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Les mémoires de l’ambassadeur américain Henry P. Fletcher[1] contiennent une somme importante de documents sur ses années passées à Rome. La correspondance de Fletcher avec le secrétaire d’État américain Frank B. Kellogg[2] représente le fondement de notre analyse. À travers l’étude des lettres de Fletcher, nous observerons son approche envers l’Italie fasciste et son interprétation de la politique italienne. Il est primordial d’analyser la politique italienne des années 1924-1929 à travers les papiers de l’ambassadeur à Rome pour être en mesure de comprendre quelles étaient les lignes directrices de la politique américaine envers l’Italie fasciste.

Il faut aussi comprendre l’influence que Fletcher a eue dans les relations italo-américaines, et quels étaient les points forts de sa politique par rapport à l’Italie. De plus, on analysera la place de l’Italie dans le « concert de l’Europe », et on essaiera de comprendre si la politique italienne de Fletcher s’accordait avec la vision de l’Europe qu’avait le président Coolidge[3]. Cette étude permet aussi d’appréhender la perception de Benito Mussolini[4] et de sa dictature par les autorités américaines et par la presse, et ainsi de mieux saisir les motifs de préoccupation ou d’approbation de sa politique par celles-ci.

Bien qu’il soit question de quelques aspects des relations entre les États-Unis et l’Italie fasciste, cet article ne se veut pas qu’un travail sur les liens entre les deux pays[5]. Les mémoires de Henry P. Fletcher nous fournissent plutôt des informations pour comprendre la complexité de la situation italienne telle qu’elle était perçue par les États-Unis. Trois aspects sont abordés par Fletcher : la politique étrangère de l’Italie, la politique intérieure de Mussolini et les sujets de préoccupation des États-Unis. Comme on peut l’imaginer, la démarcation entre ces trois sujets n’est pas toujours nette.

De plus, notre analyse vise à intégrer les vues de Fletcher sur l’Italie dans la conception de l’Europe qu’entretient le président Coolidge dans les premières années de son mandat. On observera comment Fletcher, diplomate raffiné et excellent analyste, utilise souvent les pivots de la politique européenne de Coolidge pour justifier ses prévisions sur l’Italie et influencer la politique américaine envers elle.

Les rapports entre l’Italie mussolinienne et les États-Unis avant l’arrivée de Fletcher

Avant d’analyser en détail les correspondances de Fletcher, et pour bien les comprendre, il est nécessaire de faire une mise en contexte au sujet de la figure de Fletcher, de la formation du gouvernement fasciste en Italie et de ses premiers rapports avec les États-Unis.

Au début de l’expérience fasciste[6], la préoccupation pour la disparition du danger bolchevique en Italie était présente dans le gouvernement américain[7]. Il y avait aussi des inquiétudes concernant la politique étrangère de l’Italie que les journaux de Paris, de Londres et de la Suisse décrivaient comme ultranationaliste et expansionniste[8]. Cette préoccupation est confirmée à la suite d’une rencontre du chargé d’affaires italien à Washington, Gaetano Rosso[9], avec ses homologues français et belge[10]. On peut voir le souci de Mussolini de rassurer le gouvernement américain sur la situation italienne dans le télégramme à l’ambassadeur Gelasio Caetani[11] envoyé au début de 1923. Dans ce télégramme, il met l’accent sur le rétablissement de l’ordre en Italie et sur la centralité du parlement. Il évoque aussi des thèmes plus directement reliés aux rapports avec les États-Unis, comme l’immigration et le paiement des dettes de guerre[12].

En effet, la question de l’immigration a été la première démarche diplomatique de Mussolini envers les États-Unis. Au moment de son entrée au pouvoir, et avant le changement de politique de 1926, alors que l’Italie prend un virage vers des positions nationalistes et anti-émigration, la situation était bien différente. Durant les trente dernières années du XIXe siècle, l’émigration italienne vers les États-Unis avait progressivement augmenté[13] En 1921, les États-Unis avaient adopté une nouvelle loi sur l’immigration qui réduisait drastiquement le quota d’Italiens admis aux États-Unis (moins de 4 000 visas par année). Cette question représentait un enjeu important pour Mussolini, car l’émigration vers les États-Unis était un exutoire au chômage italien[14]. En effet, même selon le chargé en Italie, Gunther, l’immigration était susceptible de devenir l’un des sujets de la plus grande importance entre l’Italie et les États-Unis[15].

Les contacts diplomatiques entre Mussolini et les États-Unis s’intensifient à l’occasion de la crise de la Ruhr, pendant laquelle Mussolini demande au gouvernement américain d’intervenir[16] afin de favoriser une solution diplomatique[17]. Or, le gouvernement américain refuse de s’impliquer dans cette crise qui concerne le Traité de Versailles dont il n’est pas signataire[18]. Mussolini semblait tout de même vouloir entretenir de bonnes relations avec les autorités américaines, et à peine deux semaines plus tard, il ratifie les accords de Washington[19]. Par cette ratification, Mussolini souligne la promptitude de son gouvernement et les visées pacifiques de la politique étrangère italienne[20].

À partir de 1923, la question de la négociation de la dette de guerre entre le gouvernement italien et le gouvernement américain devient centrale. Il en est question lors d’une session du Sénat américain qui souligne l’absence d’une commission pour la négociation du crédit italien. Durant le débat sur le règlement de la dette anglaise, les orateurs des partis avaient exprimé trois principes fondamentaux pour le paiement de la dette : le pays devait honorer ses obligations, mais il fallait prendre en considération d’autres facteurs, comme la capacité économique des débiteurs, la pression fiscale et le rapport entre l’endettement et la richesse nationale. L’engagement original prévoyait la restitution de la dette italienne, 2.5 milliards de dollars, pendant quelques années avec un taux annuel du 5 %, mais les conditions économiques de l’Europe ne permettaient pas un taux annuel aussi élevé[21]. Selon Caetani, la France avait probablement eu un meilleur traitement que l’Angleterre et l’Italie était elle-même dans une position plus favorable que la France[22]. Caetani propose donc d’attendre la négociation de la dette française pour avoir de meilleures conditions et pour bénéficier de l’amélioration générale de la situation économique[23].

Mussolini se montre rassurant sur le fait que l’Italie allait honorer son engagement, mais en même temps il ne change pas sa politique qui visait à demander de meilleures conditions pour la dette. Pour gagner du temps, il promet de faire analyser la question par les bureaux de compétence[24].

La question des dettes de guerre continue d’occuper une place centrale dans les relations italo-américaines. Durant le mois d’octobre 1923, l’ambassadeur Caetani conseille à Mussolini de faire les premiers pas pour les négociations sur la question de la dette. Selon lui, le moment est favorable. En effet, il déclare que la situation est idéale tant au niveau de la conjoncture économique qu’au niveau politique. Selon lui, cela pourrait impressionner le nouveau gouvernement américain tout en mettant de la pression sur la France[25]. Mussolini semble d’accord avec cette suggestion, à condition de recevoir au moins une requête officieuse du gouvernement américain[26]. De plus, à la fin de l’année 1923, la presse américaine est favorable au déclenchement d’élections en Italie. Ces élections ont une double signification pour le gouvernement italien qui a alors la faveur du peuple : il est sûr de voir cette faveur confirmée dans les urnes, et la vie politique italienne évite ainsi l’apparence de dictature en se maintenant dans le cadre des formes constitutionnelles normales[27].

