Dossier : La représentation en Nouvelle-FranceArticles

Étienne Verrier, ingénieur en chef de l’île Royale (1724-1745) : harmoniser les ambitions sociales, la gestion du territoire et les représentations monarchiques en milieu colonial[Record]

  • Agueda Iturbe-Kennedy

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  • Agueda Iturbe-Kennedy
    Université Laval
    Université Paris IV Panthéon-Sorbonne

L’entreprise de colonisation suppose l’installation de l’autorité conquérante dans un nouveau territoire. Après les formalités initiales de prise de possession qui signifient la mainmise juridique, politique et économique du conquérant, il s’impose d’assurer une bonne gestion du territoire. C’est alors que l’ingénieur joue un rôle primordial : il maîtrise les outils de découverte et de description du territoire (arpentage et cartographie), mais aussi ceux visant à assurer la bonne distribution et la défense des peuples (art de la poliorcétique, distribution des villes, architecture). Évoquer la figure de l’ingénieur colonial d’Ancien Régime revient à invoquer des figures marquantes telles que Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry pour Québec, Adrien Pauger pour la Louisiane, François Blondel et Amédée-François Frézier pour les Antilles. Or, une incursion dans les Archives nationales d’outre-mer met rapidement en lumière la masse documentaire disponible pour l’île Royale (île du Cap-Breton) et en particulier pour l’établissement de Louisbourg. Trois ingénieurs français s’y succédèrent entre la fondation du site en 1713 et son démantèlement par les Anglais en 1760. Jean-François du Verger de Verville posa les fondations et conçut les fortifications et les casernes du bastion du Roi à titre de directeur des fortifications jusqu’à son rappel en France en 1725, Étienne Verrier prit la relève en tant qu’ingénieur en chef de l’Île Royale entre 1724 et 1745, enfin, Louis Franquet rétablit les défenses de l’île Royale et de la Nouvelle-France de 1750 à 1758. Depuis les recherches entreprises par Anne Blanchard sur les ingénieurs militaires français d’Ancien Régime dans les années 1980, l’historiographie portant sur la formation, l’oeuvre, et les réseaux des ingénieurs métropolitains s’est développée. Elle a été suivie notamment par une réflexion collective sur la figure de l’ingénieur colonial au tournant du millénaire. La méconnaissance de l’oeuvre des ingénieurs de l’île Royale découle quant à elle en grande partie de la destruction du site après 1760, évènement qui a limité la mise en place d’une histoire locale qui aurait contribué à la mise en valeur des fondateurs et bâtisseurs de Louisbourg. La reconstruction de la forteresse dans les années 1960 sous l’instigation du gouvernement fédéral a toutefois relancé l’intérêt pour ce site, notamment par l’entremise des résultats des fouilles archéologiques. Les ingénieurs de l’Île Royale ont alors fait l’objet de réflexions ponctuelles dans l’historiographie du site. Plus récemment, c’est dans la continuité des études portant sur le sculpteur, Christophe Veyrier qu’une exposition, accompagnée d’un catalogue, a été consacrée à son fils, Étienne Verrier. Nous proposons, à travers l’exemple d’Étienne Verrier, artisan de la transformation urbaine de Louisbourg pendant deux décennies, entre 1724 et 1744, d’étudier la figure de l’ingénieur comme maître d’oeuvre de représentations plurielles (individuelle, étatique et symbolique). Ainsi, une première partie biographique situera l’ingénieur dans ses réseaux français et coloniaux en insistant sur la représentation de son statut dans la société coloniale. Une seconde partie décrira son travail de directeur des fortifications et de l’aménagement de l’espace intra-urbain pour mettre en lumière les stratégies de représentation dans les territoires conquis. Enfin, la dernière partie traitera de son projet d’aménagement de l’entrée portuaire. Nous insisterons alors sur le volet symbolique de l’installation coloniale pour démontrer que Verrier dessine le portrait fluvial de Louisbourg sous couvert d’une poétisation du territoire, qui participe à l’écriture d’un mythe de fondation de la ville et vise à laisser une trace pour la postérité. Né à Aix-en-Provence le 4 janvier 1683 d’un père maître sculpteur issu d’une lignée d’artisans exploitant une carrière de marbre jaspé à Trets, Étienne Verrier a vraisemblablement reçu une formation artistique approfondie. Son père, décédé en 1689 alors qu’Étienne avait six ans, …

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