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Un auteur canadien avait employé l’expression « deux solitudes » pour décrire, à travers une oeuvre de fiction, la quête d’identité commune et pourtant distincte des Canadiens anglais et des Canadiens français[1]. L’idée d’une quête parallèle, marquée par un même objectif, mais aussi par l’isolement de la démarche, pourrait également être évoquée eu égard aux thèmes de la prévention et de la sanction des atteintes à la sécurité du consommateur au Québec.

Si la question de la sécurité ne se limite pas aux situations qui mettent en présence des consommateurs, il n’en demeure pas moins que les préoccupations consuméristes ont été à l’origine de nombreux développements relatifs à cette question dans les systèmes juridiques contemporains. Le consommateur, par la multitude des situations quotidiennes qui l’exposent à des atteintes à la sécurité, tout comme par sa vulnérabilité particulière en l’absence d’une connaissance approfondie des risques encourus, a fait l’objet d’une attention particulière des législateurs et des tribunaux. En cela, le contexte juridique québécois ne fait pas exception.

La notion de sécurité renvoie, dans un sens étroit, à l’intégrité physique des individus. L’atteinte à la sécurité se traduit alors par des blessures ou, dans les cas les plus graves, par le décès de la personne victime de cette atteinte. Si le législateur et les tribunaux ont accordé une attention particulière à cette forme d’atteinte, la sécurité des biens a également fait l’objet d’une certaine forme de protection, quoique plus timide à bien des égards.

Le risque d’atteinte à la sécurité peut survenir dans une variété de contextes. Il n’apparaît pas opportun d’aborder ici la question des accidents du travail et celle des accidents de la route, que le droit québécois assujettit à des régimes législatifs particuliers, qu’il s’agisse de la prévention des accidents ou de l’indemnisation des victimes d’une atteinte à la sécurité. Nous porterons plutôt notre attention sur la sécurité des consommateurs dans le contexte de la fourniture de produits ou de services, qui présente également un risque élevé d’atteinte à la sécurité des consommateurs, tout en s’insérant plus nettement dans une analyse de droit civil.

La fourniture de produits et de services fait l’objet de bon nombre de mesures à caractère préventif destinées à assurer la protection du grand public, dont plusieurs sont de compétence fédérale (1). L’existence de ces mesures préventives ne suffit toutefois pas à assurer la protection du consommateur et des biens de ce dernier, ce qui explique la pertinence des règles de droit civil destinées à encadrer les conséquences juridiques de telles atteintes dans les rapports privés entre la victime et les créateurs du risque (2).

1 La prévention des atteintes à la sécurité du consommateur : les exigences administratives en amont de la fourniture de produits ou de services

Les mesures de prévention à caractère administratif ont parfois tendance à passer sous le radar des civilistes, dans l’analyse du cadre juridique pertinent quant à la sécurité du consommateur. Outre le clivage qui existe souvent entre les juristes spécialisés en droit administratif et ceux qui se préoccupent plutôt du droit civil, cette situation s’explique également par le nombre de mesures préventives mises en place et leur complexité, mesures qui se prêtent difficilement à un examen exhaustif ou même à une tentative de synthèse[2]. Qu’il suffise ici de mentionner certaines mesures qui apparaissent particulièrement importantes, eu égard à la protection de la sécurité du consommateur, dans la fourniture de produits (1.1) et de services (1.2).

1.1 La fourniture de produits

Au Canada, la sécurité des produits de consommation, dans sa dimension préventive, est de responsabilité principalement fédérale. Le Québec ne dispose pas de législation générale touchant la prévention des atteintes à la sécurité attribuables aux produits de consommation.

Les mesures générales adoptées par le législateur canadien dans le domaine de la qualité et de la sécurité des produits sont très limitées. Elles résultent d’une approche à la fois sectorielle et dispersée. En l’absence de cadre législatif sur la sécurité générale des produits, le législateur canadien procède à l’adoption de réglementations au cas par cas, selon les risques présentés par certains produits à la suite d’accidents subis par les consommateurs. Il s’agit donc d’une approche réactive, plutôt que préventive, des pouvoirs publics.

Par ailleurs, l’approche suivie reste souvent basée sur l’adhésion volontaire des acteurs économiques et une large part est donc laissée à l’autoréglementation. En effet, tant l’information fournie aux consommateurs sur les caractéristiques de sécurité des produits (1.1.1) que les obligations imposées aux professionnels (1.1.2) dépendent essentiellement de normes volontaires, de codes de bonne conduite et de processus d’évaluation de la conformité élaborés par les entreprises elles-mêmes ou négociés entre l’industrie et le gouvernement. Le contrôle du marché conditionne dans une large mesure le degré d’efficacité des mesures en vigueur (1.1.3).

1.1.1 L’information sur la sécurité des produits

La législation canadienne n’impose pas de mention obligatoire liée aux caractéristiques de sécurité des produits. Elle a principalement pour objet d’éviter les tromperies qui pourraient entraîner des préjudices économiques aux consommateurs.

Trois indications obligatoires seulement doivent figurer sur l’étiquette d’un produit préemballé, selon la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation[3]. Il s’agit :

  1. de l’identité du produit ;

  2. de la quantité nette du produit ;

  3. du nom et de l’établissement principal du fournisseur (art. 10).

Tous les renseignements devant figurer sur l’étiquette d’un produit préemballé aux termes de la loi et du règlement doivent être indiqués dans les deux langues officielles, à l’exception du nom et du principal établissement de la personne par ou pour qui le produit préemballé a été fabriqué, transformé, produit ou emballé pour la revente, qui peuvent être indiqués dans l’une ou l’autre des langues officielles.

Si l’information relève essentiellement du fédéral, les provinces peuvent néanmoins encadrer certaines de ses modalités. Ainsi, la Charte de la langue française[4], loi adoptée par le législateur québécois, précise que toute inscription sur un produit, sur son contenant ou sur son emballage, sur un document ou un objet accompagnant ce produit, y compris le mode d’emploi et les certificats de garantie, doit être rédigée en français (art. 51).

1.1.2 Les obligations imposées aux professionnels

Le droit canadien sur les produits dangereux ne prévoit pas d’obligation générale de sécurité. La loi se limite à imposer — et de manière implicite seulement — le respect des règles de sécurité qui ont été adoptées pour toute une série de produits en vertu précisément de la législation applicable aux produits dangereux (1.1.2.1), tout en y ajoutant une obligation de coopérer avec les autorités de contrôle (1.1.2.2).

1.1.2.1 L’obligation implicite de respecter les règles de sécurité applicables aux produits dangereux

La Loi sur les produits dangereux[5] est la principale loi adoptée au fédéral qui a pour objet de protéger la santé et la sécurité du public. Elle interdit l’accès au marché de produits, de matières ou de substances qui, en raison de leur nature, de leur conception, de leur construction ou de leur fabrication, présentent « vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité du public » (art. 6 (1)). Par ailleurs, elle permet au ministre compétent d’obliger le fabricant à se conformer à certaines règles de sécurité et à divulguer à l’Administration la présence d’éléments dangereux dans les produits qu’il met sur le marché (art. 10 et 20). Enfin, des mesures d’urgence peuvent être adoptées par l’entremise d’arrêtés (art. 5.1).

La Loi sur les produits dangereux distingue trois catégories à cet égard :

  1. les produits interdits (partie I de l’annexe I) : ces produits sont l’objet d’une interdiction totale de vente, d’importation et de publicité (art. 4) parce qu’ils représentent un danger grave pour la santé et la sécurité du public en raison de leur extrême toxicité, de leur inflammabilité ou de leur effet corrosif (par exemple, du cyanure, du vernis, un poison, un diluant). Le terme « vente » est défini de façon large et comprend tant le fait de distribuer que celui d’offrir en vente. En revanche, il ne s’étend pas à la fabrication ; un produit faisant l’objet d’une interdiction totale de vente peut donc être fabriqué au Canada et exporté vers des pays où la réglementation est moins sévère ;

  2. les produits dont la fabrication et la vente sont limitées, ou produits « réglementés » (partie I de l’annexe II) : de tels produits ne peuvent être ni annoncés, ni vendus, ni importés s’ils ne sont pas conformes aux règlements adoptés en vertu de la loi (art. 4 (2) et 5). Ces règlements d’application définissent des mesures nationales de sécurité pour une large gamme de produits de consommation, depuis les dispositifs de retenue d’enfants pour véhicules automobiles jusqu’aux casques de hockey sur glace. Les prescriptions peuvent concerner, entre autres, la construction, la fabrication ou le design du produit, l’imposition d’un étiquetage approprié, d’avertissements ou de mises en garde ou encore l’identification du fabricant ;

  3. les produits contrôlés dont la liste est mentionnée à l’annexe II : cela comprend les substances dangereuses utilisées dans le milieu de travail des entreprises.

La Loi sur les produits dangereux n’énonce pas d’autres critères de définition de ce qui constitue un produit dangereux. Le produit ne devient dangereux, donc interdit, limité ou contrôlé, que lorsqu’il a été reconnu comme tel par le législateur. Aucun critère n’est fourni pour permettre de qualifier de dangereux un produit qui ne figure pas dans l’annexe I de la Loi sur les produits dangereux. Celle-ci procède par déclaration dans chaque cas, lorsque les autorités estiment qu’un produit présente un danger pour la santé ou la sécurité du public en raison de son contenu, de sa conception, de sa construction ou de son dessin. Tout produit sur le marché est donc susceptible de tomber sous le coup de l’application de cette loi, mais tant qu’il n’a pas été déclaré dangereux, il ne peut faire l’objet d’une mesure en vertu de la loi. Afin de clarifier certaines dispositions de cette loi, un guide à l’intention des entreprises a été publié par le ministère de la Santé du Canada (Santé Canada) en avril 2007[6].

