Hors-dossierRecensions

Mylène Bédard, Écrire en temps d’insurrections : pratiques épistolaires et usages de la presse chez les femmes patriotes (1830-1840), Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2016, 335 p.[Record]

  • Micheline Lachance

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  • Micheline Lachance
    Historienne, Auteure du Roman de Julie Papineau

N’en déplaise à l’historien Allan Greer, les femmes n’ont pas été de simples figurantes lors des rébellions de 1837-1838. C’est pourtant ce que le professeur de l’Université McGill insinue dans son essai Habitants et Patriotes. S’il concède quelques « contributions accessoires » à la gent féminine, il affirme qu’il n’existe presque aucune preuve d’un engagement actif des femmes dans la cause des patriotes. Pour moi qui fréquente les archives de Julie Bruneau-Papineau et de ses consoeurs depuis plus de vingt ans, leur supposée indifférence m’a toujours fait grincer des dents. Mais voilà que Mylène Bédard, professeure à l’Université Laval, démontre noir sur blanc que les femmes se sont bel et bien engagées dans cet épisode révolutionnaire. Elles ont mené des actions politiques et se sont exprimées, en privé et en public, pour protester contre les injustices et réclamer leurs droits au gouvernement. Bien entendu, elles n’ont pas pris les armes, cela était inconcevable au XIXe siècle, bien que l’une d’elles, Émilie Boileau-Kimper, ait participé à une assemblée patriote un pistolet à la main… En analysant 300 lettres de femmes liées au mouvement de rébellion entre 1830 et 1840, Bédard a constaté que les bouleversements de l’ordre social imprègnent leur prose. L’ancrage de leurs lettres dans le contexte insurrectionnel lui a permis d’observer les effets des événements sur leur façon d’écrire et de mesurer les mutations de l’écriture féminine. Pour l’essayiste, il est évident que cette sombre décennie a incité les femmes à coucher leurs pensées sur le papier. À travers leurs correspondances, elle a pu suivre l’éveil progressif de leur conscience politique et la construction d’une image de soi. D’entrée de jeu, Bédard recrée le climat sociohistorique des années 1830 à 1837 au Bas-Canada. Les activités publiques foisonnent et les femmes contribuent à cette effervescence prérévolutionnaire. Loin d’être absentes des sources archivistiques, comme le prétend Allan Greer, elles ont écrit à leurs parents et amis, ainsi qu’aux autorités, moult lettres qui font voir la diversité de leur engagement et la ferveur qui les animaient. Parmi les épistolières de son corpus, Julie Bruneau-Papineau se démarque. Sa correspondance constitue une réflexion critique sur la politique et la condition féminine. L’épouse du chef des patriotes n’hésite pas à prêcher la violence, voire la guerre civile, si cela devenait nécessaire pour obtenir la justice, et juge sévèrement ses contemporains incapables de « sacrifier l’intérêt personnel pour celui de leur pays ». Bédard souligne la valeur historique de ses écrits qui projettent un complément d’éclairage sur son mari, Louis-Joseph Papineau. Comme Julie, sa belle-soeur Rosalie Papineau-Dessaulles s’exprime sur les enjeux politiques étroitement liés à ses préoccupations familiales. Inquiète du sort de son frère Papineau, elle s’en prend à la bande de séditieux qui poussent la haine jusqu’à mettre sa tête à prix et promettent l’impunité « au premiez scélérat qui aura voulu se charger de ce crime ». Plus posée que ses deux amies, mais non moins politisée, Marguerite Lacorne-Viger commente les journaux anglophones et francophones et reçoit chez elle les principaux leaders patriotes, ce qui donne lieu à des discussions animées. D’autres épistolières complètent ce corpus, dont Henriette Cadieux, l’épouse de Thomas Chevalier de Lorimier, qui se représente comme l’héritière du héros dont elle entend poursuivre la lutte. D’après Bédard, les journaux, alors très partisans, ont favorisé la politisation des femmes. En les lisant, celles-ci se forgent des opinions qu’elles livrent à leurs correspondants, servant ainsi de courroie de transmission des informations politiques : « Une lecture croisée des lettres et de la presse a permis d’observer que l’époque fournit aux femmes des occasions de jouer un rôle …

Appendices