Dossier : Violence et démocratie délibérative

Violence et démocratie délibérativeIntroduction[Record]

  • Martin Blanchard

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  • Martin Blanchard
    CRÉUM

L’objectif principal de la revue Les Ateliers de l’éthique / The Ethics Forum est de publier des analyses éthiques pertinentes des pratiques sociales contemporaines et de contribuer à l’essor de la recherche en éthique et, en particulier, de la recherche en éthique au Québec. Un tel objectif incite la revue et les auteurs qui souhaitent y publier leur texte à s’interroger sur des évènements qui marquent les sociétés dans lesquels ils vivent au moment où les textes sont pensés, écrits et publiés. Bien entendu, l’actualité quotidienne n’est pas toujours une caractéristique essentielle des articles publiés dans cette revue, mais quiconque réfléchit au substrat éthique des sociétés contemporaines demeure aux aguets de son propre quotidien. L’actualité étant toutefois mouvante et capricieuse, les nouvelles qui font la manchette durant l’écriture d’un texte tombent parfois sous le radar de l’actualité et se voient, lors de la publication, remplacées par de nouveaux épisodes de la marche de l’histoire. D’autres fois, mais très rarement, les auteurs travaillent sur une problématique plutôt occulte, cependant qu’à la publication des textes, les manchettes de l’actualité propulsent cette problématique au devant de la scène médiatique et, de la sorte, confirment la centralité et la vitalité de la recherche en éthique. C’est bien ce dernier cas qui se dessine au moment où est publié ce dossier sur la violence et la démocratie. Aujourd’hui même au Québec, une longue grève étudiante perdure contre la hausse des frais de scolarité, accompagnée de perturbations et de méfaits diront certains, de dérapages et de violences selon plusieurs (le choix des mots n’est pas ici sans conséquences, ce qu’une lecture des textes du dossier confirmera largement). Au moment où j’écris ces lignes, le gouvernement a voté une soi-disant « loi spéciale » dans le but de casser la grève qui persiste depuis déjà quatorze semaines ; une loi qui criminalise le droit de manifester, de s’associer dans le but de manifester et même d’exprimer un appui au mouvement étudiant. Des juristes de tout bois critiquent cette loi au motif qu’elle viole des droits fondamentaux inscrit au creux de la Charte des droits et libertés canadienne. Et pourtant, plusieurs journalistes et chroniqueurs n’hésitent pas à pousser un soupir de soulagement ; après avoir relayé les dénonciations des méfaits commis durant les manifestations, la plupart des média ont réagi au dépôt de la loi spéciale en mettant de l’avant les appuis dans la population québécoise à celle-ci. Pourquoi soutenir aussi vertement la répression étatique ? Mon collègue Christian Nadeau a répondu avec éloquence à cette question : « Il est confortable de condamner la violence lorsqu’on ne la subit pas au quotidien ». Regardant de loin, on croit que la colère des manifestants est irrationnelle. Mais contrairement aux images sans cesse repassées en boucle, les centaines de milliers de personnes qui ont manifesté ces derniers mois ont surtout canalisé leur colère dans des slogans qu’il importe d’entendre. Cette colère recouvre une grande frustration et aussi une grande tristesse, celle de ne pas être écouté et de perdre d’importants acquis sociaux et des balises démocratiques fondamentales. Nous voilà donc en plein tourbillon de l’histoire en route et qui, comme vous le lirez dans les pages qui suivent, se pense ici même au moment de sa marche. À Montréal seulement, sur une période d’un peu plus de trois mois, près de 250 manifestations ont été dénombrées, et le mouvement ne cesse de s’amplifier. La très grande majorité d’entre elles étaient pacifiques, bien que la plupart furent déclarées illégales par les autorités policières ; or, l’attention médiatique s’est concentrée sur celles qui ont donné lieu à des évènements d’une violence …

Appendices