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Le Canada, tel qu’on le connaît aujourd’hui, est une fédération composée de dix provinces et d’un État fédéral. En comptant les différentes communautés nationales, linguistiques et autochtones, de même que les territoires qui sont de compétence fédérale, on peut aussi dire qu’elle est une fédération traversée par une diversité profonde[1]. La fédération canadienne est le fruit d’un long processus prenant forme en 1867, date d’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique – rebaptisé Loi constitutionnelle de 1867. Tout comme ce fut le cas des États-Unis en 1787, la fédération canadienne est pour l’essentiel née d’un processus de fédéralisation par association[2], bien qu’elle comporte également une part de fédéralisme par dissociation au sens où le Québec et l’Ontario sont des entités issues de la dissolution du Canada-Uni. Les Pères fondateurs ont emprunté l’expression de la « Confédération canadienne » pour décrire le processus où les colonies britanniques du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, et du Canada-Uni – Ontario et Québec – ont décidé de s’unir dans le but de former une toute nouvelle association politique.

Les négociations à Charlottetown et à Québec précédant l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867 ont été marquées par un profond clivage entre deux visions du Canada. Les deux figures ayant été à l’avant-scène des pourparlers sont John A. Macdonald, pour qui le Canada devait être le lieu d’épanouissement d’une nation uniforme, en plus de prendre la forme d’une fédération centralisée, et Georges-Étienne Cartier, qui était plutôt en faveur d’une structure fédérative décentralisée et à l’image de la diversité des peuples qui la composent[3]. Un peu plus d’un siècle plus tard, le Groupe de travail sur l’unité canadienne – ci-après commission Pepin-Robarts[4] –, dont les travaux se sont échelonnés de 1977 à 1979, constate que le Canada est affecté par un mal qui le ronge de l’intérieur. Ce « mal canadien » n’est pas nouveau[5], il est intimement lié aux tensions internes présentes lors de la fondation du Canada et exprimant le profond clivage entre, d’une part, la volonté d’édifier un pays qui accepte sa diversité complexe et, d’autre part, l’idée de mettre en branle un système politique fortement centralisé et uniforme sur le plan de l’appartenance nationale et du fonctionnement des institutions.

Ainsi, les travaux de la commission Pepin-Robarts ont donné naissance à une importante réflexion collective sur les différents défis auxquels le Canada est confronté depuis sa fondation, et parmi lesquels figurent la place des provinces dans la structure fédérative, la place du Québec comme peuple fondateur et le maintien de la stabilité du système fédératif. Dans les faits, la commission Pepin-Robarts est aussi mise sur pied en raison du danger que représentent pour l’unité du pays l’élection d’un premier gouvernement péquiste en 1976 et la montée d’un certain régionalisme hors Québec[6]. Bien que le gouvernement Trudeau espère que cette commission se positionne en faveur de la mise en place des mesures centralisatrices afin d’endiguer les revendications souverainistes et régionalistes au pays, les recommandations sont plutôt orientées en appui aux postulats du fédéralisme binational et aux efforts de renouvellement du système fédératif canadien[7].

Cet article s’intéresse au rapport de la commission Pepin-Robarts à travers le prisme du fédéralisme exécutif tout en portant une attention spécifique aux enjeux des relations intergouvernementales canadiennes et de la réforme des institutions fédérales. Plus spécifiquement, un regard est porté sur la proposition selon laquelle le Sénat canadien devrait être aboli et substitué par une nouvelle structure : le Conseil de la fédération (CDF). Pour les commissaires, le CDF a pour vocation d’améliorer le fonctionnement du fédéralisme exécutif au Canada et d’assurer une meilleure représentation des provinces et de la nation québécoise au sein des institutions centrales, tout en formalisant les rencontres intergouvernementales qui se tiennent déjà sporadiquement depuis 1887 et régulièrement depuis les années 1960[8].

En 2003, à l’initiative du gouvernement du Québec et sous la direction de Jean Charest, une nouvelle mouture du CDF voit finalement le jour. Selon Benoit Pelletier, ancien ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et principal responsable du dossier à l’époque, il s’agit là d’une institution visant à renforcer l’interdépendance intergouvernementale et la stabilité du fédéralisme exécutif[9]. De quelle manière la commission Pepin-Robarts a-t-elle fait preuve d’innovation politique au chapitre du renouvellement du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales ? Les débats subséquents en la matière, notamment celui en 2003 qui est à l’origine du CDF actuel, s’inspirent-ils de la proposition que l’on retrouve dans le rapport Pepin-Robarts ? Pour répondre à ces questionnements, cette contribution se déclinera en deux parties.

Dans un premier temps, en mobilisant différentes notions théoriques sur le fédéralisme, nous examinerons la proposition du CDF dans le rapport Pepin-Robarts sous l’angle de l’innovation politique. Dans un second temps, nous ouvrirons la réflexion sur la filiation historique de cette proposition dans l’orientation des débats constitutionnels postérieurs à la publication du rapport Pepin-Robarts en retraçant les différentes propositions du Parti libéral du Québec (PLQ) ayant pour objectif de transformer le fonctionnement du fédéralisme exécutif au pays. Une démarche comparative sera aussi empruntée afin d’analyser conjointement le CDF actuel et celui imaginé pendant les années 1970. Ultimement, cela aura pour but, d’abord, de savoir si le CDF de 2003 reflète réellement l’esprit de la proposition de 1979 et, ensuite, de souligner quelques-uns des défis qui guettent encore le fédéralisme exécutif canadien.

Le CDF comme projet d’innovation politique

Les commissions d’enquête figurent parmi les principaux espaces de réflexion proposés par les gouvernements au Canada pour tenter de trouver des solutions aux défaillances du système politique et aux problèmes qui affectent la société[10]. En dépit du bilan mitigé qu’on pourrait réaliser sur la pratique des commissions d’enquête au Canada, il faut mentionner que le recours aux commissions demeure un bon moyen de stimuler l’innovation politique au pays.

