia política pasada. Se trata de los restos humanos de poblaciones civiles, en su mayoría autóctonas, víctimas de una política de terror instaurada por los gobiernos militares en los años 1975-1983. Después del retorno de la paz, la persistente reticencia de las instituciones nacionales condujo a los actores de la sociedad civil a asumir solos el cuidado funerario y memorial de los restos exhumados. Su colaboración con los antropólogos forenses, que se ha mantenido durante los últimos treinta años, ha testificado la integración cada vez más firme de la práctica forense en el proceso de rememoración. Al principio movilizada con el fin de develar las huellas materiales de la violencia para después endosar un rol activo en el proceso de re-calificación y de atención funeraria de los muertos exhumados, la práctica de la exhumación finalmente se convirtió en parte integrante de la rememoración.
Palabras clave:
- Duterme,
- Guatemala,
- antropología forense,
- exhumaciones,
- rememoración,
- sitio conmemorativo,
- funerales,
- violencia política,
- Estado y sociedad civil
Appendices
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