Cette réédition s’ouvre avec une préface où l’auteur positionne cette ethnographie comme le point de départ des réflexions qui l’ont accompagné le long de sa carrière académique sur « les détails de la présence » humaine dans des contextes collectifs sur la minimalité et du « comportement minimum d’insertion » qu’il développera dans de futurs ouvrages (2003, 2009, 2011). Cette intuition première de l’anthropologue, même si elle n’est pas ouvertement posée dans la suite de l’ouvrage, permet de saisir l’importance que l’auteur donne aux pratiques et comportements qui témoignent de la vie quotidienne des participantes et des participants, des décalages et des extractions individuels malgré l’intensité des phénomènes collectifs que sont les fêtes. Au carrefour de la linguistique, de la sociologie et de l’anthropologie, cette intuition lui permet de complexifier les interprétations structuralistes (Durkheim 1968) ou astructuralistes (Caillois 1972 ; Duvignaud 1973) qui dominaient l’anthropologie à propos du phénomène festif (comme célébration ou phénomène anomique) pour « figurer la réalité fluide de la fête, qui réunit des aspects contraires enchevêtrés » (p. 273). L’hypothèse qui traverse son livre est qu’une fête, que son cadre référentiel repose sur un objet fictionnel ou non, est un espace-temps interstitiel entre l’exceptionnel et le quotidien qui s’actualisent selon deux classes de comportements que l’auteur intègre dans un double système rituel. Le premier se rapporte aux rites idéaux (relatif au signifié référentiel et des comportements très codifiés) et le second, aux rites secondaires (pratiques signifiantes qui mettent à distance le signifié) qui permettent aux participantes et aux participants de réinterpréter le signifié référentiel sur le mode ludique ou sérieux. Pour explorer les rites initiaux, Albert Piette observait ces pratiques et comportements qui unifiaient le narratif d’une fête (compétences, statuts, costumes, performances et déroulement officiels) alors que pour explorer les comportements et pratiques se rapportant aux rites secondaires, l’auteur s’est intéressé au déroulement de la fête comme elle se fait réellement. Il a donc donné une grande importance à des gestes et des pratiques aussi « minimales » que de fumer une cigarette pendant un cortège, des arrêts au café ou de la présence de publics. C’est la qualité de l’ethnographie et l’attention minutieuse portée à cette seconde classe de comportement qui fondent l’originalité et la pertinence actuelle de cette thèse. À partir de participations à six fêtes wallonnes annuelles, d’entrevues semi-dirigées pendant, mais surtout avant et après les temps officiels des fêtes, et d’une analyse minutieuse de documents secondaires, l’auteur montre toute l’importance de ces micro-gestes, pratiques et comportements qui relèvent du quotidien et qui permettent aux participantes, aux participants et aux publics de « brouiller », de mettre à distance, de s’extraire de la lourdeur du signifié référentiel qui justifie l’existence d’une fête. L’intervalle festif se définit donc à la fois par le rapport que la fête entretient avec le quotidien, le surplus énergétique de celle-ci par rapport à celui-là, comme moment de réversibilité sans conséquence dans la vie des participantes et des participants (Rivière 1982), mais également cet incessant mouvement entre rites idéaux (ensembles des règles et contraintes qui organisent la « nature » de la fête) et rites secondaires. Cette enquête nous amène donc à suivre l’exploration historique, la description minutieuse et l’analyse rigoureuse de deux carnavals — qu’il classe dans la catégorie des fêtes fictionnelles —, celui de Binche et le carnaval de Stavelot, et de trois fêtes non fictionnelles : le Goûter matrimonial à Écaussinnes, la fête du Travail de Charleroi et la Fête de la Wallonie à Namur. La troisième partie se concentre sur une seule et même fête, qui rejoue des éléments des fêtes fictionnelles et non fictionnelles …
Appendices
Références
- Avis-Ward D., 2022, « Moments of Connection as Means of Survival », Dancecult: Journal of Electronic Dance Music Culture, 14, 1 : 39-59.
- Blanchot M., 1983, La communauté inavouable. Paris, Les Éditions de Minuit.
- Caillois R., 1972, L’homme et le sacré. Paris, Gallimard.
- Durkheim É., 1912, Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Paris, Quadrige-PUF.
- Duvignaud J., 1973, Fêtes et civilisations. Genève, Éditions Weber.
- Duvignaud J., 1986, Hérésie et subversion essais sur l’anomie. Paris, La Découverte.
- GarcÍa-Mispireta L. M., 2023, Together, Somehow. Music, Affect, and Intimacy on the Dancefloor. Durham, Duke University Press.
- Goldman D., 2010, I Want to Be Ready. Improvised Dance as a Practice of Freedom. Ann Arbor, University of Michigan Press.
- Hemment D., 2004, « Affect and Individuation in Popular Electronic Music » : 76-94, in I. Buchanan et M. Swiboda (dir.), Deleuze and Music. Edinburg, Edinburgh University Press.
- Nancy J.-L., 1986, La communauté désoeuvrée. Paris, C. Bourgois.
- Piette A., 2003, Le fait religieux : une théorie de la religion ordinaire. Paris, Économica.
- Piette A., 2011, Fondements à une anthropologie des hommes. Paris, Hermann.
- Piette A. et F. Clément, 2009, L’acte d’exister. Une phénoménographie de la présence. Marchienne-au-Pont, Socrate Éditions Promarex.
- Rivière C., 1982, « À quoi servent les rites séculiers », Social Compass, 29, 4 : 369-387.