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Pierre-Luc Brisson nous offre dans cet ouvrage le résultat de la recherche effectuée dans le cadre de ses études de maîtrise. Celle-ci concerne une partie de la carrière de Titus Quinctius Flamininus, un homme politique romain vainqueur sur Philippe V de la Seconde Guerre de Macédoine (200-187 av. J.-C.) et un habile diplomate ayant ouvert la voie à la domination de l’Urbs dans le monde grec. Brisson souhaite comprendre les motivations et influences qui animent cet homme hors du commun, de ses débuts dans l’arène politique romaine en 208 au départ de ses troupes de Grèce en 194. Aussi, à travers lui, il espère souligner les caractéristiques de la vie politique romaine au IIe siècle avant notre ère ainsi que celles de la politique extérieure mise en place en Méditerranée hellénistique. L’étude se divise en trois chapitres : le premier présente une courte recension de la littérature entourant Flamininus, le second évoque le début de sa carrière jusqu’à son élection au consulat en 198 tout en présentant le contexte social et culturel dans lequel il évoluait, enfin le troisième se penche sur ces quatre années (198-194) passées en Grèce où il a élaboré ladite politique hégémonique, en tant que général puis proconsul.

Dans un court bilan historiographique qui compose une partie du chapitre un, Brisson montre, dans un premier temps, que Flamininus a longtemps été une figure ignorée ou assez peu étudiée par les chercheurs avant le milieu du XIXe siècle. Dans un deuxième temps, il remonte aux racines de l’image de philhellène romantique qui a été accolée à ce dernier à partir du XIXe siècle. Des historiens ont ainsi cru que l’amour de Flamininus pour la langue et la culture grecques était le réel moteur de ses actions plutôt qu’un quelconque souci des intérêts politiques romains. Cette idée a par contre été critiquée dès le départ et est aujourd’hui rejetée par plusieurs historiens, dont Brisson, qui le considèrent au contraire comme un homme pragmatique. Le second volet du chapitre porte sur les sources utilisées dans la recherche et sur les failles qu’elles peuvent contenir. Ces failles ont souvent à voir avec les buts et méthodes différentes des auteurs anciens : à l’analyse de Polybe qui cherche à exposer l’ascension de Rome à ses concitoyens héllènes, Tite-Live propose plutôt un ouvrage qui souhaite mettre en valeur de grands personnages qui pourront servir de modèles moraux à ses contemporains. Le portrait de Flamininus ne saurait donc reposer que sur un croisement de diverses sources.

Le second chapitre, à travers les débuts de la carrière de Flamininus, mais aussi des facettes sociales et culturelles qui teintent la vie de la noblesse romaine, présente des « clés » par lesquelles les actions futures du général en Grèce pourront être mieux comprises. Brisson souhaite montrer que, tout en ayant des habiletés politiques indéniables, Flamininus n’était pas totalement une exception : il était le produit de son milieu. Ce dernier était celui de l’élite de la société romaine, déjà bien pétrie, au IIe siècle av. J.-C., d’influences grecques, grâce, entre autres, à la conquête des cités helléniques du sud de la péninsule italienne et de Sicile. Ainsi, comme la plupart de ses camarades patriciens, Flamininus maîtrisait la langue grecque et en connaissait la culture. D’autre part, son ambition et son désir manifestes de faire sa marque dans l’histoire étaient directement en ligne avec ce qui était attendu d’un aristocrate romain : la nobilitas chérissait en effet des idéaux de gloire, de courage et de service au sein des magistratures qui impliquaient une certaine compétition entre les fils des différentes familles influentes. Tous ces éléments conjugués expliquent le caractère fulgurant de la carrière du général et ses actions en Grèce.

Après avoir présenté les étapes ayant mené Flamininus à sa victoire contre Philippe V, Brisson se consacre, dans son troisième chapitre, à la déclaration du proconsul concernant la liberté des cités grecques en 196. Exemple par excellence de la stratégie hégémonique qu’il tente de mettre en place, cette politique est le résultat de l’action de Flamininus lui-même, qui a su la formuler dans des termes compréhensibles pour les Hellènes. C’est-à-dire qu’il emploie la même rhétorique que les souverains hellénistiques pour se poser, à leur instar, comme garant de l’autonomie des villes sous sa gouverne. À la royauté hellénistique, il emprunte également l’idée d’émettre des pièces de monnaie à son effigie (une première pour un Romain) ou celle de se faire le bienfaiteur de cités pour étendre son influence et susciter leur reconnaissance. Flamininus apparaît ainsi conscient de « l’opinion publique » grecque et emprunte à la tradition hellénistique des outils de propagande qui permettent à la fois de légitimer le pouvoir romain, mais aussi de susciter même l’adhésion des Grecs envers celui-ci. La politique hégémonique mise en place par Flamininus est ainsi une oeuvre de son cru qui reflète l’équilibre qu’il maintient entre l’exaltation de ses prouesses personnelles et le service qu’il rend à l’État romain. C’est en cette qualité, aux dires de Brisson, que ce personnage est exceptionnel.

Cette étude dresse un portrait complexe de Flamininus tout en le replaçant dans le milieu social et culturel duquel il est issu, évitant ainsi l’écueil qui guette toute biographie historique. La réelle originalité de l’oeuvre réside cependant dans un cadre théorique, emprunté aux sciences politiques, qui met en évidence la véritable Realpolitik qui sous-tend l’élaboration de la stratégie hégémonique de ce grand personnage romain. Le présent ouvrage est donc une introduction particulièrement riche au personnage qu’était Flamininus, à la culture de la noblesse républicaine ainsi qu’aux relations diplomatiques qui animaient le monde gréco-romain à l’époque hellénistique.