De même, il devient pertinent de les étudier étant donné qu’elles tendent à orienter les débats politiques et à produire des propositions fort originales. Les travaux de la commission Pepin-Robarts ont débuté avec le mandat de trouver des solutions concernant la crise qui menaçait la cohésion canadienne. Les recommandations du rapport abondent dans le sens de la recherche d’un équilibre entre la volonté centralisatrice du gouvernement fédéral et la montée des régionalismes canadiens et du nationalisme québécois.

C’est dans cette optique que la commission Pepin-Robarts et la proposition du CDF qui en découle seront examinées sous les deux critères globaux suivants : l’innovation politique et le rapport de filiation qu’elles ont avec d’autres propositions présentées lors des débats entre le Québec et le Canada ayant pour but de changer le sort du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales. En 1979, les commissaires mentionnent que la situation du fédéralisme exécutif est catastrophique ; les dynamiques concurrentielles et peu démocratiques entre interlocuteurs témoignent de ce qu’il en était des rapports entre partenaires fédératifs à l’époque[11].

Cette réflexion sur l’état du fédéralisme exécutif est assortie de deux propositions visant à le redynamiser et à repenser globalement les règles du jeu en ce qui a trait aux rapports intergouvernementaux au Canada. La première proposition consiste à institutionnaliser la pratique du fédéralisme exécutif de façon à mieux aligner les volontés du gouvernement fédéral et celles des provinces. Cette proposition indique qu’il faut suivre l’exemple de l’Australian Loan Council[12]. Cependant, cette option ne permet pas d’améliorer les rapports intergouvernementaux puisqu’elle ne fait que formaliser la réalité politique des années 1970-1980.

La deuxième proposition, qui s’inspire du projet de loi C-60 sur la réforme constitutionnelle présenté par Pierre Elliott Trudeau à la Chambre des communes en 1978[13], cherche plutôt à abolir le Sénat dans sa forme actuelle et à le remplacer par une nouvelle configuration de la seconde chambre : le CDF. En intégrant le CDF à l’intérieur du Parlement fédéral, on assiste à l’établissement d’une nouvelle dynamique plus coopérative et démocratique du fédéralisme exécutif, tout en favorisant un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif[14]. Concrètement, le CDF doit formellement être incorporé à travers les canaux institutionnels fédéraux dans le but de concilier les intérêts pancanadiens avec les spécificités de chacune des provinces – dont celles du Québec[15].

En plus de favoriser une dynamique plus coopérative et moins hiérarchique du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales, le CDF doit pouvoir jouer un rôle législatif en assurant :

(1) l’examen critique des projets de loi du gouvernement central et leur amélioration, (2) la conduite d’enquêtes, (3) la protection des droits des minorités, (4) l’élargissement de la représentation régionale des partis politiques et le redressement du déséquilibre crée à la chambre basse par le système électoral, (5) l’apport d’un forum législatif où l’ascendant du pouvoir exécutif et la rigueur de la discipline de parti seraient moindres, (6) la représentation des gouvernements des provinces sur une base plus équitable qu’à la chambre élue au suffrage populaire, leur donnant ainsi plus d’influence sur les projets de loi fédéraux qui ont un impact direct sur les questions d’importance provinciale ou régionale, et (7) l’encouragement à la consultation fédérale-provinciale dans les domaines d’intérêt commun[16].

Plusieurs autres modalités doivent s’annexer au mode de fonctionnement du CDF proposé par la commission Pepin-Robarts. En effet, ce modèle d’institutionnalisation du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales doit respecter certaines règles spécifiques régissant l’interdépendance entre les deux chambres parlementaires à Ottawa, dont la question du veto suspensif, la ratification de traités en matière d’affaires de compétence provinciale et la nomination des membres à la Cour suprême et à d’autres organismes administratifs.

Il faut sans doute ajouter que l’établissement du CDF en tant que seconde chambre au Parlement fédéral n’implique pas l’élimination des conférences des premiers ministres, réalisées encore aujourd’hui sous le mandat du Secrétariat aux conférences intergouvernementales canadiennes, et des autres mécanismes déjà en place pour assurer le bon déroulement des rapports entre les ordres de gouvernement. Au contraire, la proposition Pepin-Robarts présente ces différents mécanismes comme étant compatibles avec le CDF. Concernant cette nouvelle chambre haute, elle représente surtout une forme d’innovation politique au sens où elle permet d’asseoir au sein du Parlement un nouveau type de fédéralisme exécutif ayant pour but de rendre les relations intergouvernementales mieux coordonnées et plus démocratiques[17].

Cette mouture originale du fédéralisme exécutif est aussi novatrice dans la mesure où elle s’érige sous un fort degré de formalisation institutionnelle : elle prend la place du Sénat et elle possède une force exécutoire relative dans le processus législatif canadien. Cela assure un meilleur dialogue entre les pouvoirs exécutif et législatif au sein même du Parlement fédéral en ce qui a trait aux questions associées à la Constitution et au respect du principe fédératif. De plus, elle favorise une meilleure concertation intergouvernementale en introduisant des réunions régulières dont la tenue ne dépend pas strictement de la volonté du gouvernement fédéral.

Afin d’approfondir l’étude de la proposition Pepin-Robarts et de celles qui ont suivi jusqu’à l’établissement officiel du CDF en 2003, nous mobilisons une grille d’analyse construite à partir de trois notions théoriques issues des travaux sur le fédéralisme exécutif : les mécanismes d’action des relations intergouvernementales, les dynamiques relationnelles fédérales-provinciales et interprovinciales et la gouvernance fédérative. En plus de nous aider à mieux expliquer les raisons pour lesquelles la proposition Pepin-Robarts au sujet du CDF est novatrice sur le plan politique, cette grille analytique nous permet d’examiner conjointement les différentes propositions historiques du PLQ sur le renouvellement du fédéralisme exécutif au Canada et de porter un regard comparatif entre le CDF présenté dans le rapport Pepin-Robarts et celui en fonction depuis 2003.

