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Professeur au Département de droit et justice de l’Université Laurentienne, André Émond vient de faire paraître une histoire fort intéressante de la constitution du Royaume-Uni. Son travail est appréciable à de multiples titres.

D’abord, les justiciables et les juristes francophones du Canada et du Québec disposent maintenant dans leur langue d’un ouvrage qui relate tout le développement d’un système qui explique largement celui qui les gouverne. Plusieurs autres pays ont aussi une constitution largement semblable à celle du Royaume-Uni. La plupart des auteurs contemporains auxquels le volume renvoie ont écrit en anglais et les sources plus anciennes se trouvent dans des traductions du latin ou dans un langage difficile à décoder. Le professeur Émond a rendu accessible une histoire britannique plus que millénaire, avec le souci d’employer une terminologie française rigoureuse tout en indiquant en note les expressions équivalentes de la langue d’origine. Vers la fin du texte, il présente toutefois sans les traduire diverses citations en anglais que certains lecteurs ne comprendront pas.

Aussi, l’ouvrage du professeur Émond s’avère d’une grande lisibilité. Cette qualité est précieuse parce que le texte relate non pas l’histoire du Royaume-Uni, mais bien celle de sa constitution, un sujet beaucoup plus aride. De fait, l’auteur s’en tient à l’évolution des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire au Royaume-Uni, selon la conception classique du droit constitutionnel. Cependant, il le fait d’une manière qui rend la lecture fort agréable. Les notes infrapaginales sont en nombre limité, concises et n’entravent pas le développement ; elles consistent souvent à fournir des renvois utiles à d’autres parties du volume. Le discours de l’auteur s’avère concret, réaliste, perspicace. Sous sa plume, les théories nébuleuses se dissipent. En fait, le professeur Émond se révèle dans son livre un vulgarisateur hors pair.

L’ouvrage n’en garde pas moins sa valeur scientifique. La bibliographie est considérable. Elle comporte une section indiquant les « ouvrages cités », avec la référence complète des textes qui ont été indiqués de façon allégée dans les notes. Et elle donne une liste des nombreuses « sources consultées », livres et articles de doctrine. Tout compte fait, le volume contient plus de 100 pages d’annexes, qui peuvent servir à la recherche. En particulier, l’index des noms de personnes et des sujets est bien conçu. La constitution du Royaume-Uni n’étant pas rassemblée dans un texte identifiable, l’origine de ses éléments divers se retrace bien grâce à cet index : par exemple, une entrée porte sur le « Premier ministre », et le lecteur peut obtenir les renvois à la responsabilité ministérielle et à la dissolution du Parlement sous les entrées « Cabinet » et « Roi ou reine ». Les pages terminales du livre présentent aussi un tableau des rois et des premiers ministres, un glossaire, une table des lois et de la jurisprudence, ainsi qu’une liste des illustrations. Enfin, l’auteur y donne sa traduction personnelle, fort correcte, des trois principales lois constitutionnelles britanniques, la Magna Carta de 1215 (p. 507), la Déclaration des droits de 1689 (p. 517)[1] et la Loi d’établissement de 1701 (p. 523)[2].

Ce travail considérable ne compte que fort peu de coquilles. Deux, toutefois, portent sur des dates : l’été 1164 (p. 240) et 1953 (note 406) ; aussi, le shire de York est mal numéroté sur la carte de la page 44.

Sur le fond, l’ouvrage du professeur Émond, qui englobe un millénaire et demi, fait ressortir plusieurs caractéristiques de l’histoire constitutionnelle anglaise. Le lecteur constatera, par exemple, que la monarchie n’y a jamais été vraiment absolue, que rois et reines ont été assujettis dès le départ à des règles constitutionnelles, certes relativement souples. Et cette monarchie, même à l’origine, ne s’est pas toujours prétendue de droit divin. De plus, selon l’auteur (p. xvi et section 20.2), les limites aux pouvoirs du monarque que Walter Bagehot avait formulées dès 1867 ne vaudraient pleinement que depuis le décès de la reine Victoria en 1901. Le chapitre 19 est particulièrement intéressant en ce qu’il relate l’évolution de la responsabilité du seul premier ministre tant envers le roi qu’envers les Communes vers une responsabilité collective puis la solidarité ministérielle ; à compter de 1835, tous les ministres sont choisis par le premier ministre. Enfin, le professeur Émond (p. 458) fait bien ressortir les précédents du Royaume-Uni voulant que l’initiative revienne au premier ministre de démissionner ou non lorsque les élections n’ont pas permis de dégager une majorité en faveur d’un parti. Cette leçon pourra servir au Canada au gouvernement fédéral et dans les provinces où surgissent plus souvent des gouvernements minoritaires.

