Étude critique

Francesco Paolo Adorno, Faut-il se soucier du care ? Une étude critique[Record]

  • Alice Lancelle and
  • Marjolaine Deschênes

…more information

  • Alice Lancelle
    Centre d’éthique médicale, Université Catholique de Lille
    Savoir, texte, langages, Université de Lille 3

  • Marjolaine Deschênes
    Chercheuse associée, École des hautes études en sciences sociales/Centre d’étude des mouvements sociaux, Paris

Dans son essai Faut-il se soucier du care?, Francesco Paolo Adorno entend synthétiser ce que sont les éthiques du care, et il formule à leur endroit un certain nombre de critiques qui leur sont classiquement adressées. En quoi une éthique fondée sur la sollicitude rend-elle compte de considérations politiques « supérieures » aptes à garantir une justice sociale, universelle et égalitaire? L’objectif de l’auteur est d’étudier la recevabilité des éthiques du care du point de vue des théories de la justice, en tant que solution de rechange au retrait de l’État-providence dans le contexte néolibéral d’une hyper marchandisation du soin. Les théories du care proposent-elles des ressources suffisantes et globales aux dérives néolibérales des institutions publiques et de l’économie de marché? Les problèmes soulevés par Adorno se déclinent en trois axes. D’abord, il s’inquiète de la place des hommes dans les éthiques du care, à travers l’idée que les considérations de genre semblent reconduire un différencialisme moral et culturel excluant leurs voix. Quelle place est assignée aux hommes dans ces éthiques? Deuxièmement, le champ des éthiques du care se construit comme une revendication explicite des attributs qui les distinguent (éthiques des sentiments, relationnelles, genrées, contextuelles, particulières). Devons-nous y voir un redoublement dépolitisant de certaines assignations de genre (interdisant aux donneuses de care l’accès aux principes de justice) ou, au contraire, une méthodologie visant à inverser les rapports de pouvoir et à renverser un ordre social inique? Troisièmement, la trajectoire argumentative des éthiques du care s’est d’abord construite comme critique du paradigme dominant des théories de la justice en sciences humaines et sociales. Cette posture critique a entraîné la relégation du care dans un champ éthique défini comme une morale des sentiments féminins. Il a donc fallu proposer des stratégies visant, d’une part, à situer les éthiques du care dans un territoire féministe soucieux des pratiques caring, et d’autre part à « politiser le care », soit à mettre en relief la portée politique normative de ces éthiques. Adorno interroge alors les prétentions de ces dernières à réaliser leurs intentions théoriques et épistémologiques. Ses questions portent sur la capacité des éthiques du care à intégrer le relativisme et l’aspect surérogatoire induits par une éthique des sentiments à une politique de care revendiquant une meilleure justice sociale. Son hypothèse consiste à soutenir qu’en l’état, les propositions normatives des éthiques du care sont trop faibles d’un point de vue théorique, voire contre-productives. Le plan qu’il suit analyse dans un premier temps l’origine et les définitions des éthiques du care, puis s’attarde sur les apports critiques de ces théories (anthropologie, morale et politique) en les rapportant à celles dominantes, politiquement libérales, de la justice. Son étude le conduit à affirmer que les débats réellement pertinents sont absents, ou inaptes à consolider la base théorique des éthiques du care : dialectiques autonomie/vulnérabilité et souci de soi/souci d’autrui, articulation des principes de care et de justice, rapports entre psychologie et philosophie morale sont à ses yeux problématiques. La thèse d’Adorno se formule de deux façons dont il s’agira de penser la congruence. Premièrement, la comparaison qu’il présente des éthiques de care et des théories de la justice décrédibilise radicalement les premières. Deuxièmement, quand bien même les éthiques de care rivaliseraient avec « ces bonnes vieilles politiques de justice sociale » (p. 159), le care (en tant que relation) participe de dispositifs d’exercice du pouvoir individualisant et normalisant sur le vivant, dispositifs que les éthiques du care n’auraient ni la prétention ni les moyens (argumentatifs et pratiques) de contrer. Les oppositions centrales et structurelles de l’ouvrage (care/justice; sentiment/raison; autonomie/vulnérabilité) …

Appendices