La recommandation du rapport Pepin-Robarts concernant le remplacement du Sénat canadien par le CDF joue un rôle clé pour la suite des réflexions sur le renouvellement du système fédératif canadien au sens où elle se présente en tant que première proposition historique mettant en scène une institution – le CDF – qui a pour vocation de réglementer de façon substantielle le fédéralisme exécutif et les relations intergouvernementales. Entre la recommandation du rapport Pepin-Robarts en 1979 et la création du CDF en 2003, différents acteurs politiques apportent leur contribution au débat[18]. Puisque le CDF actuel est créé sur l’initiative du gouvernement libéral de Jean Charest, une partie de l’analyse est circonscrite aux différentes propositions historiques du PLQ.

Les mécanismes, les dynamiques et la gouvernance du fédéralisme exécutif canadien

Dans la littérature sur le fédéralisme canadien, le phénomène du fédéralisme exécutif est présenté comme étant issu de la combinaison du principe fédéral et du modèle parlementaire de tradition britannique[19]. En s’y attardant attentivement, il est possible d’observer que le fonctionnement du fédéralisme exécutif peut être structuré par différents mécanismes, dynamiques et modèles de gouvernance qu’il faut bien discerner lorsqu’on procède à une lecture des différentes recommandations historiques sur la refonte du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales de 1979 à 2003, soit à partir de la proposition du rapport Pepin-Robarts et en terminant avec celle présentée par le gouvernement libéral de Jean Charest.

Tout d’abord, il existe plusieurs mécanismes formels ou informels, pouvant être permanents ou ad hoc, qui régissent les relations fédérales-provinciales et interprovinciales. Ceux-ci sont parfois établis pour favoriser une meilleure coordination intergouvernementale sur certaines questions sectorielles, alors que d’autres sont institués afin de structurer de façon plus globale les rapports entre les ordres de gouvernement[20]. Le CDF, tel qu’il est imaginé pendant les travaux de la commission Pepin-Robarts, en est une des multiples déclinaisons formelles développées afin d’assurer une meilleure gouvernance intergouvernementale et de rendre les institutions fédérales plus équitables et représentatives des différentes régions ainsi que des différentes communautés nationales distinctes.

La dyade des mécanismes organisationnels formels/informels, qui représente les deux extrémités d’un long continuum comportant différents niveaux de formalisation institutionnelle, ne constitue pas le seul élément conceptuel intrinsèque au fonctionnement du fédéralisme exécutif. Notre regard doit aussi être porté sur les dynamiques relationnelles qui structurent l’interdépendance intergouvernementale propre au modèle étatique de l’État fédératif[21]. Il existe trois types de dynamiques relationnelles en contexte de fédéralisme exécutif. Ces trois modèles ont été construits en fonction d’observations empiriques des relations intergouvernementales et donnent lieu à de multiples situations, rassemblées ici sous trois modèles idéaux typiques : le fédéralisme compétitif, le fédéralisme coopératif et le fédéralisme collaboratif[22].

Le fédéralisme compétitif se manifeste lorsqu’on constate l’existence d’une relation difficile entre les gouvernements fédéral et provinciaux, marquée par une escalade du conflit et pouvant prendre la forme de revendications gouvernementales antithétiques[23]. Le fédéralisme coopératif est observable à partir du moment où la relation entre acteurs fédératifs est organisée selon le principe de la codécision, bien que ce soit l’entité fédérale, au bout du compte, qui prédomine dans le processus de négociation et de gestion des conflits[24]. Le fédéralisme collaboratif est plus consensuel et égalitaire, contrairement aux deux autres idéaux types. On dit qu’une fédération est traversée par une dynamique relationnelle collaborative lorsque les rapports sont régis par le principe de la non-subordination. Aussi, lors de rapports collaboratifs, il est souvent possible de noter que les entités fédérées occupent une place prédominante dans le jeu de la négociation intergouvernementale, comparativement à celle qui revient à l’entité fédérale[25].

Enfin, le fédéralisme exécutif peut aussi être analysé sous l’angle de la gouvernance. À cet égard, la contribution de Karl Loewenstein a fait école dans la mesure où elle propose un cadre conceptuel ayant pour but de mieux cerner le phénomène de la gouvernance et de la division du pouvoir dans les systèmes fédératifs[26]. Le fédéralisme intraorganique et le fédéralisme interorganique sont les deux principales notions développées par Loewenstein, reprises quelques décennies plus tard par Alan Cairns sous les appellations de fédéralisme intra-étatique et de fédéralisme interétatique[27].

Au Canada, on parle de fédéralisme intra-étatique lorsque c’est uniquement le centre – le Parlement fédéral ainsi que son gouvernement – qui possède la capacité de développer les politiques fédérales qui touchent l’ensemble de la fédération et, surtout, qui affectent le programme politique des États fédérés. Par conséquent, les provinces sont subordonnées à l’État fédéral dans les domaines sur lesquels ce dernier possède les compétences exclusives ou partagées, de même que dans la répartition des budgets et dans l’élaboration des programmes pancanadiens.

Le fédéralisme interétatique, à l’inverse, se manifeste par une division plus ou moins équitable du pouvoir décisionnel entre les gouvernements central et provinciaux. Étant donné que le principe fédéral implique nécessairement un partage du pouvoir entre des entités fédérées et une entité fédérale, on peut dire que le modèle interétatique du fédéralisme concorde plus avec la formule suggérant que le partage (Shared Rule) et la non-subordination (Self-Rule[28]) sont des principes essentiels pour la consolidation et le bon fonctionnement d’une structure fédérative[29].

