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L’un des traits distinctifs, sinon le trait distinctif de la tradition républicaine classique réside dans le rôle crucial qu’elle accorde à la vertu politique. Cela est vrai des formes romaines aussi bien que des formes aristotéliciennes du républicanisme[1]. Pour les républicains d’inspiration aristotélicienne, le but de la politique est d’offrir un forum à l’exercice de la « vertu active »; les individus s’engagent dans l’action politique, comme l’écrit John Pocock, en vue « d’accomplir [leur] nature, atteindre la vertu et trouver rationnel le monde » au sein duquel ils évoluent[2]. Réfléchissant sur l’échec de la République de Rome, la variante romaine de la pensée républicaine défend davantage la poursuite de la vertu civique pour des raisons instrumentales : en vue de préserver la liberté et de contribuer à la gloire de la communauté politique dans son ensemble. Mais, que l’objectif soit de préserver la liberté publique ou de créer pour elle-même une « structure de vertu » de type aristotélicien, la vertu qui est recherchée est comprise dans les deux cas comme cette disposition à favoriser dans l’action et la délibération le bien public aux dépens du bien privé.

Tous les républicains partagent cette conception du contenu de la vertu civique. Mais ils diffèrent remarquablement quand ils rendent compte de la manière dont les citoyens développent et conservent ce caractère vertueux[3]. En fait, au moins trois psychologies distinctes de la vertu civique coexistent au sein de la tradition républicaine classique : une première qui fonde la vertu sur l’éducation du désir, une seconde qui l’enracine dans l’accommodement des intérêts (accommodation of interests) et une troisième qui lie la vertu à la contrainte du devoir (compulsion of duty).

Les républicains qui préconisent l’« éducation du désir » mettent l’accent sur le rôle des passions et des appétits dans la culture de la vertu civique. Ils cherchent à assurer la priorité du bien public sur les biens privés non pas en éteignant ou en subordonnant les désirs personnels, mais en les façonnant soigneusement. Ils ont en vue une culture politique dans laquelle l’éducation des citoyens les prépare à trouver l’épanouissement personnel et la satisfaction, principalement en se mettant au service du public. Par exemple, Jean-Jacques Rousseau recommande, dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne, de cultiver la vertu et le patriotisme « par des jeux d’enfants, par des institutions […] qui forment des habitudes chéries et des attachements invincibles ». Ce type d’éducation, argumente-t-il, « leur fera faire par goût et par passion ce qu’on ne fait jamais assez bien quand on ne le fait que par devoir ou par intérêt[4] ». Algernon Sydney, théoricien républicain du XVIIe siècle, fonde aussi la vertu civique sur l’éducation du désir :

Ceux qui sont élevés sous une bonne discipline, et qui voient que tous les bienfaits que les actions vertueuses procurent à leur pays sont tout à leur honneur et à leur avantage […] contractent dès l’enfance un amour du public, et considèrent les intérêts communs (common concernments) comme les leurs.[5]

Dans cette optique, la vertu civique repose moins sur le sacrifice de l’intérêt personnel (self-interest) ou de l’avantage privé que sur une éducation qui rend la poursuite du bien public immensément satisfaisante sur le plan émotionnel. L’objectif est de façonner les désirs essentiellement égoïstes des citoyens pour le pouvoir, la distinction et le plaisir, de telle sorte que les individus ne trouvent de satisfaction que dans la réalisation d’actions qui sont bénéfiques pour le bien public.

Les républicains qui font reposer la vertu sur l’« accommodement des intérêts » croient que le calcul rationnel de l’avantage personnel fonde le comportement politique de la plupart des individus. Mais ils n’affirment pas pour autant qu’une telle action intéressée (self-interested action) est contraire à la vertu. Ils soutiennent plutôt que, dès lors qu’elle est convenablement structurée par les normes et les institutions de la communauté politique, la poursuite de l’intérêt personnel peut en elle-même produire un comportement politique vertueux.

James Harrington fut l’un des premiers républicains à avancer ce type d’argument. Il rappelait qu’aucune constitution ne pouvait éliminer les intérêts privés (private interests) des citoyens ou les persuader de sacrifier l’avantage personnel au profit du bien public (les gens ne sont simplement pas faits ainsi). Cependant, une bonne constitution pourrait produire avec succès la vertu civique en encadrant la manière dont ces intérêts privés s’expriment. Ainsi, la république vertueuse, soutient Harrington, établit « ces ordres […] qui seraient susceptibles de donner l’avantage dans tous les cas au droit commun ou à l’intérêt commun, en dépit de la proximité de ce qui attache chaque homme dans le privé[6] ». Ce sont précisément les contours de cette république qu’il trace dans son Oceana.