Dans le secteur alimentaire, la Loi sur les aliments et drogues[7] contient des dispositions similaires, mais elle interdit en outre explicitement la vente d’aliments contenant des substances toxiques ou impropres à la consommation humaine, falsifiés ou encore fabriqués, préparés, conservés, emballés ou emmagasinés dans des conditions non hygiéniques (art. 4).

1.1.2.2 L’obligation de coopérer avec les autorités de contrôle

La Loi sur les produits dangereux n’impose pas d’obligation particulière aux acteurs économiques, à l’exception de l’obligation de coopérer avec les autorités de contrôle.

Ainsi, en vertu de l’article 22, al. 2 de cette loi, « [l]e propriétaire ou le responsable du lieu visité, ainsi que quiconque s’y trouve, sont tenus de prêter à l’inspecteur toute l’assistance possible et de lui donner les renseignements qu’il peut valablement exiger dans le cadre de l’exercice [de ses] pouvoirs ».

Cette loi énonce également que le fabricant doit fournir toute l’information qui peut lui être demandée par le ministre compétent relativement à son produit. Ce dernier ne peut cependant aller jusqu’à obliger le fabricant à maintenir des archives sur le résultat des essais effectués et qui pourraient aider à déterminer si le produit est conforme à la norme.

L’obligation de coopérer est toutefois conçue de façon restrictive. Ainsi, la Loi sur les produits dangereux ne prévoit pas l’obligation pour le fabricant ou l’importateur d’assurer le suivi du produit, une fois celui-ci mis sur le marché et, si cela devient nécessaire, de prendre les mesures voulues en vue de prévenir la survenance d’accidents ou d’en réduire le risque, par exemple, le retrait ou le rappel du produit du marché. De même, rien n’est dit non plus sur l’obligation qu’aurait le fabricant de notifier à Santé Canada un accident, un défaut ou un risque dont il aurait pris connaissance et influant ou susceptible d’influer sur la sécurité de son produit.

1.1.3 Le contrôle du marché

La Loi sur les produits dangereux considère Santé Canada comme l’autorité compétente pour assurer le contrôle du marché (1.1.3.1). Ce ministère dispose de certains moyens d’action pour assurer la mise en oeuvre des mesures de sécurité édictées par la loi en question (1.1.3.2).

1.1.3.1 L’autorité compétente

La Loi sur les produits dangereux désigne le ministre de la Santé comme responsable de sa mise en oeuvre. Cette administration est, en principe, compétente pour tous les produits de consommation générale, tant les produits alimentaires, et ce, même si des règles particulières sont applicables aux denrées alimentaires, que non alimentaires. Cela présente l’avantage d’éviter des problèmes de coordination ou des risques de chevauchement ou, au contraire, des lacunes dans la mise en oeuvre des contrôles du marché. La loi canadienne ne confie donc pas la mise en oeuvre des mesures de protection à un organisme administratif indépendant, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis.

C’est la Division de la sécurité des produits de Santé Canada qui est chargée de l’application de la Loi sur les produits dangereux. Sa mise en oeuvre est confiée aux bureaux régionaux de Santé Canada répartis dans les différentes provinces canadiennes. La coordination entre les unités administratives de Santé Canada chargées du contrôle de produits particuliers utilisés par les consommateurs (par exemple, les produits dangereux, les denrées alimentaires, les médicaments) ou avec des autorités de contrôle relevant d’autres ministères (par exemple, Transport Canada, Agriculture et Agroalimentaire, Environnement Canada) ne fait pas l’objet d’un arrangement institutionnel au sein, par exemple, d’un comité administratif interministériel.

La concertation avec les représentants des consommateurs n’est pas davantage organisée. Aucune structure n’est prévue pour permettre la consultation des organisations de défense des consommateurs ou les associer à la définition des orientations de la politique de surveillance du marché. Il est connu pourtant que de telles structures ont été mises en place dans nombre de pays.

Un système national de collecte des plaintes des consommateurs est offert sur le site Web de Santé Canada. Il doit permettre à l’Administration de mieux mesurer les risques liés à l’usage des produits circulant sur le marché et de mieux appréhender les attentes des consommateurs sur le plan de la sécurité des produits.

1.1.3.2 Les moyens d’action

Les fonctionnaires de Santé Canada disposent de certains moyens de surveillance du marché, auxquels s’ajoutent des outils adaptés aux cas d’urgence ou encore à des besoins spécifiques, tel le système d’information relatif aux accidents occasionnés à des enfants par des biens de consommation.

La surveillance du marché

Santé Canada organise ses contrôles autour de programmes cycliques ou de décisions ponctuelles prises sur la base de renseignements divers, fournis par des banques de données relatives aux accidents de consommation, des plaintes des consommateurs ou des exigences du moment (par exemple, l’arrivée de nouveaux produits sur le marché). À noter que les actions menées par les autorités de surveillance du marché ne donnent pas lieu à la publication d’un rapport annuel.

Les fonctionnaires chargés des contrôles ont de larges pouvoirs d’investigation. Ils peuvent :

  • visiter les lieux de fabrication, de distribution et de vente « à toute heure convenable » (et non à tout moment comme en Europe) ;

  • prélever des échantillons et les soumettre à une analyse ;

  • réclamer toute information utile ;

  • examiner et reproduire tout document ;

  • saisir les marchandises et, en cas d’infraction, les confisquer, voire les détruire, moyennant le consentement écrit du propriétaire.

Par contre, ils ne peuvent pas apposer de scellés.

Les pouvoirs en cas d’urgence

La Loi sur les produits dangereux dote les autorités compétentes d’un large pouvoir de réaction devant une situation de risque. Ainsi, elle confie au ministre de la Santé le pouvoir de déclarer un produit dangereux, ce qui constitue un pouvoir discrétionnaire très large puisqu’il n’a pas à démontrer que le danger est grave ou immédiat, ni à justifier sa décision. Il peut prendre toute mesure d’application qu’il juge nécessaire sous la forme d’un arrêté d’urgence lorsqu’« une intervention immédiate est nécessaire afin de parer à un risque appréciable — direct ou indirect — pour la santé ou la sécurité » (art. 27.1 (1)).

L’arrêté d’urgence peut comporter les mêmes dispositions qu’un règlement d’interdiction, soit la limitation de mise sur le marché du produit en cause ou la soumission de celle-ci à une autorisation préalable ou encore « toute autre mesure applicable ». Bien qu’elles ne soient pas mentionnées de manière explicite, les mesures applicables peuvent donc comprendre le retrait ou le rappel des produits, leur destruction, l’adoption de mesures de publicité sur les risques encourus, l’apposition d’avertissements ou de modes d’emploi, la diffusion de mises en garde ou bien le remboursement total ou partiel du prix payé par les acheteurs.

Sur déclaration de culpabilité de l’auteur de l’infraction, le produit saisi peut être confisqué et éventuellement détruit si le propriétaire y consent par écrit. Les fabricants ou les distributeurs de produits ayant fait l’objet d’un décret interdisant ou conditionnant la mise sur le marché peuvent, dans un délai de 60 jours suivant l’adoption du décret, demander au ministre le renvoi du décret devant une commission d’examen. Un rapport élaboré par cette commission contient toutes ses recommandations. Ce rapport est rendu public au plus tard 30 jours après sa réception.

La pratique démontre que, généralement, plutôt que de recourir à ces pouvoirs, l’Administration opte pour une voie moins coercitive, laquelle consiste à demander ou à suggérer à l’entreprise d’adopter, de corriger ou de prévenir le risque volontairement par un retrait du produit du marché ou une information appropriée fournie au public. Une telle démarche semble bien accueillie par les entreprises, soucieuses de préserver leur image de marque, d’éviter les pertes économiques qui résulteraient de la saisie de leur stock et de prévenir d’éventuelles actions en responsabilité. Le problème se résout ainsi généralement sur une base consensuelle, par l’adoption d’une mesure volontaire.

Un guide sur le rappel des produits de consommation rédigé à l’intention de l’industrie en avril 2005 par Santé Canada[8] incite les entreprises à procéder au rappel volontaire de leurs produits en cas de danger et met en évidence, comme une menace explicite, le pouvoir de l’Administration d’exiger de l’entreprise de procéder à un rappel lorsqu’un produit ne respecte pas les exigences législatives applicables ou présente des risques inacceptables pour la santé et la sécurité des consommateurs. Ce guide, dépourvu de tout effet sur le plan législatif, constitue donc simplement un document de référence important pour les entreprises. Il y est également précisé que ces dernières sont tenues de fournir au ministère un rapport sur les rappels effectués (communication du nombre de produits rappelés et indication des mesures prises).