L’arrivée de Henry P. Fletcher à Rome et la résolution de la querelle sur la dette

Avant d’entrer dans les détails du mandat de Fletcher, il faut présenter le diplomate américain. Henry P. Fletcher est né le 10 avril 1872 à Greencastle en Pennsylvanie. Il a d’abord été volontaire lors de la guerre contre l’Espagne en 1899. Par la suite, il a commencé une longue carrière de diplomate : ministre au Chili de 1910 au 1914, ambassadeur au Chili de 1914 à 1916, et au Mexique[28] de 1916 à 1919. Il a été ensuite sous-secrétaire d’État de 1921 à 1922, puis ambassadeur en Belgique[29] de 1922 à 1924. Après son service comme ambassadeur en Italie, il a été président du Parti républicain (1932-1934) et délégué à la convention nationale du Parti républicain en 1936 et en 1940.

Dans The United States and Fascist Italy, 1922-1940, David F. Schmitz explique que la désignation de Fletcher comme ambassadeur à Rome a été le résultat d’une exigence spécifique des États-Unis par rapport à ce poste. Herbert Hoover avait conseillé au président Coolidge, une personnalité avec une large vision commerciale, industrielle et financière, de donner accès aux États-Unis au marché italien[30]. Le choix de Fletcher par Coolidge allait en cette direction, car le futur ambassadeur considérait la protection et l’expansion du commerce américaine comme une des principales priorités pour un diplomate[31].

Quand Henry P. Fletcher commence son mandat à Rome, les rapports entre l’Italie et les États-Unis étaient principalement reliés à la problématique de la dette et à l’évaluation par le gouvernement américain de la stabilité et de la politique étrangère du gouvernement italien. La première impression de l’ambassadeur de Mussolini semble être positive puisqu’il le considère comme franc et sympathique[32].

Dans les mémoires de l’ambassadeur, on ne trouve pas beaucoup de mentions de la crise que le gouvernement italien doit affronter à la suite de l’homicide de Giacomo Matteotti[33], si l’on fait exception de la période succédant immédiatement. Or, à travers la correspondance entre Mussolini et l’ambassadeur à Washington, Caetani, on peut comprendre que la presse américaine, même si elle ne doute pas de la stabilité du gouvernement fasciste[34], critique le fait que Mussolini maintient que la situation est maîtrisée[35]. Si l’on fait exception des deux semaines successives à la crise, quand Fletcher, après un optimisme initial, explique comment la crise pourrait être une opportunité pour Mussolini[36], les mémoires de l’ambassadeur ne nous donnent pas d’éléments directs sur le développement de la question. On peut toutefois imaginer qu’il partageait l’impression de Caetani, car dans sa correspondance avec le secrétaire d’État au mois de mai 1925[37], il décrit Mussolini comme la force prédominante de la politique italienne, qui n’a par contre pas encore récupéré toute sa puissance[38]. Cette lecture de Fletcher de l’impact de l’homicide de Matteotti va dans le même sens que certains historiens. Dans The Lights that Failed : European International History, 1919-1933, Zara Steiner explique comment le « Duce », après l’assassinat – dont l’implication de Mussolini fut déterminée immédiatement après l’événement –, a dû lutter pour sa survie politique, et comment il a été en mesure de garder sa position de force grâce à l’appui de l’Église catholique, du Roi Victor Emmanuel III et des leaders conservateurs et libéraux. Pendant l’hiver 1924-1925, avant le discours du 3 janvier durant lequel Mussolini annonce le début de la dictature, il décrit le dictateur comme politiquement isolé même par les dirigeants fascistes.

R. J. B. Bosworth, dans Mussolini’s Italy, a défini l’assassinat de Matteotti comme « the Fascism greatest crisis[39] ». Il partage l’hypothèse que le Duce a été aidé par des forces externes à son parti, car le Vatican, le Roi, les chefs de l’armée, le monde des affaires, le monde académique et toutes les vieilles élites, ont observé la crise et préféré ne pas se tourner contre Mussolini[40].

Dans son Parti il y avait par contre une croissante opposition au Duce, mais il fut capable de tourner la situation à son avantage avec le discours du 3 janvier 1925, durant lequel il annonça sa responsabilité politique dans l’affaire Matteotti et le début de la dictature[41]. L’affirmation de Fletcher sur la présentation d’un Mussolini qui est la force prédominante de la politique italienne, mais qui n’a pas encore atteint sa pleine puissance, était probablement reliée à l’opposition que le Duce avait à l’intérieur de son parti.

La question de la stabilité politique italienne est un élément important de la « pensée européenne » du président Coolidge. Dans son discours du 6 septembre 1924, à l’occasion de l’inauguration d’un monument en l’honneur de Lafayette, Coolidge aborde la situation européenne : « The militarism of Central Europe which menaced the security of the world has been overthrown. In its place have sprung up peaceful republics. Already we have assisted in refinancing Austria. We are about to assist refinancing Germany. We believe that such action will be helpful to France[42] ». Coolidge mentionne la France dans son discours, mais ce raisonnement peut aussi être appliqué à l’Italie. Par contre, pour pouvoir aider ces pays, deux conditions sont indispensables : ils doivent honorer leurs dettes de guerre avec les États-Unis et avoir un gouvernement stable. Il ne faut pas oublier que le discours sur le danger communiste était encore très présent dans la politique américaine et, en ce sens, l’arrivée du fascisme en Italie avait mis fin à la crainte d’une révolution bolchevique. À la fin de son mandat comme ambassadeur italien aux États-Unis, Caetani annonce qu’il n’y a plus rien à craindre au sujet du travail et du capital en Italie : le bolchevisme, ou l’un de ses dérivés, ne mettra plus les pieds en Italie, soutient-il, le radicalisme n’est plus à craindre dans ce pays[43]. Dans ce contexte, il devient primordial d’assurer la stabilité politique italienne. Un gouvernement fort est indispensable pour pouvoir accéder aux capitaux étrangers, mais il permet aussi de contrer la menace des radicaux.

L’historiographie sur Calvin Coolidge surligne l’importance de sa présidence pour la politique étrangère américaine, et met en relief des aspects de première importance. Originaire du Vermont, Calvin Coolidge devient président en 1923 après la mort d’Harding dont il était le vice-président. Il est réélu en 1924, et sa politique par rapport à l’Europe évolue pendant les années suivantes. En 1923 Coolidge avait révélé son intention de ne pas impliquer les États-Unis en Europe[44], mais en réalité, sa politique étrangère a changé pendant son mandat. La position isolationniste qu’il avait adoptée au début semblait être dictée non seulement par la tradition républicaine de l’après-guerre, mais aussi par son inexpérience par rapport aux affaires étrangères[45]. Le changement de ses positions était dû à la question des dettes de guerre, car les pays européens ont refusé de séparer les débits de guerre allant aux États-Unis pour les réparations de l’Allemagne dont ils étaient les créditeurs. En prenant cette position, ils ont obligé les États-Unis à s’occuper de la question des réparations et, donc, à s’immiscer dans les affaires européennes[46].

