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Geneviève Zubrzycki, Jean-Baptiste décapité. Nationalisme, religion et sécularisme au Québec, Montréal, Boréal, 2020, 290 p.[Record]

  • Lucia Ferretti

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  • Lucia Ferretti
    Département des sciences humaines/CIEQ, Université du Québec à Trois-Rivières

Dans les années 1960, dit Zubrzycki, les Canadiens français du Québec se sont redéfinis en Québécois. Pour arracher d’eux-mêmes leur ancienne identité, il leur fallait jeter leur religion aux orties. Car la religion était le « squelette » (10) des Canadiens français, ce qui les tenait comme corps national. Après 1960, elle est devenue le « membre fantôme » (10, 19) d’un peuple qui s’est volontairement amputé d’une partie de lui-même. Or, comme tout membre fantôme, la religion catholique fait encore mal aux Québécois, peuple désormais infirme. C’est cette infirmité qui explique qu’ils aient tant de difficulté à comprendre et à accepter que les nouveaux arrivants, eux, tiennent encore à leur religion et à son expression dans l’espace public, comme on a pu le constater lors de la crise des accommodements raisonnables des années 2000 puis et dans l’adoption de la Charte des valeurs du gouvernement de Pauline Marois, en 2013 (11). Charles Taylor, dit l’auteure d’entrée de jeu (11, 29), a bien analysé tout ça. Les Canadiens français, selon Taylor, voyaient le monde et leur monde dans des catégories religieuses ; les Québécois se sont donné une identité séculière, mais celle-ci n’est pas apaisée, car le catholicisme continue à les hanter sous la forme d’un rejet vigoureux et qui s’étend aux autres religions. Par ailleurs, continue Zubrzycki, cette nouvelle identité culturelle dont se sont revêtus les Québécois francophones à partir des années 1960 conduisait logiquement à l’avènement d’un État indépendant. Celui-ci n’ayant pas vu le jour, l’identité politique rêvée dans la période 1970-1995 s’est évanouie, entraînant avec elle progressivement la décomposition de l’identité culturelle séculière qui lui servait de socle (38). Ayant rejeté l’Église et refusé deux fois de se donner un État indépendant, ayant arraché leur identité catholique et avorté leur identité séculière, et incapables à cause de la présence persistante de leur membre fantôme d’ouverture à l’endroit des immigrants francophones qui tiennent encore, eux, à leur identité religieuse (26), on ne donne pas cher de l’avenir des Québécois si l’on adopte le cadre d’analyse déployé par Zubrzycki. Mais elle-même ne se rend pas jusque-là. Son projet est plutôt d’étudier, sous l’angle de la sociologie de la culture, comment l’histoire des défilés de la Saint-Jean-Baptiste, devenus défilés de la Fête nationale, reflète très exactement l’histoire de l’identité québécoise. Comme elle l’explique en introduction, elle poursuit trois objectifs dans ce livre issu de sa thèse de doctorat (27-31). Le premier, d’ordre théorique, est d’analyser les relations entre idéologies religieuses et séculières d’une part, et identité nationale de l’autre ; un deuxième, empirique, attire l’attention sur la politique des symboles et son rôle dans la définition de l’identité collective ; le dernier est méthodologique, il s’agit pour elle de développer un modèle pour une sociologie visuelle et matérielle des transformations de l’identité, puisque les images et les objets sont pour elle à la fois le reflet et la matrice de l’identité culturelle. Le concept central qui relie les diverses voies dans lesquelles s’enfonce ce projet est celui de « révolte esthétique » (37), défini comme le double processus par lequel les acteurs sociaux contestent, mais aussi refaçonnent les symboles visuels dans l’espace public. C’est ce type de révolte qui, selon l’auteure, a éclaté autour du Saint-Jean-Baptiste tout au long des années 1960 jusqu’à la décapitation accidentelle de la statue en 1969, à la suite de quoi a pris fin le défilé traditionnel. L’appareillage théorique et méthodologique de l’ouvrage se déroule en deux parties : dans …