Les différentes propositions présentées par le PLQ entre 1980 et 2003 à l’endroit du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales, soit après que celle du CDF du rapport Pepin-Robarts en 1979 soit écartée par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, doivent être évaluées à partir de ces trois mêmes dimensions du fédéralisme exécutif. Cet exercice revêt une importance heuristique pour deux raisons. Tout d’abord puisque, comme le souligne le politologue Alain-G. Gagnon, ces documents ont contribué « à meubler l’espace politique au cours de ces années charnières dans les relations Québec-Canada[30] » ; ensuite, parce que le PLQ est la principale force fédéraliste dans le système partisan québécois. L’objectif est donc de mettre en évidence l’importance historique et politique au Québec d’une réforme du fédéralisme exécutif canadien.

L’« après Pepin-Robarts » (1980-2001) : les propositions du PLQ sur le renouvellement du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales

La commission Pepin-Robarts s’inscrit dans un rapport de filiation historique avec les propositions du PLQ qui lui succèdent, ne serait-ce que parce qu’elles sont animées par la même volonté de réformer les institutions fédérales afin d’améliorer le sort du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales. Durant les années 1970, la commission Pepin-Robarts pose les premières bases d’une réflexion au Québec sur le fédéralisme exécutif tout aussi importante que celle de la réforme constitutionnelle pour garantir l’unité fédérative et l’épanouissement de la diversité nationale au pays. On peut donc dire que le PLQ reprend le flambeau de cette réflexion lancée par la commission Pepin-Robarts en présentant différentes propositions portant sur une restructuration du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales. Cela est palpable dès la première année après la publication du rapport sur Pepin-Robarts, au moment des débats constitutionnels ponctués par la tenue d’un référendum en 1980 sur l’avenir du Québec dans la fédération.

Dans la foulée de la campagne référendaire et du lancement du Livre blanc du gouvernement du Québec sur la souveraineté-association en 1979, le PLQ riposte avec un document proposant une réforme de l’ordre constitutionnel et du fédéralisme : Une nouvelle fédération canadienne – ci-après Livre beige[31]. Rédigé sous l’égide de Claude Ryan, alors chef des libéraux au Québec, le Livre beige suggère notamment l’établissement d’un forum intergouvernemental formel qui institutionnalise de manière importante le fédéralisme exécutif au Canada.

Dénommée le Conseil fédéral, cette nouvelle institution est présentée pour accueillir un espace plus propice à la représentation provinciale au sein de la fédération canadienne. Étant donné une complexification massive des activités intergouvernementales depuis la seconde moitié du XXe siècle, les libéraux de Ryan voient nécessaire d’édifier « […] une institution permettant aux provinces […] de participer directement au gouvernement de la fédération et de contrôler ou d’influencer, selon le cas, les interventions du Parlement central dans des matières où la concertation des deux ordres de gouvernement est devenue vitale au bon fonctionnement de la fédération[32] ».

Le mécanisme d’élaboration qui régit cette institution comporte un important degré de formalisation. En effet, considérant la forte interdépendance entre l’État fédéral et les États fédérés, il est devenu urgent d’institutionnaliser une entité qui encadrerait le fédéralisme exécutif et, plus largement, les relations intergouvernementales[33]. En ce qui a trait à la dynamique relationnelle qui anime le Conseil fédéral, c’est la coopération qui est mise de l’avant. Deux raisons permettent d’avancer cela : (1) la composition du Conseil fédéral doit comprendre des délégués de toutes les provinces et du gouvernement fédéral et (2) malgré le fait que les délégués fédéraux n’ont pas de droit de vote au Conseil et que les représentants provinciaux ont un pouvoir de ratification sur toute initiative fédérale pouvant ébranler l’équilibre de la fédération, la capacité d’action des provinces dans le jeu politique intergouvernemental au sein du Conseil fédéral demeure principalement consultative.

Par conséquent, la Chambre des communes continue d’être le seul lieu où on légifère sur les décisions et les politiques touchant l’ensemble du pays et sur celles qui concernent les compétences exclusives ou partagées de l’État fédéral. Pour ce qui est du type de gouvernance qui structure l’action politique au Conseil fédéral, on peut dire que c’est le modèle interétatique qui s’applique puisqu’il s’agit d’une instance intergouvernementale « spéciale et non d’une assemblée législative contrôlée par le gouvernement central[34] ». Cette institution s’inscrit aussi dans la logique du fédéralisme interétatique dans la mesure où elle est composée de délégations provenant des gouvernements fédéral et provinciaux, lesquels devront se concerter sur différents enjeux qui touchent l’ensemble de la fédération.

Le Livre beige, qui représente au début des années 1980 l’option de la troisième voie, entre le fédéralisme trudeauiste et le souverainisme de Lévesque, n’a pas l’influence souhaitée pendant le déroulement de la campagne référendaire de 1979-1980. C’est pourquoi le Conseil fédéral ne voit pas le jour. Cinq ans plus tard et après l’échec du Livre beige, Robert Bourassa présente dans Maîtriser l’avenir, le programme électoral de 1985, la proposition de renouveler l’ « adhésion aux principes, aux objectifs et aux grandes orientations du projet de réforme du fédéralisme canadien élaboré dans le [L]ivre beige […][35] ». La pratique du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales canadiennes doit en ce sens être revue en profondeur. Pour ce faire, les objectifs et les ambitions nécessitent d’être précises et réalistes. C’est la raison pour laquelle le PLQ de Bourassa s’engage à accueillir « Favorablement toute proposition raisonnable d’institutionnalisation de la conférence des [premiers ministres pour en faire un organisme permanent de concertation et de coordination fédérale-provinciale[36] ».