Un système d’alerte rapide et de surveillance destiné à faire face aux situations d’urgence a été établi dans tout le Canada. Il permet d’assurer l’échange rapide de données entre les services compétents des différentes provinces lorsqu’un produit présente un risque pour la santé et la sécurité des consommateurs. Il met ainsi les autorités nationales en mesure d’agir immédiatement lorsqu’un danger est relevé sur le territoire canadien ou sur une partie de celui-ci. Il semble cependant que le système reste plutôt officieux et que seule la province sur le territoire de laquelle le produit visé est distribué soit avertie du problème. Aucun critère n’est par ailleurs fourni eu égard aux conditions de gravité ou d’urgence que doit présenter le risque pour être inclus dans ce système.

Le système de recensement des accidents touchant les enfants

Un système particulier de collecte de données concerne les accidents subis par les enfants impliquant des produits de consommation, soit le système de recensement des accidents touchant les enfants (SCHIRPT ou Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes)[9]. Une vingtaine d’hôpitaux participent à cette banque de données consultable sur le site Web de Santé Canada, l’information ainsi recueillie étant transmise à ce ministère à des fins d’études statistiques. L’objectif du système est de définir aussi précisément que possible les origines, les circonstances, la nature et les conséquences des accidents survenus au domicile du consommateur ou durant ses loisirs.

En conclusion, le cadre normatif en vue de prévenir la commercialisation de produits susceptibles de causer un dommage aux consommateurs se révèle, au Canada, particulièrement lacunaire. L’approche du législateur reste parcellaire, ponctuelle et réactive. Aucune loi-cadre sur la sécurité des produits n’introduit une obligation générale de ne mettre sur le marché que des produits sûrs. La conformité avec les normes constitue le critère de référence premier pour apprécier le caractère sûr d’un produit. Les obligations accessoires, telles que l’obligation d’informer le consommateur des risques d’accidents et l’obligation de suivi des produits circulant sur le marché, ne sont pas prévues. Les notions de produit dangereux, de risque, de professionnels couverts ne sont pas davantage définies par la loi. Si certaines prescriptions sont énoncées dans le Guide de consultation rapide de la Loi sur les produits dangereux pour les fabricants, les importateurs, les distributeurs et les détaillants (2007)[10], ainsi que dans le Guide à l’intention de l’industrie (2005)[11], publiés par Santé Canada, elles conservent une nature volontaire et non obligatoire.

L’approche canadienne à cet égard tranche avec celle qui caractérise la Directive européenne de 2001 relative à la sécurité générale des produits[12], en évitant une formulation large de l’obligation de prévenir les atteintes à la sécurité. L’approche du législateur canadien n’autorise que des interventions particulièrement ciblées et limitées qui correspondent au libellé exact de la prescription. Ce manque de souplesse et d’adaptabilité de la norme fait aussi perdre à la Loi sur les produits dangereux sa force préventive et empêche une véritable responsabilisation des acteurs économiques. En revanche, l’approche canadienne gagne du point de vue de la certitude de la norme. Puisque les interdictions et les restrictions sont énoncées avec précision, il n’existe pas d’ambiguïté comparable à celle qui se pose aux acteurs économiques dans le contexte européen. Il reste que, sous l’angle de la protection du consommateur, le recours à des normes abstraites, telles que l’obligation générale de ne mettre sur le marché que des produits conformes non seulement aux prescriptions légales et aux normes de l’industrie, mais aussi aux attentes légitimes du consommateur, apparaît souhaitable.

Si la fourniture de produits se caractérise par la « granularité » des règles relatives à la sécurité des consommateurs, la fourniture de services, qui relève de différents paliers de gouvernement, présente un portrait particulièrement éclaté.

1.2 La fourniture de services

De la même façon que pour la fourniture de produits, la fourniture de services ne fait pas l’objet, dans une optique préventive, d’un énoncé de principe général relatif à la sécurité. La prévention des atteintes à la sécurité des consommateurs se réalise donc principalement à travers une série de normes éparses, quelque peu disparates, susceptibles de s’appliquer aux prestataires de services.

Il va de soi que les normes préventives énoncées précédemment eu égard à la fourniture de produits, de compétence fédérale, trouvent application chaque fois qu’un prestataire de services est appelé à se servir d’un tel produit pour des services offerts à des consommateurs.

Le portrait d’ensemble se complique toutefois du fait que la prestation de services est assujettie à des normes additionnelles qui émanent non seulement du fédéral (par exemple, pour le transport aérien, maritime ou ferroviaire), mais également du palier législatif provincial et même, à certains égards, de normes réglementaires édictées par les collectivités locales.

À titre d’exemple, mentionnons les normes, nombreuses et très techniques, relatives aux lieux destinés au public. La Loi sur la sécurité des édifices publics[13], qui a longtemps été le principal texte législatif applicable aux lieux ouverts au public, énumérait dans son article 2 un nombre impressionnant de types d’édifices publics[14] et énonçait que « [l]es édifices publics visés par l’article 2 doivent offrir toute la sécurité requise par la présente loi et les règlements faits sous son empire » (art. 4 (1)). La Loi sur le bâtiment[15], d’apparition plus récente et qui est appelée à remplacer progressivement la Loi sur la sécurité des édifices publics, contient parmi ses objets « d’assurer la sécurité du public qui accède à un bâtiment ou à un équipement destiné à l’usage du public » (art. 1 (2))[16]. Ces deux textes de loi ont donné lieu à l’adoption de nombreuses normes réglementaires à l’égard d’une variété d’installations susceptibles de présenter un risque pour le public : par exemple, ascenseurs et autres appareils élévateurs, remontées mécaniques, jeux mécaniques, bains publics (tels que piscines, pataugeoires et plages)[17]. D’autres textes législatifs et réglementaires québécois contribuent également à prévenir les atteintes à la sécurité des consommateurs au moment de la prestation de services, telle la Loi sur la sécurité dans les sports[18]. Les autorités locales, quant à elles, disposent d’un pouvoir délégué de la législature provinciale. Elles édictent certaines normes susceptibles de prévenir l’atteinte à la sécurité du public et en assurent le respect par l’intervention d’inspecteurs ; les normes relatives à la prévention des incendies constituent sans doute l’exemple le plus courant de telles normes relatives à la sécurité qui émanent d’autorités locales. Qu’il s’agisse de normes provinciales ou municipales, des inspecteurs sont chargés de voir au respect des normes visées.

Les normes fédérales relatives à la fourniture de produits, marquées par leur caractère mixte qui combine des mesures impératives et une certaine part d’autoréglementation de l’industrie, cohabitent donc avec des normes provinciales ou locales dont le caractère impératif est plus souvent affirmé, quoique ces dernières dépendent également, dans une certaine mesure, des pratiques reconnues par le milieu à travers le phénomène de la normalisation. Si l’objectif de protection du public — et notamment des consommateurs — est commun à toutes ces interventions, l’approche adoptée par chacun des paliers de gouvernement illustre le phénomène des « solitudes » mentionné précédemment. Les normes préventives coexistent, sans qu’il ait été possible d’assurer une efficacité optimale grâce à une coordination de ces normes ou même des approches en présence.

Quoi qu’il en soit, même les normes préventives les plus poussées ne sauront jamais enrayer totalement le risque d’atteinte à la sécurité des consommateurs. Dès lors, il s’avère important d’aborder également les conséquences civiles de l’atteinte à la sécurité entre le consommateur victime et les créateurs de risques. Or, non seulement ces normes révèlent une absence de concertation globale entre les normes préventives mentionnées précédemment et les règles du droit civil, mais le phénomène des « solitudes » se manifeste également à l’intérieur même du corpus de règles consacrées aux sanctions civiles.

2 La sanction des atteintes à la sécurité du consommateur : les règles de droit civil en aval de la fourniture de produits ou de services

Plus encore qu’il ne le faisait avant la réforme du Code civil, le droit québécois entrevoit de façon distincte les sanctions propres à la victime contractante (2.1) et celles qui interviennent en l’absence de rapports contractuels entre la victime et le défendeur (2.2).

2.1 L’atteinte à la sécurité du consommateur partie à un contrat

Comme d’autres systèmes de droit civil, le droit québécois a été amené à préciser le caractère proprement contractuel de la sécurité du consommateur et des biens de ce dernier, en présence d’un contrat pour l’obtention d’un bien ou d’un service, par l’intermédiaire des règles de rattachement de la sécurité au contenu obligationnel du contrat (2.1.1). C’est ce rattachement qui donne ouverture aux sanctions prévues au bénéfice du contractant (2.1.2).

2.1.1 La sécurité du consommateur dans le contenu obligationnel du contrat

Le rattachement au contrat de la sécurité du consommateur ou des biens de ce dernier repose, à la base, sur le principe général établi à l’article 1434 du Code civil du Québec[19] : « Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. »

Ce rattachement est plus ou moins explicite selon que les obligations relatives à la sécurité s’inscrivent dans le droit commun des contrats (2.1.1.1) ou dans le contexte particulier du régime de sécurité des produits de la Loi sur la protection du consommateur[20] (2.1.1.2).

2.1.1.1 Les obligations relatives à la sécurité dans le droit commun des contrats

Dans le droit antérieur à la réforme du Code civil, comme dans le droit nouveau, certaines obligations du droit commun des contrats ont permis le rattachement de la sécurité du consommateur au contenu obligationnel du contrat. Ces obligations de portée générale, énoncées par le législateur ou reconnues par les tribunaux, donnent ouverture aux sanctions contractuelles lorsque le consommateur a déjà subi une atteinte à la sécurité ou encore lorsque la situation présente un danger suffisamment imminent pour justifier une sanction contractuelle.

