Notes de lecture

Anne Hébert contre vents et marées. Une symbiose poético-narrative par Michel LordLORD, Michel. Anne Hébert contre vents et marées. Une symbiose poético-narrative, Montréal, Lévesque éditeur, coll. « Réflexion », 2021, 234 p.[Record]

  • Camille Néron

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  • Camille Néron
    CRILCQ-Université de Sherbrooke

Michel Lord, dans Anne Hébert contre vents et marées. Une symbiose poético-narrative, aborde une partie de l’oeuvre poétique et narrative d’Anne Hébert : Poèmes pour la main gauche (1997), Le torrent (1965 [1950]) et les cinq premiers romans de l’auteure, des Chambres de bois (1958) aux Fous de Bassan (1982), en passant par Kamouraska (1970) et les deux récits fantastiques que sont Les enfants du Sabbat (1975) et Héloïse (1980), sont choisis pour former le corpus d’une étude qui vise à montrer « le fonctionnement formel de cet univers poético-narratif » (Lord, 2021 : 16 ; l’auteur souligne) fondé sur « le refus du réalisme » (15). En d’autres mots, il s’agit de mettre au jour cette « chose mystérieuse, le mystère de la parole qui s’engendre elle-même » (25 ; l’auteur souligne). Selon l’essayiste, les cinq premiers romans d’Hébert forment en effet « un bloc erratique largement dominé par l’écriture poétique, le fantastique, [voire] un réalisme magico-maléfique » (36), alors que ses cinq derniers romans sont plus ancrés dans le réel, justifiant de telle sorte le choix de son corpus. En développant son argumentaire à partir des formes syntagmatiques et des images et figures récurrentes de l’ultime recueil de poèmes hébertien, Lord s’applique par la suite à tirer profit de ces découvertes pour étudier les oeuvres narratives du corpus. La méthode qu’il élabore, centrée sur l’analyse du « fonctionnement narratif séquentiel et syntagmatique » (37) des oeuvres, emprunte la terminologie de Jean-Michel Adam (Le texte narratif. Traité d’analyse textuelle des récits, 1985). Lord s’attache à mettre de l’avant les orientations (et réorientations) du texte, les complications dans la trame d’événements racontés, les réactions des personnages à ces complications, puis les résolutions « tantôt dramatiques, tantôt tragiques, parfois euphémisantes » (37) déployées dans chacune des nouvelles et chacun des romans examinés, montrant ainsi à quel point Anne Hébert a su « jouer et déjouer les secrets de la narrativité » (38). L’essayiste a également recours au concept d’isotopie développé par Algirdas Julien Greimas (Du sens. Essais sémiotiques, 1970) pour expliquer les redondances sémantiques et thématiques d’une oeuvre, formant « un ensemble de vocable [qui] fait réseau, fait sens » (39). Ainsi, pour Lord, la poésie hébertienne comprend une « syntagmatique cachée » (39) recoupée à une riche isotopie, ce croisement se révélant particulièrement éclairant dans les nouvelles et cinq premiers romans d’Anne Hébert. L’ouvrage est divisé en sept chapitres, chacun porte sur une oeuvre du corpus littéraire. Dans le premier chapitre, Lord s’applique à faire ressortir ce « quelque chose de caché » (41) (selon une expression hébertienne) de la poétique de l’auteure. Il relève ainsi les principales figures et images des réseaux isotopiques qui façonnent Poèmes pour la main gauche, soit les figures du double, de la dislocation, de l’ombre, de la chute, des anges déchus, tout comme les figures aqueuses et les images cauchemardesques, souvent paradoxales. Selon Lord, le dernier recueil de poèmes d’Anne Hébert « s’offre dans une sorte de magma, de lave en fusion, où s’entremêlent » toutes ces figures, « l’ensemble créant ultimement une utopie avoisinante de la dystopie » (58). Cela s’avère une source foisonnante d’inspiration pour aborder les textes de fiction. Le deuxième chapitre est consacré au recueil Le torrent et dévoile les formes syntagmatiques, des orientations aux résolutions, de chacune des nouvelles qui le compose. L’essayiste tente ici d’établir « une poétique de la forme narrative qui parfois se rapproche du genre poétique lui-même », dans le sens où, précise-t-il, le poème peut être perçu comme l’énonciation d’une « réaction (émotive ou autre) à une complication …