Dans la lettre de Fletcher mentionnée plus tôt, et dans les suivantes, on voit émerger les premières idées de l’ambassadeur sur la politique étrangère de l’Italie.

Selon Fletcher, à la suite de l’arrangement avec la Grande-Bretagne au sujet des controverses de Juba[47] et Jarabub[48], « Italy has pratically resumed her tradictionally place alongside for England[49] ». Les problématiques de politique étrangère étaient dès lors délimitées par deux axes précis : l’influence dans la Méditerranée, avec la France comme unique obstacle[50], et la question autrichienne, avec la problématique des minorités linguistiques qui vivaient dans les territoires proches de la frontière des deux pays, comme le Sud-Tyrol[51]. Cependant, Fletcher ne prévoyait pas de problèmes dans l’immédiat, pour autant que l’Autriche reste un pays faible et indépendant. La crainte principale de l’Italie résidait dans la possibilité d’une unification de l’Autriche avec l’Allemagne[52].

Deux aspects précis émergent à la lecture de la correspondance de Fletcher en 1925. D’une part, le diplomate semble identifier les intérêts italiens comme purement méditerranéens : « with the Brenner secure and the Adriatic practically an Italian lake, Italy’s attention and interest are now centered on the Mediterranean[53] ». D’autre part, les relations amicales avec la Grande-Bretagne sont perçues comme ayant des répercussions directes sur la question de la dette italienne. En effet, grâce à ses relations amicales avec la Grande-Bretagne et en raison de sa réalité économique difficile, l’Italie s’attend à un meilleur traitement que celui réservé à la France par la Grande-Bretagne[54]. Cette question de la dette avait alors des répercussions négatives sur la perception italienne des États-Unis : « the popular reaction is unfavourable to United States[55] ». Observant comment la conduite politique et économique des États-Unis avaient favorisé un sentiment antiaméricain dans l’opinion publique italienne, Fletcher suggère de prendre en compte ce facteur lors des négociations sur la dette : « I think that these facts might be borne in mind when the negotiations are seriously begun for a settlement of Italy’s War and after the War debt… removing the feeling that the United States is not friendly to Italy and the corresponding sentiment of unfriendliness toward us[56] ». Aux États-Unis, l’attitude positive de Fletcher envers l’Italie est soulignée dans la presse. En septembre 1925, le New York Times s’intéresse aux prédictions de Fletcher par rapport à la question de la dette[57]. La presse mentionne notamment que l’ambassadeur est optimiste quant au résultat des négociations et quant à la possibilité d’améliorer davantage les relations entre l’Italie et les États-Unis[58]. Les conseils de Fletcher semblent avoir été pris en compte par l’administration américaine. Le ministre italien des finances Giuseppe Volpi[59], dans sa missive envoyée à Mussolini au sujet de l’accord de Washington, révèle comment l’intervention directe du président Calvin Coolidge a été décisive pour assouplir la position intransigeante du sénateur Reed Smoot[60], au moment le plus critique des négociations : « The President Coolidge called the Senator Smoot during the most difficult day of the negotiations, and he convinced him to abandon his intransigency »[61]. Les mémoires de Fletcher n’évoquent pas de communication directe avec le président Coolidge, mais il est très probable que Kellogg ait mentionné au président les soucis de l’ambassadeur. Par contre, après la ratification de l’accord de janvier 1926 par la Chambre des Députés[62], Fletcher exprime directement au président l’importance de la ratification de l’accord par le Sénat. En cas de refus, explique-t-il, le récent sentiment de bienveillance envers les États-Unis serait compromis et Mussolini verrait cela comme un coup contre lui et son gouvernement : « I believe he (Mussolini) would resent the non-ratification by the Senate as a direct blow at himself and his governement »[63]. Coolidge prend position en faveur de la ratification en évoquant les avantages économiques pour les États-Unis de cet accord, mentionnant entre autres l’importance du marché italien[64]. La question de la dette est définitivement réglée avec la ratification de l’accord par le Sénat le 21 avril 1926[65]. Mussolini exprime alors un sentiment de gratification et l’espoir que les rapports amicaux entre l’Italie et les États-Unis se poursuivent et s’affermissent dans le futur[66].

Si les premières démarches italiennes dans le cadre de leur politique étrangère aboutissent à une solution positive, leurs décisions subséquentes semblent aller à l’encontre des lignes directrices de la politique de Coolidge. Dans plusieurs discours, le président mentionne les deux autres fondements de sa vision de l’ordre mondial. Le premier vise la réduction des armements militaires afin d’éviter une situation analogue à l’avant-guerre : « I have already indicated many times my wish for an International Court and further disarmament ». Le deuxième concerne le rejet des politiques impérialistes : « I am in favor of treaties and covenants conforming to the American policy of independence to prevent aggressive war and promote permanent peace »[67]. Dans cette optique, l’évolution de la situation européenne permet à Fletcher d’exprimer d’autres considérations sur la stratégie politique italienne. Pour lui, les principes de la politique étrangère sont Niente per niente[68] : en d’autres mots, une stratégie qui ne prévoit pas de concessions sans retours politiques ou économiques. Il mentionne au moins deux cas pour appuyer sa théorie. Le premier cas concerne la proposition allemande d’unification avec l’Autriche en échange d’une garantie sur le Brenner et l’acceptation du statu quo en Trentin-Haut-Adige. Malgré que Mussolini ait refusé de débattre ce sujet avec l’ambassadeur allemand, et même dans le cas d’une alliance avec la Yougoslavie, Fletcher doute que l’Italie soit prête à entrer en guerre contre l’Allemagne. Selon lui, des compensations supplémentaires seraient nécessaires pour faire accepter à l’Italie un éventuel Anschluss[69].

Le deuxième cas observé par Fletcher qui lui permet de parler de politique du Niente per Niente est encore plus marquant. Il est donné par les rapports entre l’Italie et l’Union soviétique et justifié par les évènements historiques. Fletcher a ici une vision réaliste du régime fasciste. En effet, son interprétation est logique : le fait que Mussolini ait écrasé l’opposition bolchevique dans son pays ne l’empêche paradoxalement pas d’avoir des rapports politiques et économiques avec les Soviétiques. Comme Fletcher le rappelle, Mussolini a été le deuxième à reconnaître diplomatiquement l’Union soviétique et les relations politiques entre ces deux pays sont plutôt sereines[70].

Ces constatations de Fletcher sur la politique italienne s’intègrent mal dans la vision de Coolidge exposée plus tôt. En effet, il est difficile d’imaginer que l’Italie accepterait une politique de limitation des armements ou des navires, car, dans sa conception du Niente per Niente, l’acceptation inconditionnelle d’une réduction des armements est tout simplement inconcevable. L’Italie n’aurait pas pu tirer avantage des disputes européennes pour regagner une place de premier rang dans l’échiquier européen.

