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Ginette Chenard, Le Sud des États-Unis. Rouge, Blanc, Noir, Québec, Septentrion, 2016, 664 p.[Record]

  • Godefroy Desrosiers-Lauzon

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  • Godefroy Desrosiers-Lauzon
    Département d’histoire, UQAM

Titulaire d’un doctorat en science politique, déléguée du Québec à Atlanta, et coprésidente de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM, Ginette Chenard situe d’emblée ce livre selon trois intentions : comme point de vue sur une région « largement méconnue » informé par l’expérience de terrain de son auteur, comme ouvrage scientifique structuré par une importante littérature, et comme une clé nécessaire à la compréhension des États-Unis contemporains. L’ouvrage atteint ces objectifs, et s’avère une contribution importante (et en français !), à notre compréhension de l’histoire et de la politique étatsunienne. Un exemple suffira : publié avant l’élection historique de novembre 2016, ce livre en explique le résultat imprévu. Sans l’anticiper bien sûr. D’entrée de jeu, l’auteure propose de démythifier cette région, méconnue au Québec par effet de la distance, de la familiarité avec ses plages, et de ce répertoire d’images et préjugés dont Autant en emporte le vent demeure la manifestation la plus visible. Pour illustrer à quel point « le Sud a changé », l’introduction présente la région d’Atlanta comme l’histoire de deux villes qui cohabitent difficilement, entre passé et avenir, entre centre et périphérie, surtout entre Afro-américains et Blancs. Le lecteur pressé aurait pu craindre que l’auteure se soit approprié le langage des chambres de commerce. Il n’en est rien : tout au long, dès le portrait d’Atlanta, son travail de démythification s’attaque aussi à cette mythologie du Nouveau Sud, et propose en six chapitres une analyse critique de l’identité et de la politique de la région. Le corpus scientifique mobilisé ici a pour point de départ le rôle disproportionné joué par la région dans l’histoire et la politique des États-Unis. S’il était grossier de résumer la littérature politique sur le Sud à un débat sur l’exceptionnalisme régional, cette question soutient la partie la plus importante de l’analyse proposée, d’abord tributaire de l’ouvrage du politologue Valdimer Orlando Key, Southern Politics in State and Nation, publié pour la première fois en 1949. Puis, les héritiers de Key mis à contribution par l’auteure incluent les ouvrages sur le fédéralisme étatsunien du politologue Daniel J. Elazar, et ceux de David Woodard, Merle Black et Earl Black sur la politique sudiste. Au grand plaisir de ce lecteur-ci, les historiens cités ici incluent Orville Vernon Burton, C. Vann Woodward, James C. Cobb, et Dan T. Carter. Les références littéraires incluent Tennessee Williams et William Faulkner, mais le plus militant des auteurs sudistes, le plus utile ici — l’auteure en conviendra — est Robert Penn Warren. L’auteure se positionne fermement dans le camp exceptionnaliste, comme en témoigne sa lecture des ouvrages qui tentent de le réviser, notamment le Myth of Southern Exceptionalism (2010) dirigé par Lassiter et Crespino. La question n’est pas qu’académique : depuis que le Sud a acquis son identité unique, depuis au moins les débats relatifs à la Constitution de 1787 (eux-mêmes teintés par le particularisme de l’esclavage), l’exceptionnalisme du Sud est débattu et approprié de tous côtés. Ce débat a été ravivé la dernière fois en 2015 à la suite de la tuerie de Charleston. Historiens et experts sont alors intervenus dans les médias : à quoi et à qui sert l’exceptionnalisme du Sud ? Selon l’historien James Cobb, le Sud joue souvent un rôle de repoussoir commode, de parent pauvre rituel aux yeux d’une certaine idéologie régionale nordique, ce qui permet d’ignorer le racisme et les inégalités du Nord. Ginette Chenard ne cherche pas à expliquer les travers des États-Unis par ceux du Sud. Cependant son argumentaire général fait la part belle à l’exceptionnalisme. C’est ainsi que nous …

Appendices