Cette caractérisation des fondements de la vertu civique peut sembler plus libérale que républicaine. Après tout, n’est-ce pas la caractéristique principale des dispositifs politiques libéraux de mettre l’intérêt privé au service du bien public? Sans insister à l’excès sur la distinction entre libéralisme et républicanisme, qui ne rend pas toujours les meilleurs services, il n’en demeure pas moins utile de distinguer ceux (habituellement les libéraux) qui présentent les « poids et contrepoids » des intérêts particuliers comme des substituts à la vertu et ceux (habituellement les républicains) qui croient que les préoccupations égoïstes et les engagements qui animent les citoyens modernes peuvent conduire à la vertu civique lorsqu’ils sont structurés de façon appropriée[7].

Suivant cette lecture, les républicains n’exigent pas des citoyens qu’ils soient disposés à sacrifier leur intérêt privé pour le bien public. En fait, un aspect important de l’argumentation que je propose ici est que la théorie républicaine comporte des approches de la vertu civique qui sont très semblables à celles que l’on associe habituellement au libéralisme. L’approche par l’« accommodement des intérêts » pourrait nous rappeler les stratégies libérales pour fonder le bon régime, mais elle n’en est pas une.

La première psychologie de la vertu civique présente ainsi des citoyens servant leur pays en vertu d’un amour englobant pour leur patrie; les fins publiques et privées se combinent dans le dévouement à cette dernière. Cette analyse considère les êtres humains d’abord et avant tout comme des créatures de passions et d’appétits, motivées par des désirs (de réputation, de bénéfice, de bonheur) qui peuvent être façonnés pour soutenir les fins publiques. La seconde psychologie considère que les individus sont des êtres inévitablement intéressés. Cet intérêt personnel ne peut pas être éduqué de sorte qu’il porte sur un objet distinct de la personne elle-même, à la manière dont Rousseau croit, par exemple, que les individus peuvent être conduits « à aimer [leur] patrie et ses lois. » Mais, comme l’affirme Harrington, la poursuite d’un tel intérêt personnel peut produire des actions vertueuses d’un point de vue civique dès lors qu’elle prend place dans un contexte politique structuré de façon appropriée.

Les théoriciens qui croient que les citoyens peuvent être conduits à exercer la vertu seulement à travers la « contrainte du devoir » rejettent ces deux modèles psychologiques. Dans cette troisième perspective, les citoyens vertueux servent leur pays parce qu’ils comprennent rationnellement qu’il est dans leur devoir d’agir ainsi. Les passions, les appétits et les intérêts personnels apparaissent tous comme des obstacles à l’accomplissement de cette vertu devant être dépassés par l’exercice de la volonté, de la raison et peut-être aussi de la mortification. Cicéron reste l’exemple le plus illustre de ce type de théoriciens; les Anglais Charles Davenant et Henry St John (vicomte de Bolingbroke) sont des défenseurs ultérieurs de cette voie vers la vertu que j’examinerai plus bas[8].

En élaborant cette analyse tripartite de la psychologie de la vertu dans la tradition républicaine, je ne soutiens pas que toutes les conceptions républicaines sont à ce point claires et explicites qu’elles correspondent sans ambiguïté à l’une ou l’autre de ces trois catégories. Par exemple, on peut considérer de façon tout à fait plausible que Machiavel cherche à fonder la vertu sur l’« accommodement des intérêts », même si je soutiens pour ma part qu’il met plutôt l’accent sur l’« éducation du désir[9] ». Je présente donc ces psychologies comme des idéaux-types, c’est-à-dire des modes d’analyse vers lesquels les théoriciens républicains tendent à divers degrés.

L’élaboration de ces idéaux-types est utile pour au moins deux raisons. D’abord, cela nous rappelle l’importante diversité des formes prises par un républicanisme trop souvent perçu comme monolithique. Même si les républicains s’accordent sur la nature ou le contenu de la vertu civique, ils divergent néanmoins profondément sur la manière dont cette vertu doit être cultivée, exprimée et psychologiquement fondée. Ensuite, mettre l’accent sur la diversité fournit une nouvelle perspective sur les efforts entrepris aujourd’hui pour raviver la vertu dans le régime moderne. Suivant cette interprétation de la tradition républicaine, il ne suffit pas de recommander aux citoyens actuels de poursuivre la vertu telle qu’elle est décrite par les républicains classiques. Il convient de se demander comment cette poursuite sera fondée sur les plans psychologique et social. Allons-nous entreprendre une « éducation du désir », rechercher un « accommodement des intérêts » ou plutôt nous fier à la « contrainte du devoir »? Je reviens sur cette question dans la conclusion de cet article, après avoir mené une analyse des trois psychologies de la vertu que l’on trouve dans les écrits de Machiavel et de quelques théoriciens républicains anglais.

