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En décembre 2010, le gouvernement déposait un avant-projet de loi intitulé Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme[1] dans le but de procéder à la première grande révision d’une importante loi adoptée il y a une trentaine d’années : la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU)[2]. L’adoption de cette loi survenait à la suite de deux décennies de réflexions sur l’urbanisation, l’aménagement et l’organisation territoriale, notamment avec le rapport de la commission La Haye paru durant les années 60 et le Livre blanc de 1977[3]. Bien que ces deux documents illustrent que les approches préconisées alors étaient parfois extrêmes, allant de l’hypercentralisation bureaucratique à la décentralisation territoriale poussée, la LAU met en place un régime d’aménagement du territoire basé sur le schéma régional, outil qui servira à coordonner les interventions d’instances centrales et d’instances locales qui se partagent les compétences en la matière. À première vue, il est donc difficile de dire si cette loi est une loi de centralisation ou de décentralisation. L’Union des municipalités du Québec profite d’ailleurs de la révision de cette loi prévue en 2011 pour réclamer une disposition proclamant qu’elle est une loi de décentralisation[4].

Dans ce contexte, il nous semble pertinent de nous questionner à savoir si la LAU doit être qualifiée de centralisatrice ou de décentralisatrice pour ce qui est de l’aménagement du territoire. Ce questionnement est d’autant plus important qu’il touche directement à des principes fondamentaux de notre droit public tels que le gouvernement responsable, la démocratie et la liberté. En effet, il est bien connu qu’un système centralisé rend possible le contrôle par le Parlement de l’exécutif et de l’administration qui lui est soumise[5], alors qu’un système décentralisé territorialement favorise plutôt le contrôle des exécutifs locaux non seulement par les élus locaux mais également par des citoyens de façon directe. Sans parler du fait que la décentralisation favorise l’accès à la démocratie par la multiplication des municipalités qui « sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science » pour reprendre la formule d’Alexis de Tocqueville[6]. De plus, comme la décentralisation multiplie ainsi les centres de décisions, favorisant de ce fait une « séparation verticale des pouvoirs », elle constitue un indicateur du degré de libéralisme d’un système de droit administratif[7]. Pour certains, le concept de semi-décentralisation, qui suppose une codécision impliquant un organe central et un organe local, est encore plus particulièrement lié au libéralisme. Cette fois, nous pensons à Montesquieu selon qui le pouvoir ne doit pas être aux mains d’une seule instance[8]. En plus de ces raisons d’être classiques, en cette époque postmoderne marquée par l’émergence d’une « société des identités[9] », la décentralisation peut aussi être associée à l’accommodement de la diversité, voire à la reconnaissance d’identités infranationales, notamment parce qu’elle permet l’adoption de normes différentes en fonction de particularismes[10]. Cela revient à dire que se questionner sur la centralisation et la décentralisation dans le cas de la LAU, c’est réfléchir à propos de la démocratie, du libéralisme et de la diversité identitaire dans l’organisation territoriale québécoise.

De nombreux auteurs se sont prononcés sur la question du caractère centralisé ou décentralisé de la LAU. Cependant, ils l’ont fait sans se référer explicitement à ces raisons d’être de la décentralisation. Et la grande majorité de ces auteurs se sont exprimés à ce sujet de manière accessoire, dans des textes n’ayant pas principalement pour objet de répondre à cette question. Les réponses apportées sont souvent incomplètes soit parce qu’elles sont amenées sans que l’auteur ait préalablement défini le sens qu’il donne au concept de centralisation ou à celui de décentralisation, alors que ces concepts sont polysémiques, soit que l’argumentaire au soutien de la réponse est trop bref et trop peu axé sur les finalités de la décentralisation pour être totalement convaincant. En fait, Jane Matthews Glenn est la seule juriste ayant écrit un article de doctrine substantiel portant principalement sur cette question. Dans son article intitulé « La décentralisation de l’aménagement du territoire : mythe ou réalité[11] ? », elle procède à une analyse du texte de la LAU et de réflexions ayant mené à son adoption pour déterminer si cette loi est centralisatrice ou décentralisatrice. La réponse à laquelle elle arrive se révèle toutefois peu concluante de son aveu même, puisqu’elle se contente de dire, au final, que cette loi « peut se présenter – avec plus ou moins d’exactitude […] – comme [un] exemple de la décentralisation[12] ». Considérant que certains autres juristes sont arrivés à une conclusion différente, et que l’un d’entre eux l’a fait postérieurement à la professeure Matthews Glenn[13], la contribution de cette dernière ne clôt pas le débat pour nous. Cela est d’autant plus vrai que chez les politologues également il existe des conclusions très divergentes. Il faut dire que, tant du côté du droit que de celui des sciences politiques, les auteurs emploient deux concepts radicalement opposés, soit la centralisation et la décentralisation.