Or nous pouvons constater que le mécanisme d’élaboration de cette proposition suit la rationalité de la formalisation institutionnelle. Ainsi, les réunions intergouvernementales qui se tiennent de temps à autre sur une base régulière doivent laisser place à une instance plus formelle. Cet organisme intergouvernemental fonctionne selon une dynamique coopérative du processus de codécision. En effet, le gouvernement fédéral de même que les gouvernements provinciaux sont invités à la table des discussions. Puisque ce sont les provinces et le gouvernement fédéral qui, par l’entremise de représentants, travaillent de concert dans l’élaboration des orientations et politiques pancanadiennes, nous pouvons dire que cette proposition est tributaire du modèle de gouvernance interétatique. Les libéraux de Bourassa remportent les élections provinciales en 1985, mais cette proposition n’est jamais adoptée, notamment car le débat constitutionnel Québec-Canada des années 1980-1990 se solde par les échecs du lac Meech en 1987-1990 et de Charlottetown en 1992.

En 1996, dans un contexte post-référendaire, le PLQ – alors dirigé par Daniel Johnson fils – élabore un document cherchant à s’attaquer à l’impasse politique et constitutionnelle qui affecte l’ensemble du pays. Rédigé sous la direction d’Yves de Montigny, spécialiste en droit constitutionnel et ancien conseiller spécial auprès du ministère des Affaires intergouvernementales canadiennes, Reconnaissance et interdépendance : identité québécoise et fédéralisme canadien – ci-après rapport de Montigny[37] – est un document publié en 1996 par le Comité sur l’évolution du fédéralisme canadien afin de réfléchir aux défis qui guettent la fédération canadienne après la victoire du Non au référendum du 30 octobre 1995.

Au chapitre de la réforme des institutions canadiennes, le rapport de Montigny souligne que le Sénat canadien doit être remanié afin qu’il soit plus représentatif des différentes régions et provinces du Canada[38]. Mais en ce qui concerne plus précisément le fédéralisme exécutif et les relations intergouvernementales, aucune nouvelle mouture de la seconde chambre du Parlement qui permet d’institutionnaliser les rapports entre les ordres de gouvernement n’est proposée. Les libéraux de Johnson suggèrent plutôt de structurer les rapports intergouvernementaux sur la base de la « [c]onsultation et [la] co-décision permettant d’harmoniser les initiatives de chacun des deux niveaux de gouvernement[39] ».

Contrairement à ce qui est mis de l’avant par le rapport Pepin-Robarts, le Livre beige et le programme électoral de 1985, le rapport de Montigny mise sur une formule réformatrice du fédéralisme exécutif et des rapports intergouvernementaux qui est imaginée selon un mécanisme d’élaboration informel se déclinant de deux manières. D’abord, aucune nouvelle institution comportant un fort degré de formalisation ne doit régir le fédéralisme exécutif. Puis, bien que l’on veuille améliorer le cours des rapports intergouvernementaux canadiens, tout changement ne doit pas nécessairement être légitimé et avalisé par l’entremise d’une réforme constitutionnelle, mais par un autre procédé d’ordre paraconstitutionnel – par exemple, une entente administrative promouvant la consultation fédérale-provinciale et de la codécision interprovinciale. Cette idée est clairement mise de l’avant lorsqu’il est fait mention de la volonté d’opter pour d’autres voies que celle de la réforme constitutionnelle des institutions fédérales afin d’améliorer le fonctionnement du fédéralisme exécutif canadien[40].

La dynamique relationnelle derrière ce rééquilibrage des rapports intergouvernementaux est celle de la coopération. En effet, en dépit du fait que l’on mise beaucoup sur l’interprovincialisme, le gouvernement fédéral doit pouvoir continuer de posséder une capacité d’initiative significative dans ses champs de compétence exclusifs et partagés, de même que dans ceux qui ne relèvent pas de ses prérogatives[41]. Dans la même veine, bien que le gouvernement fédéral ne possède pas de droit de vote pendant la tenue des rencontres interprovinciales, il peut tout de même faire des propositions aux provinces et exiger que celles-ci soient au moins écoutées[42]. Finalement, en ce qui concerne la question de la gouvernance, c’est vers le modèle interétatique que la proposition de Johnson est orientée en raison du fait que ce projet ne prêche pas en faveur d’un fédéralisme exécutif qui prendrait forme à l’intérieur des institutions législatives à Ottawa, comme c’est le cas de la proposition du rapport Pepin-Robarts.

Étant donné sa mauvaise gestion de la crise du verglas et puisqu’il perd en popularité auprès de l’électorat québécois, Johnson quitte la vie politique et est remplacé par Jean Charest, ancien membre du Parti progressiste-conservateur du Canada, ancien député à la Chambre des communes et ancien ministre fédéral. Le parcours de ce dernier au PLQ en matière d’enjeux constitutionnels est marqué par l’initiative de développer un nouveau rapport sur l’avenir de la fédération canadienne. Celui-ci, qui s’intitule Un projet pour le Québec. Affirmation, autonomie et leadership – ci-après rapport Pelletier[43] – est produit par le Comité spécial du Parti sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise alors présidé par Benoit Pelletier, membre du PLQ et spécialiste en droit constitutionnel.

Une des principales recommandations au troisième chapitre du document concerne justement la création d’un forum multilatéral servant à transformer le fonctionnement du fédéralisme exécutif et des rapports intergouvernementaux. Mieux connue sous le nom de CDF, cette institution a comme mission de limiter les chevauchements et les contradictions inhérentes dans la production de politiques fédérales, en fonction des préférences des provinces[44]. Ainsi, c’est en raison de son rôle de mécanisme d’interaction intergouvernementale que le CDF devrait (1) contribuer à la coordination des paliers gouvernementaux au moment de décider des grandes orientations économiques de la fédération, (2) aider à établir des lignes directrices communes favorisant le bon fonctionnement de l’union sociale canadienne, et (3) participer à la négociation et à la ratification des traités internationaux ayant à la fois des incidences sur les compétences fédérales et provinciales[45].