1. Machiavel, Sydney et l’éducation du désir

L’importance que Machiavel accorde à l’« éducation du désir » comme moyen de cultiver la vertu est illustrée de la façon la plus claire par son analyse de l’ambition corruptrice qui gangrène les citoyens les plus éminents de la république. Machiavel considère une telle soif de pouvoir comme la menace la plus sérieuse à la liberté d’une nation, à part sans doute le fait d’être envahi par les troupes françaises. Son argument est que ces désirs sans bornes poussent les individus à entreprendre des actions qui sont entièrement contraires à la liberté républicaine[10]. Ainsi, dans le chapitre 30 du livre III des Discours, Machiavel avertit les citoyens à l’esprit civique (public-spirited citizens) de prendre garde à « ceux qui ont été [leurs] rivaux dans l’acquisition de réputation et de grandeur », car « en voyant que vous êtes plus réputés qu’eux, il est impossible qu’ils acquiescent et se tiennent tranquilles. » Et si ces individus, précise-t-il, « sont accoutumés à vivre dans une ville corrompue, où l’éducation n’[a] rien produit de bon en eux, il est impossible qu’à cause de quelque événement ils se ravissent », au point où, « pour assouvir leur envie et satisfaire leur perversité d’âme, ils seraient heureux d’assister à la ruine de leur patrie.[11] »

Décrire les racines de la corruption de cette manière permet de mettre en lumière la psychologie de la vertu défendue par Machiavel. Comme indiqué plus haut, la cité libre doit fournir une éducation qui infuse de la bonté dans l’esprit de tous les citoyens. Dans un autre passage, Machiavel affirme que « le[s] actions sont en telle province plus vertueuses qu’en telle autre, et dans celle-ci plus que dans celle-là, selon la forme de l’éducation dans laquelle ces peuples ont puisé leur façon de vivre.[12] » Ainsi, la clé permettant de rendre vertueux le citoyen ambitieux ne consistera pas à éliminer le désir de prééminence politique, une prouesse qu’il juge du reste impossible, mais à éduquer ou à orienter ce désir dans des voies qui soient compatibles avec la survie du gouvernement républicain. Idéalement, une telle éducation façonne les passions et les désirs des citoyens de telle sorte que leurs ambitions soient définies dès le départ d’une façon qui encourage la réalisation de la vertu.

L’« éducation du désir » que Machiavel envisage dans les Discours est publique et privée à la fois, et elle s’applique au peuple autant qu’à l’élite. Le désir de liberté potentiellement anarchique du peuple est régulé par les lois somptuaires et le service militaire obligatoire. En interdisant le luxe et en cultivant un ethos martial austère, le désir de liberté du plus grand nombre est orienté vers la victoire et la liberté nationale, plutôt que vers la licence, l’aisance personnelle et l’abondance.

Une canalisation appropriée de l’ambition naturelle des élites de la nation requiert d’autres mesures. Sur le front législatif, Machiavel recommande une régulation stricte des honneurs publics qui assure que les postes de pouvoir et les récompenses ne reviennent qu’à ceux dont les actes « profitent et ne nuisent pas à la ville et à sa liberté.[13] » Cette restriction, estime Machiavel, forcera les ambitieux à se remettre « dans le droit chemin », faisant ainsi émerger la culture politique dans laquelle la satisfaction de ses désirs personnels de pouvoir implique de se consacrer au bien public[14]. Mais, selon Machiavel, l’accomplissement d’une identification si complète de l’ambition personnelle et du bien public exige une éducation qui précède l’entrée dans la sphère publique. « Il est en effet très important, fait-il observer, qu’un jeune garçon commence depuis sa tendre enfance à entendre dire du bien ou du mal d’une chose, car nécessairement il faut que cela s’imprime en lui, et qu’ensuite il règle par là sa façon de procéder, à tous les âges de la vie.[15] »

Cette combinaison d’éducation privée et publique devrait créer chez le citoyen la disposition psychologique à la vertu que Machiavel juge si importante pour préserver la liberté et se protéger contre la corruption. Un tel citoyen ne soupèsera pas de façon continue ses désirs privés à l’aune d’une perception séparée des exigences du bien public. Son caractère sera tel que ses désirs personnels n’obtiendront satisfaction qu’en se mettant au service du public.

À l’instar des Discours sur Tite-Live de Machiavel, les Discours sur le gouvernement de Sydney prennent les importantes réalisations de la République romaine comme objets de réflexion et d’analyse. Défendant la nécessité et la possibilité, pour des citoyens modernes, de cultiver cet « amour du pays » qui a suscité un si noble dévouement au service public dans les temps anciens, Sydney écrit : « Le temps ne change rien […] Le même ordre qui, dans les premiers temps, rendit les hommes vaillants et industrieux au service de leur pays aurait le même effet s’il était aujourd’hui en vigueur. Les hommes auraient le même amour du public qu’avaient les Spartiates et les Romains s’il existait la même raison de l’aimer.[16] »

Quelle est la meilleure façon de cultiver l’amour du public? La recommandation de Sydney est similaire à celle de Machiavel : l’éducation complète du désir. Toutefois, tandis que Machiavel met l’accent sur l’orientation appropriée de deux passions particulières (« le désir de dominer » du petit nombre et le « désir de vivre libre » du plus grand nombre), Sydney part d’une donnée psychologique plus universelle. Chaque individu, affirme-t-il, « suit naturellement ce qui est bon, ou lui semble tel. » Reconnaissant une telle chose, un législateur avisé s’assurera que « les hommes soient, depuis leurs plus tendres années, élevés dans la croyance que rien dans le monde ne mérite d’être recherché sinon les honneurs procurés par les actions vertueuses.[17] » En façonnant ainsi l’objet du désir des citoyens – Sydney suggère en fait d’« imprimer les affections des enfants » –, l’État attire les passions humaines vers la réalisation de la vertu.

