Article body

Adrien Arcand a été l’objet de deux biographies et de quelques mémoires de maîtrise au cours de la décennie 2010. On peut certes apprécier ce nombre d’études, mais une absence doit être notée dans ces recherches. Les auteurs s’intéressent peu aux actions de l’État envers le chef fasciste. Les documents provenant de ministères, de tribunaux ou de la police ne sont à peu près pas utilisés par les chercheurs. Ce sont essentiellement les nouvelles de journaux qui servent à traiter de l’attitude des autorités envers le fascisme canadien. Délaisser les archives gouvernementales mène à plusieurs erreurs de faits et d’interprétation. Jean-François Nadeau, un des biographes, avance, par exemple, que William McDuff, partisan néo-écossais d’Arcand, a été interné[2]. Les policiers ne l’ont pourtant jamais même rencontré, comme on le verra dans la suite de cet article. McDuff n’est en fait pas le seul individu présenté comme prisonnier par Nadeau dont le nom n’apparaît nulle part dans les archives de l’internement. Hugues Théoret relate pour sa part son insuccès à retrouver des documents produits par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur Arcand[3], alors qu’ils sont à Bibliothèque et Archives Canada. Théoret estime globalement que l’État faisait preuve d’une certaine complaisance envers Arcand. Il dit notamment que la police fédérale se méfiait davantage des communistes que des fascistes, parce que plus de rapports ont été produits concernant les premiers que les derniers[4]. Il oublie de demander si cela pourrait s’expliquer par le fait que le communisme avait probablement plus d’adhérents au Canada et qu’il était mieux organisé. Jonathan Tremblay consacre pour sa part un mémoire de maîtrise dans lequel il tente notamment de montrer que l’État faisait preuve de tolérance envers Arcand. Selon lui, son incarcération est d’abord due à la vigilance de groupes de la société civile[5]. Il utilise cependant très peu de documents gouvernementaux pour appuyer ses dires.

L’attitude des autorités envers le fascisme a pourtant été abordée par divers auteurs. Michelle McBride, seule chercheuse à avoir consacré une étude à ce sujet, avance que les policiers se sont contentés de renseignements facilement disponibles dans leur surveillance des organisations strictement canadiennes. Ces policiers n’auraient assisté qu’à des réunions publiques et collecté des publications[6]. Les archives de la GRC montrent pourtant que les forces de l’ordre avaient plusieurs informateurs au sein des troupes d’Arcand. Gregory Kealey et Reg Whitaker ont pour leur part réuni en recueil les bulletins hebdomadaires de sécurité de la Gendarmerie royale[7]. L’ouvrage offre essentiellement des résumés qui ne permettent pas de comprendre comment les organisations d’Arcand ont été infiltrées. Il présente par ailleurs peu d’information sur les activités d’Arcand durant la guerre et aucune pour l’après-guerre. Franca Iacovetta, Roberto Perin et Angelo Principe ont quant à eux consacré un ouvrage collectif à l’internement durant la Seconde Guerre mondiale. Un des textes avance que c’est surtout grâce aux perquisitions que la GRC a obtenu des renseignements détaillés sur Arcand[8]. Les archives de la police fédérale infirment toutefois cette thèse.

De nombreux historiens ont par ailleurs produit des études sur les activités de la GRC. La plupart d’entre elles ont analysé la surveillance de groupes comme les étudiants, les homosexuels ou des organisations féministes[9]. Ces recherches offrent plusieurs renseignements sur les actions de la Gendarmerie, mais n’ont pas abordé l’attitude des autorités envers le fascisme. La synthèse de Reg Whitaker, Gregory S. Kealey et Andrew Parnaby sur l’histoire des services secrets canadiens ne consacre que quelques lignes à Arcand[10]. Si on exclut McBride, l’extrême droite demeure en fait peu traitée dans les recherches sur la police fédérale. Le présent article a pour objectif de faire le point sur le combat qu’a mené l’État contre le « führer canadien » et la principale organisation qu’il a dirigée, le Parti de l’unité nationale. Nous dresserons un bon portrait de l’action des autorités.

L’avant-guerre

La GRC a surveillé le fascisme pratiquement dès son apparition au pays. À partir de 1933, elle s’est inquiétée des activités de William Whittaker et de son Canadian Nationalist Party, à Winnipeg. Des enquêteurs ont produit au moins 14 rapports décrivant des réunions de ce mouvement. Le 22 février 1934, un indicateur était par ailleurs présent au congrès de fondation du Parti national social chrétien (PNSC), dirigé par Adrien Arcand. Les forces de l’ordre ont par la suite assisté à au moins trois autres assemblées publiques du Parti en 1936 et en 1937[11]. Chacun des rassemblements a fait l’objet d’un compte rendu qui listait les orateurs et les sujets abordés. Les analyses proposaient toujours une estimation du nombre de personnes présentes et insistaient souvent sur des thèmes dignes d’intéresser les autorités. Le rapport sur la création du PNSC précisait ainsi qu’il s’organisait sans aucun doute dans les lignes de l’hitlérisme. La Gendarmerie a également été informée des difficultés qu’ont connues les fascistes de Winnipeg à partir de la fin 1935. Des enquêteurs ont notamment rapporté des discussions avec le chef William Whittaker, dans lesquelles celui-ci sous-entendait lui-même que son parti avait peu d’adhérents[12].