Le début de l’impérialisme italien et son interprétation dans l’administration américaine

L’évolution de la politique intérieure italienne permet aussi à l’ambassadeur d’étayer ses théories sur la politique étrangère du pays. Fletcher rappelle à Kellogg les étapes qui ont consolidé le pouvoir de Mussolini. Il explique notamment comment l’instauration d’un pouvoir sans adversaires au niveau national a donné un sentiment d’appartenance au peuple italien. Ce sentiment est alors concentré et développé par l’identification à un symbole du passé, en l’occurrence la légion et l’Empire romain. Fletcher voit donc le tournant impérialiste de la politique étrangère italienne comme une conséquence de la consolidation du pouvoir intérieur[71]. Dans l’analyse de ce changement de la politique étrangère, deux autres éléments sont pris en considération par l’ambassadeur : la croissance démographique qui oblige l’Italie à chercher d’autres territoires – « (Mussolini) has succeded in focusing attention in and outside the country on Italy’s need… of an outlet for her ever growing population and her expanding energy » –, et le sentiment de n’avoir pas été suffisamment récompensé pour ses efforts pendant la Première Guerre mondiale en qualité de pays vainqueur[72].

Fletcher explique aussi en détail comment l’élément « impérialiste » conditionne fortement l’attitude italienne pendant les négociations des accords de Locarno. Ni le gouvernement italien[73] ni l’opinion publique ne croyaient alors à l’esprit de ces accords. Mais ils ont participé aux négociations pour deux raisons. La première est liée à la place de l’Italie dans le concert des puissances européennes[74]. Mussolini veut alors établir son pays comme une puissance de premier rang. C’est dans cette optique, selon Fletcher, que l’Italie a accepté d’être garante des frontières franco-allemandes avec la Grande-Bretagne. Il s’agit beaucoup plus d’une question de prestige que d’un sincère partage des principes de Locarno : « Italy’s signature of the Locarno Agreement marked a new phase in the development of Fascist foreign policy, not in the sense usually attribute to Locarno… it was rather a matter of prestige »[75]. De plus, l’Italie, concentrée sur la poursuite de son ambition impérialiste et coloniale, voit la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, la France, comme des interlocuteurs naturels. L’Italie conteste le fait que les territoires coloniaux qu’elle désire soient déjà pris par ces deux pays. Par contre, elle sait aussi que vu la puissance navale anglaise dans la Méditerranée, une réussite de ses ambitions coloniales passe par des compromis avec les Anglais[76].

La deuxième raison de la participation du gouvernement italien aux négociations de Locarno relève de ses relations avec l’Allemagne. Fletcher explique à Kellogg qu’en raison de la prise de position négative de Mussolini[77] sur la possibilité de l’Anschluss, un sentiment antiallemand est en train de se développer en Italie[78]. Il estime que les divergences des deux pays relativement à la possibilité de l’Anschluss et à la question du Brenner ont attisé le contentieux[79]. De plus, le fait que l’Allemagne n’a rien proposé à l’Italie pour essayer de résoudre la situation ne joue pas en sa faveur non plus. De ce point de vue, Fletcher comprend l’opposition de l’Italie à accepter l’Allemagne dans la Société des Nations (SDN)[80]. L’Italie voulait gagner du temps pour voir reconnues ses revendications avant que l’Allemagne ne fasse partie de la SDN : « I believe that Italian diplomacy was very anxious to gain the six months time which will elapse before Germany will take her place on the council, and I will expect that this time will be utilised, in consolidating, if possible, Italy’s diplomacy position vis-à-vis Germany[81] ». Pendant les négociations pour les accords de Locarno, l’attribution d’une colonie à l’Allemagne pour faire face à sa croissance démographique avait été envisagée. Or, pour l’Italie, cette option était irrecevable. Le fait qu’un pays vaincu obtienne un mandat colonial avant elle, et en plus, par concession de ses anciens alliés aurait été un trop grand affront[82]. Ainsi, avant de permettre l’entrée de l’Allemagne dans la SDN, il était primordial pour l’Italie de régler la question du mandat colonial en Afrique.

La résurgence de ce sentiment impérialiste italien est en opposition complète avec les vues de Coolidge sur la paix mondiale, ce que la presse américaine ne manque pas de signaler. Le New York Times souligne le changement de cap de la politique mussolinienne en janvier 1926. Selon le journal new-yorkais, Mussolini veut reconstruire Rome et lui redonner la splendeur qu’elle avait au temps d’Auguste[83]. Le quotidien continue à souligner le danger d’une telle politique en établissant un parallèle entre la dictature de César au temps de l’Empire romain et la dictature de Mussolini[84]. Quelques semaines plus tard, le journal explique que l’Italie fasciste a besoin de colonies et de matières premières en raison de sa croissance démographique. Ces particularités, combinées avec l’idéologie fasciste, rendent l’impérialisme italien potentiellement très dangereux[85]. Le gouvernement américain a-t-il adopté la même attitude alarmiste ? Malgré la condamnation répétée de l’impérialisme par Coolidge, il n’en est rien. Au contraire, même si l’administration américaine observe avec attention la naissance et le développement de cette politique impérialiste, elle ne la considère pas comme réellement dangereuse. Dans plusieurs lettres, en effet, Fletcher décrit la politique italienne comme une tentative pour se donner du prestige et une façon de réveiller et de renforcer l’esprit du nationalisme italien. Comme il le rappelle, la pénurie de matières premières rend la possibilité d’un conflit à grande échelle peu probable. Sa position est aussi partagée par le sous-secrétaire William Castle[86], qui pense que Mussolini ne veut pas prendre des paris risqués en politique étrangère : « I entirely agree with you that it (Mussolini foreign policy) has not yet cristalyzed into a definite dangerous form nor I believe that Mussolini himself would want to start out on any fantastic adventure »[87].

La question économique influe aussi sur la politique étrangère. Avec l’accord et la résolution de la querelle sur la dette, l’Italie commence à sonder le terrain sur la possibilité d’avoir du crédit américain. Une première rencontre sur la situation économique italienne et les mesures nécessaires à son amélioration a lieu entre le ministre italien des Finances, Giuseppe Volpi, et le gouverneur de la Federal Reserve Bank de New York, Benjamin Strong, le 26 mai 1926[88]. Lors d’une rencontre ultérieure, Volpi, Mussolini, Fletcher et Strong évoquent la possibilité d’une concession de crédit au gouvernement par des investisseurs américains[89]. Fletcher précise alors que l’administration américaine ne financerait pas une aventure impérialiste italienne et Strong explique comment, de toute façon, une situation d’instabilité en Europe découragerait les investisseurs américains[90]. Mussolini répond qu’aucune guerre n’est possible en Europe pour au moins vingt-cinq ans, car les pays européens ne sont pas en condition économique pour en mener une, et qu’ils sont encore éreintés par la dernière : « Mussolini then said there was not going to be any war – that not none of European nations could afford it, being to exhausted from the former war »[91]. Mussolini connaît bien le besoin de crédit de l’Italie et donc, selon Fletcher, il prendrait cet aspect en compte avant de s’embarquer dans des aventures impérialistes[92].

