L’Anthropologie du végétal est un ouvrage collectif composé de deux volumes, de neuf et dix chapitres respectivement, qui se consacre, dans une perspective anthropologique et ethnographique, aux dimensions ontologiques des interrelations qui se tissent entre l’humain et le végétal. Bien que les travaux en ethnobotanique offrent une base solide pour comprendre l’attention que l’anthropologie porte au végétal depuis au moins soixante ans, les éditeurs mettent rapidement de côté cette riche documentation, préférant ancrer les contributions de l’ouvrage dans ce qu’ils appellent le moment de basculement dans les manières de penser le végétal. Ce basculement fait référence au tournant ontologique opéré dans les sciences sociales à partir des années 2000, et « où les plantes — et plus généralement ce qui est convenu d’appeler les “non-humains” — [font] l’objet d’une attention nouvelle, et [suscitent] l’emploi de catégories d’analyse jusqu’alors cantonnées à la sphère sociale des humains » (p. 5). Imbriqué à la critique de la scission entre nature et culture (Descola 2005), ce renouveau épistémologique permet d’extraire les végétaux de la passivité qui leur est conférée par l’ontologie naturaliste pour les élever au rang d’acteurs des relations et des sensations qu’ils suscitent. C’est à travers ces considérations que les auteurs situent le développement du champ de l’anthropologie du végétal, auquel ils contribuent de manière ingénieuse. D’abord, les éditeurs et les auteurs optent pour une approche cosmopolitique des rapports au végétal, émancipée de l’ontologie naturaliste qui assimile le cosmos à une matière inanimée, déterritorialisée et sans puissance d’agir. Cette approche implique d’appréhender les relations humano-végétales à travers leurs interdépendances avec des entités terrestres ou « en suspension » dans l’air et l’espace, pour reprendre l’expression de Julie Laplante (vol. 1, chapitre 7, p. 169). Ainsi, Dusan Kazic (vol. 1, chapitre 3) fait voir comment les paysans français se font partenaires des cycles lunaires pour faire croître leurs cultures dans les conditions les plus optimales. De son côté, Anne-Marie Colpron (vol. 2, chapitre 3) explique comment les onánya d’Amazonie occidentale intensifient leur pouvoir chamanique par « des pratiques corporelles radicales et commensales à la forêt » (p. 79) impliquant de se faire parent d’esprits logés dans les arbres. En liant la question végétale à celle des manières d’habiter et de concevoir le monde, les auteurs ficèlent judicieusement les 19 chapitres de ces deux volumes, bien que leur orientation théorique et empirique diffère. C’est notamment à travers l’anthropologie des techniques (Masseaux), l’anthropologie du travail (Kazic), l’anthropologie économique (Afoutou), l’ethnographie des forêts (Cappe) et les études d’« écologies affectives » (Hall) que le lecteur en apprendra plus sur les relations matérielles et sensibles qui lient les humains aux végétaux endémiques (Byl) et domestiqués (Crépeau), des champs (Loodts) et des laboratoires (Laplante), en passant par les espaces urbains (Pée) ou les écoumènes forestiers (Laugrand et Laugrand). Cette variété apporte sans contredit une richesse à l’ouvrage. Pour donner une structure à l’ensemble des contributions rassemblées, ces dernières sont regroupées en deux thématiques de recherche, une pour chaque volume. Le premier volume se focalise sur les relations entretenues par les populations autochtones et paysannes avec les plantes et les cultures agricoles, soit celles historiquement liées à la plantation et à ses contextes aliénants (colonialisme, productivisme, extractivisme, etc.). Des chapitres sont notamment consacrés aux sociabilités plus qu’humaines des économies de canne à sucre (Masseaux), du maraîchage (Loodts) et du café (Cikuru). Le deuxième volume se penche plus largement sur les manières dont les forêts, les plantes herbacées et ligneuses, « qu’elles soient appréhendées comme des individualités pensantes ou comme les agents au service d’interactions avec les esprits » (Simon, vol. 2, chapitre 6, p. 147), se servent des …
Appendices
Références
- Descola P., 2005, Par-delà nature et culture. Paris, Gallimard.
- Fleming J., 2017, « Toward Vegetal Political Ecology: Kyrgyzstan’s Walnut-Fruit Forest and the Politics of Graftability », Geoforum, 79, 26-35.
- Argüelles L. et H. March, 2022, « Weeds in Action: Vegetal Political Ecology of Unwanted Plants », Progress in Human Geography, 46, 1 : 44-66.