Parmi les obligations les plus importantes, dans l’approche contractuelle classique, soulignons la garantie du vendeur contre les vices cachés (renommée « garantie de qualité » lors de la réforme ; art. 1726 et suiv. C.c.Q.). En droit québécois, comme dans d’autres systèmes juridiques civilistes, la notion de vice caché a permis de viser toute défectuosité qui fait obstacle à l’usage utile du bien vendu, notamment lorsque cette défectuosité présente un danger pour l’acquéreur. Dès lors, l’indemnisation octroyée en cas d’atteinte ne se limite pas à la valeur économique correspondant à la perte d’usage du bien, mais également aux pertes collatérales qu’entraîne l’atteinte à la personne de l’acquéreur ou aux autres biens de ce dernier. Le droit québécois a donc, comme d’autres juridictions, reconnu la fonction indemnitaire de la garantie du vendeur. Il est vrai que le recours à la garantie pour sanctionner les atteintes à la sécurité attribuables à un vice dangereux n’a pas constitué une panacée pour le consommateur victime. Dans le droit antérieur à la réforme, le recours était assujetti à la règle du « délai raisonnable », ce qui pouvait poser un problème désormais réglé dans le droit nouveau en assujettissant le recours fondé sur la garantie du vendeur au délai de droit commun de trois ans (art. 2925 C.c.Q.). Demeure la difficulté qui résulte de la possibilité offerte en jurisprudence, au vendeur professionnel non spécialisé, de démontrer qu’il ignorait le vice à l’origine de l’atteinte à la sécurité — une situation qui perdure dans le droit nouveau en l’absence de précisions législatives quant au caractère simple ou absolu de la présomption de connaissance du vice applicable au vendeur professionnel (art. 1728 C.c.Q.)[21] et à laquelle le régime plus exigeant de la Loi sur la protection du consommateur a permis d’apporter une solution concrète[22]. Dans le droit commun de la vente, c’est-à-dire à l’extérieur du domaine d’application du régime propre au contrat de consommation, cette approche subjective apparaît singulièrement anachronique, surtout si nous la comparons avec le régime extracontractuel applicable à tout fournisseur sans égard à son niveau de spécialisation (art. 1468 C.c.Q.) et qui se situe au contraire dans le registre de la responsabilité objective[23].

Le contrat de vente n’est pas le seul contrat nommé qui ait permis un rattachement de la sécurité au contrat, sous le couvert d’une obligation codifiée à vocation plus large. Ainsi en va-t-il, notamment, de la garantie de délivrance et de l’obligation de réparation et d’entretien imposées au locateur dans le louage (art. 1854 et 1864 C.c.Q.), lesquelles ne se limitent pas aux situations qui présentent un risque pour la personne ou les biens du locataire, mais qui peuvent inclure celles-ci lorsque la source du danger se situe dans le domaine d’application de ces obligations à caractère général.

Certaines règles propres à l’obligation d’un contractant de veiller à la sécurité de la personne ou des biens de son cocontractant ont fait leur apparition dans le Code civil au cours des vingt dernières années, soit à l’occasion de l’adoption de lois à saveur consumériste (par exemple, dans le louage résidentiel), soit lors de la réforme du Code civil (par exemple, dans le contrat de transport de personnes codifié lors de la réforme ; art. 2037 et 2038 C.c.Q.).

À ces différentes règles de nature civile, susceptibles de meubler le contenu obligationnel du contrat, s’ajoutent les règles mentionnées précédemment, en matière de prévention des atteintes à la sécurité. En effet, certaines normes à caractère préventif, de nature administrative, sont susceptibles de participer à la définition des obligations qui s’imposent aux parties suivant la « loi », alors entendue au sens large. Ainsi, en cas d’accident subi par l’usager d’une piscine publique, il serait permis d’invoquer que cette piscine ne répondait pas aux normes réglementaires imposées aux fins de protection de la sécurité des usagers de cet édifice public.

Au cours du xxe siècle, principalement en raison de l’influence du droit français, une obligation implicite de sécurité d’origine prétorienne — donc détachée de toute obligation prévue explicitement par la loi — a été mise en avant par certains auteurs. Cette obligation prétorienne n’avait pas pour objet de remplacer les dispositions mentionnées précédemment, mais plutôt d’assurer un encadrement contractuel en dehors des seules règles déjà prévues par le législateur. Il pouvait en être ainsi, notamment, dans des contrats nommés tels que la vente ou le louage, lorsque le défaut de sécurité n’était pas visé par l’une ou l’autre des obligations codifiées, par exemple lorsqu’il était question du défaut d’avertissement quant au danger inhérent que présente le produit vendu. L’ajout d’une obligation prétorienne de sécurité concernait aussi, à plus forte raison, les contrats innommés dépourvus d’un régime législatif de base, tel le contrat de transport de personnes avant sa codification par le législateur québécois lors de la réforme du Code civil.

L’obligation implicite de sécurité, d’origine tant législative que prétorienne, n’a toutefois pas été appliquée avec constance par les tribunaux québécois. Souvent, le potentiel contractuel d’une situation n’était pas clairement envisagé par la partie demanderesse, dont le recours était présenté sur le fondement de la responsabilité délictuelle et jugé sur la base de ce régime. Cette situation était permise dans le droit antérieur, en responsabilité civile, puisque l’option de régime (ou « cumul ») était admise par la Cour suprême du Canada — paradoxalement, dans un arrêt concernant le devoir d’avertissement du vendeur quant aux dangers inhérents du bien vendu[24]. Les règles contractuelles étaient parfois invoquées en matière de responsabilité civile (surtout lorsqu’elles avantageaient la victime d’une façon ou d’une autre), mais elles étaient utilisées plus systématiquement lorsque le consommateur cherchait à se prévaloir, à titre principal ou complémentaire, d’autres sanctions de droit commun proprement contractuelles (telle la résolution ou la résiliation du contrat).

Fait plutôt troublant, alors même que le législateur accorde une attention plus soutenue au rattachement de l’obligation de sécurité au contrat et interdit l’option de régime (art. 1458, al. 2 C.c.Q.), les litiges de responsabilité civile concernant l’atteinte à la sécurité de consommateurs sont encore souvent tranchés sur la base des règles extracontractuelles[25] ou encore sans que soit précisé le régime applicable[26].

À cela s’ajoute la difficulté que pose la question de l’intensité de l’obligation de sécurité. En effet, même lorsque le tribunal décide de faire reposer le recours du consommateur victime sur le fondement de l’obligation contractuelle de sécurité, la victime se bute souvent à la qualification de cette obligation en tant qu’obligation de moyen, ce qui lui fait supporter la charge de la preuve considérable associée à un régime de responsabilité subjective[27]. Les tribunaux québécois ne semblent généralement pas enclins, du moins pour l’instant, à assurer un renforcement général de l’intensité de l’obligation de sécurité, d’origine prétorienne ou dont l’intensité n’aurait pas été précisée par le législateur, par extrapolation des règles où ce dernier a jugé opportun de reconnaître l’existence d’une obligation de résultat, comme en cas d’atteinte corporelle dans le contrat de transport de personnes (art. 2037 C.c.Q.).

Compte tenu de ce contexte, où l’application de l’obligation de sécurité (à laquelle sont assimilées ici d’autres obligations plus générales susceptibles de trouver application en la matière) pose certains problèmes au consommateur victime d’une atteinte à la sécurité, l’existence d’un régime contractuel de responsabilité du fait des produits propre au consommateur se révèle particulièrement judicieuse, dans une optique consumériste.

2.1.1.2 Les obligations propres à la sécurité des produits dans la Loi sur la protection du consommateur

Les années 70 ont été, au Québec, marquées par un certain nombre d’avancées législatives et jurisprudentielles en faveur du consommateur. L’adoption en 1978 d’un régime particulier de responsabilité du fait des produits, comme partie intégrante de la nouvelle Loi sur la protection du consommateur, constitue une illustration de ces avancées.

Le régime de sécurité des produits est énoncé principalement à l’article 53 de cette loi :

Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.

Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.

Ni le commerçant, ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut.

Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.

Le régime instauré par l’article 53 suppose, comme pour tout droit qui résulte de la Loi sur la protection du consommateur, l’existence d’un contrat de consommation au sens de cette loi, soit un contrat « conclu entre un consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce et ayant pour objet un bien ou un service » (art. 2 L.p.c.). Le régime de l’article 53, s’inscrivant dans le contexte des règles relatives aux garanties, exige en outre que le contrat en question soit un contrat de vente, de louage ou de service (art. 34 L.p.c.).

Le régime adopté en 1978 présente certains avantages significatifs pour le consommateur victime d’un défaut de sécurité, par rapport aux règles du droit commun des contrats.

D’abord, ce régime évite les difficultés conceptuelles qui résultent, dans l’approche traditionnelle, de la notion limitative de vice caché, entendue au sens d’un déficit d’utilité. Cette notion de vice caché est effectivement visée par le régime, dans le prolongement du droit commun de la vente, au premier alinéa de l’article 53. Cependant, le législateur balaie plus large en visant également, au deuxième alinéa, « le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte » — en d’autres termes, l’obligation d’information et de mise en garde qui n’entre pas clairement dans la conception traditionnelle de vice caché.