L’attitude de Fletcher dans cette situation prend appui sur les arguments de Coolidge. En effet, il apparaît pertinent de financer un pays qui a un besoin urgent de liquidités pour minimiser le danger potentiel de sa politique expansionniste. Selon Fletcher, le fait même que l’Italie demande des crédits américains est la preuve que le pays ne pourrait pas se permettre une aventure impérialiste. Son hypothèse que les visées impérialistes sont motivées par des dynamiques de politique intérieure semble ainsi confirmée. Effectivement, des démarches successives attestent du fait que la politique impériale italienne était plus une question de prestige qu’un plan impérialiste à grande échelle[93]. Fletcher ne pense pas que Mussolini ait pris en considération la possibilité d’une guerre, mais qu’il était prêt à tirer avantage de toutes les situations en évolution[94]. L’Italie et la Grande-Bretagne s’étaient entendues sur la question de l’Abyssinie en avril 1926[95]. L’ambassadeur américain voyait justement cette question comme une étape vers le règlement de toutes les questions coloniales africaines. Pour Fletcher, il s’agit d’une autre confirmation de la reprise de la place traditionnelle de l’Italie aux côtés de la Grande-Bretagne[96] et la probable approbation de la situation par la France[97]. La prévision de Fletcher, celle d’un impérialisme italien plus propagandiste que réel, semblait donc en voie de réalisation.

L’ambassadeur semble avoir une idée bien précise à l’égard de la situation italienne. Dans son interprétation de la politique de Coolidge, Fletcher voit la stabilisation intérieure du pays comme prioritaire pour l’Italie, et cela ne peut se faire que grâce à l’accès à des crédits. De plus, comme mentionné précédemment dans la vision européenne et mondiale de Coolidge, la réduction des armements et le refus d’une compétition militaire globale devait être réglée par des conférences. Or, Fletcher est conscient du fait que l’Italie n’acceptera jamais une telle politique avant de résoudre toutes les problématiques reliées à la répartition des colonies africaines et à ses sphères d’influence en Europe. En effet, selon Fletcher, non seulement la stabilité politique et financière italienne est importante, mais l’impérialisme même est vu comme un élément transitoire dans le but de renforcer le consensus intérieur et de forcer une solution définitive aux querelles coloniales. Ce n’est qu’une fois ces controverses résolues qu’on peut imaginer l’Italie s’insérer dans le système imaginé par Coolidge. Dans cette perspective, l’impérialisme italien est donc un moyen utile pour arriver à un compromis définitif entre l’Italie et la Grande-Bretagne, et dans une moindre mesure avec la France, avant de pouvoir l’intégrer dans le système de Coolidge.

La tournure de la politique étrangère italienne et le refus du mémorandum Coolidge

C’est en 1926 que Coolidge commence à organiser la Conférence navale de Genève. Ses suggestions aboutiront à la proposition d’un Mémorandum au début de 1927. Comme l’explique le New York Times, pour avoir succès dans ses propos, Coolidge aurait eu besoin d’une situation européenne bien configurée et claire. La France était défavorable, au départ, à l’idée d’une éventuelle limitation de la puissance navale. Or, comme la Grande-Bretagne était plutôt en accord avec la proposition de Coolidge, la position italienne aurait été subordonnée aux dynamiques de sa politique étrangère. Évidemment, un arrangement de la majorité des querelles coloniales avec la Grande-Bretagne et la France aurait donné l’espoir de pouvoir railler l’Italie dans une opinion plus favorable, mais pendant la deuxième moitié de l’année 1926 la politique étrangère italienne change soudainement.

La diffusion de certaines archives tsaristes, avec la découverte de la mauvaise estime que les anciens alliés avaient de l’Italie à la fin de la Première Guerre mondiale, a rendu Mussolini furieux. Il leur fait alors comprendre qu’en regard à l’occupation injustifiée des colonies africaines, l’Italie pourrait créer une alliance triangulaire avec la Russie et l’Allemagne. En quelques semaines, l’Italie avait mis de côté ses sentiments antiallemands et les anciennes rivalités avec la France émergeaient de nouveau[98].

À la recherche d’un prestige international, la politique mussolinienne oscille alors entre l’Afrique et les Balkans[99]. Fletcher estime que la situation géopolitique italienne dans l’est de l’Europe est plus prometteuse qu’en Afrique. Les rapports cordiaux avec la Grèce et l’accord avec la Roumanie[100] offrent un cadre encourageant. L’épanouissement de la politique étrangère italienne est confirmé par le diplomate dans l’analyse globale qu’il en fait à Kellogg dans sa missive du 16 juillet 1926 : en analysant tous les mouvements italiens en Afrique (Tunisie, Maroc et Abyssinie) et dans les Balkans, Fletcher décrit la politique italienne comme extrêmement active dans tous ces enjeux. Il considère que Mussolini fait tous les efforts possibles pour sécuriser les avantages économiques qu’il peut tirer des différentes situations et qu’il mobilise le prestige qu’il acquiert pour en obtenir d’autres[101]. Mais, selon Fletcher, le dynamisme italien dans les Balkans provoque une situation diplomatiquement dangereuse entre la fin de 1926 et le début de 1927. L’Italie prend alors la décision de mettre l’Albanie sous son protectorat[102]. Même si cet acte était formellement justifié par les accords du 1921[103], il a des répercussions dans les relations entre l’Italie et la Yougoslavie.

Au début, Dino Grandi[104] soutenait que ses contacts avec le gouvernement albanais concernaient des simples rapports commerciaux[105]. La Yougoslavie, qui craint qu’une forte influence italienne en Albanie change l’équilibre dans les Balkans, propose alors un pacte avec l’Italie et la France[106] pour assurer l’équilibre de la région[107]. Mussolini décline la proposition[108], car selon lui, le fait d’être garant de la frontière franco-allemande l’empêche de conclure des accords avec la France. Le ministre yougoslave en Italie ne croit pas aux motivations données par Mussolini, il pense plutôt que l’Italie tente d’élargir son influence dans la région[109]. Fletcher avance l’hypothèse que les actions italiennes en Albanie sont dictées par les résultats légèrement insatisfaisants de la politique mussolinienne en Afrique[110].

Les relations entre l’Italie et la Yougoslavie commencent alors à s’envenimer. Après la signature du Traité de Tirana le 27 novembre 1926[111] entre l’Italie et l’Albanie, la Yougoslavie prétend que le comportement italien n’est pas sincère, car il ne respecte pas leur accord de ne pas interférer dans les affaires de l’Albanie sans en discuter d’abord avec elle[112]. Fletcher voit l’impossibilité de finaliser le Traité de Neptune du 20 juillet 1925[113] entre l’Italie et la Yougoslavie comme une conséquence de cette action italienne[114]. À partir de ce moment, la question du parachèvement du Traité de Neptune conditionne fortement le déroulement de la question albanienne : l’Italie le demandait comme préalable aux négociations sur l’Albanie, mais les précédentes actions italiennes dans la région rendaient cette option politiquement inapplicable pour la Yougoslavie.