Adrien Arcand et ses partisans ont commencé à inquiéter les autorités plus sérieusement à partir de 1938. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette préoccupation. Gregory Kealey et Reg Whitaker avancent que le pacte anti-Komintern a mené le ministère des Affaires étrangères à recommander une surveillance des fascistes canadiens[13]. L’organisation d’Arcand comptait par ailleurs peu de membres durant ses premières années d’existence. Sans donner de chiffre exact, un rapport indique de fait que c’est surtout à partir de 1937 que le parti a eu des adhérents en quantité appréciable[14] Au début de 1938, plusieurs journaux ont également rapporté que des fascistes s’adonnaient à l’entraînement militaire au pays. Ces affirmations ont fini par être discutées au Parlement. Le ministre de la Justice a déclaré qu’une enquête allait être lancée. Quelques mois plus tard, il a affirmé que la police gardait les yeux ouverts, mais que le nombre d’adhérents aux mouvements fascistes était sans doute exagéré. Il se disait cependant conscient que l’espionnage et le sabotage étaient toujours possibles[15]. C’est aussi en 1938 que Kurt Lüdecke, un ancien délégué d’Hitler en Amérique du Nord, a publié un livre dans lequel deux paragraphes étaient consacrés à une rencontre avec Arcand. Les deux se seraient liés d’amitié et auraient promis de collaborer[16]. Ces quelques renseignements ont été rapportés à la GRC[17]. Du 1er au 4 juillet 1938, le PNSC, le Canadian Nationalist Party et divers autres mouvements se sont par ailleurs réunis à Kingston pour former le Parti de l’unité nationale du Canada (PUNC). Adrien Arcand en a été élu chef. Il dirigeait donc dorénavant une organisation pancanadienne.

Les délégués du congrès de fondation du Parti de l’unité nationale

Les délégués du congrès de fondation du Parti de l’unité nationale

Première rang, de gauche à droite : Henri Arcand, Gaétan Racicot, Daniel O’Keefe, John Cole, Maurice Scott, Adrien Arcand, Joseph Farr, William Duncan, Stanley Chopp, C.S. Thomas, William McDuff. Deuxième rang : John S. Lynds, Marius Gatien, A.G. Smale, John Schio, Jean T. Ramacière, Omer E. Gobeille, Fortunat Bleau, François Padulo, Roméo Blaise, Jean Mercier. Troisième rang : Dr Massina, Hugues Clément, Blaise Lavoie, Louis Leroux, W. Sketcher (ou Schecter), Donat Boulanger, E.C. Miller, Léo Brunet, J. Duncan, Gérard Lanctôt.

Source : Bibliothèque et Archives Canada, RG146, volume 3516, dossier « PUNC, Montréal », pochette 2

-> See the list of figures

Même si des parlementaires ont tenté de minimiser l’importance des mouvements fascistes au pays, la GRC était bien au fait des activités des deux partis dirigés par Adrien Arcand en 1938. La police a été capable d’identifier 68 individus sur la photo d’une assemblée montréalaise de juin 1938, sur laquelle apparaissent 289 personnes. Les forces de l’ordre étaient aussi présentes lors du congrès de fondation du PUNC. Elles connaissaient chacun des principaux délégués et savaient par quel moyen de transport la plupart d’entre eux avaient rejoint le lieu de rencontre. Un rapport a détaillé le déroulement exact de la réunion[18]. La Gendarmerie a produit environ 23 comptes rendus d’assistance à des réunions publiques du PUNC et de son prédécesseur durant l’année 1938[19]. Dans ses observations, la GRC était notamment préoccupée par le nombre d’étrangers présents aux assemblées du Parti. Une note interne expliquait par exemple que plusieurs personnes d’origine italienne venaient écouter Arcand[20].

Avec la fondation du PUNC, la police a aussi obtenu plusieurs renseignements sur les adhérents du Canada anglais. À Winnipeg, la GRC savait que William Whittaker était mourant et que Stanley Chopps et John Cole le remplaçaient dans les faits. Ils s’occupaient d’un mouvement qui ne comptait plus qu’une cinquantaine de partisans[21]. Dans les semaines qui ont suivi le congrès de Kingston, les forces de l’ordre ont par ailleurs obtenu plusieurs informations sur les querelles entre catholiques romains et protestants au sein du Parti en Ontario[22]. En Colombie-Britannique, la police a fait des recherches sur Clive Thomas, le délégué du Parti dans la province. Elle a noté que Thomas était un récent converti catholique et que seulement quelques personnes le suivaient. William McDuff, l’émissaire de la Nouvelle-Écosse à Kingston, est pour sa part demeuré introuvable. La GRC a enquêté dans 6 des 18 comtés de la province, sans succès. Un rapport montre aussi que la police était au courant de lettres envoyées par certains fascistes saskatchewanais. On peut par conséquent supposer que la Gendarmerie a ouvert du courrier et a donc suivi facilement le développement du PUNC dans cette région du pays. Elle était au fait du déroulement d’un conflit entre le PUNC et la Canadian Union of Fascists[23].

La présence d’associations subversives en sol canadien a de nouveau suscité l’inquiétude des parlementaires en 1939. À l’Assemblée législative du Québec, le député Louis Fitch a profité d’une intervention pour dénoncer Arcand et dire qu’il recevait des fonds de l’Allemagne. À la Chambre des communes, le ministre de la Justice a expliqué que les organisations subversives étaient souvent insignifiantes, mais qu’elles étaient surveillées de près[24]. La police fédérale a évidemment continué à suivre les activités d’Adrien Arcand en 1939. Elle a produit environ 25 comptes rendus d’assemblées publiques cette année-là[25]. En Ontario, la police a aussi observé que la propagande du PUNC a atteint une communauté autochtone. Elle a rapporté les agissements de Patrick Newhouse, un Amérindien qui distribuait des brochures du Parti sur la réserve des six nations près de Brantford. La GRC a autrement eu vent d’autres conflits en Ontario. En janvier 1939, une plainte est parvenue à la police provinciale après la tentative de recrutement d’un adolescent dans un bureau d’emploi. La dénonciation a entraîné une perquisition dans les locaux du PUNC à Toronto[26].