De plus, le consommateur (acquéreur, locataire ou client dans le contrat de service) peut exercer les droits qui résultent du contrat de consommation non seulement contre le commerçant, mais également contre le fabricant (art. 53, al. 1 L.p.c.) et, à certaines conditions, contre les intermédiaires assimilés au fabricant (art. 1 (g) L.p.c.)[28]. L’extensibilité des règles fondées sur le contrat de consommation va jusqu’à la transmission des droits contractuels contre le fabricant à tout autre consommateur qui a acquis le bien défectueux revendu par le consommateur initial (art. 53, al. 4 L.p.c.), même si cette vente ne constitue pas, en soi, un contrat de consommation puisqu’elle intervient entre deux consommateurs.

Les défendeurs visés par ce régime ne peuvent aucunement invoquer le fait qu’ils ignoraient le vice ou le défaut du produit (art. 53, al. 3 L.p.c.), ce qui écarte notamment l’exonération fondée sur l’état des connaissances scientifiques et techniques, généralement reconnue dans le droit commun de la vente[29] et maintenant codifiée en matière extracontractuelle (art. 1473, al. 2 C.c.Q.)[30]. Cette précision législative devrait également faire échec à toute tentative de réintroduire une approche subjective, à certains égards, en se fondant sur une distinction entre les défauts de conception, de fabrication ou d’information.

De fait, la seule faille significative du régime fondé sur l’article 53 de la Loi sur la protection du consommateur résidait dans le court délai de prescription d’un an (art. 274 L.p.c.), qui était certes avantageux à l’époque de son adoption à la fin des années 70 parce qu’il évitait le délai raisonnable de la garantie dans le droit commun de la vente, mais était désormais plus court que le délai de trois ans applicable aux recours de droit commun contractuels ou extracontractuels à compter de la réforme du Code civil (art. 2925 C.c.Q.). Cette dernière apportait une solution partielle à cette difficulté, puisque le délai était ramené à trois ans, malgré toute disposition contraire, en cas de préjudice corporel (art. 2930 C.c.Q.). Plus récemment, le législateur québécois a tout simplement abrogé la courte prescription applicable à l’article 53[31], avec l’intention évidente de laisser jouer le délai de droit commun de trois ans (art. 2925 C.c.Q.).

Le régime de l’article 53 constitue indéniablement l’un des ajouts les plus significatifs qu’ait connus le droit québécois en matière d’atteinte à la sécurité, par comparaison avec les obligations qui se dégagent du droit commun des contrats. Les obligations de droit commun mentionnées précédemment[32] demeurent néanmoins pertinentes pour le consommateur victime d’un défaut de sécurité, soit lorsque le contrat qu’il a conclu n’est pas assujetti à la Loi sur la protection du consommateur (par exemple, la vente d’un immeuble, le contrat conclu avec un membre d’une profession libérale, un agriculteur ou un artisan), soit lorsque le défaut de sécurité n’est pas attribuable à un produit (par exemple, le danger que présente la prestation de services elle-même).

Quelle que soit la source de l’obligation de sécurité, il convient de passer en revue les recours contractuels mis à la disposition du consommateur victime de son inexécution.

2.1.2 Les recours contractuels du consommateur victime d’une atteinte à la sécurité

Le consommateur victime d’une atteinte à la sécurité peut exercer différents recours qui sont énoncés par la loi.

Dans le droit commun, le Code civil dresse l’inventaire des sanctions ouvertes au créancier insatisfait à l’article 1590 :

L’obligation confère au créancier le droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.

Lorsque le débiteur, sans justification, n’exécute pas son obligation et qu’il est en demeure, le créancier peut, sans préjudice de son droit à l’exécution par équivalent de tout ou partie de l’obligation :

1o Forcer l’exécution en nature de l’obligation ;

2o Obtenir, si l’obligation est contractuelle, la résolution ou la résiliation du contrat ou la réduction de sa propre obligation corrélative ;

3o Prendre tout autre moyen que la loi prévoit pour la mise en oeuvre de son droit à l’exécution de l’obligation.

Lorsque le contrat dont la victime déplore l’inexécution est également assujetti à la Loi sur la protection du consommateur, l’article 272 L.p.c. joue un rôle comparable à celui de l’article 1590 du Code civil, en offrant un éventail de sanctions au consommateur insatisfait. Ces sanctions incluent notamment la résolution ou la résiliation du contrat et l’attribution de dommages-intérêts. Notons que, concernant l’indemnisation versée à la victime, l’article 272 se distingue par rapport aux sanctions de droit commun, puisqu’il permet l’attribution de dommages-intérêts punitifs, en sus des dommages-intérêts compensatoires.

Le législateur et les tribunaux limitent considérablement la portée des aménagements conventionnels relatifs à la sécurité. S’il est toujours permis d’ajouter à la protection offerte par la loi, en revanche, il est interdit d’exclure ou de limiter la protection offerte lorsque le contrat conclu par la victime est assujetti à la Loi sur la protection du consommateur[33] ou encore que le préjudice subi par la victime — sans égard à son statut de consommateur — est de nature corporelle[34]. Le législateur fait ainsi exception aux règles du droit commun des contrats, qui procurent une protection souvent moindre à la victime et qui laissent aux parties une certaine marge de manoeuvre pour augmenter ou diminuer la protection offerte en vertu du contrat, par exemple en matière de vente (art. 1732 et 1733 C.c.Q.)[35].

L’atteinte à la sécurité du consommateur, qu’elle se fonde sur les règles du droit commun des obligations ou sur les règles particulières de sécurité des produits en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, se prête tout naturellement à une sanction sous forme d’indemnisation, soit par l’attribution de dommages-intérêts (2.1.2.1). Il arrive néanmoins que d’autres sanctions apparaissent appropriées (2.1.2.2).

2.1.2.1 Le recours en indemnisation

Le recours en dommages-intérêts constitue la sanction la plus courante en cas d’atteinte à la sécurité du consommateur dans un contexte contractuel. Ce recours est généralement assujetti au régime contractuel de responsabilité, en fonction de l’article 1458 du Code civil. Cette disposition consacre l’application obligatoire des règles contractuelles entre cocontractants, par l’interdiction de l’option de régime que l’arrêt Wabasso de la Cour suprême du Canada[36] avait autorisée dans le droit antérieur :

Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.

Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice ; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.

Si le fondement de la responsabilité contractuelle est énoncé à l’article 1458, les règles qui encadrent l’attribution de dommages-intérêts sont exposées dans la section du Code civil consacrée à l’exécution par l’équivalent (art. 1607-1625 C.c.Q.). Le législateur y traite principalement de dommages-intérêts compensatoires, mais également de dommages-intérêts punitifs.

Les dommages-intérêts compensatoires

L’attribution de dommages-intérêts compensatoires constitue une sanction générale applicable à toute inexécution contractuelle, tant dans le droit commun des contrats (à travers l’article 1458 et les articles 1607 et suiv. C.c.Q.) que dans le régime particulier de la Loi sur la protection du consommateur.

Que l’inexécution se rapporte à une obligation de droit commun ou au régime de la Loi sur la protection du consommateur, un principe demeure, soit celui du caractère compensatoire de la responsabilité. La victime doit démontrer l’existence d’un préjudice directement attribuable à l’inexécution reprochée (art. 1607 C.c.Q.). En principe, les règles contractuelles imposent que le préjudice ait été prévisible au moment de la conclusion du contrat (art. 1613 C.c.Q.), mais la notion de prévisibilité à cet égard est appliquée très largement par les tribunaux.

L’indemnisation suit le principe de la réparation intégrale du préjudice, soit la perte subie et le gain manqué (art. 1611, al. 1 C.c.Q.). Aucune franchise n’est imposée, qu’il s’agisse du droit commun ou du régime particulier du fait des produits de la Loi sur la protection du consommateur.

Le préjudice pour lequel une personne est indemnisée peut entrer dans l’une ou l’autre des trois catégories énoncées au Code civil :

  • préjudice corporel (en cas de blessures ou de décès)[37] ;

  • préjudice moral (par exemple, la valeur sentimentale d’un bien détruit ou endommagé, la perte d’un animal de compagnie) ;

  • préjudice matériel (principalement la perte ou l’endommagement du bien défectueux et d’autres biens de la victime[38]).

Les dommages-intérêts punitifs

En droit québécois, l’attribution de dommages-intérêts punitifs demeure exceptionnelle. L’article 1621 du Code civil, ajouté lors de la réforme, précise que l’octroi de dommages-intérêts punitifs doit être expressément prévu par la loi (al. 1) et énumère les principaux critères qui permettent d’en déterminer le quantum (al. 2).

En théorie, deux fondements principaux pourraient justifier l’attribution de dommages-intérêts punitifs en cas d’atteinte à la sécurité d’un consommateur.

Le premier fondement serait le second alinéa de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[39], en cas d’atteinte illicite ou intentionnelle à un droit ou une liberté garanti par la Charte. En effet, cette dernière garantit le droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne (art. 1, al. 1), ainsi que le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens (art. 6). Toutefois, la nécessité d’une atteinte intentionnelle, propre à l’article 49 de la Charte, constituera le plus souvent un obstacle à l’attribution de dommages-intérêts punitifs[40].

