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Anne Legaré, Le Québec, une nation imaginaire, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2017, 394 p.[Record]

  • Antoine Brousseau Desaulniers

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  • Antoine Brousseau Desaulniers
    Candidat au doctorat en histoire, UQAM

Anne Legaré, professeure retraitée du Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, propose avec ce livre une relecture d’une partie de son oeuvre universitaire dans une perspective engagée. Elle y interpelle le mouvement souverainiste québécois en soulevant une série d’enjeux non résolus qui ont marqué, et marquent toujours sa trajectoire : au premier chef le tournant identitaire qu’il a pris à la suite du référendum de 1995. La manifestation la plus significative de ce tournant est le rétrécissement de la clientèle électorale du Parti québécois (PQ) aux seuls Québécois et Québécoises d’ascendance canadienne-française – d’aucuns diraient « de souche » –, alors qu’auparavant, elle englobait l’ensemble de la population du Québec. Legaré souhaite fournir des références qui prendraient le contre-pied de cette vision réductrice en recentrant l’idée de l’identité québécoise bien au coeur du foyer d’interactions avec les autres « ethnies » du Québec. Elle le fait en tissant ce fil conducteur à travers différents textes qu’elle a produits au cours des trois dernières décennies et qui portent sur la souveraineté du Québec. Le livre est divisé en deux parties, qui se penchent respectivement sur les conditions internes et externes de la formation de l’identité québécoise. Dans la première, l’auteure soutient que les citoyens du Québec sont déchirés par des tensions liées à la nature du fédéralisme canadien. D’abord, on leur demande de consentir à deux ordres symboliques distincts – le canadien et le québécois – intimement enchevêtrés. L’ordre symbolique véhiculé par l’État québécois est bien sûr animé d’une intention souverainiste, mais il est subordonné à l’État canadien, qui lui seul est véritablement souverain. Bien qu’elle puisse paraître secondaire, l’appartenance au fédéral est dès lors un facteur primordial de sa domination. Par ailleurs, l’affirmation nationale québécoise est minée par des forces centripètes qui cherchent à constituer la province en simple région du Canada. Cette tension nation-région est manifeste dans la politique Québécois, notre façon d’être Canadiens lancée par le gouvernement libéral en juin 2017. Le Québec est donc forcé de s’échapper par des voies inégales et diversifiées. Celle que propose Legaré est de poursuivre l’idéal de la nation moderne et égalitaire issu de la Révolution tranquille, qui conçoit la nation québécoise non plus comme ethnique, mais comme territoriale et inclusive. Cet horizon de sens doit être un objectif absolu, puisque le concept de nation égalitaire n’est pas un héritage, il est une volonté. Son accomplissement permettrait de décupler la puissance de chacun par son appartenance à un ensemble cohérent. La deuxième partie, qui décrit les conditions externes de la formation de l’identité, fournit d’autres exemples qui favoriseraient l’atteinte de la souveraineté. Le premier est la question de l’américanité. Critique, Legaré estime qu’au cours des années 1990 le PQ a promu de manière démesurée cet univers identitaire dans le but de rassurer autant les Américains que les Québécois quant à la perspective de la souveraineté. L’auteure démontre toutefois que seulement 30 % de la population québécoise affirmait, en 2007, se sentir proche des valeurs américaines. Pourquoi, demande-t-elle, les promoteurs de la souveraineté ont-ils tant insisté sur cette référence, alors qu’un grand nombre de Québécois se considèrent comme des sujets politiques distincts des Américains ? Legaré croit que cette identité pourrait s’accomplir par un plus grand investissement du Québec dans la francophonie en général et avec la France en particulier. Cependant, la récente désaffection des gouvernements québécois face à cette question a laissé le champ libre au Canada pour prendre toute la place dans une alliance stratégique avec la France. Pourtant, le Québec aurait tout à gagner d’un rapprochement avec l’organisation internationale de la Francophonie, où il pourrait jouer …