2. Harrington, Caton et l’accommodement des intérêts

La philosophie politique de Harrington réintroduit la conception cicéronienne de la bonne communauté (good commonwealth) dans le programme républicain. « Ma philosophie consiste principalement, annonce Harrington, à destituer la passion et à avancer la raison sur le trône de l’empire.[18] » Mais comment allons-nous protéger ce vertueux « empire des lois » des passions ingouvernables des individus?[19] Une voie consisterait à « destituer la passion et à avancer la raison » dans l’âme de chaque citoyen républicain, une possibilité envisagée par plusieurs philosophes classiques. Néanmoins, enfant de son siècle, Harrington ne peut souscrire à un tel programme. Aucun « ordre de gouvernement, dit-il, ne sera en mesure de contraindre cette créature-ci ou cette créature-là à se défaire de cette inclination qui lui est la plus propre et d’adopter celle qui a en vue le bien ou l’intérêt commun.[20] »

Est-ce à dire que la vertu civique n’est pas à la portée des citoyens de la république? Les exigences de l’avantage personnel n’entacheront-elles pas à tout jamais la poursuite du bien commun? Harrington refuse cette conclusion. Même un motif inextricablement lié à l’intérêt personnel peut produire des actions et une délibération vertueuses si la constitution de la nation est structurée de façon appropriée.

Pour parvenir à cette fin, Harrington propose une prudente division politique du travail entre le petit et le grand nombre. Les meilleurs et les plus brillants citoyens de la nation (son aristocratie naturelle) devraient se mettre au service d’un sénat habilité à proposer des lois, mais pas à légiférer. Responsables uniquement de débattre de l’action la plus appropriée pour le public, les membres de ce sénat trouveront que leur intérêt personnel sera d’autant mieux satisfait que la considération pour le bien public sera désintéressée[21]. En revanche, les représentants siégeant à l’assemblée populaire pourront voter, mais sans délibérer en public, et ils pourront et devront voter sur la base de leurs intérêts personnels. Harrington justifie cette conclusion à partir de l’argument selon lequel lorsqu’ils sont filtrés par le processus politique, les intérêts privés du grand nombre deviennent l’« intérêt public » aussi bien en ce qui a trait à la quantité qu’au contenu. Il explique cette transformation de la façon suivante : « le choix qui convient à l’intérêt de chaque homme [c’est-à-dire celui qui subsiste après l’examen de l’assemblée populaire et devient loi] exclut la passion ou l’intérêt séparé ou privé d’un homme quelconque (the distinct or private interest or passions of any man), et revient donc à la raison ou à l’intérêt commun et public (the common and public interest or reason)[22] ».

La leçon que Harrington espère transmettre à travers son oeuvre est que si la communauté politique aménage ses institutions de façon judicieuse, les individus égoïstes – des gens nécessairement et inévitablement dévoués au calcul de leur propre intérêt –, pourront toujours être conduits à promouvoir les fins publiques plutôt que privées. Et comme le fait de promouvoir l’intérêt public est la caractéristique principale de l’action vertueuse, une constitution organisée de cette façon peut être jugée vertueuse au sens républicain du terme.

Les Lettres de Caton (Cato’s Letters), une série fort influente d’essais politiques publiés en Angleterre dans les années 1720, proposent une approche similaire de la culture de la vertu civique. À l’instar de Harrington, Caton (le pseudonyme adopté par les deux auteurs des Lettres) croit qu’un individu ne réussit que rarement, sinon jamais à « séparer ses passions de sa propre personne et de son intérêt », et défend ainsi une vertu fondée sur l’accommodement des intérêts plutôt que sur leur suppression. « Nous [ne] pouvons attendre d’eux [des hommes] la vertu philosophique, mais seulement qu’ils suivent la vertu comme leur intérêt », écrit-il[23].