Le dernier chapitre de l’ouvrage porte sur la constitution anglaise « après le règne de Victoria », mais il fait plutôt l’objet d’un résumé, d’un tour d’horizon, revenant pour chaque thème aux origines de cette constitution. Les notes infrapaginales dans ce chapitre se font en conséquence plus nombreuses. L’auteur mentionne des développements survenus jusqu’en 2009, année de la publication de son livre. Il avait d’ailleurs, dans la note 209, fait état d’une expression « devenue désuète depuis octobre 2009 ». C’est peut-être ce souci d’actualité qui lui a inspiré un développement (bizarrement placé à l’intérieur d’une rubrique sur l’exercice du « pouvoir législatif ») sur le rôle du roi dans l’hypothèse d’une défaite parlementaire du gouvernement peu de temps après les élections. Cette problématique s’était présentée au Canada au tournant de 2008 et 2009 lorsqu’une coalition de partis d’opposition menaçait de censurer le gouvernement conservateur et de prendre sa place : la gouverneure générale aurait-elle dû accéder à une demande de dissolution du Parlement faite par le gouvernement en fonction ou la lui refuser et appeler la coalition à former un nouveau gouvernement ?

Le professeur Émond, dans son livre, ne parle pas directement de la situation canadienne de 2008-2009. Cependant, son développement, aux pages 461 et suivantes, laisse entendre que le pouvoir du monarque de refuser une dissolution subsiste, qu’il pourrait décider de l’exercer dans des circonstances particulières. Si aucun précédent ne se trouve au Royaume-Uni même, l’auteur en débusque quelques-uns dans ses anciennes colonies, dont l’affaire canadienne King-Byng de 1926. Dans le cas de l’Afrique du Sud, il n’indique toutefois pas après combien de mois suivant les élections le gouverneur général Duncan avait refusé d’en appeler de nouvelles ; et le cas de l’Australie de 1975 est tellement singulier qu’il ne peut être exporté. Le professeur Émond conclut à « la possibilité qu’un roi ou une reine refuse la dissolution du Parlement, lorsqu’un Premier ministre défait aux communes sur une question de confiance lui demande de convoquer des élections anticipées » (p. 465). Nous sommes d’accord avec lui si la défaite aux Communes survient « à la première occasion suivant des élections » (p. 465), mais non si elle survient à l’intérieur d’un délai d’une dizaine de mois après les élections, selon certains précédents douteux[3].

Le professeur Émond suggère que la question pertinente à se poser consisterait à demander si « le temps écoulé depuis les dernières élections a été suffisamment long pour que les électeurs aient modifié leur choix […], car aucun bénéfice ne résulterait d’une nouvelle Chambre des communes qui serait la réplique exacte de la précédente » (p. 465). Pourtant, deux élections canadiennes rapprochées en 1979 et en 1980, par suite de la censure du gouvernement conservateur de Joe Clark, ont produit des résultats tout à fait différents. À vrai dire, si, comme nous le pensons, ce sont les hommes et les femmes politiques qui doivent assumer la responsabilité d’appels au peuple rapprochés, l’arbitrage démocratique qui en résultera est susceptible de sanctionner l’un ou l’autre des protagonistes.

Dans la conclusion de son volume, le professeur Émond se demande si le Parlement de Westminster est toujours souverain. Comme il ne fait état que de limites potentielles ou virtuelles à cette souveraineté, il faut répondre que oui. Les limites en question proviennent de conventions constitutionnelles, des droits fondamentaux de la personne et de l’impossibilité pratique d’appliquer des lois totalement injustes ou arbitraires.