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J’ai eu le plaisir de diriger les travaux de Michel alors qu’il complétait un postdoctorat à l’Université McGill en 1996-1997. C’est pendant cette période que nous avons produit un ouvrage collectif portant sur Maurice Duplessis[1]. Michel ne pouvait pas accepter qu’un colloque, rassemblant historiens, politologues, sociologues, économistes, ne lui ait pas encore été consacré dans le cadre du grand projet portant sur Les leaders politiques du Québec contemporain et cela près de 50 ans après le décès du leader de l’Union nationale. C’était là un trait marquant de sa personnalité. Il souhaitait donner la voix à ceux dont on dispute les faits d’armes.

Michel a été associé de maintes façons à la Chaire de recherche en études québécoises et canadiennes que je dirige à l’UQAM depuis 2003. De manière toujours aussi enthousiaste, il a pris une part active à nos colloques, nos séminaires et aux projets d’écriture. Nous lui sommes redevables de plusieurs de nos réalisations. Je pense entre autres aux entretiens qu’il a menés avec Louis Bernard[2]. Il s’agit d’un livre fouillé sur la carrière exceptionnelle de celui qui est considéré à juste titre comme étant le mandarin des mandarins. Michel fait état du rôle déterminant de Louis Bernard dans l’avènement d’un Québec affirmé et ouvert sur le monde. Il y parle aussi de Louis Bernard comme étant la force tranquille qui a su donner au Québec un élan essentiel à son autodétermination interne. Tant chez Louis Bernard que chez Michel Sarra-Bournet, l’idée centrale a toujours été de valoriser le politique et la politique dans le but de susciter chez les Québécois le désir de s’assumer pleinement.

L’idée de ce livre d’entretiens avec Louis Bernard est venue à la suite du colloque, tenu en novembre 2013 à l’École nationale d’administration publique, organisé par Michel (en lien avec les travaux menés au sein de l’Encyclopédie du patrimoine politique du Québec dirigée alors par Marcel Masse) sur les sujets des grandes missions et des grands commis de l’État québécois. Cet événement a donné lieu à une importante publication aux Presses de l’Université Laval en 2016. C’est à la lecture de cet ouvrage, Les grands commis et les grandes missions de l’État dans l’histoire du Québec, que le lecteur pourra constater comment l’État a été construit d’abord et avant tout par des acteurs de l’ombre, c’est-à-dire par des hauts fonctionnaires et des conseillers de premier plan[3]. Viennent à l’esprit les noms d’Arthur Tremblay, Michel Bélanger, Jacques Parizeau, Claude Castonguay, Guy Coulombe et, naturellement, de Louis Bernard.

Fils de la Révolution tranquille, Michel Sarra-Bournet a su d’abord s’imposer comme un homme intègre et sincère, cherchant toujours à être au diapason de la société québécoise dont il était si fier. On lui doit d’importantes études sur la société québécoise. Son livre portant sur L’Affaire Roncarelli : Duplessis contre les Témoins de Jéhovah a sans doute été l’ouvrage qui l’a d’abord révélé auprès des universitaires[4]. On y trouve une analyse fine du contexte et des procédures judiciaires. Sarra-Bournet y explique le rôle exercé par Maurice Duplessis, qui agissait à la fois comme premier ministre et procureur général du Québec, afin de retirer à Frank Roncarelli son permis de vente d’alcool. C’est treize ans après le début des procédures en 1946 que la Cour suprême du Canada établit que Duplessis avait agi ultra vires et qu’il y avait eu abus de pouvoir. C’est alors que l’Union nationale prit sur elle d’appuyer financièrement Duplessis pour le sortir de cet impair.

Les travaux de Michel Sarra-Bournet sur le nationalisme et sur l’histoire intellectuelle et sociale du Québec ont beaucoup inspiré ses contemporains et la génération montante. Je pense ici à deux études qu’il a dirigées : Le pays de tous les Québécois[5] et Les nationalismes au Québec du XIXe au XXIe siècle[6].

Le pays de tous les Québécois a été préparé dans le sillon des débats post-référendaires de 1995 et des discussions passionnantes qui ont suivi en vue d’affirmer la présence de la nation québécoise en tant que sujet politique. La deuxième étude – Les nationalismes au Québec du XIXe au XXIe siècle – est le résultat d’un colloque tenu en mai 1995 alors que les acteurs politiques et sociaux inspirés, comme rarement auparavant, par la question nationale y sont allés de riches réflexions. Il fut dès lors question d’historiographie, de développement des idéologies, de cultures nationales et de conscience historique. La démarche proposée par Sarra-Bournet confirme une constante chez lui, celle de rassembler des auteurs dont les lectures sont contrastées et souvent même opposées. Aussi y retrouve-t-on par exemple des travaux de Ronald Rudin, Max Nemni, Daniel Salée, Chantal Maillé, Gérard Bouchard, Jocelyne Couture, Anne Griffin, Louis Balthazar, Louis-Georges Harvey et Joseph Yvon Thériault. Sarra-Bournet s’inquiète dans cet ouvrage des actions que pourraient poser les Québécois si leurs revendications légitimes devaient être constamment négligées par leurs interlocuteurs sur la scène fédérale (p. 342).

Sa contribution scientifique la plus importante reste encore à être publiée selon moi. Il s’agit de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université d’Ottawa en 1995 sous la direction de l’historien Michael Behiels[7]. Michel a peaufiné cette recherche à l’infini. C’est sans aucun doute le travail le plus intense et qui lui a demandé la plus grande perspicacité. Il est fortement à souhaiter que les Presses de l’Université Laval – lesquelles lui ont déjà offert un contrat d’édition – soient en mesure de publier cette étude posthume.

Détenteur d’un doctorat en histoire, politologue, syndicaliste, homme de grande culture, Michel a su vivre pleinement ses idéaux et défendre ses idées tant dans les milieux politiques qu’universitaires. Sa passion pour le Québec l’amena à délaisser pour un temps la vie universitaire pour s’engager comme conseiller politique auprès de Lucien Bouchard lorsque ce dernier occupait les fonctions de chef de l’opposition officielle à Ottawa et puis celles de premier ministre du Québec. Michel aurait bien souhaité être professeur, avec un plein statut, dans une université canadienne, mais son engagement politique aura sans doute contribué à lui fermer cette porte. Malgré cette absence de reconnaissance du milieu universitaire, il y a enseigné pendant une trentaine d’années et a ainsi pu laisser à la fois son empreinte dans l’esprit d’un nombre incalculable d’étudiants ainsi que dans le champ des études québécoises et canadiennes.