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La bioéthique peut nous aider à préparer l’après-crise causée par la pandémie du COVID-19. Toutefois, il serait efficient de revenir à sa vraie nature.

Rappelons-le, car cela semble aujourd’hui trop souvent oublier (1): l’inventeur du néologisme « bioéthique », l’oncologue américain Van Rensselaer Potter, définit la bioéthique comme une « science de la survie » ; une science où les sciences, en particulier les sciences de la vie, s’entremêleraient avec l’éthique, dans l’étude des progrès scientifiques et médicaux afin d’en dégager le meilleur pour nos sociétés et leurs individus. La bioéthique s’intéresserait surtout à la survie réelle de l’espèce humaine, celle de tous les Hommes.

Cette véritable crise de la modernité, dans la manière de l’étudier, de la résoudre, pour laquelle se focalise finalement Potter à travers son travail sur la bioéthique, a été également largement abordée par le philosophe français Paul Ricoeur ; crise de la modernité analysée à partir des progrès scientifiques acquis en bien plus d’un demi-siècle (2). En effet, Ricoeur parle de la nécessité d’une approche « médicale » dans l’analyse même des sociétés touchées par cette crise ; c’est-à-dire de les soigner. Un autre philosophe français, mais aussi sociologue, Edgar Morin (3), insiste-lui sur la nécessité de pratiquer l’« interdisciplinarité », cette nouvelle façon de faire la science. Il souligne l’intérêt d’une science collective et raisonnée, transdisciplinaire, sondant l’être humain et son environnement. Ces différentes références, dans leurs singularités, font largement échos à celle de Potter.

Nous assistons aujourd’hui par cette crise causée par la pandémie du COVID-19 à la nécessité d’un renouveau de la bioéthique. Dans une période comme la nôtre, la référence à l’assise scientifique – il suffit en effet de se référer au récent avis N°106 du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) en France, à propos d’une possible pandémie grippale (4) –, la bioéthique se proclame, comme nature, être le régulateur de la science, celle à l’origine du progrès.

La bioéthique ainsi renouvelée par cette crise demande l’intervention de toutes les sciences en son centre réalisant une multiplicité d’approches pour une unique visée : l’Homme. Chacune est interpellée par la crise et toutes doivent fournir une réponse cohérente au monde, tenant compte de sa diversité. La bioéthique doit être pratiquée et enseignée comme cette science, nouvelle, à l’interface de toutes – qui n’ignore évidemment pas la philosophie et le droit – qui est capable par une interdisciplinarité, voire une transdisciplinarité, réelle et bien pensée, d’étudier et de résoudre au mieux la complexité des crises que l’humanité traverse, et continuera à traverser, le tout dans la recherche de l’intérêt de tous et de chacun ; vers une humanité de la connaissance (3).

Seule – après l’analyse de l’excessive importance de l’économie sur la pensée humaine – cette bioéthique s’affermira avec un travail d’évaluation des évènements survenus à l’aune des valeurs humaines qu’il s’agit de refonder dans ce nouveau monde, véritable « phronesis » aristotélicienne pour laisser éclore la visée éthique privilégiant alors « la vie bonne avec les autres dans des institutions justes », comme l’appelait de ses voeux Ricoeur (5).