Comme Jane Matthews Glenn, la grande majorité des auteurs s’étant exprimés sur cette question l’ont fait au cours des années 80, soit peu après l’adoption de la LAU : ils n’ont donc pas pu s’appuyer sur une jurisprudence importante. Si aujourd’hui encore la jurisprudence sur cette question est rare, elle est désormais suffisante pour contribuer à soutenir une argumentation. Le fait que ces auteurs ont pour la plupart exprimé leurs opinions en fonction de la version de la LAU telle qu’elle existait à cette époque, alors qu’il y a eu de nombreuses modifications depuis, nous incite aussi à penser qu’une évaluation du caractère centralisé ou décentralisé de la version actuelle de cette loi est pertinente. Et puisqu’une partie du contenu de la LAU de 1979 a été transférée depuis dans la Loi sur l’organisation territoriale municipale (LOTM)[14], nous examinerons également cette dernière, dans la mesure où cela est nécessaire pour qualifier la LAU.

Par une analyse du texte de la LAU, de celui de la LOTM et de la jurisprudence, nous visons donc à qualifier la LAU en fonction des concepts de centralisation et de décentralisation. Et puisque la doctrine française et, dans une moindre mesure, la doctrine québécoise connaissent un concept intermédiaire, celui de semi-décentralisation, nous l’employons également pour raffiner notre analyse de la LAU, ce qui, dans la littérature scientifique, n’a jamais été fait. Autre innovation, nous nous référons aux raisons d’être de la décentralisation mentionnées précédemment pour arriver à une qualification de cette loi qui repose autant sur des considérations politiques, voire philosophiques, que sur des considérations juridiques plus techniques.

À cette fin, nous présentons, dans la première partie de notre texte, des définitions des trois concepts au coeur de notre réflexion, soit ceux de centralisation, de décentralisation et de semi-décentralisation. Dans la deuxième partie, nous nous penchons sur les dispositions de la LAU qui sont pertinentes en vue de situer dans l’axe centralisation-décentralisation le régime d’aménagement du territoire qu’elle met en place. La troisième partie est consacrée à l’analyse des réponses apportées par la doctrine et, dans une moindre mesure, par des politologues et des parlementaires. Ce n’est que dans la quatrième partie que nous exposons notre opinion sur les diverses hypothèses de qualification possibles, en évaluant les réponses des auteurs et de la jurisprudence tant en fonction des définitions des concepts qu’à la lumière des raisons d’être de la décentralisation. Bien que certains auteurs s’attardent à l’application de la LAU, notre analyse de cette loi en fonction des concepts est axée principalement sur son texte et accessoirement sur cette dimension pratique.

1 Les concepts de centralisation, de décentralisation et de semi-décentralisation : du pouvoir hiérarchique à la codécision en passant par l’autonomie contrôlée

Pour bien comprendre les concepts au coeur de la présente étude, il convient d’examiner successivement les définitions de la centralisation, de la décentralisation et de la semi-décentralisation. Ces définitions étant nombreuses, nous les catégorisons en fonction de leur caractère maximaliste ou minimaliste, lorsque cela est approprié, et les complétons par une définition de notre cru.

1.1 Le concept de centralisation : unité et hiérarchie

Un des premiers auteurs à définir le concept de centralisation en droit administratif canadien et québécois est Paul Tellier. Pour lui, la centralisation administrative fait référence à un mode d’exécution et d’application des lois en vertu duquel les décisions sont prises et exécutées par des agents qui sont placés sous le contrôle de l’administration centrale. Il va même jusqu’à affirmer que, « [dans] sa forme la plus rigoureuse, elle n’accorde aux collectivités locales aucun droit de participation aux décisions administratives[15] ». Dans la même lignée, Andrée Lajoie se réfère à l’administrativiste français Jean Rivero selon qui « la centralisation sous sa forme la plus rigoureuse ne reconnaît aux collectivités aucune vie juridique ; l’État, seule personne publique pour l’ensemble du territoire national, assume seul, sur son budget, par ses agents, la satisfaction de tous les besoins d’intérêt général[16] ».

