Dossier : Le projet du bilinguisme canadien : histoire, utopie et réalisationArticles

« Redonner à la langue française sa place normale » : déploiement d’une réflexion critique sur le bilinguisme chez Joseph-Papin Archambault, s.j. (1917-1922)[Record]

  • Harold Bérubé

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  • Harold Bérubé
    Université de Sherbrooke

Le bilinguisme comme enjeu politique est surtout associé, avec raison, aux années 1960 et aux grandes manoeuvres qui amènent le gouvernement fédéral à légiférer sur cette question à la toute fin de la décennie. Les évènements qui conduisent à l’adoption de la Loi sur les langues officielles (1969) s’inscrivent toutefois dans le temps long et sont, jusqu’à un certain point, l’aboutissement de conflits, de tensions et de réflexions qui s’accumulent aux quatre coins du Dominion depuis la fin du XIXe siècle, voire depuis sa création. Dans cet article, je propose de remonter en amont du bilinguisme comme projet politique fédéral pour me pencher sur l’un de ceux qui contribuent à l’articulation d’une réflexion critique sur la question au début du XXe siècle, le jésuite Joseph-Papin Archambault. Dans leur synthèse sur la langue et la politique au Québec et au Canada, Marcel Martel et Martin Pâquet parlent d’un « régime de l’accommodement mutuel » pour décrire la période qui précède la Seconde Guerre mondiale. Selon eux, ce régime ne s’effritera qu’après 1945. Ils soulignent toutefois que, bien avant cette date, le pays connaît des « secousses linguistiques » qui le mettent à mal. Les premiers écrits d’Archambault s’inscrivent résolument dans ce contexte. Dans une série de textes publiés sous le pseudonyme de Pierre Homier entre 1912 et 1922 dans Le Devoir et L’Action française, le jeune jésuite s’intéresse d’abord à la situation linguistique dans le secteur commercial montréalais, pour ensuite étendre ses observations à l’ensemble du pays. C’est aux textes qu’il publie à partir de 1917 dans la revue nationaliste que je m’intéresserai ici. Dans un texte sur les origines de l’Action française, origines auxquelles Archambault est intimement lié, il écrira que ses associés et lui s’étaient donné comme objectif de « redonner à la langue française […] sa place normale ». Dans les pages qui suivent, mon objectif est de déterminer quelle est exactement cette place selon lui. Je démontrerai qu’à travers ses textes, il articule une réflexion critique sur le bilinguisme qui fait ressortir une tension entre volonté d’accommodement et remise en question du régime linguistique en vigueur à Montréal et dans le reste du Canada, et entre les contraintes qu’imposent le rapport de force et la culture politique du moment, d’une part, et les aspirations nettement plus ambitieuses que semble entretenir le jésuite, d’autre part. Je démontrerai enfin que si cette réflexion prend racine dans le contexte montréalais, qui représente à bien des égards une sorte de microcosme linguistique du Canada, elle se déploie ensuite plus largement à l’ensemble du pays. Ce déploiement progressif d’une réflexion d’abord ancrée dans le local et l’urbain à l’ensemble du pays est certainement quelque chose qui distingue nettement les propos d’Archambault de ceux de plusieurs de ses alliés de l’époque. Pour en arriver là, je propose d’abord une brève mise en contexte historique et historiographique d’Archambault et de ses écrits des années 1917-1922. Ensuite, mon exposé sera organisé de manière géographique : en respectant autant que possible l’ordre chronologique des publications d’Archambault sur la question linguistique, je me pencherai d’abord sur celles qui traitent des racines montréalaises de la réflexion du jésuite, pour ensuite m’intéresser à la façon dont cette pensée se déploie à l’extérieur de la métropole pour traiter de la situation dans les régions du Québec et dans les autres provinces du Canada. Enfin, j’examinerai sa vision du rôle et des politiques du gouvernement fédéral et la place qu’occupent, dans la pensée d’Archambault, les principaux pôles internationaux auxquels se réfèrent les intellectuels canadiens-français de la première moitié du XXe siècle. Joseph-Papin Archambault est une figure …

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