Caton a peu d’espoir que ceux qui sont en position de pouvoir puissent en venir à réaliser que leurs intérêts personnels en matière de sécurité et de prospérité coïncident avec l’intérêt du public à disposer d’un bon et fidèle gouvernement. La tentation des gouvernants d’abuser de leur pouvoir est simplement trop grande[24]. Il espère plutôt que la vertu civique résultera de l’intérêt personnel des individus ordinaires, c’est-à-dire de ceux qui sont assujettis au pouvoir du magistrat. Ces gens, soutient Caton, poursuivront, comme s’il s’agissait de leur intérêt personnel, des biens qui sont entièrement en accord avec le bien-être public. Ils veulent avant tout la stabilité politique, la prospérité nationale et la liberté personnelle, cela non pas en vertu d’un souci désintéressé du régime politique dans son ensemble, mais parce que leurs propres perspectives de vie et leurs moyens de subsistance bénéficieront immédiatement de ces réalisations. Ainsi, selon Caton, « le peuple dans son ensemble, en consultant son intérêt propre, consulte le public, et agit pour le public en agissant pour lui-même.[25] »

Cette confiance placée dans la capacité des citoyens à « agir pour le public en agissant pour eux-mêmes » fait écho aux convictions de Harrington. Ce dernier soutient que lorsqu’elle est assemblée pour légiférer, une populace intéressée (self-interested populace) peut et doit accomplir le bien public en exprimant, plutôt qu’en transcendant, ses intérêts privés. Caton est trop réaliste pour proposer, dans le sillage de Harrington, une quelconque restructuration de la monarchie constitutionnelle de l’Angleterre georgienne. Mais sans promouvoir de changement politique, Caton en appelle, comme Harrington, à une vertu civique fondée sur l’accommodement des intérêts.

Les écrits des pères fondateurs paraissent également offrir une analyse de la culture de la vertu civique qui s’appuie sur l’accommodement des intérêts[26]. Mon avis est que si les pères fondateurs recommandent un quelconque type d’accommodement des intérêts dans la vie politique, ils considèrent que ces accommodements complètent l’exercice de la vertu plutôt qu’ils ne le constituent. Le débat concernant la place respective des idéaux libéraux et républicains dans la fondation américaine est vaste et ne peut être présenté de façon exhaustive ni résolu ici[27]. Je soutiendrais néanmoins que les pères fondateurs entendaient pleinement faire des citoyens étasuniens un peuple vertueux, sans attendre ou désirer que la culture de la vertu se fasse (sauf d’une façon très indirecte) à travers les institutions publiques. La vertu civique résulterait du « lien affectif entre le citoyen et le gouvernant » soutenu par une solide constitution et un bon gouvernement, ainsi que par les opérations naturelles des pratiques sociales en vigueur – la formation religieuse et l’éducation familiale[28]. L’« accommodement des intérêts » représenté par les poids et contrepoids constitutionnels complétait donc la vertu des citoyens. Il ne fournissait pas son fondement psychologique, comme c’est le cas dans les modèles de Harrington et de Caton.

3. L’idée cicéronienne de vertu au XVIIIe siècle

Considérant les deux modèles des fondements psychologiques de la vertu présentés ci-dessus, on constate que l’un enracine la vertu civique dans l’« éducation du désir » et que l’autre la fonde sur l’« accommodement des intérêts ». Dans le premier cas, les passions du citoyen sont mises au service de la vertu : l’éducation proposée à l’intérieur et à l’extérieur de la famille assure que les individus trouvent leur épanouissement émotionnel et la satisfaction de leurs désirs les plus profondément ressentis avant tout dans le service rendu à la communauté élargie. Dans le second modèle, un tel attachement passionné des citoyens à l’égard du bien public est considéré comme irréaliste; les gens s’aiment principalement eux-mêmes et utilisent naturellement leur raison pour favoriser leurs propres fins. Accomplir la vertu civique parmi des citoyens de ce type requiert une constitution qui s’accommode d’un tel égoïsme, en faisant ressortir des actes vertueux (conduite qui favorise davantage les fins universelles que les fins particulières) de la poursuite de l’intérêt privé.

La dernière conception de la psychologie de la vertu que l’on trouve dans la tradition républicaine classique est présente chez deux écrivains politiques anglais du XVIIIe siècle, Charles Davenant et Henry St John (vicomte de Bolingbroke). Tous deux se référent au bien commun entendu comme une inclination qui dérive de la « contrainte du devoir », c’est-à-dire du fait de reconnaître et d’accepter l’obligation morale qui consiste à placer le bien-être public devant l’avantage personnel.

Davenant, un fonctionnaire et économiste politique respecté, a développé cette analyse de la vertu, aux accents cicéroniens évidents, dans une série d’essais politiques largement lus qui ont été publiés à la fin des années 1690 et au début des années 1700[29]. Dans ces écrits, il signale que les principales menaces qui planent sur le gouvernement sont les individus qui, parce qu’ils ont échoué à maîtriser leurs passions, « mêlent aux intérêts du public leurs propres inclinations. » La solution à ce problème n’est pas d’accepter ce mélange et de s’efforcer de le rendre moins dangereux, comme Harrington et Caton le suggèrent, mais « pour tout homme de […] commencer par supprimer la vaine pensée qu’il a de lui-même.[30] » Comment les individus « se plient-ils aux termes de la justice et de la droite raison? […] Prendre souvent le public pour objet de son attention, et faire de la prospérité du public le principal objet de nos pensées et de notre soin contribue fortement à nous mener sur le droit chemin de la vertu », soutient Davenant[31].