Le second fondement des dommages-intérêts punitifs au bénéfice d’un consommateur victime d’une atteinte à la sécurité serait l’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur. Cet article énumère les sanctions mises à la disposition du consommateur contre le commerçant — et, par extension, le fabricant lorsqu’il est assujetti aux mêmes obligations — en cas de manquement à l’une ou l’autre des obligations qu’impose cette loi. L’article 272 mentionne, in fine, la possibilité d’octroyer des dommages-intérêts punitifs, sans exiger nommément un comportement intentionnel du commerçant, contrairement à l’article 49 de la Charte. Pourtant, les tribunaux ont été très réticents à imposer des dommages-intérêts punitifs, sur la base de l’article 272, en l’absence d’un comportement intentionnel[41]. Cette attitude des tribunaux illustre bien le caractère exceptionnel des dommages-intérêts punitifs en droit québécois, en comparaison de l’usage qui en est fait dans le monde anglo-saxon, notamment aux États-Unis, en cas d’atteinte à la sécurité subie par des consommateurs.

Dans les rares occasions où le tribunal juge opportun d’octroyer des dommages-intérêts punitifs au consommateur victime d’une atteinte à la sécurité, sur le fondement de la Charte ou de la Loi sur la protection du consommateur, le quantum sera généralement modeste[42]. À cet égard également, la situation tranche avec celle qui est observée dans le droit anglo-saxon.

2.1.2.2 Les autres recours contractuels

Les recours contractuels autres que la responsabilité civile sont plus rarement invoqués en cas de défaut de sécurité. Cela dit, ces sanctions demeurent théoriquement possibles, si des circonstances particulières devaient mener le consommateur à rechercher une sanction destinée à se substituer ou à s’ajouter à l’indemnisation du préjudice causé par l’inexécution de l’obligation. À ce titre, il convient d’examiner les deux sanctions majeures que constituent l’exécution en nature et la résolution ou la résiliation du contrat.

L’exécution en nature

L’exécution en nature constitue une sanction utile lorsque le consommateur cherche à corriger la situation, en raison du fait que l’inexécution du contrat menace de porter atteinte à sa sécurité ou à celle de ses biens, pour l’avenir, indépendamment de toute atteinte déjà produite et susceptible d’être réparée par l’octroi de dommages-intérêts. Ainsi, le locataire d’un lieu ou d’un produit qui présente un danger pourrait demander à son cocontractant d’effectuer les réparations qui s’imposent pour éliminer la source de danger lorsqu’il ne souhaite pas se prévaloir de la résiliation du contrat, ou encore que cette sanction ne lui est pas ouverte parce que l’inexécution ne présente pas un degré de gravité suffisant par rapport à l’ensemble du contrat (art. 1604, al. 2 C.c.Q.).

Le législateur québécois prévoit un droit général à l’exécution en nature (art. 1601 C.c.Q.), lequel peut théoriquement être exercé par voie d’injonction en vertu du Code de procédure civile (art. 751 et suiv. C.p.c.), lorsque la prestation du cocontractant lui-même est essentielle. Toutefois, lorsqu’il s’agit de corriger une situation dangereuse, la participation personnelle du cocontractant n’est pas toujours requise. Le consommateur pourrait donc mettre en demeure son cocontractant de corriger la situation dangereuse (sauf s’il en est dispensé en raison de la survenance d’un cas de demeure de plein droit, telle l’urgence, art. 1597 C.c.Q.) et, à défaut par ce dernier de s’exécuter, obtenir la prestation d’un tiers aux frais de son cocontractant sans autorisation judiciaire préalable (art. 1602 C.c.Q.)[43].

La résolution ou la résiliation du contrat

Outre la faculté de résiliation unilatérale et discrétionnaire dont il dispose parfois de façon exceptionnelle, compte tenu de circonstances particulières au contrat de consommation qu’il a conclu, le consommateur peut, comme tout contractant insatisfait, demander la résolution ou la résiliation du contrat sur le fondement de l’inexécution de son cocontractant.

Le droit à la résolution ou à la résiliation du contrat, énoncé à l’article 1604 du Code civil[44], suppose une inexécution importante ou, s’il s’agit d’une inexécution de peu d’importance, qu’elle soit répétée[45]. La résolution ou la résiliation pour inexécution du cocontractant peut, sauf exceptions, survenir sans demande judiciaire, pour autant que le cocontractant ait été en demeure de le faire (art. 1605 C.c.Q.).

L’anéantissement du contrat par résolution ou résiliation se révèle utile, notamment, lorsqu’une atteinte est imminente et que le consommateur souhaite mettre fin au contrat avant qu’elle se matérialise. Il est également possible d’y joindre une demande en dommages-intérêts lorsque le danger a commencé à se matérialiser. Si le consommateur victime d’une atteinte à la sécurité n’accompagne pas systématiquement son recours en dommages-intérêts d’une demande pour que le tribunal reconnaisse ou prononce la résolution ou la résiliation du contrat, c’est sans doute parce que l’intérêt économique ne le justifie pas toujours. Plusieurs produits dangereux ont une faible valeur économique et le préjudice qu’ils engendrent dépasse souvent largement le coût déboursé par le consommateur pour en obtenir la propriété ou l’usage. Cela étant dit, il peut arriver qu’un bien de consommation plus dispendieux se révèle dangereux. Ainsi, lorsque le consommateur a fait l’acquisition d’un tel produit, il pourra demander, outre l’indemnisation pour l’atteinte à la sécurité déjà subie, la résolution du contrat de vente et la restitution du prix d’achat (art. 1606 C.c.Q.).

Le consommateur victime d’une atteinte à la sécurité exercera souvent un recours de nature contractuelle soit contre son cocontractant, soit contre certains tiers à qui les règles contractuelles sont également applicables par une fiction juridique, notamment le fabricant. Il arrive toutefois qu’un consommateur soit victime d’une atteinte à la sécurité alors qu’il n’existe aucun lien contractuel à sa disposition ou encore, dans le cas où un contrat existe, que les règles contractuelles ne s’imposent pas à lui dans ses rapports avec d’autres défendeurs que le cocontractant lui-même. Il est donc utile de chercher à circonscrire les règles extracontractuelles alors applicables.

2.2 L’atteinte à la sécurité du consommateur en dehors de tout contrat

Dans le droit antérieur à la réforme du Code civil, si les règles contractuelles se présentaient comme plutôt avantageuses pour le consommateur victime d’une atteinte à la sécurité, en particulier depuis l’adoption du régime particulier instauré en 1978 par la Loi sur la protection du consommateur, il en allait autrement pour le consommateur considéré comme un tiers par rapport au contrat. Celui-ci bénéficiait d’une protection souvent minimale en fonction du régime classique de la responsabilité extracontractuelle, reconduit lors de la réforme (2.2.1). L’entrée en vigueur du nouveau code, en 1994, a néanmoins permis d’offrir à ce tiers une protection accrue, à travers un régime fortement inspiré par la Directive européenne de 1985[46] (2.2.2).

2.2.1 Le régime classique de responsabilité extracontractuelle

Le consommateur, en dehors de ses rapports contractuels, bénéficiait déjà dans le droit antérieur de la protection générale offerte par le régime délictuel, en vertu de l’article 1053 du Code civil du Bas Canada basé sur la faute du défendeur.

Lors de la réforme du Code civil, le qualificatif « extracontractuel » a remplacé le terme « délictuel », mais le régime de base est demeuré essentiellement inchangé. L’article 1053 a été reformulé en des termes plus modernes dans le nouveau code, à l’article 1457, tout en conservant à la base l’idée d’une responsabilité fondée sur la faute :

Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elles, de façon à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Le principe de base de la responsabilité extracontractuelle est, aujourd’hui encore, largement conditionné par le principe de prévisibilité, qui est le critère jurisprudentiel dominant pour qualifier le comportement d’un défendeur au regard du devoir de prudence qui s’impose envers autrui[47]. En cela, le régime extracontractuel de base se rattache étroitement au modèle de la responsabilité subjective — tout comme, en responsabilité contractuelle, la qualification de l’intensité de l’obligation de sécurité par les tribunaux s’oriente souvent vers celle de l’obligation de moyen, en l’absence de qualification législative plus élevée. Récemment, la Cour d’appel du Québec a considéré une piste intéressante pour renforcer le devoir de prudence et ainsi permettre de se détacher, dans une certaine mesure, d’une conception purement subjective de la responsabilité extracontractuelle : tout en rejetant le principe d’une responsabilité sans faute, dans le contexte d’un recours intenté par des voisins incommodés durant plusieurs années par les particules émises par une cimenterie, la Cour a dispensé les demandeurs de faire la preuve d’un manque de prudence des exploitants de l’usine, en acceptant que la preuve en demande se limite à démontrer la dérogation aux normes réglementaires destinées à prévenir les atteintes à l’environnement par l’entreprise[48]. De façon générale, toutefois, le principe de précaution tarde à poindre en jurisprudence québécoise et dépend principalement, dans l’un et l’autre des régimes de responsabilité, de la « loi » (art. 1434 et 1457, al. 1 C.c.Q.), c’est-à-dire d’interventions législatives ou réglementaires — plus ou moins ponctuelles, selon le cas — qui permettent de renforcer le degré de prudence requis pour prévenir les atteintes à la sécurité[49].