De leur côté, René Dussault et Louis Borgeat affirment que la centralisation est un procédé d’organisation qui fait en sorte que toutes les compétences sont regroupées entre les mains d’un organe central qui, directement ou par l’intermédiaire de fonctionnaires à l’égard de qui il a un pouvoir hiérarchique, prend seul des décisions au nom du gouvernement[17]. Dans le même sens mais dit autrement, Jane Matthews Glenn estime que la centralisation est un système hiérarchisé où le pouvoir se situe au sommet[18].

De manière comparable, Pierre Issalys et Denis Lemieux considèrent ceci :

Centraliser l’administration signifie donner au Pouvoir exécutif une forme d’organisation interne qui renforce l’unité dans l’exécution des lois et la gestion des activités d’intérêt général, en confiant les tâches et les pouvoirs de l’administration à ses autorités dirigeantes, c’est-à-dire à celles qui sont les plus proches du centre d’impulsion politique, et en créant des liens de subordination hiérarchique directe entre ces autorités et leurs agents subalternes[19].

Pour mieux comprendre ce concept de subordination hiérarchique, citons Patrice Garant pour qui « [l]e contrôle hiérarchique est celui qu’exerce de plein droit un supérieur sur la personne et sur les actes des agents de son service ou celui qu’exerce un organe supérieur sur un organe inférieur à l’intérieur d’une administration[20] ».

À la lumière de toutes ces considérations, nous pourrions définir la centralisation comme un mode d’administration où l’État, seule personne morale engagée dans le processus, voit à l’application des lois et prend les décisions par l’entremise de l’exécutif central ou d’agents qui sont soumis à son pouvoir hiérarchique. Les éléments clés de la centralisation sont l’unité et la subordination hiérarchique. Outre que le ministre responsable peut avoir à répondre en chambre des actes des agents soumis à son pouvoir hiérarchique, les conséquences pratiques de la centralisation sont que les « collectivités locales » soit n’ont aucune vie juridique, soit n’ont aucun droit de participation aux décisions. Évidemment, cela fait en sorte que ces collectivités ne constituent pas de véritables contre-pouvoirs pouvant contribuer au caractère libéral d’un système de droit administratif. De même, ces « collectivités locales » et les agents subalternes de l’exécutif central peuvent difficilement favoriser l’adoption de normes adaptées aux divers particularismes. Logiquement, la centralisation serait donc tout le contraire de la décentralisation tant pour ce qui est des fins qu’en ce qui a trait au fonctionnement.

1.2 Le concept de décentralisation : organisation distincte, élection et autonomie

La doctrine différencie généralement la décentralisation fonctionnelle[21] et la décentralisation territoriale. Comme le droit de l’aménagement du territoire est davantage associé à la décentralisation territoriale, c’est à cette dernière que nous nous attardons. Paul Tellier la définit ainsi :

La décentralisation territoriale est la mise sur pied d’une véritable administration cohérente et complète, qui est subalterne à l’administration principale. Il y a décentralisation territoriale lorsque l’État accorde à des collectivités, territorialement délimitées, le pouvoir d’organiser et de gérer certaines affaires locales […] L’administration ou le gouvernement local est toujours doté de la personnalité juridique […] Plusieurs des agents de ce gouvernement local sont élus directement par la population sur qui porte leur administration. Ils jouissent d’une autonomie assez considérable du fait, entre autres, qu’ils perçoivent directement la majeure partie de leurs revenus et les administrent eux-mêmes[22].

Andrée Lajoie va dans le même sens lorsqu’elle écrit ceci :« Quand une entité politique élue possède les pouvoirs administratifs entiers quant à un secteur déterminé et qu’elle perçoit et dépense ses revenus d’après ses propres décisions, le seuil de la décentralisation est franchi[23]. » De même, les professeurs Dussault et Borgeat reprennent les critères de la personnalité morale, de l’élection des dirigeants, du pouvoir de réglementation et de l’autofinancement, et en lien avec ce dernier ils mentionnent aussi le pouvoir d’établir un budget[24].