Cette recommandation n’exclut pas un attachement émotionnel à la communauté politique. En fait, le but d’une telle attention orientée est d’encourager chez les citoyens « une authentique affection » pour leur pays, affection qui fondera à son tour une conduite civique vertueuse – « car nous ne voudrons pas nuire à ce que l’on aime.[32] » Mais alors qu’un républicain comme Sydney considère qu’une telle affection découle d’un effort concerté pour façonner dès l’enfance les passions humaines, Davenant croit que l’affection pour son pays dérive des efforts rationnels des citoyens adultes. Il recommande par exemple un exercice intellectuel répandu dans la vie religieuse : « Se considérer soi-même humblement est le premier pas qui conduit à vénérer le divin […] de sorte que celui qui a considéré à quel point son moi est de peu de valeur comparé à la communauté dans son ensemble, sera bientôt conduit à préférer l’intérêt de cette dernière au sien propre. » En inculquant ainsi un respect pour le bien commun, une personne devient « un bon patriote non par la componction des lois (compunction of laws), mais par les décrets de sa propre raison.[33] »

L’espoir que l’opération de la raison individuelle puisse conduire les citoyens à sacrifier de bon coeur leurs fins privées pour le bien public représente une rupture décisive à la fois avec ceux qui fondent la réalisation de la vertu sur l’éducation des passions et avec ceux qui cherchent seulement à accommoder les intérêts. En reconnaissant aux individus le pouvoir de maîtriser leurs impulsions intéressées à travers le travail d’éducation sur soi et le pouvoir de la volonté, Davenant offre une analyse étonnamment optimiste de la possibilité de la vertu civique à une époque où la théologie et la philosophie morale cédaient de plus en plus de terrain et de pouvoir aux tendances égoïstes de la nature humaine.

Bolingbroke, un leader de l’opposition au gouvernement de Walpole entre 1726 et 1736, propose une analyse des sources psychologiques de la vertu civique similaire à celle de Cicéron. La « Lettre sur l’esprit du patriotisme » (« Letter on the Spirit of Patriotism », 1736) et « L’idée d’un roi patriote » (« The Idea of a Patriot King », 1738) reflètent l’idée républicaine courante selon laquelle la vertu s’emploie à préserver la liberté publique contre les effets corrosifs de la corruption politique. À l’instar de Davenant, Bolingbroke fonde cette vertu civique sur le jugement rationnel du devoir moral de l’individu :

Servir notre pays n’est pas une chimère, mais un authentique devoir, annonce-t-il. Celui qui admet les preuves de tout autre devoir moral tiré de la constitution de la nature humaine, ou du caractère moralement approprié ou non des choses, doit les admettre en faveur de ce devoir, ou se voir réduit à la plus absurde incohérence.[34]

Un argument similaire fait surface dans ses précédentes Lettres sur l’histoire (Letters on History) :

On pourrait aisément montrer, en considérant les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons en tant qu’individus, que le bien général de la société est l’intérêt particulier de chaque membre. Notre créateur a par conséquent voulu que nous promouvions ce bien général. C’est donc notre devoir de le faire.[35]

En défendant la capacité humaine d’agir efficacement sur la base de la perception rationnelle d’un devoir, Bolingbroke rejette simultanément l’idée selon laquelle la vertu civique pourrait ou devrait avoir une autre fondation. Ainsi, dans « L’idée d’un roi patriote », il critique vivement l’effort de Machiavel visant à fonder la conduite vertueuse sur le pouvoir d’attraction du désir individuel de gloire ou de renommée[36]. En outre, dans la « Lettre sur l’esprit du patriotisme », il prévient que l’effort de Harrington consistant à lier la vertu civique à l’intérêt personnel éclairé produit trop souvent une passion pour l’avantage privé que les individus « s’efforcent » ensuite « de réconcilier autant qu’ils le peuvent avec l’avantage public.[37] » Pour résister à la tentation de mettre le service public au service de leurs propres ambitions, on ne peut compter que sur les individus disciplinés par un sens du devoir moral ou religieux.

Les bons citoyens doivent agir par contrainte du devoir; c’est seulement ainsi qu’ils peuvent transcender la conception mesquine de « l’intérêt particulier, séparé », et se tourner vers l’« intérêt général et commun de la société.[38] » Ici, Bolingbroke avance, avec Davenant, l’idée selon laquelle la vertu civique peut et doit être fondée sur le sacrifice de l’intérêt privé au bien public. Il s’agit d’une caractérisation de la vertu à laquelle font souvent écho ceux qui ont étudié le républicanisme à l’époque moderne; à l’exception de Cicéron, cependant, cette caractérisation n’est pas particulièrement en vue dans la tradition avant le début du XVIIIe siècle.