Les présomptions légales qui existent en matière extracontractuelle, tout comme le renforcement législatif de l’intensité de l’obligation en matière contractuelle, peuvent constituer des règles de portée générale qui permettent d’offrir une protection accrue aux victimes d’une atteinte à la sécurité. Sous l’empire du Code civil du Bas Canada, toutefois, de telles présomptions concernaient un ensemble relativement restreint de situations : une présomption de faute était applicable au fait autonome de la chose (art. 1054, al. 1 C.c.B.C.), alors que des présomptions de responsabilité se rapportaient au fait de l’animal et à la ruine de l’immeuble (art. 1055 C.c.B.C.). Ces dispositions étaient ouvertes, notamment, aux consommateurs victimes d’une atteinte à la sécurité soit lorsqu’ils constituaient de véritables tiers par rapport au défendeur, soit lorsqu’ils étaient contractants, mais qu’ils se prévalaient de l’option de régime permise en jurisprudence jusqu’au moment de la réforme du Code civil[50].

Toutefois, ces présomptions — essentiellement reconduites dans le droit nouveau (art. 1465-1467 C.c.Q.) — avaient une utilité limitée dans le cas particulier de la responsabilité du fabricant et des intermédiaires pour le fait des produits, en dehors de tout lien contractuel entre le consommateur victime et le dernier maillon dans la chaîne de fabrication et de distribution. La scission entre garde de structure et garde de comportement dans la responsabilité du gardien (art. 1054, al. 1 C.c.B.C.), inspirée du droit français (art. 1384, al. 1 du Code civil français), a eu peu d’échos en jurisprudence. En outre, contrairement à ce qui avait été reconnu par les tribunaux français, cette présomption pouvait être repoussée par la preuve d’absence de faute et elle se limitait aux cas de fait autonome de la chose.

Lors de la réforme du Code civil, le législateur québécois a donc cherché à offrir au tiers victime d’une atteinte à la sécurité par le fait d’un produit une protection mieux adaptée que celle qui lui avait été offerte jusque-là par les règles classiques de la responsabilité délictuelle.

2.2.2 Le nouveau régime de responsabilité extracontractuelle pour le fait des produits

Le régime extracontractuel de responsabilité du fait des produits issu de la réforme du Code civil se trouve exprimé principalement aux articles 1468, 1469 et 1473 C.c.Q. Les Commentaires du ministre de la Justice, publiés dans la foulée de la réforme, énoncent en toutes lettres l’influence marquante de la Directive européenne de 1985[51] dans l’élaboration du nouveau régime extracontractuel de responsabilité du fait des produits[52].

Il convient d’aborder successivement le domaine d’application de ce régime (2.2.2.1), ses principales conditions d’application (2.2.2.2) et ses effets (2.2.2.3).

2.2.2.1 Le domaine d’application du régime

Le domaine d’application du régime extracontractuel de responsabilité du fait des produits se définit principalement en fonction de deux types de paramètres, soit les parties impliquées et le produit mis en cause.

Les parties

L’article 1468, qui énonce le principe même de la responsabilité des acteurs économiques pour le défaut de sécurité d’un produit, énumère les parties visées par le nouveau régime.

Du côté des défendeurs, le législateur mentionne d’abord le fabricant dans l’énoncé de principe du premier alinéa. L’emploi du terme « fabricant » — plutôt que le terme « producteur » qui se trouve dans la Directive européenne de 1985[53] — n’est pas le fruit du hasard. Le législateur québécois cherchait ainsi à écarter le producteur de matières premières, dans le but de protéger une industrie particulièrement importante au Québec et qui avait lourdement souffert de procès intentés à l’étranger relativement à des matières qui se sont révélées toxiques, telle l’amiante. Au fabricant, le législateur assimile au second alinéa de l’article 1468 le distributeur (sauf s’il s’agit d’un simple intermédiaire économique sans association quelconque avec le produit) et le fournisseur (grossiste ou détaillant). Quoique les travaux de réforme aient mis l’accent sur le vendeur, comme cas type du fournisseur visé par ce régime, il peut s’agir également de tout autre type de fournisseur, tel celui qui loue ou prête un bien, ou même possiblement celui qui utilise le produit dans le contexte d’un contrat de service. L’énumération des défendeurs visés, à l’article 1468, laisse entrevoir comme dénominateur commun le caractère commercial de leur activité, ce qui exclut implicitement toute personne qui agirait en dehors d’un tel cadre[54]. Enfin, soulignons que, contrairement à la Directive européenne de 1985[55], le régime québécois ne prévoit pas de règle de subsidiarité qui forcerait la victime à privilégier le recours contre le fabricant : la victime peut donc intenter son recours contre l’un ou l’autre des défendeurs visés par l’article 1468 et même poursuivre plusieurs d’entre eux à la fois, si elle le souhaite.

En ce qui concerne la victime, le régime extracontractuel se démarque du régime contractuel de la Loi sur la protection du consommateur en ce qu’il n’établit pas de distinction entre le consommateur et toute autre personne victime d’une atteinte à la sécurité. Le régime applicable est donc identique, quel que soit le statut de la victime. Il pourrait dès lors s’agir, en toute hypothèse, d’une personne qui exploite elle-même une activité commerciale et qui subit une atteinte — à sa personne ou à ses biens — en raison du défaut de sécurité du produit. Le consommateur est donc protégé par le régime extracontractuel, sans toutefois bénéficier d’une protection supérieure aux autres catégories de victimes.

Un élément important eu égard aux parties visées par le nouveau régime extracontractuel concerne l’absence de tout lien contractuel entre les parties au contrat. Rappelons que, lors de la réforme du Code civil, le législateur québécois a interdit l’option de régime (art. 1458, al. 2 C.c.Q.). Dans des versions antérieures du projet de réforme, le législateur québécois avait pourtant envisagé l’établissement d’un régime unifié de responsabilité du fait des produits, sans égard à l’existence d’un contrat, en employant le mot « autrui » eu égard à la victime. Une telle unification aurait permis d’appliquer les règles du nouveau régime extracontractuel non seulement au tiers pur, mais également à toute personne qui aurait contracté avec le fournisseur du produit. Toutefois, la crainte que cela n’entraîne une perte d’acquis pour le contractant victime — notamment par rapport au régime de la Loi sur la protection du consommateur qui n’admet pas l’exonération fondée sur l’état des connaissances scientifiques et techniques — a amené le législateur à rejeter l’idée d’un régime unifié comparable à celui qui a été instauré dans le contexte européen. Il a donc cantonné le nouveau régime extracontractuel dans les rapports où la victime n’a pas contracté avec le fournisseur, en remplaçant le mot « autrui » par « tiers » dans la version définitive de l’article 1468. Il reste encore à déterminer, en jurisprudence, si l’interdiction de l’option de régime ira jusqu’à imposer une action « nécessairement contractuelle » à la victime dans ses rapports avec les autres acteurs dans la chaîne de fabrication et de distribution, à l’égard desquels elle dispose de droits contractuels (art. 1442, 1730 C.c.Q. ; art. 53 L.p.c.) mais qui ne sont pas, à proprement parler, ses cocontractants. À notre avis, il ne convient pas d’étendre le caractère obligatoire de la responsabilité contractuelle aux rapports entre la victime et ces autres acteurs, d’autant plus que l’interdiction d’option décrétée par le législateur mentionne uniquement les cocontractants (art. 1458, al. 2 C.c.Q.)[56].

Le produit

Le régime de responsabilité du fait des produits concerne essentiellement les biens meubles. Toutefois, le produit qui était meuble au moment où il a été fourni peut, depuis lors, avoir été incorporé à un immeuble (par exemple, une brique ou du mortier) ou encore y avoir été placé pour le service ou l’exploitation d’un immeuble (par exemple, un système de détecteurs de chaleur ou de fumée). Le fait que le bien meuble est devenu immeuble au moment où le défaut de sécurité se manifeste et entraîne un préjudice à la victime n’empêche pas l’application du régime instauré à l’article 1468, puisque la disposition mentionne nommément cette hypothèse.

2.2.2.2 Les conditions d’application du régime

Le régime extracontractuel du fait des produits impose, outre les conditions générales que constituent le préjudice de la victime et le lien de causalité, la preuve d’un élément central, soit le défaut de sécurité du produit incriminé. Si ces conditions sont réunies, il appartient au défendeur d’invoquer l’une des causes d’exonération dont il dispose pour éviter d’être tenu responsable.

Le fait générateur invoqué par la victime : le défaut de sécurité du produit

Avant la réforme du Code civil, le droit québécois abordait la sécurité des produits principalement à travers le prisme contractuel. L’analyse du fait générateur se faisait donc surtout sur le fondement de la notion de vice caché dans la vente et, dans les hypothèses autres (par exemple, si le danger ne constituait pas un vice à proprement parler ou encore dans des contrats autres que la vente), les tribunaux pouvaient fonder leur analyse sur l’obligation de sécurité de droit commun.

