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Toponymies politiques : les luttes pour nommer et renommer[Record]

  • Charles Dudemaine

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  • Charles Dudemaine
    Étudiant à la maîtrise en histoire, Université du Québec à Montréal

En 2016, les polémiques associées au retrait du nom de Claude Jutras de l’espace public et à l’inauguration du parc Jacques-Parizeau, auparavant connu en tant que parc Vimy, nous ont incités à étudier le rapport entre usage du passé et représentations symboliques dans la toponymie québécoise. Le 13 septembre 2017, Denis Coderre, maire de Montréal, annonçait un autre changement toponymique : Amherst « va prendre le bord. Out ! » Alors que nous assistons à la remise en question de la présence de monuments commémoratifs controversés dans l’espace public, nous sommes d’avis que la discipline historique doit prendre part à cette discussion. Dans un premier temps, nous procéderons à une succincte recension des écrits concernant le geste politique qu’est la dénomination de lieux publics. Puis, suivra une analyse de cinq cas emblématiques de ce type de débat au Québec : la rue Amherst, la station de métro Lionel-Groulx, le boulevard René-Lévesque, la tentative de renommer l’Avenue du Parc en avenue Robert-Bourassa et le parc Jacques-Parizeau. Ces choix reposent uniquement sur la notoriété publique des débats relatifs à ces lieux. L’étude de ces cas, appuyée sur l’historiographie, nous permet de classer les fondements des controverses toponymiques selon deux catégories : la résurgence d’un passé irrésolu et la lutte mémorielle. Nommer un lieu relève d’un acte symbolique fort. Il s’agit d’inscrire l’équivalent d’une prise de possession du réel dans le champ de l’imaginaire collectif. Celui-ci comporte les représentations sociales de divers groupes aux vues potentiellement opposées, voire antagonistes. À ce sujet, Denise Jodelet affirme que les représentations « […] nous guident dans la façon de nommer et définir ensemble les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur égard et la défendre ». La dénomination de lieux implique un rapport de force entre différents groupes composant une société, s’adonnant à une « lutte de représentations dont l’enjeu est toujours de faire reconnaître leur identité ». Ces controverses relatives à la toponymie d’un lieu extirpent l’histoire de son confort académique. Si l’historien, comme le recommande Yves Gingras, doit procéder à une distanciation de son sujet d’étude afin de le refroidir et de l’objectiviser, il en est autrement pour le citoyen et le politicien. Eelco Runia mentionne que les commémorations doivent accorder aux sociétés l’occasion de procéder à une introspection, à faire face à certains éléments troubles du passé. La véritable commémoration n’occulte pas la participation humaine dans les actions du passé et implique une prise de conscience. Dans le même ordre d’idée, Anita Kasabova mentionne que « the conscious and personal memory of past actions and events, is a retroactive reconstruction of the past and that what is transmitted is the sense of these actions and events ». Quant à l’historien H.V. Nelles, il propose de concevoir la commémoration comme une entreprise d’édification nationale (nation building). Nous ne pouvons donc éluder l’aspect politique et conjoncturel de l’entreprise toponymique, actualisant l’histoire à diverses fins. Comme l’indiquent Siegfried Heimann et Claudie Weill dans un article sur l’usage politique du symbole en Allemagne réunifiée, « il n’y a pas de système politique qui ne repose que sur des principes rationnels et qui soit dénué de toute connotation symbolique ». Des études en provenance de diverses disciplines analysent les modifications toponymiques et ce sujet gagne en popularité. Wale Adenbanwi démontre les différentes fonctions exercées par la dénomination d’une rue : « Streets are sites of hegemony and counter-hegemony, of inclusion and exclusion, of incorporation and expulsion, and of cooperation or conflict. » L’auteur relate que la …

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