L’infiltration du Parti de l’unité nationale

La GRC a aussi assisté à plusieurs réunions réservées aux membres les plus importants du Parti. Elle était notamment présente lors d’une tentative de rapprochement entre le PUNC et le groupe de Paul Bouchard, un indépendantiste de Québec tenté par le fascisme. Cette rencontre n’aurait concerné qu’une soixantaine de personnes. En juin 1939, la Gendarmerie a par ailleurs rapporté avec étonnement qu’Arcand était allé discuter à plusieurs reprises avec Stanley Bréhaut Ryerson, un influent membre du Parti communiste canadien[27]. La censure empêche toutefois d’avoir une idée de la teneur des discussions. Il faut en effet savoir que les documents produits par le gouvernement fédéral sont généralement communiqués après révision, conformément à la Loi sur l’accès à l’information. Des articles de cette loi permettent de refuser la divulgation de divers renseignements. Plusieurs documents de la GRC sont donc encore entièrement ou partiellement expurgés. C’est certainement ce qui explique qu’il est impossible de savoir lequel ou lesquels des membres du Parti de l’unité nationale travaillaient pour la police ou lui transmettaient des renseignements.

Si plusieurs informations sont censurées, les documents déclassifiés permettent quand même d’avoir une idée des méthodes utilisées pour infiltrer le PUNC. Quand certains membres du Parti ont été en procès au début de la Deuxième Guerre mondiale, la Gendarmerie a mentionné avoir récolté les témoignages de quatre individus qui en ont été membres[28]. Deux d’entre eux semblaient avoir des postes importants au sein de l’organisation. La GRC a de fait réussi à assister à une quantité appréciable d’assemblées destinées uniquement aux adhérents. On compte 63 rapports d’assistance à des réunions des légionnaires, des organisateurs ou de divers cours qu’a offerts le PUNC en 1938 et en 1939[29]. Ces comptes rendus s’ajoutent à ceux des assemblées publiques déjà mentionnées. La GRC a donc été témoin de plus d’une centaine de rencontres des troupes d’Arcand avant la guerre. Dans l’une de ces réunions, l’individu travaillant pour la police racontait notamment avoir passé des examens pour devenir officier de l’association. Un indicateur s’est aussi dit content qu’on lui ait confié des tâches administratives, car cela lui permettrait de fouiller dans les papiers du mouvement. À la lecture des différents rapports produits par la Gendarmerie, on note par ailleurs un nom qui revient souvent, celui de François Padulo. Ce dernier faisait partie de l’état-major du Parti. En août 1938, il a été nommé garde du corps d’Yvonne Arcand, épouse d’Adrien. L’année suivante, il devenait « staff officer » de la légion, le service d’ordre du PUNC. Son rôle était alors de tenir un dossier sur chaque légionnaire[30]. À partir de ce moment, de nombreux renseignements détaillant des discussions intimes entre différents membres du PUNC sont parvenus à la Gendarmerie. Ces documents avaient tous en commun de mentionner Padulo. Plusieurs rapports l’impliquant seront cités dans la suite du présent article. La censure exercée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information empêche cependant de comprendre le rôle exact de Padulo auprès des forces de l’ordre. Il n’est pas possible de dire s’il était policier, un indicateur ou si c’est simplement un de ses proches qui transmettait des informations.

Les différents documents produits par la GRC montrent souvent des inquiétudes concernant les actions possibles du PUNC. Un rapport relate par exemple une discussion où il aurait été question de marcher sur Québec à la manière de la marche sur Rome. Des informateurs expliquaient que le mouvement souhaitait prendre le pouvoir par la force s’il le fallait. Il est aujourd’hui difficile de statuer sur la véracité de ces affirmations. L’historien qui utilise des documents policiers doit comprendre la psychologie de l’indicateur. Certains peuvent exagérer ou mal rapporter des faits afin d’obtenir des faveurs. La Gendarmerie a tout de même noté à quelques reprises que certains membres, les légionnaires en particulier, s’adonnaient au drill et suivaient des cours de théorie militaire. La police a aussi rapporté de nombreuses fois que le PUNC se disait non violent. Le port d’armes était interdit. Maurice Scott, premier lieutenant d’Arcand, a ainsi expliqué lors d’une assemblée que la seule arme à utiliser était le stylo dans les bureaux de vote. Arcand lui-même disait que même une petite matraque devait être évitée. La police a quand même observé que certains membres se déclaraient parfois pour la violence, mais ils étaient rabroués par les dirigeants du Parti. C’est ce qui est arrivé à Angelo Dalle Vedove, chef de la section italophone du PUNC. À plusieurs reprises, la police a expliqué que le mouvement se préparait aux élections. Des cours ont même été donnés pour former des représentants électoraux[31]. Si on exclut quelques bagarres avec des opposants politiques, la Gendarmerie a rapporté peu d’actions violentes qui auraient pu occuper les adhérents du PUNC. Elle a fait enquête sur une rumeur qui voulait que Paul Giguère, beau-frère d’Adrien Arcand, cache des armes. Elle n’a cependant rien trouvé. La police a aussi examiné une lettre anonyme qui rapportait que Joseph Farr, dirigeant du Parti à Toronto, aurait approché un employé d’une usine d’armement. La GRC a déterminé qu’il s’agissait d’une médisance provenant d’un adversaire idéologique[32].