À ce moment, et pour la première fois dans sa correspondance avec Kellogg, Fletcher semble incapable d’expliquer rationnellement la politique italienne en Albanie. Il écrit : « I cannot, however, fully understand Mussolini’s designs in this Albania business[115] », car effectivement l’action mussolinienne semble alors plus nuisible qu’autre chose. Comme Fletcher l’explique, il ne pense pas que le retour économique soit assez élevé pour justifier une politique qui, en premier lieu, détruisait tous les efforts diplomatiques des années précédentes envers la Yougoslavie et qui, deuxièmement, favorisait le rapprochement entre cette dernière et la France[116]. Fletcher propose deux interprétations à la situation. Dans la première, il explique comment, dans la perspective de limiter l’influence française dans les Balkans encore accrue par le pacte avec la Roumanie de juillet 1926[117], Mussolini pourrait avoir pensé qu’une action forte de l’Italie en Albanie intimiderait la Yougoslavie. Alors, cette dernière abonnerait la France en faveur de l’Italie[118]. En réalité, le contraire s’est produit.

La deuxième hypothèse de Fletcher révèle un changement dans la façon dont le diplomate considère la politique étrangère italienne. Même s’il envisage cela comme peu probable, il explique à Kellogg que si Mussolini veut s’embarquer dans une aventure dans les Balkans, son action en Albanie lui donnerait un pont d’accès très facile, en utilisant des agents italiens pour provoquer une révolution qui aurait eu comme conséquence une intervention italienne[119]. L’explication qu’il donne à Kellogg est contradictoire : il soutient que l’unique politique possible pour Mussolini est une politique de paix, au moins dans le futur proche, mais il avance aussi l’hypothèse de l’Albanie comme pont pour une aventure dans les Balkans : « These of course, are merely possibilities and from present appearances very remore possibilities and hardly worth mentioning. I mentioned that because I’m not satisfied that important moves in Italian foreign policy can be merely explained on the ground that they are done for home consumption and to add to Fascist prestige[120] ». On voit donc qu’il n’est pas capable de mettre la situation en relation avec des avantages objectifs pour la politique italienne ou avec l’agrandissement du prestige du fascisme[121].

Les tensions avec la Yougoslavie conditionnent aussi les actions italiennes vis-à-vis de la politique américaine. Le président américain Coolidge, par l’intermédiaire de Fletcher, propose à l’Italie l’adhésion au Mémorandum pour la limitation de l’armement naval[122]. Par celui-ci, le président Coolidge voulait assurer la limitation des navires qui n’avaient pas été réglementés par les accords de Washington de 1921, précisément les contre-torpilleurs, les croiseurs et les sous-marins[123]. La presse américaine identifie plusieurs obstacles à la proposition de Coolidge car, nonobstant la position favorable de la Grande-Bretagne, l’opposition de la France est suffisante pour bloquer le mémorandum. Par contre, même si la presse fasciste se positionne contre la négociation du mémorandum, Mussolini aurait accepté l’invitation à la conférence pour discuter de la question selon le New York Times. Il serait intéressé par les perspectives énoncées par Fletcher, entre autres par la possibilité de connaître à l’avance la quantité de dépenses navales que l’Italie devait prévoir pour atteindre le même niveau que les autres puissances, la France en particulier. Or, les officiels de la Marine n’avaient pas une vision positive des limitations[124] et le refus de Mussolini de participer à la conférence surprend la presse américaine. Analysant la réponse officielle italienne, le New York Times souligne la particularité de la géographie italienne, la nécessité qu’elle a de défendre un immense territoire côtier, et le fait que la limitation des navires serait appliquée seulement aux cinq puissances signataires des accords de Washington et non à tous les pays[125]. La position des officiels de la marine italienne a donc pris le dessus, comme le sous-secrétaire Dino Grandi l’avait anticipé. Faisant référence aux armements de la Grèce, de la Yougoslavie et de la Russie, il avait effectivement dit à Fletcher que la situation en Europe orientale ne permettrait probablement pas une adhésion italienne aux propositions américaines[126]. Dans le refus contenu dans la réponse officielle, le point le plus critique concerne la nécessité de limiter aussi les armements navals des petites puissances[127]. L’exemple donné était la récente commande que la France avait passée à la Yougoslavie pour la construction de trois sous-marins. Selon l’Italie, vu l’alliance entre la Yougoslavie et la France, ces sous-marins devaient être considérés comme une addition à la force militaire française[128].

Il faut se rappeler que, bien avant l’arrivée au pouvoir de Mussolini, plus précisément à partir de 1898, la marine italienne avait toujours été en compétition avec la marine française car les sphères d’intérêts de deux pays résidaient dans la mer Méditerranée. La France avait toujours eu le souci de maintenir sa supériorité navale sur l’Italie et, même si le Traité de Washington avait établi la parité entre l’Italie et la France, cette dernière pouvait maintenir un avantage en développant des navires légers comme les contre-torpilleurs, les croiseurs et les sous-marins, qui n’étaient pas réglementés par le traité. Mussolini, par contre, voulait investir considérablement sur la marine italienne, car « l’objectif est de construire une force navale qui représente pour la France la même chose que ce que représentait la marine pour l’Allemagne et ce qu’elle continue encore de représenter aux yeux de l’Angleterre : un cauchemar[129] ». Pour les deux pays, une limitation ultérieure des navires n’était donc pas compatible avec la stratégie navale qu’ils avaient choisie.

Le changement de la politique étrangère italienne et ses tensions avec la Yougoslavie et la France ont des effets directs sur la stratégie de Coolidge. En effet, l’opposition de l’Italie et de la France provoque l’échec des propositions du Mémorandum Coolidge. En regard à la montée des tensions avec la France, et à l’avantage que cette dernière avait par rapport aux colonies et à son système d’alliances, la possibilité d’accepter une limitation, même partielle, des armements n’était pas envisageable pour l’Italie.

L’adhésion désenchantée au pacte Kellogg-Briand et les tensions avec la Grande-Bretagne

La place de l’Italie à l’intérieur du système imaginé par Coolidge demeure d’une grande importance. À l’occasion de son discours du 30 mai 1928 à Gettysburg, le président américain aborde la question du désarmement international. Il explique comment les propos du ministre français des Affaires étrangères, Aristide Briand, au sujet de la condamnation et de la renonciation à la guerre avait évolué pour devenir une proposition de traité internationale que le sous-secrétaire d’État Kellogg avait proposé à la Grande-Bretagne, à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon : « The United States… has advocated its extension so as to include within the scope of the proposed treaty not only France and the United States, but also Great Britain, Germany, Italy, and Japan[130] ».

Mais comme lors des accords de Locarno, l’Italie semble adhérer à la proposition américaine sans trop de conviction. La démarche semble répondre à un désir de prestige plutôt qu’à un réel partage des théories américaines. Fletcher exprime cette pensée à Kellogg, mais il l’assure qu’en cas d’acceptation de la proposition américaine, Mussolini serait présent au moment de la signature du traité[131]. Ce manque d’enthousiasme de l’Italie ne passe pas inaperçu. En mentionnant l’adhésion italienne, le New York Times souligne comment la réponse de Mussolini était brève, concise et sans enthousiasme[132]. Ces impressions sont confirmées par le fait que Mussolini ne participe même pas à la conférence de Paris pour la signature du pacte. Au départ, Kellogg ne prend pas comme un affront personnel cette décision du président du conseil italien. Il croit plutôt que celle-ci prouve le fait que Mussolini considère le pacte comme une démarche administrative ordinaire, et non pas comme un fondement essentiel de la diplomatie mondiale[133]. L’irritation de Kellogg, par contre, est palpable quand Mussolini n’envoie pas son ministre des Affaires étrangères Dino Grandi pour la signature du pacte. Il préfère envoyer l’ambassadeur italien à Paris. Kellogg explique toute sa déception pour la décision italienne. Dans le contexte où tous les pays signataires ont envoyé leurs ministres aux Affaires étrangères (ou le premier ministre comme dans le cas du Canada), la décision italienne est selon Kellogg une volonté de minimiser l’importance et la portée du Pacte[134].