Dans le domaine extracontractuel, il n’est pas possible de recourir au concept même de vice caché — concept qui présente un lien avec l’usage utile, l’intérêt économique, que le vendeur est tenu de fournir à l’acquéreur en vertu du contrat. Traditionnellement, le recours extracontractuel (auparavant qualifié de « délictuel ») reposait plutôt sur la preuve par la victime d’une faute du fabricant ou des intermédiaires (art. 1053 C.c.B.C., devenu l’article 1457 C.c.Q.), ce qui constituait un fardeau de preuve très lourd. Pour que le nouveau régime extracontractuel s’éloigne de cette approche essentiellement subjective, il fallait élaborer une définition du fait dommageable qui ne mette pas l’accent sur le manque de prudence du défendeur, mais plutôt sur la constatation objective d’un défaut de sécurité du produit incriminé. Cette définition du défaut de sécurité est énoncée à l’article 1469 C.c.Q. :

Il y a défaut de sécurité du bien lorsque, compte tenu de toutes les circonstances, le bien n’offre pas la sécurité à laquelle on est normalement en droit de s’attendre, notamment en raison d’un vice de conception ou de fabrication du bien, d’une mauvaise conservation ou présentation du bien ou, encore, de l’absence d’indications suffisantes quant aux risques et dangers qu’il comporte ou quant aux moyens de s’en prémunir.

Cette définition ne concerne donc pas exclusivement le produit qui se révèle défectueux au sens strict du terme, c’est-à-dire qui présente un vice qui l’empêche de servir à son usage normal. Elle englobe également le produit en lui-même dangereux, qui fonctionne correctement, mais dont les dangers n’ont pas été adéquatement dénoncés à l’usager.

Cette définition du fait générateur marque clairement l’instauration d’une responsabilité objective à la charge des défendeurs visés par l’article 1468. De fait, la volonté du législateur d’offrir une protection accrue semble amener la Cour d’appel à privilégier un niveau de protection au moins comparable dans le domaine contractuel, et ce, afin de pallier les risques d’inégalité de traitement que subirait le contractant dans les situations où le caractère objectif de la responsabilité fondée sur l’obligation de sécurité de droit commun n’est pas clairement affirmé[57]. De la même façon que dans le régime de la Loi sur la protection du consommateur[58], il est permis de douter que la définition législative du défaut de sécurité autorise à diluer le caractère objectif de la responsabilité en distinguant selon qu’il s’agit d’un défaut de conception, de fabrication ou de présentation.

Les moyens d’exonération à la disposition du défendeur

Lorsque la victime démontre que le défaut de sécurité d’un produit lui a causé un préjudice, il appartient aux personnes visées par le régime de responsabilité de recourir à l’un ou l’autre des moyens d’exonération qui leur sont ouverts.

Puisque le régime de responsabilité est de nature objective, il ne suffit pas de plaider l’absence de faute, par exemple le fait que le fabricant, le distributeur ou le fournisseur ignorait le défaut.

Le moyen général d’exonération que constitue la force majeure, ou toute cause étrangère assimilable (fait de la victime, fait d’un tiers), peut être invoqué (art. 1470 C.c.Q.). À cet égard, il convient néanmoins d’apporter certaines précisions. Ainsi, le défaut de sécurité, élément intrinsèque au bien, ne présente pas le caractère d’extranéité requis pour qu’il soit considéré en lui-même comme une force majeure. En ce qui concerne l’acte d’un tiers, il faut également s’assurer que l’élément invoqué en défense présente effectivement le caractère d’extranéité requis : il ne serait donc pas permis au fournisseur, par exemple, d’invoquer que le défaut de sécurité est attribuable au fabricant, puisque l’un et l’autre participaient à la même chaîne de fabrication et de distribution du produit défectueux. En ce qui concerne le fait de la victime, l’article 1470 est complété par une disposition propre à la responsabilité du fait des produits, soit le premier alinéa de l’article 1473 : la victime ne peut tenir le défendeur responsable si elle connaissait le défaut de sécurité ou si elle était en mesure de le connaître.

L’article 1473 apporte également, à son second alinéa, des précisions au sujet d’un autre moyen d’exonération, soit l’état des connaissances scientifiques et techniques (communément appelé « risque de développement »). Alors que d’autres systèmes juridiques ont vu dans l’admission de cette cause d’exonération un élément très controversé, les travaux parlementaires en sous-Commission des institutions ont permis de constater un certain consensus en faveur du « bon fabricant[59] », c’est-à-dire celui qui a tout mis en oeuvre pour s’assurer de l’innocuité de son produit et qui ne pouvait connaître le défaut de sécurité compte tenu de l’état des connaissances. Il s’agit alors de faire une distinction entre l’état de ses connaissances (propre à une approche de responsabilité subjective) et l’état des connaissances, qui requiert une preuve plus exigeante de la part du défendeur. L’absence de controverse dans la codification de cette cause d’exonération au Québec pourrait s’expliquer, en grande partie, du fait que les autorités jurisprudentielles et doctrinales étaient généralement en faveur de son admission même dans le contexte contractuel — avec l’exception notable du régime de la Loi sur la protection du consommateur, où le législateur interdit formellement d’invoquer que le commerçant ou le fabricant ignorait le vice ou le défaut (art. 53, al. 3 L.p.c.)[60]. Soulignons en outre que la cause d’exonération fondée sur l’état des connaissances, telle qu’elle a été codifiée à l’article 1473, aux fins du régime extracontractuel de responsabilité du fait des produits, est assortie d’un devoir d’information dès que le défaut de sécurité est décelé — un complément que les États membres de l’Union européenne n’avaient pas le loisir d’intégrer à leur législation nationale, compte tenu du cadre restrictif de la transposition des causes d’exonération reconnues par la Directive européenne de 1985[61].

2.2.2.3 Les effets du régime : le recours en indemnisation

Lorsque les conditions d’application du régime de l’article 1468 sont réunies et qu’il n’existe pas de cause d’exonération valable, le défendeur visé par l’action de la victime est tenu de lui offrir une indemnisation. La victime dispose d’un délai de trois ans pour exercer son recours (art. 2925 C.c.Q.) à compter de la naissance du droit d’action (art. 2880, al. 2 C.c.Q.).

Les règles relatives à l’exécution par équivalent, c’est-à-dire l’attribution de dommages-intérêts, sont sensiblement les mêmes que celles qui ont été présentées précédemment en matière contractuelle. Seules certaines particularités méritent d’être soulignées. D’abord, la responsabilité extracontractuelle ne limite pas l’indemnisation au seul préjudice qui était prévisible, contrairement au régime contractuel (art. 1613 C.c.Q.), mais elle l’étend à tout dommage qui résulte directement du fait dommageable (art. 1607 C.c.Q.). Par ailleurs, compte tenu de l’effet relatif des contrats (art. 1440 C.c.Q.), les clauses et avis d’exclusion ou de limitation de responsabilité n’ont pas d’effet en tant que tels ; les avis peuvent simplement valoir dénonciation d’un danger (art. 1476 C.c.Q.) et donc faciliter l’établissement de la faute de la victime comme moyen d’exonération totale ou de partage de responsabilité (art. 1470 et 1478 C.c.Q.).

Dans le domaine extracontractuel, les dommages-intérêts octroyés pour atteinte à la sécurité seront souvent de nature exclusivement compensatoire. En effet, contrairement à la situation du consommateur qui exerce son recours sur le fondement de la Loi sur la protection du consommateur, le tiers dont le recours repose sur le régime extracontractuel devrait surtout compter sur la Charte des droits et libertés de la personne pour satisfaire l’exigence d’une disposition législative qui prévoit l’octroi de dommages-intérêts punitifs (art. 1621, al. 1 C.c.Q.) ; or, comme nous l’avons mentionné plus haut, l’article 49 de la Charte exige une atteinte illicite et intentionnelle, et le caractère intentionnel de l’atteinte n’est généralement pas présent.

La recherche d’une protection accrue de la victime en cas d’atteinte à la sécurité — en particulier lorsqu’il s’agit d’un consommateur — est notable dans les développements qui ont marqué le droit civil québécois au cours de la dernière partie du xxe siècle. La reconnaissance d’une responsabilité objective, lorsque l’atteinte résulte du fait d’un produit, en constitue un bon exemple. Cette progression des droits de la victime ne doit toutefois pas faire oublier les chevauchements, les interstices et les incohérences qui résultent d’un agencement imparfait du régime contractuel (de droit commun ou propre au contrat de consommation) et du régime extracontractuel. Là où les « deux solitudes » pouvaient s’expliquer en matière de prévention, en présence de plus d’un palier législatif, la situation est plus difficile à justifier lorsqu’il s’agit du même législateur, au lendemain d’une réforme législative majeure.

Conclusion

Les règles propres à la prévention et celles qui encadrent la sanction civile des atteintes à la sécurité du consommateur sont rarement mises en parallèle, dans le contexte québécois. L’exercice se révèle pourtant riche en enseignements. Il est vrai que le registre diffère considérablement, en raison même de la mission respective de chacun des ensembles de règles visés. Il ne faut pas pour autant ignorer l’interrelation qui s’établit dans ce domaine. Ainsi, l’existence de règles à caractère préventif contribue, dans une certaine mesure, à la sanction civile des atteintes à la sécurité, notamment en facilitant la preuve du fait générateur de responsabilité par la victime. À l’inverse, la crainte de répercussions civiles peut contribuer, à tout le moins indirectement, à favoriser des pratiques propres à assurer la sécurité des consommateurs de la part des acteurs économiques. Il n’en demeure pas moins que le déficit de cohérence, entre ces deux ensembles juxtaposés, justifierait une attention accrue de la part des législateurs canadien et québécois, dans l’optique d’une protection optimale de la sécurité des consommateurs. Le dialogue mérite d’être stimulé en vue d’atténuer le phénomène des « deux solitudes ».