Le Parti de l’unité nationale et les débuts de la Guerre

La guerre a éclaté en Europe le 3 septembre 1939. Le jour même, Mackenzie King a proclamé l’adoption des Règlements concernant la défense du Canada. Le lendemain, la police municipale de Montréal a décidé d’interdire les assemblées du PUNC. D’après les journaux, Arcand aurait dit qu’il allait obéir à cet ordre. Le 7 septembre, il a envoyé une lettre au Commissaire de la GRC, dans laquelle il disait que le mouvement cessait ses activités. John Schio, représentant du Parti en Saskatchewan, a pour sa part été arrêté le 4 septembre. Il a certainement été appréhendé parce qu’il était d’origine germanique. Plusieurs ressortissants allemands ont de fait reçu la visite de policiers le lendemain du début de la guerre. Le PUNC a soutenu la femme de Schio par la suite. À Montréal, la police surveillait activement la Casa d’Italia et notait que plusieurs membres du Parti la fréquentaient. En novembre, la GRC a récupéré une boîte abandonnée à Lambton Mills, une bourgade qui fait aujourd’hui partie de Toronto. Elle contenait du matériel provenant d’associations fascistes ontariennes. Elle a vite été examinée. La Gendarmerie a été tenue au courant d’une réunion des 18 plus hauts dirigeants du Parti à laquelle assistait François Padulo. Adrien Arcand a alors expliqué qu’il avait un ordre secret. Selon lui, les personnes présentes devaient s’attendre à avoir de grandes responsabilités dans le futur[33].

Après s’être tenu tranquille pendant quelques mois, le PUNC a repris certaines activités au début de l’année 1940. Dès les premiers jours de janvier, le mouvement a tenu deux réunions réservées aux membres. En février, la Gendarmerie a été informée d’une discussion entre François Padulo et Yvette Giguère, belle-soeur d’Arcand. Padulo a aussi visité quelques dirigeants du Parti. Un rapport mentionne notamment qu’il a rencontré Hugues Clément, beau-frère d’Arcand et de Victor Barbeau[34], chez qui il a écouté la radio allemande. Les policiers savaient également que le PUNC avait mené quelques activités publiques sans s’afficher ouvertement. Des conférences avec le père Fabien, un capucin, ont notamment été organisées. Ce religieux était déjà connu pour des propos antisémites lors de prêches dans des églises. La police a peu après appris que l’archevêché de Montréal lui avait interdit de parler en public[35].

La guerre a aussi fait en sorte que la GRC a accentué sa surveillance du PUNC dans différents endroits du Canada. Elle a notamment fait enquête à Ottawa. Elle a su que les principaux dirigeants dans la région étaient Hugues Bouchard et Alexandre Brosseau. Les enquêteurs savaient que le PUNC essayait de tenir plusieurs réunions secrètes avec les différents membres de Toronto. Les activités du Parti à Asbestos ont aussi beaucoup inquiété les autorités. Plusieurs rapports ont été produits concernant cette localité. L’un d’entre eux relatait une visite de François Padulo dans la municipalité. Il a été noté qu’au moins 100 Asbestriens militaient pour le Parti. Certains des meneurs étaient des employés de la Johns-Manville, la principale compagnie de la ville. Les fascistes avaient gagné en popularité notamment parce qu’ils avaient empêché certaines mises à pied. Un des dirigeants en Estrie était Albert Abdelahad, un Arménien originaire de Turquie. Selon la GRC, Abdelahad avait perdu une bonne partie de sa famille dans le génocide[36]. Il était un survivant réfugié au Canada. Ces informations nous ont été confirmées par son fils[37].

Arrestations et procédures judiciaires

La GRC a noté un regain d’activité chez les troupes d’Arcand en mai 1940. Des informateurs ont dit que certains membres s’attendaient à des arrestations. C’est la raison pour laquelle des papiers importants avaient été cachés. Lors d’une réunion, un des orateurs a expliqué que le temps de l’action était très proche. En Europe, les nazis avaient envahi la France et la peur d’une cinquième colonne s’installait au pays. Le coup d’État de Quisling, en Norvège, était dans les esprits. Les forces de l’ordre ont donc décidé d’agir. Du 23 au 27 mai, les gendarmes ont procédé à 18 perquisitions dans la région de Montréal. Hugues Clément était en pleine réunion dans sa maison lorsque la police a cogné à sa porte. François Padulo était présent chez lui. C’est probablement ce qui explique qu’il existe encore une bonne description de cette descente policière. L’équivalent de six camions de matériel a été récupéré dans les différents raids[38]. Au Parlement, le ministre de la Justice a rapporté les saisies effectuées[39]. Onze dirigeants du PUNC ont été arrêtés peu après. La femme d’Adrien Arcand est venue s’enquérir de l’état de son mari et d’autres coaccusés le jour même où il a été emprisonné. Elle a aussi demandé le retour de 7565 $ appartenant à Noël Décarie, le trésorier du PUNC. Cette somme colossale pour l’époque a été retrouvée directement sur lui. Quelques mois plus tard, la GRC a été mise au courant d’une conversation entre un individu dont le nom a été censuré et l’épouse d’Arcand. Selon ce qui a été appris, l’argent devait servir à aider les futurs détenus. Le Parti savait manifestement que les arrestations étaient proches. Le jour des incarcérations, la Gendarmerie a aussi agi en Ontario et en Outaouais. Le 29 mai, huit perquisitions ont eu lieu à Cornwall, Eastview et Hull. Une liste de membres a été retrouvée chez Arthur Lebrun, à Cornwall. Les autorités ont par ailleurs attrapé Alexandre Brosseau alors qu’il s’apprêtait à détruire des preuves dans sa demeure. Les deux ont donc été arrêtés[40].

