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René Hardy, Charivari et justice populaire au Québec, Québec, Septentrion, 2015, 288 p.[Record]

  • Mikael Dumont

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  • Mikael Dumont
    Doctorant en histoire à l’Université de Montréal

Avec ce livre, l’historien René Hardy pose les véritables premiers jalons sur le rituel populaire du charivari dans l’historiographie québécoise. Sujet amplement étudié en Europe, mais peu de ce côté-ci de l’Atlantique, le charivari existe en sol québécois depuis la fin du XVIIe siècle et perdure jusqu’aux années 1960. L’objectif de Hardy est de présenter l’évolution de ce rituel commun de justice populaire qui est employé habituellement à l’écart des principales institutions de pouvoir et qui est, en conséquence, la source d’une lutte pour son contrôle. Il s’agit donc plus d’une histoire de sa répression par « les représentants de l’Église et de l’État pour faire triompher les valeurs bourgeoises de promotion des libertés individuelles et de respect de la vie privée qui se traduisent concrètement par la protection des propriétés et la défense de l’ordre sur la place publique » (p. 12). Selon Hardy, ce ne sont pas les mécanismes d’interdiction mis en place par les autorités, mais bien ces idées de liberté individuelle et de vie privée qui, en gagnant de plus en plus d’adeptes au sein des classes populaires au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, réussissent à faire disparaître progressivement la légitimité et l’acceptation sociales qui sont accordées au charivari. Il fonde son argumentation sur un corpus imposant d’un peu moins de deux cents charivaris qui se répartissent majoritairement entre les années 1800 et 1934 et qui sont issus en grande partie d’archives judiciaires, mais aussi de journaux, de monographies paroissiales spécialisées, d’études de folkloristes, d’archives religieuses et d’enquêtes orales. En premier lieu, Hardy présente l’origine du rituel populaire en Europe en montrant qu’il évolue différemment d’un pays à l’autre et qu’il prend certaines couleurs locales dans son appellation et dans sa manière de se déployer. Toutefois, sa fonction reste toujours de corriger des infractions de nature domestique ou publique. Il se transpose ensuite au Canada et aux États-Unis par l’entremise des premiers immigrants français et anglais. Hardy prend également le temps de présenter les autres formes de justice populaire non ritualisées qu’utilisent les Canadiens pour défendre les valeurs communautaires ou les intérêts individuels. Il s’agit par exemple de la chanson injurieuse ou humiliante, de la dénonciation judiciaire, de la tonte de la crinière et de la queue d’un cheval, de la coupe des cheveux d’une femme ou de la démolition de maison. Par la suite, grâce à l’apport de la nombreuse documentation issue des archives judiciaires, Hardy illustre que contrairement à son image traditionnelle, le charivari ne s’avère pas uniquement un mécanisme festif et amusant de régulation des unions matrimoniales visant à punir des mariages mal assortis. En effet, il peut aussi être une manifestation violente. La version festive et inoffensive est plus fréquente et est habituellement acceptée de gré ou par défaut par les victimes, car elle permet leur réinsertion sociale à la fin du rituel. De son côté, la version cruelle et violente cherche à exclure physiquement ou moralement une ou des personnes de la communauté par la destruction de leurs possessions matérielles. Par contre, malgré des conclusions et des objectifs qui sont différents, ces deux versions mettent en scène le plus souvent la même trame, car parmi toutes les formes que peut prendre le charivari, un modèle en particulier s’est transféré de la France vers le Québec. Si le charivari violent se fait aussi parfois en course ou en poursuite, la plupart du temps, tout comme sa version festive et inoffensive, il se déroule en cinq étapes successives : annonce du charivari pour rassembler la communauté, musique dissonante en guise de dérision, gestes d’intimidation pour forcer …