Cette conception que semblent partager Paul Tellier, Andrée Lajoie, Louis Dussault et René Borgeat ne fait pas l’unanimité. Par exemple, à propos de ces critères, Patrice Garant affirme « que ces attributs peuvent être présents à des degrés divers et que l’absence de l’un d’eux ne compromet pas nécessairement l’existence de la décentralisation[25] ». Ailleurs, il se fait plus précis dans sa définition de la décentralisation :

Elle signifie alors l’attribution par la loi de pouvoirs autonomes à des organes autres que de simples agents du pouvoir central. Cette conception s’oppose à celle que défend une bonne partie de la doctrine ; ainsi Andrée Lajoie retient trois éléments qu’elle considère comme essentiels : « le pouvoir de réglementation, l’autofinancement et l’élection des titulaires ». Nous ne pouvons accepter ce point de vue. Ce qui pour nous est essentiel, c’est l’autodétermination, sur le plan normatif, d’organismes, d’entités distinctes de l’Administration gouvernementale[26].

Le professeur Garant propose donc une définition de la décentralisation qui écarte l’élection et l’autofinancement pour ne retenir que le pouvoir normatif et la personnalité distincte. Ce dernier critère est même assoupli puisqu’il parle d’organes autres que de simples agents du pouvoir central et non de personne morale distincte. Même lorsqu’il définit la décentralisation territoriale plus précisément, Patrice Garant n’ajoute aucun critère autre qu’une assise territoriale constituant une division du territoire étatique[27]. Faisant écho à cette conception, Jane Matthews Glenn prétend que le critère de la décentralisation est satisfait lorsque les organes décentralisés ont leur propre pouvoir de décision sur la totalité ou une partie des affaires locales[28].

Toujours dans la catégorie des définitions originales, il y a Pierre Issalys et Denis Lemieux qui voient deux caractères essentiels à toute décentralisation, soit la création par la loi d’organisations juridiques distinctes et le remplacement du lien hiérarchique par une tutelle. Au sujet de cette dernière, ils précisent qu’elle n’équivaut pas au « rapport de dépendance permanent, continu, multiforme qui est inhérent à la subordination hiérarchique », car elle « s’exerce de façon ponctuelle, dans des cas et par des moyens limités, conformément à une habilitation précise donnée par la loi à l’autorité investie de cette tutelle[29] ». Plus loin, ces auteurs précisent ce qu’ils entendent plus précisément par « décentralisation administrative territoriale » en indiquant qu’il s’agit du fait de « confier certaines tâches administratives à une entité juridiquement distincte (en général investie de la personnalité juridique), définie par référence à une collectivité fondée sur une solidarité d’intérêts d’ordre local, gérée par des dirigeants élus et disposant très souvent d’un pouvoir fiscal[30] ».

Nous pouvons résumer la doctrine sur la définition de la décentralisation en disant qu’il y a le pôle des conceptions maximalistes et celui des conceptions minimalistes. Pour le premier de ces pôles, il n’y a décentralisation qu’en présence d’une personne morale distincte ayant des dirigeants élus directement par la population locale, un pouvoir de réglementation ainsi que des revenus et des dépenses qui lui sont propres. Quant au pôle des conceptions minimalistes, qui nous apparaît minoritaire, il qualifie de décentralisation l’existence d’un pouvoir normatif autonome aux mains d’une organisation distincte du pouvoir central soumise à la tutelle prévue par la loi plutôt qu’au pouvoir hiérarchique.

Afin de réconcilier ces diverses conceptions et d’élaborer notre propre définition, nous pouvons dire que tout transfert d’un pouvoir de décision d’une autorité centrale vers une autorité locale ou régionale constituant une personne morale distincte va dans le sens d’une décentralisation. Celle-ci peut être d’une plus ou moins grande intensité selon la mesure dans laquelle certains critères sont atteints, mais ces derniers doivent tous être atteints au moins partiellement pour que nous puissions en déduire qu’il existe une véritable décentralisation. Ces critères sont l’élection de décideurs au suffrage universel direct, des revenus et des dépenses propres et, enfin, l’autonomie de décision soumise à un contrôle dans la mesure prévue par la loi plutôt qu’à un pouvoir hiérarchique de plein droit.