La GRC a récolté plusieurs renseignements grâce aux saisies. Il a été constaté que le recrutement avait bien perduré depuis les débuts de la guerre. Dans la seule région de Montréal, le Parti avait attiré 231 nouveaux membres de septembre 1939 à janvier 1940. Du 16 au 23 mai 1940, 72 personnes avaient postulé pour faire partie des troupes d’Arcand. La police a été en mesure d’établir une liste d’environ 3 000 adhérents du Parti. Elle estimait que 7 083 personnes étaient membres passés ou présents du PUNC. Un informateur a par ailleurs affirmé qu’Arcand avait été nommé Führer de l’Amérique du Nord par Hitler. Il disait aussi que le PUNC avait des plans pour tenir certains points clés de Montréal. Il a également rapporté que des partisans s’entraînaient pour rallier des positions stratégiques advenant un ordre d’Arcand[41].

Adrien Arcand et les autres dirigeants du Parti de l’unité nationale ont été arrêtés en vertu des articles 39 et 39A des Règlements concernant la défense du Canada. Ces articles rendaient illégale la propagande ou la distribution de matériel pouvant mener à la désaffection envers Sa Majesté, nuire à la discipline militaire ou être préjudiciable à la sécurité de l’État ou à la conduite de la guerre. Le 4 juin 1940, le cabinet des ministres a aussi adopté le décret 2363[42] qui modifiait les Règlements en interdisant plusieurs groupes et partis. Il prohibait autant le PUNC que le Parti communiste. Il a dès lors été possible d’accuser toute personne qui participait aux réunions, parlait en public ou distribuait des documents produits par une de ces organisations. Le 10 juin 1940, l’Italie a par ailleurs déclaré la guerre à la France et à l’Angleterre. Le jour même, les autorités canadiennes ont donc appréhendé plusieurs citoyens d’origine italienne. L’un d’entre eux était Angelo Dalle Vedove, chef de la section italophone du PUNC[43].

Adrien Arcand et dix de ses lieutenants ont été cités à procès. Le déroulement des procédures a été rapporté dans les journaux. Les biographes d’Arcand en ont donc parlé abondamment. Le procès a connu deux étapes à la Cour des sessions de la paix à Montréal. Il y a eu une remise le 5 juin, puis une enquête préliminaire le 19 juin. Lors de chacune des audiences, les policiers avaient un indicateur qui a rapporté l’état d’esprit des partisans venus soutenir les accusés. Dans les deux semaines qu’ont duré les procédures, quatre rapports ont décrit des rencontres entre François Padulo et des proches d’Arcand. Il a notamment discuté avec Yvonne Arcand et sa soeur[44]. Le dossier original du procès est aujourd’hui détruit[45], mais il peut être reconstruit à partir de divers fonds conservés à Bibliothèque et Archives Canada. De nombreuses lettres échangées avec des fascistes européens et états-uniens ont notamment été préservées[46]. Elles témoignent surtout d’envois de publications et de renseignements mineurs sur les avancées du fascisme. Quarante-quatre documents ont été déposés devant la cour. Après les avoir examinés, le juge s’est dit convaincu d’un complot. Il a ajourné le procès et a renvoyé la cause au procureur général du Québec, qui l’a transmise au ministre de la Justice du Canada. L’article 21 des Règlements donnait le pouvoir au ministre d’interner quelqu’un selon les modalités qu’il jugeait nécessaires. Il n’avait pas besoin d’une condamnation formelle devant un tribunal. Le ministre a donc signé un ordre d’internement pour Arcand et ses coaccusés[47].

L’internement des onze dirigeants du PUNC n’a pas fait cesser les enquêtes concernant d’autres membres. À Asbestos, des enquêteurs de la Johns-Manville ont décidé d’interroger les employés connus pour être sympathisants du mouvement. La plupart ont expliqué que les dirigeants dans la région étaient Rosaire Chabot, Camille Côté et Louis-Émile Loranger. C’est notamment cette enquête de la compagnie minière qui a mené la GRC à perquisitionner six demeures. François Padulo a aussi visité Asbestos le 29 juillet. Il a alors conversé longuement avec Albert Abdelahad. L’incarcération de ce dernier a donc été recommandée en plus de celle de Loranger, Chabot et Côté. Certains adhérents du PUNC ont été surveillés de près par la GRC, mais n’ont pas été internés rapidement. Gérard Lanctôt avait été identifié comme étant le dirigeant du PUNC à Valleyfield, après une visite de Padulo. Il a toutefois fallu une plainte d’un responsable de la sécurité d’une usine de munitions pour qu’il soit arrêté[48]. Environ 31 membres du PUNC ont été détenus durant la guerre[49].

La vie durant la guerre

Quelques études ont été consacrées aux principaux camps d’internement où ont séjourné les membres du PUNC[50]. Relativement peu d’information subsiste cependant sur leur vie en détention. Le major Maurice Scott a raconté son emprisonnement dans une série de lettres à sa fille Hélène. Le fonds PUNC acquis par Bibliothèque et Archives Canada en 2017 contient aussi de la correspondance envoyée par des internés à un partisan[51]. Du courrier intercepté a par ailleurs permis aux autorités de savoir que Fortunat Bleau a été le point de contact pour les détenus. Bleau est un des membres importants du Parti qui a conservé sa liberté durant le conflit. C’est lui qui s’est occupé de répondre aux demandes des internés qui pouvaient avoir des retombées sur les familles[52].