Contrairement à la proposition du rapport de Montigny des années 1990, le mécanisme qui régit cette nouvelle formule est celui de la formalité institutionnelle. Le CDF proposé par les libéraux sous Charest est une institution intergouvernementale comportant un haut degré de formalisation. Cela trouve son explication dans le fait qu’elle n’est pas le résultat de rencontres informelles puisqu’elle est organisée de manière permanente. Ce faisant, elle donne lieu à des rencontres régulières, même si le PLQ n’est pas totalement fermé à la possibilité d’en faire une instance plutôt informelle[46]. La dynamique relationnelle de cet organisme intergouvernemental est la coopération. Deux éléments d’explication soutiennent une telle affirmation.

La première raison s’appuie sur le fait que les relations fédérales- provinciales au sein du CDF sont imaginées selon une logique verticale, c’est-à-dire que le gouvernement fédéral prédomine sur les gouvernements provinciaux dans le processus de concertation et de prise de décision intergouvernementale. La seconde explication se trouve dans la composition même de cette institution. En effet, l’État fédéral tout comme les provinces ont leur place au CDF[47]. Suivant la logique de la coopération intergouvernementale à travers une structure opérant à l’extérieur du Parlement fédéral, le modèle de gouvernance de cette proposition est celui du fédéralisme interétatique. À noter que les libéraux de Charest ne sont pas non plus fermés à l’idée de pouvoir abolir le Sénat et annexer cette institution au sein des institutions fédérales[48].

Tableau 1

Distribution des différentes propositions historiques du PLQ sur le renouvellement du fédéralisme exécutif au Canada (1980-2001)

Distribution des différentes propositions historiques du PLQ sur le renouvellement du fédéralisme exécutif au Canada (1980-2001)

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Avec la présentation des différentes propositions historiques du PLQ quant au renouvellement du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales (Tableau 1), on peut observer qu’il y a, de façon générale, une certaine ressemblance de contenu, plus spécifiquement sur les dimensions : le mécanisme d’élaboration, la dynamique relationnelle et le modèle de gouvernance. Le seul élément de différence réside dans le mécanisme d’élaboration de la proposition du rapport de Montigny de 1996. Alors que toutes les autres propositions invitent à mettre en place une institution intergouvernementale formelle, le document publié sous l’égide de Daniel Johnson propose un mécanisme mettant en scène une dynamique de coopération interétatique certes, mais prenant la forme de réunions administratives plus ou moins informelles.

Comparaison du CDF de Pepin-Robarts et du CDF de 2003

La proposition du rapport Pelletier en 2001 se solde par une avancée au chapitre du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales. En effet, la recommandation portant sur la création du CDF est reprise par le gouvernement libéral de Jean Charest dès 2003, et ce, avec quelques modifications, dont l’exclusion du gouvernement fédéral et l’inclusion des gouvernements territoriaux à la table du fédéralisme exécutif. C’est à partir de cette initiative du Québec que l’entente fondatrice du CDF est adoptée le 5 décembre de la même année, lors d’une réunion des premiers ministres provinciaux et territoriaux. Le CDF est établi avec l’objectif premier de rassembler les dix premiers ministres provinciaux et les trois premiers ministres territoriaux composant la fédération canadienne[49]. Cette institution intergouvernementale a comme principaux mandats :

a) [de servir] de forum où les [m]embres pourront partager et échanger des points de vue, de l’information, des connaissances et des expériences ;

b) [de permettre], lorsqu’approprié, une approche coordonnée et intégrée en matière de relations fédérales-provinciales-territoriales par le développement d’analyses et de positions communes ;

c) [de renforcer] le travail des forums intergouvernementaux sectoriels en leur donnant des orientations, lorsqu’approprié, sur des questions qui préoccupent le Conseil ;

d) [d’analyser] toute action ou mesure du gouvernement fédéral qui, de l’avis des [m]embres, a un impact majeur sur les provinces et territoires, ce qui pourra inclure une révision et des commentaires communs eu égard aux projets de loi et aux lois du Parlement du Canada, comme le font déjà individuellement les provinces et territoires. Un des objets de cette analyse est d’appuyer des discussions fructueuses avec le gouvernement fédéral à l’égard d’enjeux importants pour les Canadiennes et les Canadiens ;

e) [de développer] une vision commune sur la façon de conduire les relations intergouvernementales qui respectent les valeurs fondamentales et les principes du fédéralisme ;

f) [d’aborder] toute question prioritaire qui, de l’opinion des [m]embres, requiert la mise en commun d’expertise, une concertation accrue entre eux ou la coordination de leurs actions[50].

Outre cela, plusieurs mécanismes et procédés spécifiques sont aussi déterminés dans l’entente fondatrice du 5 décembre 2003. Parmi les plus significatifs, on peut mentionner que le CDF est composé d’un organigramme exécutif et d’un secrétariat, de différents comités ministériels et d’une structure chargée de gérer les aspects financiers et de proposer la tenue de rencontres annuelles afin de mieux répondre aux objectifs de coordination des intérêts des provinces ainsi que de ceux des territoires canadiens. Le CDF issu de l’entente de 2003 possède un fort degré de formalisation du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales canadiennes. Cela dit, il ne présente pas de changement radical dans la pratique, surtout en ce qui touche l’influence effective que les gouvernements provinciaux et territoriaux devraient pouvoir avoir auprès du gouvernement fédéral et de ses institutions législatives.

Ayant présenté les grandes lignes de l’actuel CDF, une comparaison entre le CDF de 2003 et celui inscrit dans le rapport Pepin-Robarts de 1979 est un exercice utile afin de déceler les ressemblances et les dissemblances de ces deux modèles. Pour y parvenir, nous comparons les deux modèles institutionnels intergouvernementaux sous l’angle de notre grille d’analyse du fédéralisme exécutif. Le but de cette démarche consiste à discuter des avantages et des failles des deux modèles, et donc de mieux cerner les défis du fédéralisme exécutif quarante ans après la publication du rapport Pepin-Robarts et près de dix-sept ans après la création du CDF.