Pour nous, le critère de l’élection est essentiel : d’une part, pour que la décentralisation remplisse son rôle de multiplicateur d’écoles de la démocratie ; et, d’autre part, pour que des exécutifs locaux soient responsables devant des élus locaux et des populations directement visées par leurs décisions. Nous sommes donc en désaccord avec le professeur Garant qui qualifie de décentralisées des entités dont les dirigeants sont désignés par des « corps intermédiaires et organismes représentatifs de la population d’un territoire […] sous réserve de nomination formelle par l’Autorité centrale[31] ». Car, pour nous, ces entités pourraient difficilement être des écoles de la démocratie, dans la mesure où celle-ci est fondée d’abord sur le principe de l’élection, et seraient sans doute moins imputables à la population de leur territoire qu’au pouvoir central.

L’autonomie fiscale et financière est aussi un critère important du fait qu’elle renforce la responsabilité politique des exécutifs locaux et, par un effet de vases communicants, diminue, voire élimine, la responsabilité politique de l’exécutif central. Ici aussi, nous marquons notre dissidence par rapport au professeur Garant pour qui une entité peut être décentralisée tout en étant financée à même les revenus de l’État[32]. Pour nous, ce raisonnement est inexact, car dans un tel cas le ministre des Finances et le ministre responsable de l’entité décentralisée devraient répondre aux questions portant sur les dépenses de l’entité, ce qui correspond davantage à une situation de centralisation. Dans la même logique, l’autonomie fiscale et financière est cruciale parce qu’elle a pour effet de retirer une portion de l’espace fiscal qui, autrement, aurait pu être accaparée par l’État. Évidemment, cela entraîne une dispersion de l’argent et donc du pouvoir.

Tout comme pour ce dernier critère, l’atteinte de l’autonomie dans la prise de décision favorise également le libéralisme en dispersant le pouvoir, puisqu’il fait en sorte que moins de décisions sont prises par ou sous l’influence d’une même instance, l’État. Et cette autonomie fait aussi en sorte que les décideurs locaux doivent répondre de leurs décisions devant la population locale et les élus locaux de l’opposition, alors qu’en principe le gouvernement central n’a pas à le faire. Enfin, l’autonomie normative est aussi cruciale du point de vue de l’adaptation des normes aux particularismes, puisque c’est grâce à elle que l’organe décentralisé peut adopter des normes différentes de celles qui existent ailleurs, sans risquer de les voir désavouées par un État soucieux de préserver l’uniformité nationale.

Malgré l’intensité variable possible dans l’atteinte de ces critères, et donc l’intensité variable de la décentralisation, il n’en demeure pas moins que la centralisation et la décentralisation constituent deux concepts totalement opposés. Dès lors, considérant les zones d’ombre très souvent rencontrées en droit positif, il est douteux que ces concepts permettent de décrire de manière appropriée tous les arrangements possibles. C’est pourquoi il nous semble pertinent de poursuivre notre étude conceptuelle, en examinant un concept susceptible de qualifier certains mécanismes juridiques qui ne correspondraient parfaitement ni au concept de centralisation ni à celui de décentralisation.

1.3 Le concept de semi-décentralisation : double décision, collaboration et coproduction juridique

Le concept hybride entre la centralisation et la décentralisation est celui de semi-décentralisation développé au départ par la doctrine française, plus particulièrement par Charles Eisenmann à la fin des années 40[33]. Après avoir inauguré une nouvelle phase dans la recherche sur l’exercice en commun des compétences en 1947[34], l’année suivante il décrit ainsi le concept qui deviendra indissociable de son oeuvre : « la semi-décentralisation consiste à faire dépendre l’entrée en vigueur des normes d’une double décision libre, prise l’une par l’organe central, l’autre par l’organe décentralisé, de la provoquer ou de ne pas l’empêcher ; en d’autres termes, à attribuer et à l’organe central et à l’organe décentralisé un pouvoir discrétionnaire de concourir ou de s’opposer à l’entrée en vigueur des normes[35] ». Eisenmann restera fidèle à cette conception tout au long de sa vie, mais il emploiera plus tard les expressions « organe d’État » et « organe local non centralisé »[36] plutôt que celles d’« organe central » et d’« organe décentralisé ». Ailleurs, il ajoute que « [c]’est donc une formule d’association et [de] participation de deux autorités au pouvoir de décision[37] ».