Et effectivement quelques mois plus tard, pendant une session du parlement italien, Mussolini commente ironiquement le pacte Kellogg-Briand en disant qu’il est sublime, tellement sublime qu’on peut le considérer comme transcendant. Il dit que l’Italie est prête à signer d’autres pactes du même type, car il ne veut pas que les autres pays accusent l’impérialisme fasciste de détruire ce monde parfait fait de lait et de miel où tous les hommes vivent ensemble comme des frères. La réalité est tout autre, selon Mussolini. Il croit que tous les pays sont en train de s’armer, et que la guerre est encore très probable[135]. L’Italie adopte donc une attitude sceptique face aux pactes multilatéraux pour la réduction des armements ou pour éviter le recours à la violence lors de disputes internationales.

Le pacte Kellogg-Briand a été l’objet de l’analyse d’Oona A. Hathaway et Scott J. Shapiro dans The Internationalists : How a Radical Plan to Outlaw War Remade the World dans lequel ils placent ce dernier comme le pivot qui a changé progressivement les règles de la diplomatie internationale[136]. Le pacte a été décrit comme un point de rupture entre l’ancienne façon d’interpréter la guerre comme moyen légitime dans les relations internationales, et son progressif refus dans les décennies à suivre[137]. Le point focal de l’analyse est aussi la Doctrine Stimson, conçue par le successeur de Kellogg au poste de Secrétaire d’État, qui prévoyait la non-reconnaissance de tous territoires acquis à travers des actions de guerre par d’autres pays[138].

Dans cette interprétation, le scepticisme de Mussolini par rapport au pacte semble donc être non justifié. En réalité l’opinion de Mussolini était assez partagée à l’époque, comme les auteurs le montrent par rapport à la dispute entre le Japon et la Chine en 1931[139], et surtout pour le manque d’efficacité du pacte dans la dispute entre l’Italie même et la Somalie sur l’Abyssinie en 1935[140].

Cette attitude est modelée par les revendications italiennes sur ses sphères d’intérêts, dans les colonies et dans la méditerranée. Son impérialisme et son revanchisme étaient souvent mitigés grâce aux rapports amicaux qu’elle avait avec la Grande-Bretagne, qui semble alors l’unique partenaire stable de la politique étrangère italienne. Ainsi, pendant l’année 1928, quelques mois avant la fin du mandat de Fletcher à Rome, les rapports entre la Grande-Bretagne et l’Italie se refroidissent considérablement et la situation européenne devient encore plus difficile à interpréter. Sur la question de la limitation de l’armement naval, le président Coolidge est encore très actif pour promouvoir une entente afin de régler la puissance navale de chaque pays. Dans ce contexte, la nouvelle d’un accord naval entre la Grande-Bretagne et la France a eu un effet brutal. Dino Grandi considère alors que l’accord a un impact très négatif dans l’opinion publique italienne[141]. Selon l’Italie, cet accord signifie que la Grande-Bretagne est prête à sacrifier l’amitié et les intérêts italiens et, vu la prédominance française dans les Balkans à travers la Petite Entente, cette possibilité l’alarme considérablement[142]. De plus, l’Italie voit dans le retard de la Grande-Bretagne à reconnaître le gouvernement du Roi Zogu[143] en Albanie une preuve de ce changement d’attitude[144].

Fletcher ne voit pas d’un bon oeil cet accord. Il croit qu’un pacte entre la France et la Grande-Bretagne uniquement aurait un effet contraire, c’est-à-dire une augmentation de l’armement en général : « the effect will be to increase rather than diminish armaments of all kinds[145] ». Fletcher suppose que l’Italie changera sa politique vis-à-vis la conférence pour la réduction de l’armement naval proposée par le président Coolidge, mais il n’est pas capable de donner des preuves concrètes de ce changement[146]. Quelques jours plus tard, l’annonce de l’accord par Chamberlain exacerbe l’irritation des Italiens[147]. L’accord donne l’impression que la France a les mains libres sur le continent et la Grande-Bretagne sur les mers, et que dans le cas d’une guerre, la France pourrait compter sur la marine britannique comme alliée et la Grande-Bretagne sur l’armée française[148].

Coolidge semble comprendre la spécificité et l’importance de l’Italie dans sa vision de la paix mondiale et dans ses tentatives pour éviter une prolifération des armements. Pendant son discours au congrès du 4 décembre 1928, il explique comment la Grande-Bretagne, la France et l’Italie sont des pays dans lesquels les États-Unis ont des intérêts stratégiques importants[149]. Ainsi, les derniers développements dans les rapports entre ces pays ont des effets directs sur l’efficacité de la politique de Coolidge. Fin analyste, Fletcher imagine déjà comme conséquence très probable un éventuel rapprochement entre l’Italie et l’Allemagne : « both have vigoreus growing populations with restricted outlets[150] ».

* * *

Il est possible de tirer certaines conclusions du regard que pose Fletcher sur la politique italienne tout au long de son mandat à Rome de 1924 à 1929. Premièrement, on peut voir comment l’attention de l’ambassadeur se déplace progressivement des questions concernant la politique intérieure italienne aux enjeux de sa politique étrangère. Une fois que le régime dictatorial est bien établi, les dynamiques de la politique intérieure italienne causent moins de soucis à l’ambassadeur, et aussi au président Coolidge, qui reconnaît dans la stabilité des pays européens une condition préalable à sa politique de désarmement et de conférences multilatérales. Pendant son mandat, les tensions entre l’Italie et les États-Unis, surtout après l’accord sur la question de la dette, ont été marginales et secondaires par rapport aux priorités italiennes dans l’équilibre européen des pouvoirs. Toutefois, Fletcher est tout de même capable d’identifier les enjeux de la politique étrangère mussolinienne qui seront encore plus importants pendant les années 1930. L’identification de l’Afrique et des Balkans comme zones d’intérêts italiens, et surtout les potentielles rivalités avec la France et l’Allemagne, qui se développeront encore plus en profondeur dans les années 1930, dénotent une remarquable capacité d’analyse politique. De plus, l’ambassadeur avait très bien compris l’importance de la Grande-Bretagne dans le développement de la future politique étrangère italienne et la possibilité d’un rapprochement entre l’Allemagne et l’Italie dans le cas où les rapports de cette dernière avec la Grande-Bretagne ne seraient pas optimaux. Le problème est que la politique impérialiste italienne s’encastre mal avec les propositions de Coolidge : l’Italie veut réviser la répartition des colonies et les sphères d’influence européennes et ne peut donc pas accepter des accords sur le désarmement sans que ses ambitions soient d’abord reconnues.