4. La vertu civique aujourd’hui

L’examen mené jusqu’ici est d’abord et avant tout destiné à établir la pluralité des approches adoptées dans la tradition républicaine classique pour aborder l’un de ses concepts centraux, la vertu civique. Il y a bel et bien une structure universelle de ce que John Robertson a appelé « la tradition civique[39] ». Les auteurs appartenant à cette tradition considèrent que la conservation de la liberté constitue le principal problème politique, et qu’une constitution construite avec soin et la culture de la vertu civique représentent les principaux moyens pour parvenir à cette fin. La vertu civique est généralement comprise comme la disposition consistant à donner priorité aux fins publiques sur les désirs privés à la fois dans l’action et dans la délibération politiques. Mais, comme indiqué dans la discussion précédente, ce programme commun n’implique pas pour autant une compréhension partagée des sources psychologiques d’une telle vertu.

Reconnaître ce fait peut aider ceux qui discutent de la place et de la possibilité de la vertu civique dans la vie contemporaine aux États-Unis à réfléchir plus concrètement à la manière dont une telle disposition est susceptible d’être encouragée chez les citoyens. Est-ce que le programme le plus approprié serait celui de l’« éducation du désir », celui de la « contrainte du devoir » ou celui de l’« accommodement des intérêts »?

Considérons en premier lieu l’idée de la vertu fondée sur l’« éducation du désir ». Est-ce qu’un État moderne soucieux d’encourager une forme de vertu civique peut façonner efficacement les passions des citoyens en suivant la stratégie que préconise cette approche? En évaluant cette possibilité, nous devons nous rappeler le profond pessimisme de ces théoriciens républicains, en particulier Machiavel et Rousseau, qui recommandaient d’emprunter cette voie pour cultiver la vertu. Conduire les citoyens à aimer leur pays par-dessus tout, à trouver dans le fait de servir son pays la satisfaction émotionnelle la plus grande était toujours considéré comme une réalisation précaire qui eût nécessité une transformation presque impossible de la nature humaine.

Il est sans doute possible d’élever des enfants de telle sorte que leurs désirs prennent pour objets les biens publics plutôt que les biens privés. En fait, ce que l’on sait du fondamentalisme religieux dans les sociétés occidentales et non occidentales suggère qu’un tel façonnement des passions individuelles en vue de trouver l’épanouissement dans la poursuite des fins collectives est possible. Mais le succès d’un tel projet à l’échelle nationale requerrait une telle concentration du pouvoir politique, au nom qui plus est d’un objectif politique controversé, qu’aucune démocratie séculière industrialisée ne peut espérer s’y engager. Toutes les politiques modernes qui chercheraient ainsi à enraciner la vertu civique dans l’« éducation du désir » seraient vraisemblablement condamnées à l’échec.

La conception de la vertu civique de Bolingbroke, qui implique le sacrifice de l’intérêt privé et de l’ambition dans la poursuite du bien commun, demeure un idéal puissant dans la culture occidentale. Cependant, tout effort pour évoquer un exercice soutenu de la vertu civique reposant sur cet idéal cicéronien paraît aussi avoir peu de chance de réussir. Si une telle conduite désintéressée n’est probablement pas hors de portée de la plupart des individus, il est peu vraisemblable qu’elle soit accomplie avec constance par des citoyens dont l’éducation morale attribue aussi peu d’importance à une telle réalisation. La culture étasunienne contemporaine, par exemple, est trop imprégnée de l’idéologie de l’intérêt bien entendu pour qu’il soit possible de manière générale de persuader les citoyens qu’ils pourraient ou devraient chercher systématiquement à sacrifier leurs désirs personnels pour favoriser le bien public[40]. De plus, en dépit de l’enthousiasme du président Bush pour le volontariat, nous ne devrions pas nous attendre à ce que le secteur public ou privé détourne de sitôt les Étasuniens de la mentalité du « moi d’abord ». Un régime dont le système d’éducation publique ne parvient même pas à garantir l’alphabétisation de ses citoyens peut difficilement produire un programme scolaire qui transmettrait les idées de désintéressement public tout en encourageant leur mise en application.

Tous ceux qui sont soucieux de faire revivre la vertu civique ne sont pas prêts à reconnaître ces points. Certains persistent à croire que l’État peut inculquer de façon efficace une éthique du devoir aux citoyens des États-Unis. Mes critiques ne prennent pas en considération la possibilité que les institutions de la société civile puissent réussir mieux que l’État à encourager la vertu civique fondée sur le sens du devoir ou accomplie par amour du pays. Ces possibilités méritent une exploration plus approfondie; mais il en va de même de la proposition selon laquelle l’accommodement des intérêts est le moyen le plus plausible et intéressant d’encourager la vertu civique qui est disponible pour le régime étasunien aujourd’hui.