Mécanisme d’élaboration institutionnel

Les modèles institutionnels issus des recommandations du rapport Pepin-Robarts de 1979 et de l’entente de 2003 sont, dans les deux cas, formels et donnent lieu à une importante institutionnalisation des rapports intergouvernementaux au pays. Ainsi, comparativement aux réunions fédérales-provinciales ou interprovinciales plus ou moins informelles qui ont lieu depuis 1887, ces deux configurations organisationnelles du fédéralisme exécutif sont développées en fonction de deux mécanismes formels. Cependant, il faut inclure une autre nuance en ce qui concerne la formalisation des deux CDF. Sur un plan plus global, en ayant déjà évoqué l’existence d’une multitude de manières d’institutionnaliser le fédéralisme exécutif canadien, il est nécessaire d’ajouter que le CDF de 1979 et celui implanté en 2003 n’ont pas le même degré de formalisation. En 1979, cette formalisation prend forme à travers une institution qui vise à prendre la place du Sénat à l’intérieur du Parlement fédéral à Ottawa, alors que depuis 2003, le CDF est un organe externe qui « relève de la branche exécutive et non législative des provinces et des territoires qui le composent[51] ».

Le CDF présenté dans le rapport Pepin-Robarts comporte donc un plus grand niveau de formalisation étant donné qu’il est invité à prendre la place du Sénat – donc à être l’objet d’une réforme constitutionnelle. Il doit aussi assurer un rôle de contre-pouvoir législatif dans l’équilibre des forces fédératives au sein du Parlement canadien, chose que le CDF érigé en 2003 ne peut pas faire. En effet, il n’a pas de rôle législatif et ne peut pas exercer une influence réelle sur les décisions émanant de l’État fédéral. Les rencontres entre exécutifs provinciaux et territoriaux n’ont qu’une valeur consultative aux yeux du gouvernement central.

La dynamique relationnelle

La proposition qui est issue des travaux de la commission Pepin-Robarts stipule que le CDF doit être un espace de dialogue intergouvernemental à l’intérieur du Parlement fédéral. La dynamique relationnelle de cette proposition est par conséquent celle de la coopération dans la mesure où il doit nécessairement y avoir un dialogue entre les deux chambres du Parlement et, plus spécifiquement, entre les représentants des provinces et le gouvernement fédéral. La relation est donc fondée en deux temps : premièrement, avec les représentants provinciaux ; deuxièmement, avec la Chambre des communes, institution où se trouvent les branches exécutives et législatives de l’État fédéral.

En ce qui concerne le CDF actuel, sa dynamique relationnelle est à l’inverse celle de la collaboration. En effet, selon la typologie du politologue François Rocher[52] sur les différents modes de fonctionnement relationnels entre partenaires fédératifs au Canada, on constate que, pour qu’une relation soit fondée sur la collaboration, elle doit respecter les deux impératifs suivants : 1) le gouvernement fédéral ne doit pas avoir un rôle prépondérant face à celui des gouvernements fédérés ; 2) les rapports intergouvernementaux ne doivent pas être strictement fondés autour des gouvernements fédéral et provinciaux, ils doivent aussi inclure les territoires. Le CDF qui découle de l’entente de 2003 est donc animé par une dynamique collaborative du fédéralisme puisqu’il respecte ces deux critères[53].

Le modèle de gouvernance

La formule d’institutionnalisation des relations intergouvernementales du rapport Pepin-Robarts s’inscrit tant dans le modèle du fédéralisme intra-étatique que dans celui du fédéralisme interétatique. On est alors devant une proposition novatrice, qui mise sur un modèle hybride entre ces deux formes de gouvernance. En remplaçant le Sénat à l’intérieur du Parlement fédéral, la mouture du CDF de 1979 suit le modèle de gouvernance intra-étatique tout en gardant une part de gouvernance interétatique étant donné qu’elle réglemente aussi en grande partie le phénomène du fédéralisme exécutif et des relations intergouvernementales. En d’autres mots, la nouvelle seconde chambre serait un espace de délibération intergouvernementale et de représentation des provinces canadiennes avec un certain nombre de pouvoirs législatifs, surtout en matière d’amendement constitutionnel et de respect des compétences provinciales. Au contraire, on peut dire que le CDF actuel fonctionne uniquement à partir du modèle de gouvernance interétatique puisqu’il évolue en toute indépendance du Parlement fédéral. À noter qu’il exclut également le gouvernement fédéral de la table de concertation, car il est seulement composé par les premiers ministres provinciaux et territoriaux – c’est donc un fédéralisme basé sur une relation collaborative.

Le CDF issu de l’entente de 2003 ne reflète pas, au bout du compte, l’esprit du CDF proposé dans le rapport Pepin-Robarts qui vise à inclure une forte dimension législative dans le fonctionnement du fédéralisme exécutif – combinaison hybride des modèles de gouvernance intra-étatique et interétatique – et à rejoindre le Parlement fédéral – fort degré de formalisation institutionnelle. Une différence supplémentaire entre ces institutions réside dans la façon dont sont organisées les dynamiques relationnelles des relations intergouvernementales empruntées pour mieux structurer le fonctionnement du fédéralisme exécutif canadien. Le CDF de 1979 est présenté à partir d’une logique coopérative, alors que le CDF de 2003 est plutôt orienté vers une dynamique collaborative.

