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L’inertie bienveillante comme mode de gouvernance : l’exemple ontarien de l’accès aux soins de santé mentale en français[Record]

  • Mathieu Arsenault and
  • Marcel Martel

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  • Mathieu Arsenault
    Université York

  • Marcel Martel
    Université York

En scandant « Montfort fermé ? Jamais ! » lors d’un rassemblement à Ottawa en mars 1997, les 10000 opposants à la fermeture de l’Hôpital Montfort sont loin de penser que plus de quatre années vont s’écouler avant le règlement de cette crise. Au contraire, ils croient que cette vaste mobilisation fera fléchir le gouvernement ontarien de Michael Harris. Ces Franco-Ontariens font alors de l’accès à des services de santé en français, y compris des soins de santé mentale, leur cheval de bataille. Ils réagissent à la recommandation de la Commission de restructuration des soins de santé de l’Ontario du 24 février 1997 de fermer le seul hôpital de langue française de la province qui offre des services en santé mentale depuis 1976. Les lettres, les pétitions, les manifestations dans la rue et les rassemblements ne suffisent pourtant pas à forcer le gouvernement ontarien à intervenir pour sauver l’hôpital. Le pouvoir citoyen se bute à l’indifférence du gouvernement provincial. En portant la cause de Montfort devant les tribunaux, les organisateurs de SOS Montfort déplacent le champ de bataille dans la sphère juridique. C’est finalement cette stratégie qui porte fruit, puisque le jugement prononcé par la Cour divisionnaire de l’Ontario de 1999, ainsi que celui de la Cour d’appel de l’Ontario deux ans plus tard, forcent le gouvernement à reculer. Pourtant, cette victoire rappelle que les gains obtenus par les Franco-Ontariens en matière de soins de santé mentale demeurent faibles. Relativement modestes, ces avancées soulèvent la troublante question des facteurs responsables de la lenteur de l’État à agir dans ce dossier. Après tout, un Franco-Ontarien qui ne peut accéder à des soins de santé dans sa langue constitue un déni de droits. Pire encore, la communication entre un patient et les professionnels en santé mentale est cruciale. Si cette communication est limitée par la capacité du patient à s’exprimer en anglais ou celle des professionnels de la santé à comprendre le français, le diagnostic et le traitement s’en trouvent compromis. Cet article explore les facteurs expliquant la lenteur de l’État ontarien à agir dans le dossier de la santé mentale en français. Nous qualifions de lenteur l’action étatique, car ce dossier entre dans l’espace public dès le milieu des années 1970, avec la création de la commission d’étude sur les soins de santé présidée par le docteur Jacques Dubois, et le dépôt de son rapport en 1976. Pourtant, le manque de soins en santé mentale en français caractérise encore la réalité des Franco-Ontariens lors de la crise de l’Hôpital Montfort déclenchée par l’annonce de sa fermeture en 1997. À ce moment, il y a déjà une trentaine d’années que les Franco-Ontariens revendiquent et que l’État étudie cette question qui, à bien des égards, demeure toujours d’actualité ; si bien qu’il est à se demander si ce dernier fait preuve de ce que nous qualifions « d’inertie bienveillante ». Ce nouveau concept que nous proposons comme cadre d’analyse de l’action étatique s’inspire d’un article de Peter Marcuse portant sur le développement d’une politique d’habitation aux États-Unis. Dès les années 1970, Marcuse a utilisé l’expression d’État bienveillant pour qualifier le désir de l’État d’agir afin d’améliorer les conditions sociales. Il note par ailleurs que les efforts étatiques n’aboutissent pas en raison d’un manque de connaissance, de l’incompétence bureaucratique, d’un manque de courage ou encore de la mesquinerie et de l’égoïsme des groupes d’intérêt dans la poursuite de leurs objectifs. Nous accolons à cette bienveillance étatique la notion d’inertie, terme qui est défini comme un « manque d’énergie, d’initiative, d’activité, de mouvement ». En même temps, …

Appendices