Dossier : Francofugies et francopétiesArticles

Groix, la Bretagne et la France : les trajectoires fugipétiques d’une île bretonne, 1870-1940[Record]

  • Alban Bargain-Villéger

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  • Alban Bargain-Villéger
    Université York, Toronto

Dans la perspective d’une analyse fugipétique, le cas de la Bretagne fait figure de « suspect de convenance ». En effet, la pérennité de la langue bretonne, malgré son déclin au cours du xxe siècle ; la visibilité du mouvement autonomiste dans ses multiples variantes ; et l’exotisation, par les médias, de la culture et du folklore bretons (chosifiés, et souvent réinventés) ont inspiré de nombreux ouvrages et continuent d’ouvrir des pistes prometteuses pour qui s’intéresse à la question des identités régionales et aux relations entre « centres » et « périphéries » en France. Cependant, l’histoire de cette région a souvent été pensée au travers du prisme de la dualité. Qu’on évoque la Guerre de Cent Ans ou celle de la Ligue, l’opposition entre chouans et républicains (« blancs » contre « bleus »), les contrastes entre urbanité(s) et ruralité(s), les différences entre bretonnants et non bretonnants, ou les conflits entre Église et anticléricaux, les études sur la Bretagne ont longtemps reposé sur un socle binaire. Cela est dû en partie à l’ouvrage précurseur d’André Siegfried, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, qui établit la dichotomie côtes-intérieur des terres comme paramètre de base des études sur la société et la politique en Bretagne. Néanmoins, depuis les années 1970, de nombreux spécialistes, comme Alain Croix et Gérard Le Bouëdec, ont nuancé cette approche et apporté de nouvelles manières, plus multiprismiques, d’étudier la Bretagne. Cette étude, qui traite de l’île de Groix entre 1870 et 1940, s’inscrit totalement dans cette tradition de la pluralisation des Bretagnes. À notre époque où peu de sujets restent inexplorés, les îles bretonnes et leur relation au continent (qu’il soit vu comme breton ou français) restent relativement négligées. Alors que de nombreux articles et livres existent sur ce thème, les îles bretonnes ont rarement été analysées comme appartenant à une catégorie sui generis, distincte de la sacro-sainte dichotomie entre la ville et la campagne. Pour ce qui concerne Groix, la majorité des ouvrages publiés se confinent à des approches exclusivement descriptives. Bien que souvent impressionnantes par la masse d’informations qu’elles contiennent, ces études négligent de poser des questions de fond, telles celles liées à l’insularité, l’identité, et l’importance des ruptures et des continuités. Cet article n’a pas pour seule motivation de combler un manque dans l’historiographie de Groix. Il s’agit ici d’identifier la nature des transformations identitaires que connut l’île à une période de centralisation et de francisation. De par sa nature, son histoire, et l’existence de deux régions distinctes sur sa surface, Groix offre un exemple marquant de francopétie nuancée. Ce dernier concept, que l’on pourrait définir succinctement par un état d’acculturation incomplet et (dans ce cas) synthétique, atteignit son apogée entre les années 1890 et la fin des années 1930. En effet, alors que, dès le tournant du siècle, tout portait à croire à l’inévitable francisation linguistique et culturelle des îliens, Groix connut un processus de (ré-) invention de sa tradition. Selon Eric Hobsbawm, une « tradition inventée » consiste en Ici, l’argument d’Eric Hobsbawm est particulièrement adéquat, dans la mesure où le désenclavement de Groix et la disparition progressive de la langue bretonne n’ont pas donné lieu à l’effacement complet de la culture locale, mais à sa réinvention partielle, et même à son hybridation. Dans le cas présent, donc, la « continuité avec un passé historique acceptable » doit être pluralisée. En effet, pendant la période qui s’étend de 1870 à 1940, l’identité groisillonne se transforma au point de devenir une synthèse d’allégeance à un mode de vie plus …

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