En ce qui concerne les avantages de ces deux configurations, on peut dire que le CDF proposé dans le rapport Pepin-Robarts est plus intéressant que le CDF actuel dans la mesure où il est imaginé pour jouer un rôle législatif dans les institutions fédérales, chose qui ne fait pas partie du mandat du CDF de 2003. Si la proposition du rapport Pepin-Robarts avait vu le jour, le CDF aurait sans doute pu remplacer le Sénat et intégrer le Parlement fédéral. À l’inverse, la structure actuelle demeure un organe consultatif, fonctionnant à l’extérieur des institutions fédérales. N’ayant pas de pouvoirs législatifs ni de capacité d’influence effective, l’actuel CDF peut uniquement présenter des suggestions à propos des actions de l’État fédéral sans nécessairement avoir des garanties réelles. A contrario, un avantage que possède le modèle de 2003 sur celui de 1979 concerne l’intégration des territoires et l’exclusion du gouvernement fédéral dans les débats. Les territoires sont ainsi inclus dans le jeu politique du fédéralisme exécutif et le dialogue qui en découle est exempt de toute pression directe provenant du gouvernement fédéral.

En définitive, il est quand même possible d’observer deux failles majeures tant dans le modèle de 1979 que dans celui de 2003 : ils ignorent tous deux la question autochtone et ils ne proposent aucun encadrement à la participation citoyenne dans la pratique du fédéralisme exécutif et des rapports intergouvernementaux. Avec une mobilisation accrue des mouvements autochtones, la question de l’inclusion des peuples autochtones dans le fonctionnement du fédéralisme exécutif et dans les processus qui structurent les rapports intergouvernementaux doit être au coeur de tous les débats politiques. Cependant, la réalité en est une autre : à l’heure actuelle, aucun représentant autochtone n’est invité à participer aux rencontres intergouvernementales annuelles organisées par le CDF.

Par ailleurs, comme souligné par le politologue Donald V. Smiley, aucune mesure qui se veut en faveur d’une réforme du fédéralisme exécutif canadien n’a encore proposé l’inclusion de mécanismes assurant une participation citoyenne[54]. L’inclusion d’une dimension citoyenne dans la tenue du fédéralisme exécutif serait un choix démocratique. Voilà les plus grandes lacunes de ces deux modèles visant à organiser aussi bien le fédéralisme exécutif que les rapports intergouvernementaux et entre communautés nationales au Canada.

Conclusion

Le CDF opère officiellement depuis l’entente signée en 2003 par tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux composant la fédération canadienne. En nous basant sur les objectifs de la collaboration entre les pouvoirs exécutifs et législatifs, de la reconnaissance de la diversité et de la participation citoyenne, quelles prescriptions normatives peut-on proposer pour l’avenir du CDF et du fédéralisme exécutif canadien ? Bien que les responsables provinciaux et territoriaux qui composent le CDF déploient des efforts considérables en vue d’une meilleure coordination intergouvernementale dans différents dossiers tels que le commerce intérieur, la santé, l’énergie et la fiscalité, pour que le CDF soit réellement le reflet d’une conception collaborative, pluraliste et démocratique du fédéralisme, il devrait faire l’objet de trois réformes majeures.

Le CDF devrait occuper la place du Sénat canadien en tant que seconde chambre législative, inclure les peuples autochtones en tant que partenaires fédératifs et laisser les citoyens participer, à titre personnel ou par l’entremise de comités citoyens, au processus du fédéralisme exécutif. Bien que ces trois propositions soient générales et puissent être articulées de multiples façons, l’idée est de rendre les relations intergouvernementales plus tangibles, en leur octroyant une dimension législative, et plus inclusives, en invitant les multiples voix autochtones et citoyennes à la table du fédéralisme exécutif.

Avec tous les défauts qu’on peut lui reprocher, le CDF 2003 constitue déjà un premier pas en avant dans l’institutionnalisation du fédéralisme exécutif canadien, et ce, même s’il n’est pas non plus en syntonie avec ce que l’on peut considérer comme étant au coeur de l’esprit novateur de la commission Pepin-Robarts au chapitre de la réforme du fédéralisme exécutif. Le CDF est d’abord un organe de consultation intergouvernementale, mais ceci n’empêche pas qu’il puisse prendre ultérieurement la forme d’une institution législative avec un plus haut niveau de formalisation[55]. Bien que ce soit une option difficile à consolider, car il faudrait faire appel à la formule de révision constitutionnelle, cela octroierait non seulement un pouvoir plus réel au CDF, mais le rendrait aussi plus démocratique puisqu’il s’inscrirait dans l’arène législative du Parlement fédéral[56].

En définitive, ce qui rend unique et novatrice la proposition du CDF inscrite dans le rapport Pepin-Robarts à travers l’histoire politique et constitutionnelle du Canada, c’est justement qu’elle cherche à abolir le Sénat. Celui-ci serait ainsi remplacé par un organe législatif de coordination et d’aménagement des intérêts des provinces qui forcerait aussi un dialogue continu avec la Chambre des communes. Dans l’état actuel du fédéralisme exécutif, cette réalité n’est pas observable. Les États fédérés n’ont pas d’influence sur les organes exécutif et législatif de l’ordre fédéral de gouvernement, les décisions qui sont prises dans les divers forums multilatéraux intergouvernementaux mis en place n’ont donc aucun impact réel. Or les différents processus qu’on observe aujourd’hui et qui structurent les relations intergouvernementales ne possèdent qu’un rôle consultatif dans le processus menant à l’élaboration des politiques fédérales.

La rencontre intergouvernementale au sein du CDF du 2 décembre 2019 nous montre que les provinces et les territoires travaillent toujours suivant l’objectif de construire une relation plus durable et effective avec le gouvernement fédéral[57]. Pour que les États fédérés et les territoires parviennent à avoir une influence plus significative au sein des institutions fédérales, la « diplomatie » fédérale-provinciale-territoriale[58] devrait être remplacée par une véritable gouvernance intergouvernementale. De surcroît, nos trois prescriptions normatives sur le remplacement du Sénat, sur l’inclusion des peuples autochtones à titre de partenaires fédératifs et sur l’introduction d’une dimension citoyenne dans la pratique des rapports intergouvernementaux pourraient donner naissance à une nouvelle forme de fédéralisme exécutif qui s’inscrit en concordance avec les idéaux du pluralisme et de la collaboration au sein même des institutions fédérales canadiennes.