L’internement n’a pas empêché les contestations. Dès août 1940, Arcand et dix autres détenus ont demandé s’ils pouvaient faire appel. La situation a mené à un décret du Conseil privé, qui stipulait que les réclamations ne pouvaient s’effectuer qu’à huis clos devant un juge. Les internés avaient droit à un avocat[53]. La procédure a eu lieu devant le Comité consultatif sur les ordonnances de restrictions ou de détentions. D’après le compte rendu de l’audience, Arcand a globalement expliqué qu’il était effectivement chef du PUNC et qu’il avait bien correspondu avec divers fascistes étrangers. Il a dit ne pas regretter ses activités politiques et souhaiter les reprendre dès que possible. Le juge a donc recommandé de poursuivre l’internement[54]. Arcand a soumis deux autres demandes de révision, mais les autorités ont refusé de les entendre[55]. Il a aussi tenté de faire appel auprès d’un comité parlementaire chargé de revoir les Règlements concernant la défense du Canada. Il a proposé d’absoudre le PUNC, comme il n’y a jamais vraiment eu de jugement à son sujet. D’après les archives de la Chambre des communes, le Comité n’a toutefois pas donné suite à ces doléances. Il a par contre entendu plusieurs témoignages, notamment de communistes et de témoins de Jéhovah. Il a finalement recommandé de lever l’interdiction de certaines organisations[56]. Le gouvernement n’a cependant pas avalisé cette suggestion avant la fin du conflit mondial[57].

Les ennemis du Canada durant la guerre voyaient leurs avoirs saisis et administrés par le Bureau du séquestre des biens ennemis (BSBE). Aucun interné n’y a échappé. Dans les archives du BSBE, il existe de fait des dossiers sur tous les membres du PUNC qui ont été arrêtés, à l’exception d’Arthur Lebrun, de Cornwall. La plupart avaient peu de possessions et n’ont pas eu à transiger longuement avec le Bureau. Quelques cas ressortent quand même du lot. Albert Abdelahad était un vendeur itinérant et a dû céder tout son inventaire. Le BSBE a recherché les personnes à qui il avait fait crédit et les a fait payer. Hugues Clément était pour sa part copropriétaire d’une compagnie d’assurances fondée par son père. Le BSBE est devenu gestionnaire de ses actions. La situation a été plus simple pour Adrien Arcand. Un comptable a examiné ses possessions. Il a finalement expliqué qu’il n’avait rien de valeur. Dans une entrevue d’après-guerre, Arcand a raconté que sa femme a pu passer à travers le conflit en bonne partie grâce à l’aide d’amis. Elphège Deaudelin, propriétaire d’épiceries, lui fournissait des aliments[58]. Le fils aîné d’Arcand a aussi rejoint l’armée en 1944[59]. On peut donc supposer que la famille du chef fasciste n’a pas vécu la guerre dans la misère la plus totale. Il reste quand même que la vie des proches des internés a été difficile. Dans une réclamation d’après-guerre, la veuve de Maurice Scott a rapporté avoir dû vendre plusieurs biens à bas prix pour subvenir à ses besoins. Elle a retiré son fils de l’école, car les autres élèves le prenaient à partie. La famille a dû débrancher le téléphone parce qu’elle recevait des appels menaçants à toute heure du jour[60].

La police fédérale n’a pas cessé d’espionner les membres du Parti de l’unité nationale après l’internement de ses principaux dirigeants. En septembre 1941, une liste d’organisateurs du PUNC a été transmise à différents corps policiers dans la province pour qu’ils puissent être surveillés. Des gendarmes ont souvent visité des restaurants et salles de réunion où des propos contraires à l’effort de guerre avaient été entendus. Les recherches donnaient généralement peu de résultats. Une enquête a par exemple eu lieu sur diverses personnes à Saint-Eustache. Une discussion avec ces gens a montré qu’ils n’étaient pas des partisans d’Arcand, mais plutôt des lecteurs du Devoir opposés à la conscription. Dans un rapport, un officier a expliqué que ce n’était pas la première fois que l’interdiction de ce journal était recommandée. Les autorités savaient que des souscriptions étaient régulièrement organisées pour venir en aide aux internés et à leurs proches. Les sommes exactes des montants envoyés étaient souvent connues. En mai 1942 et en mars 1943, des perquisitions ont été effectuées chez certains des nouveaux dirigeants du PUNC. Ces raids ont permis de freiner la réorganisation du mouvement, notamment parce que des listes de membres ont été saisies. Selon ce qui a été noté, un des chefs a choisi de cesser ses activités politiques pour éviter la prison. Les policiers ont également épié Joseph Ménard, ancien collaborateur d’Arcand toujours actif. De 1940 à 1946, Ménard a en effet dirigé Le Bavard, un périodique humoristique qui ne cachait pas son antisémitisme[61].

Les internés membres du PUNC ont été libérés à différents moments au cours de la guerre[62]. La libération impliquait généralement certaines conditions. Les ex-détenus devaient notamment se présenter à la police chaque mois et annoncer leurs déplacements. Le docteur Joseph Napoléon Fortin l’a eu plus facile que les autres. Arrêté en juillet 1940, il a été libéré en 1943. Il est ensuite devenu capitaine dans l’armée[63]. Au début de 1945, il ne restait que quatre militants du PUNC encore incarcérés. La police a réfléchi à la manière de les libérer sans faire de vague. Arcand est sorti du camp le 3 juillet, en même temps que Gérard Poitras, un de ses lieutenants. L’État leur a payé le voyage en train vers Montréal et leur a fourni quelques rations pour manger jusqu’à leur arrivée. Ils ont été obligés de respecter les mêmes restrictions que leurs collègues[64]. Ces obligations ont cependant été levées le mois suivant, car les Règlements concernant la défense du Canada ont été révoqués le 16 août 1945[65].