Finalement, l’évaluation de Fletcher se révélera erronée sur un seul point, mais qui s’avère fondamental : son analyse de la politique étrangère italienne comme essentiellement non belligérante, mais plutôt animée par un impérialisme plus théorique que réel, créé pour satisfaire le désir de grandeur de la population italienne et son opportunisme prêt à cueillir toutes les occasions que la diplomatie offre. Cette évaluation se révélera non seulement incorrecte, mais surtout totalement incompatible avec la vision de la gestion de la politique internationale imaginée par Coolidge. Elle reste assez constante dans les missives de Fletcher et ce, même quand il avance quelques doutes sur les intentions pacifiques de l’Italie, comme pendant la crise albanaise avec la Yougoslavie, où il n’envisage cette possibilité que comme très improbable. En réalité, le revanchisme italien rendait inconciliable l’adhésion à une politique comme celle imaginée par Coolidge et le refroidissement des relations avec la Grande-Bretagne semble pousser l’Italie vers l’autre puissance contestatrice de l’ordre établi, l’Allemagne.

Si la politique mussolinienne n’a pas nui directement aux rapports entre les États-Unis et l’Italie, plutôt cordiaux pendant toute la permanence de Fletcher à Rome, elle a par contre été un obstacle insurmontable pour l’esprit et la stratégie internationaux du président Coolidge.

Si on s’intéresse aux relations entre les États-Unis et l’Italie, celles-ci sont restées excellentes dans les années successives à la permanence de Fletcher à Rome. Si on regarde les deux principales lignes sur lesquelles les relations entre l’Italie et les États-Unis se sont développées pendant le séjour de Fletcher, l’impérialisme italien et la question de la dette, on peut observer un lien étroit entre Rome et Washington. Par rapport à la dette, on peut constater qu’après la crise de 1929, la politique du successeur de Coolidge, Herbert Hoover, a conditionné la question de la dette de guerre. Le débat sur le sujet avait été, à plusieurs reprises, abordé par la Grande-Bretagne qui incitait à une révision de conditions de remboursement de la dette à cause des difficultés financières créées par la crise. En raison de la gravité de la situation de l’Allemagne[151], Hoover avait proposé en 1931 la suspension des paiements des réparations de guerre et des paiements des dettes, des intérêts et du capital, pour essayer de freiner la crise[152].

Au contraire de la France qui s’était opposée à cette proposition, l’Italie a appuyé le gouvernement Hoover dans cette démarche en donnant son approbation complète. En 1931, les relations entre l’Italie et les États-Unis étaient à leur apogée, avec le voyage du secrétaire d’État américain Henri L. Stimson à Rome et de Dino Grandi à Washington. L’année suivante, une fois que le moratoire de 1931 était terminé, toute la question de la dette de guerre a repris vigueur[153]. À cause d’une opinion publique défavorable à toute révision ou annulation des dettes de guerre des pays européens, la position des États-Unis visait à attendre quelques propositions de la part des pays européens sur le sujet[154].

Le 17 janvier 1932, Mussolini avait proposé une solution à adopter pour résoudre la question de la dette : les États européens devaient annuler toutes les obligations de l’Allemagne à leur endroit ainsi que toutes les dettes entre les pays européens, pour pouvoir demander aussitôt aux États-Unis une annulation des dettes de guerres européennes[155].

Pendant la conférence de Genève, les pays créditeurs, soit la Grande-Bretagne, l’Italie et la France, et le pays débiteur, l’Allemagne, arrivèrent à s’accorder sur l’annulation des dettes allemandes à travers le versement d’un dernier paiement symbolique. De plus, les pays créditeurs avaient aussi trouvé entre eux un accord pour l’annulation des dettes, mais ce « Gentilment agreement », avant d’être effectif, aurait dû être soumis à l’approbation des États-Unis, auxquels les États européens demandaient aussi l’annulation des dettes de guerre qu’ils devaient à Washington[156].

L’accueil de cette entente à Washington a été différent de ce que les États européens envisageaient, car le président Hoover était à la fin de son mandat et ne pouvait donc pas, en pleine campagne électorale, irriter l’opinion publique américaine en prenant une position favorable à l’annulation des dettes. Il a dû déclarer que, selon lui, les États européens étaient en mesure d’honorer leurs dettes et qu’il s’attendait donc à ce que les paiements soient effectués. Ce n’est qu’après la défaite électorale qu’Hoover semble plus ouvert à discuter les propositions européennes. Il voulait s’accorder avec son successeur Roosevelt qui, au contraire, avait une approche différente quant à la résolution du problème en préférant des négociations bilatérales entre les États-Unis et les pays européens. À cause de cette incertitude et de la position intransigeante du Congrès sur la question, Hoover a demandé aux pays européens d’honorer le paiement qui serait arrivé à échéance le 15 décembre 1932[157]. La France a refusé le paiement, mais l’Italie a tenu à honorer ses engagements en guise de démonstration de son amitié envers les États-Unis.

Toutes ces démarches et l’amitié envers les États-Unis firent l’objet d’une conversation entre Norman Davis[158] et Dino Grandi sur le Pacte à quatre proposé par Mussolini en mars 1933. En rassurant Davis sur le caractère non antiaméricain du pacte, Grandi lui rappelait que « l’Italie avait donné aux États-Unis les preuves de son amitié, en 1931 avec l’acceptation de la [sic] moratoire, en 1932 avec l’acceptation du plan Hoover pour le désarment, et le [sic] décembre dernier en prenant la décision, avant l’Angleterre, de payer le quota de la dette[159] ». Davis a répondu en admettant que « la position de l’Italie sur la question de la dette était la plus intelligente et qu’elle aurait été aussi la plus chanceuse[160] ».

La bonne gestion de cette situation a permis à l’Italie d’ouvrir les négociations sur la dette à partir de 1933 et, pendant cette période, l’Italie se limitait à des paiements partiels de la dette. Enfin, même si les deux pays n’ont pas trouvé un accord, surtout à cause de l’approbation de la Loi Johnson qui interdisait de faire des paiements partiels, la décision de l’Italie en juillet 1934 de répudier définitivement et intégralement le remboursement de la dette n’a pas produit d’effets négatifs dans les relations entre les deux pays[161].

Si on s’attarde sur l’autre problématique qui a caractérisé la permanence de Fletcher en Italie, l’impérialisme mussolinien, on peut observer que l’attitude américaine vis-à-vis de l’Italie ne produisit pas de changements sensibles. Dans les mémoires de l’ambassadeur américain Breckinridge Long, en poste à Rome à partir de 1933, on constate au début de son mandat que le diplomate était favorable au fascisme et ne voyait pas de problème à l’expansionnisme italien. Au contraire, il soutenait l’action politique du chef de gouvernement italien, en démontrant une capacité d’analyse superficielle de la politique impérialiste italienne[162]. En 1933, il écrivait au président Roosevelt sur la question de l’Albanie, en disant qu’il ne voyait pas de raisons à s’opposer à l’action italienne qui consistait à rendre définitivement ce pays sous un protectorat italien[163]. Cette perception sur le danger de l’impérialisme italien change seulement en 1935, quand Long, après presque deux années d’expérience en Italie, commence à formuler des analyses plus articulées et profondes en donnant une opinion critique sur l’expansionnisme mussolinien[164].