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« Oui, un catéchisme. Et pourquoi pas ? » : Poétique littéraire du Catéchisme des électeurs (1935 et 1936)[Record]

  • Jonathan Livernois

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  • Jonathan Livernois
    Département de littérature, théâtre et cinéma, Université Laval
    Directeur de l’Espace De Saint-Denys-Garneau

Le 15 février 1978, à Radio-Canada, est diffusé le second épisode de la télésérie Duplessis, réalisée par Mark Blandford et scénarisé par Denys Arcand. À la veille des élections générales de 1936, le chef de l’Union nationale, Maurice Duplessis (interprété par Jean Lapointe), discute avec son organisateur politique Édouard Masson (interprété par Jean Perrauld) : Ce document n’est pas le fruit de l’imagination d’Arcand : il s’agit bel et bien du Catéchisme des électeurs. D’après l’oeuvre de A. Gérin-Lajoie. Édition de 1936, publié par J.-B. Thivierge & fils. Il a été écrit par l’organisateur politique Édouard Masson, mais également par des figures importantes du milieu journalistique montréalais : le journaliste du Devoir (et ami de Duplessis) Louis Dupire ; Roger Maillet, copropriétaire (1920-1964) du Petit journal, un hebdomadaire du week-end, conservateur et populiste ; Louis Francoeur, journaliste et rédacteur en chef de L’Illustration en 1934-1935. Francoeur participe aussi à la vie littéraire canadienne-française : ancien bénédictin, séjournant en France pendant la Première Guerre mondiale, il participe à son retour à l’École littéraire de Montréal et écrit, avec Philippe Panneton (mieux connu sous le pseudonyme de Ringuet), un célèbre recueil de pastiches littéraires. Littératures… à la manière de…, publié initialement en 1924, qui sera réédité à quelques reprises. On y pastiche, entre autres, Henri Bourassa, Lionel Groulx, Camille Roy, Paul Morin et Édouard Montpetit. La rédaction et la publication d’un Catéchisme des électeurs par des acteurs de la vie littéraire canadienne-française pourrait justifier ce qui ne semble être, du moins au premier abord, qu’une simple question de curiosité : et si un tel texte, reconnu comme un document historique, débattu en son temps, lu et relu (souvent cité en chambre, on le verra, contre le gouvernement Duplessis) par la suite (devenant même l’un des fils narratifs d’un documentaire de Denys Arcand), pouvait aussi se lire comme un document littéraire ? L’idée n’est pas saugrenue : le théoricien littéraire Gérard Genette, dans Fiction et diction, rappelait l’existence de ces textes dont le statut littéraire est conditionnel, clignotant selon les lecteurs et les époques, participant d’une « littérature non fictionnelle en prose », regroupant « Histoire, éloquence, essai, autobiographie, par exemple, sans préjudice de textes singuliers que leur extrême singularité empêche d’adhérer à quelque genre que ce soit ». Que gagnerait-on à lire Le catéchisme des électeurs en s’attachant à ses aspects littéraires, qu’il s’agisse du choix générique du catéchisme, de la pluralité des voix dans le « récit », de ses ressorts dialogiques et de l’inscription de référents littéraires dans le texte même ? Y verrait-on des caractéristiques que l’histoire politique aurait mal vues ? C’est le pari que nous tenons ici. D’autant que la littérarité d’un texte, fût-elle conditionnelle, engendre un effet que le discours politique ne cherche surtout pas à créer : la polysémie et la mise en relief, par l’épaisseur du langage qui n’est plus dès lors qu’une courroie de transmission pour le message politique, d’une « sémantique » commune aux discours d’une même époque. L’étude de la poétique littéraire de la politique ouvre la porte à une meilleure compréhension de ce « socle épistémologique commun », pour reprendre les mots de Michel Foucault, de ce qui pourrait être le trait commun entre des textes littéraires ou non. Tous ces traits littéraires, dans un texte politique, engendrent également une sorte de surcroît de sens, qui peut renforcer – ou miner – le message politique que l’on tente de faire passer. Dans un contexte où il s’agit d’illustrer, de défendre ou de dénoncer une idéologie, la pluralité, la polysémie disions-nous, peut déjouer les intentions …

Appendices