L’après-guerre

La libération d’Adrien Arcand n’a évidemment pas plu à tous. Une véritable campagne pour qu’il subisse un procès a en fait eu lieu pendant plusieurs mois[66]. La police fédérale a donc décidé de revoir les preuves en sa possession pour déterminer les procédures envisageables[67]. Un avis juridique a ensuite été préparé. Il a expliqué qu’il était sans doute inopportun de poursuivre le chef fasciste[68]. C’était le cas d’abord parce qu’il ne pouvait pas être cité à procès en vertu de la Loi sur la trahison, puisqu’elle a été adoptée après son internement. Le délai de prescription était par ailleurs passé pour l’accuser de trahison à l’aide du Code criminel. Il aurait été possible de le poursuivre pour sédition, mais Arcand avait déjà été emprisonné le double de la sentence maximum prévue pour ce crime. La possibilité d’un nouveau procès pour Arcand a aussi été discutée au Parlement. Des députés du CCF ont posé des questions sur le sujet. Le ministre de la Justice a mentionné l’avis juridique et l’a déposé en Chambre pour clore le débat[69].

La fin de l’emprisonnement a été l’occasion pour Adrien Arcand de reprendre les réclamations qu’il avait entamées durant sa détention. Obtenir réparation est en fait un combat qui l’a occupé jusqu’à la fin de ses jours. Il a tenté de récupérer le matériel saisi lors des perquisitions. On lui a remis certains papiers, mais la police a détruit essentiellement tout ce qui pouvait servir à relancer le PUNC[70]. Divers documents ont tout de même été conservés. Les archives du SCRS contiennent encore aujourd’hui notamment un album de photos des années 1910 et 1920, ainsi que des journaux intimes[71]. Arcand a par ailleurs intenté deux procès. L’un a été mené en Cour de l’Échiquier. Il visait à obtenir dédommagement pour l’internement. En 1951, la cause a été ajournée sine die sans que les juges justifient leur décision[72]. Le chef fasciste a également essayé de rouvrir son procès criminel à partir de novembre 1948. L’avocat d’Arcand s’est alors adressé à la Cour des sessions de la paix, le même tribunal devant lequel les chefs du PUNC avaient subi leur enquête préliminaire en 1940. Huit ex-internés ont demandé leur acquittement, la destruction des empreintes et photos, ainsi que le retour des preuves. Dans son jugement, le juge a expliqué les pouvoirs conférés par les Règlements concernant la défense du Canada. Il a ajouté que plusieurs photos et documents avaient déjà été approuvés pour destruction en 1945. Il déclarait en conséquence n’avoir aucun pouvoir pour continuer les procédures. Une autre méthode utilisée par Arcand a été de s’adresser directement à divers ministres fédéraux. Au cours des années, il leur a fait parvenir une série de lettres. Les réponses ont toujours été négatives. La GRC a finalement recommandé d’ignorer les doléances, qui commençaient, selon elle, à ressembler à du harcèlement[73].

La Gendarmerie a continué à surveiller Adrien Arcand épisodiquement jusqu’à son décès. La police avait encore un bon informateur au sein du PUNC dans l’immédiat après-guerre. Celui-ci a assisté à plusieurs réunions. Il était parmi une trentaine de sympathisants qui ont visité Arcand à la fin juillet 1945, quelques semaines après sa libération. Selon ce qui a été rapporté, Arcand aurait reçu 2 000 $, récoltés par ses partisans, et plusieurs boîtes de tabac. La GRC a autrement rendu compte du fait que La clé du mystère, un des textes écrits par Arcand, commençait à être distribué en grande quantité. Les forces de l’ordre ont su que le « führer canadien » et Joseph Ménard continuaient à collaborer. Arcand contribuait au Bavard et son pseudonyme était « Leclair ». Un numéro du magazine L’Oeil a par ailleurs été analysé et il a été conclu qu’un de ses rédacteurs, Olivier Le Roy, était fort probablement un autre nom de plume du chef fasciste[74].

La surveillance policière a été moins importante dans les années 1950. La GRC a quand même été préoccupée par les rencontres entre Francis Parker Yockey et Adrien Arcand. Yockey était un fasciste américain actif à l’échelle internationale. Il a visité Montréal en 1951 et peut-être aussi à des dates ultérieures. Il était alors accompagné d’un peintre italien, Egidio Boschi. La Gendarmerie a été en mesure d’écouter plusieurs conversations entre les trois protagonistes, qui se réunissaient souvent dans des endroits publics. Les autorités ont aussi ouvert des lettres envoyées par Boschi. Elles ont réussi à faire des copies de notes laissées aux visiteurs états-uniens. Yockey a continué à préoccuper les autorités canadiennes au moins jusqu’en 1954[75]. Deux ans plus tard, un officier notait qu’il était devenu difficile d’obtenir un contact fiable à l’intérieur du PUNC. La police fédérale s’est tout de même abonnée à L’Unité nationale. Elle estimait que le journal était imprimé à environ 2000 exemplaires[76].

Durant les premières années de la décennie 1960, la police s’est contentée de produire un rapport annuel pour expliquer que l’ancien chef fasciste résidait à Lanoraie et ne menait plus d’activités politiques[77]. En 1963, Arcand a donné une entrevue à la télévision anglaise de Radio-Canada. Un policier a réussi à en obtenir la transcription même si cet entretien n’a jamais été diffusé[78]. La Gendarmerie a assisté à une quinzaine de réunions du PUNC de 1965 à 1967. Comme elle le faisait dans l’avant-guerre, la police produisait un rapport où elle résumait les thèmes et personnes connues lors des assemblées. De 30 à 350 sympathisants étaient présents à chacune d’entre elles. Un rapport a expliqué qu’Adrien Arcand visitait Fortunat Bleau tous les lundis et que Serviam était le nouveau périodique du Parti[79]. La plus importante des rencontres du PUNC dans l’après-guerre a eu lieu au Centre Paul-Sauvé, à Montréal, en novembre 1965, pour souligner les 25 ans depuis l’incarcération d’Arcand. Les autorités ont été surprises par l’ampleur de la célébration. Près de 800 personnes y ont assisté. Des indicateurs étaient dans l’assistance, mais n’ont pas été capables d’identifier la plupart des gens présents. Ce manque d’information a mené un policier à recommander plus de ressources pour surveiller les activités de l’extrême droite[80].