En faisant cette suggestion, c’est moins la conception de la vertu civique de Harrington que j’ai à l’esprit que celle de Caton. Convaincu que les citoyens sont privés des ressources psychologiques pour faire montre de beaucoup de vertu à titre individuel, Harrington recommande une structure constitutionnelle qui permet de canaliser la délibération intéressée de sorte qu’en résulte le bien public. La vertu est ainsi accomplie pour l’ensemble du régime. Cette approche de la question de la vertu est bien connue des Étasuniens; en fait, on pourrait soutenir que la vertu civique ainsi conçue est bien établie dans le régime contemporain. Mais une vertu civique républicaine fondée sur l’accommodement des intérêts peut aller bien au-delà de l’analyse que Harrington propose en vue d’influer sur le caractère des citoyens. En particulier, Caton présente de façon convaincante les circonstances dans lesquelles la poursuite des fins intéressées produit non seulement des résultats vertueux, mais bien des citoyens vertueux.

Caton croit que les citoyens peuvent défendre et défendront le bien public (signe caractéristique d’individus faisant preuve de vertu civique) à partir de motifs fondamentalement intéressés – la raison étant que, dans l’ère postlockienne, le bien public consiste essentiellement en la protection de la liberté personnelle et la promotion de la force et de la prospérité nationales. Dans un tel régime, Caton soutient que n’importe quelle menace au bien public sera aussi vécue par les citoyens comme une menace à leur bien-être privé, ce qui provoquerait, selon lui, la tempête de la protestation politique. Mais en s’engageant dans l’arène politique pour défendre leurs intérêts personnels, les citoyens agissent également de façon vertueuse, en purgeant le régime des ennemis de la liberté[41]. Le régime étasunien ne demande ni n’exige aujourd’hui de ses citoyens une vertu de ce type, mais il pourrait le faire.

Introduire ce type de vertu civique aux États-Unis impliquerait, bien entendu, une réforme politique considérable. L’une des difficultés de l’approche de Caton est qu’elle échoue, en fait, à considérer les conditions préalables nécessaires à la vertu de son citoyen. Caton croit que les sociétés politiques non despotiques sont structurées de telle sorte que n’importe quelle violation flagrante de la confiance publique, ou menace importante au bonheur et à la prospérité des citoyens susciterait une protestation rapide et virulente, même des citoyens les plus égoïstes et corrompus. En fait, nous pouvons attendre une telle réponse seulement de citoyens qui, à tout le moins, comprennent que leurs intérêts sont affectés par la prise de décision politique, se définissent eux-mêmes comme des acteurs politiques et attendent de la protestation qu’elle produise des changements profonds – des citoyens qui, en d’autres termes, ont été éduqués à être républicains.

Un engagement pour la culture de la vertu civique fondée sur l’accommodement des intérêts requiert ainsi un engagement pour l’éducation publique aussi important que dans les deux autres modèles. Dans ce cas, cependant, une initiative concertée en matière d’éducation pourrait être couronnée de succès. Conduire les citoyens à la vertu sur la base de l’« accommodement des intérêts » impliquerait d’enseigner aux citoyens, d’abord, leurs droits d’exiger que leur gouvernement maintienne un niveau élémentaire de sécurité et de prospérité pour l’individu et la communauté, et ensuite, leur responsabilité de défendre ces intérêts lorsque le gouvernement échoue à les leur fournir. Un tel effort n’implique ni la transformation totale du caractère des citoyens requise par la culture de l’« amour de la patrie » ni l’éducation élitiste (rarefied) nécessaire pour faire de la « contrainte du devoir » une réalité.

Aux yeux de certains de ceux qui sont engagés à faire revivre la vertu civique, ces suggestions apparaîtront peut-être relever d’une conception trop « mince » de cette disposition pour mériter d’être considérée comme républicaine. Mais l’idée selon laquelle se mettre au service du public doit reposer sur une passion englobante pour le bien public impliquant le sacrifice de l’intérêt personnel représente seulement une partie de la tradition républicaine. Comme je l’ai indiqué brièvement plus haut, les Étasuniens d’aujourd’hui sont fort peu enclins à considérer que l’exercice de la vertu ainsi comprise est possible ou désirable. Les perspectives sont bien différentes pour une vertu qui cherche son fondement dans l’intérêt personnel des citoyens. Une vertu civique ainsi fondée est tout à fait à la portée des membres d’une république commerciale. S’ils sont bien instruits de ce qu’ils sont en droit d’attendre du gouvernement et véritablement encouragés à défendre ces intérêts politiques lorsqu’ils sont menacés, ces citoyens devraient être capables de défendre la liberté de leur communauté et de promouvoir le bien commun de manière aussi efficace et vigoureuse que les partisans antérieurs de la tradition républicaine l’exigeaient.