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Cela fait désormais plusieurs mois que de nombreux pays sont durement touchés par la pandémie du COVID-19. En l’espace de quelques semaines, nous avons pu observer l’engorgement des hôpitaux, en particulier des services de réanimation, dans les régions du globe les plus touchées par la pandémie, notamment en Europe occidentale, en Extrême-Orient et en Amérique du Nord. La crise que nous traversons est véritablement mondiale, allant d’est en ouest, et bientôt du nord au sud.

Mais cette crise est bien plus qu’une simple crise sanitaire. Elle est avant tout une crise éthique, civilisationnelle, systémique, qui interroge les aspects tant : philosophiques (rapports entre l’économie et la santé) ; épistémologiques (rapports entre le soin et la recherche) ; politiques (rapports entre l’élite et le peuple) ; sociaux (rapports entre l’individu et le collectif) ; ou moraux (rapports entre les valeurs et les normes). À notre sens, cette liste, loin d’être exhaustive, révèle toute la complexité de la crise, et son importance à être comprise en toute transdisciplinarité.

D’un point de vue étymologique, le mot « crise[1] » vient du grec krisis qui signifie « décider ». Ainsi, une crise peut être définie comme un instant critique, accompagné d’une nécessité de décisions, probablement difficiles. Nous voyons que cette définition est parfaitement applicable à notre cas, celui de la pandémie du COVID-19. Pourtant, le philosophe français Paul Ricoeur, dans un article publié en 1988 dans la Revue de Théologie et de Philosophie, en proposa une autre que l’on peut qualifier de « transhistorique[2] », qui nous semble, peut-être, plus appropriée à la situation.

En effet, Ricoeur écrit : « Lorsque l’espace d’expérience se rétrécit par un déni général de toute tradition, de tout héritage, et que l’horizon d’attente tend à reculer dans un avenir toujours plus vague et plus indistinct, seulement peuplé d’utopies ou plutôt d’« uchronies[3] » sans prise sur le cours effectif de l’histoire, alors la tension entre horizon d’attente et espace d’expérience devient rupture, schisme » (1). En d’autres termes, Ricoeur définit une crise comme l’instant où le décalage entre l’idée et le réel devient trop important et fait que les espérances possibles, celle d’une diminution de leur écart, s’effondrent.

Le COVID-19 est donc une crise, au sens où elle a révélé l’existence d’utopies : l’utopie d’une philosophie où l’économie primerait sur la santé ; l’utopie d’une épistémologie où la clinique serait déconnectée de la science ; l’utopie d’une politique où l’élite dominerait le peuple ; l’utopie d’une société où l’individu précéderait le collectif ; l’utopie où les normes seraient déconnectées des valeurs.

En ce sens, voilà pourquoi la bioéthique, transdisciplinaire et se prêtant à l’approche systémique (2) ainsi qu'à la pensée complexe (3), comme présentée dans une précédente lettre (4), est désignée comme l’un des meilleurs moyens à notre disposition pour tenter d’avoir un constat éthique sur leurs possibles survivances ou leurs corrections nécessaires pour rendre le monde d’après vivable et résoudre les effets de cette crise.