La dernière grande action publique du Parti de l’unité nationale avant la mort d’Arcand a concerné la Clé du mystère. En mai 1967, les journaux ont rapporté que des exemplaires du pamphlet avaient été transmis en grande quantité à plusieurs députés[81]. La GRC a vite fait enquête. Elle a su qu’environ 10 000 brochures avaient été imprimées en octobre et en novembre 1966. Elles avaient toutes été envoyées d’une boîte postale au nom de l’Alerte de l’Occident. Les gendarmes ont simplement cherché à qui appartenaient cet éditeur et la case postale. La maison d’édition était aux noms de Wilfrid Beauregard et de Léo Laberge. La boîte postale appartenait quant à elle à Beauregard et à Gérard Lemieux. Les trois individus ont donc été rencontrés en entrevue. La police a ainsi confirmé que le PUNC était derrière la campagne d’envoi[82]. Il n’y a eu aucune arrestation, mais le gouvernement a cessé d’offrir les services postaux à l’éditeur. Le ministre des Postes a déclaré à la Chambre des communes que l’entreprise ne pourrait plus livrer ou recevoir de matériel. Il a expliqué qu’il utilisait l’article 153 du Code criminel, lequel prohibait la transmission par la poste d’écrits injurieux et grossiers[83].

Adrien Arcand est décédé le 1er août 1967, quelques semaines après l’affaire « Alerte de l’Occident ». La GRC n’a pas cessé de surveiller le PUNC pour autant. La police a été mise au courant d’une dispute qui a éclaté entre Gérard Lemieux et Gérard Lanctôt. Les deux souhaitaient succéder à Arcand à la tête du Parti. Les informations provenaient probablement d’un indicateur dont il est impossible de connaître l’identité. Cet individu a transmis des renseignements très intimes sur le conflit. La querelle a eu pour prétexte les finances d’Yvonne Arcand, devenue veuve d’Adrien. Le différend a mené à une scission. En mars 1968, Lemieux a annoncé la fondation du Parti de l’unité sociale du Canada. Cette organisation a publié son propre journal, L’Avant-garde nationale. Les deux factions ont par la suite tenu des réunions séparées. L’année suivante, un officier expliquait que Fortunat Bleau était probablement le nouveau théoricien du PUNC. Les forces de l’ordre se sont désintéressées des deux partis peu après. En 1971, elles ont affirmé que les rencontres ne réunissaient plus que quelques personnes. Gérard Lanctôt était devenu plus calme après l’arrestation de son fils Jacques, felquiste notoire. Les policiers expliquaient que le Parti de l’unité nationale ne serait plus trop suivi, comme les activités des membres concernaient alors davantage la religion que la politique. Il y a bien eu quelques mises à jour irrégulières, mais plus aucun effort important n’a été déployé envers les partisans d’Arcand[84]. Le PUNC a pourtant mené d’autres combats. Lanctôt et Lemieux se sont réconciliés.

* * *

Avec les années 1970 s’achevaient donc plusieurs décennies d’espionnage du plus important mouvement d’extrême droite qu’a connu le Canada. Loin du laisser-aller sous-entendu par certains historiens, le gouvernement s’est montré inquiet de l’influence du fascisme avant la guerre. Plusieurs ressources ont été consacrées au fil du temps pour surveiller les organisations dirigées par Adrien Arcand. On sait qu’une grande quantité de fascistes étaient connus des policiers avant la fondation du PUNC. Les activités du Parti national social chrétien étaient donc suivies de près. La GRC avait plusieurs sources de renseignements qui lui ont permis de connaître le fonctionnement des troupes fascistes canadiennes. Elle avait accès aux cercles intimes du PUNC, probablement par l’entremise de François Padulo. Ce sont ces informations qui ont permis l’arrestation d’une trentaine d’individus liés au Parti. C’est en fait moins dans l’avant-guerre que dans l’après-guerre qu’on peut constater un certain relâchement dans l’infiltration du Parti de l’unité nationale par les forces policières. Dans les années 1950, les autorités se sont inquiétées de ne plus avoir de sources pour suivre les activités internes du Parti. Il y a toutefois eu un certain regain d’intérêt quand les partisans d’Arcand ont mené diverses actions dans les années 1960.

La GRC a par ailleurs épié une grande variété de groupes et d’individus au cours de son histoire. Autant des fascistes, des communistes, des pacifistes, des environnementalistes que des indépendantistes ont retenu l’attention de la police fédérale. En 1967, année de la mort d’Arcand, il semble que la Gendarmerie royale avait des dossiers actifs sur 48 000 individus et 6 000 organisations[85]. De nombreux chercheurs ont mené des études à partir des archives de la GRC, maintenant conservées à Bibliothèque et Archives Canada. La recherche sur la Gendarmerie a cependant encore peu intéressé les historiens francophones[86]. Les sources gouvernementales permettent pourtant de documenter des mouvements qui ont laissé peu d’archives. Il n’existe toujours pas à ce jour une bonne histoire de la surveillance des mouvements souverainistes, même si certains ont abordé le sujet[87]. L’espionnage d’autres groupes d’extrême droite, comme le Canadian Nazi Party de John Beattie, reste aussi à étudier.