C’est donc dire que pour Eisenmann, du point de vue du centre, en plus des pouvoirs hiérarchiques propres à la centralisation et des pouvoirs de contrôle ou de tutelle associés à la décentralisation, il y a les pouvoirs de consentement ou de décision inhérents à la semi-décentralisation[38]. Pour lui, la différence entre les pouvoirs de contrôle et les pouvoirs de consentement réside dans le fait que ces derniers supposent une décision libre pouvant être fondée sur l’opportunité, alors que les premiers ne sont souvent que la vérification de la conformité d’une norme avec une autre norme établie par un tiers plutôt que par l’organe de contrôle[39], comme c’est le cas pour le contrôle de légalité. Einsenmann précise aussi au sujet des organes engagés dans un régime de semi-décentralisation et donc de coconsentement qu’« aucun des deux ne peut imposer sa volonté à l’autre, sans l’autre ou contre lui ; la décision de l’un et la décision de l’autre représentent – pour ainsi dire – la moitié de la décision totale : ils sont égaux en pouvoir[40] ».

Bien que le concept de semi-décentralisation soit très associé à l’oeuvre d’Eisenmann, d’autres auteurs le définissent également. Au Québec, Alain Baccigalupo a repris la définition d’Andrée Lajoie selon qui la semi-décentralisation « se caractérise principalement par le fait que l’autorité locale semi-décentralisée n’est pas vraiment subordonnée au centre dit “supérieur” de décision mais collabore avec lui, sur un pied d’égalité, à des décisions pour lesquelles l’accord des deux autorités est requis[41] ». Il est aisé de remarquer que cette définition s’apparente à celle d’Eisenmann. Toutefois, ni Alain Baccigalupo ni Andrée Lajoie ne retiennent le critère de l’impossibilité pour un organe d’imposer sa volonté à l’autre. Et sur la question plus générale de l’égalité des deux organes, leur définition est ambiguë puisque, d’une part, elle mentionne que dans la semi-décentralisation les deux autorités doivent collaborer « sur un pied d’égalité » et, que d’autre part, elle parle d’une « autorité locale semi-décentralisée [qui] n’est pas vraiment subordonnée au centre dit “supérieur” ». Or, dire que l’autorité locale n’est pas vraiment subordonnée, n’est-ce pas suggérer qu’elle est tout de même subordonnée dans une certaine mesure ? Et si le centre est dit supérieur, cela ne signifie-t-il pas que les deux organes ne sont pas totalement égaux, ou tout au moins qu’ils ne sont pas perçus comme tels ?

Pour savoir s’il est possible de concevoir la semi-décentralisation sans cette égalité des deux organes, tournons-nous vers un auteur français contemporain qui s’intéresse à ce concept, soit Jacques Caillosse. Ce dernier s’inspire aussi d’Eisenmann, quoiqu’il apporte au moins deux innovations : une sur la forme et une sur le fond. Sur la forme, il affirme ceci :

La formule repose sur le principe d’association, de participation de deux autorités au pouvoir de décision. Au fondement des actes ainsi pris, il y a nécessairement une coproduction juridique : les normes ne peuvent être posées que par le consentement et avec l’accord d’un organe local non centralisé et d’un organe d’État qui peut être central ou centralisé. Ces deux institutions alors n’en forment plus qu’une, mixte ou hybride, seule en charge de la décision. Ainsi sort-on de la centralisation sans entrer pour cela dans la décentralisation[42].

Pour nous, c’est particulièrement sa référence à la notion de « coproduction juridique » qui constitue une innovation intéressante au niveau de la forme parce qu’elle ne se retrouvait pas sous la plume d’Eisenmann et qu’elle rend bien compte de l’esprit de la semi-décentralisation. Par contre, la principale innovation du professeur Caillosse se situe plutôt au niveau du fond puisque, bien qu’il reprenne d’abord une définition de la semi-décentralisation parfaitement fidèle à celle d’Eisenmann, en ce qu’il évoque l’impossibilité pour un organe d’imposer sa volonté à l’autre, il poursuit en suggérant que ce concept est pertinent pour décrire des situations où il y a collaboration sur une base inégalitaire. Pour illustrer son propos, Jacques Caillosse s’attarde à une procédure d’expropriation en droit français qui prévoit la participation d’une collectivité locale et de l’État, tout en conférant à ce dernier une influence prépondérante. Il affirme qu’il s’agit sans doute là d’une « coproduction asymétrique[43] » puisque l’État peut imposer sa volonté, mais seulement après avoir entendu la collectivité locale se prononcer. Puis il se demande  « [c]e mécanisme institutionnel croisé ou à double détente est-il très éloigné du type de situation juridique pour lequel Charles Eisenmann parle de semi-décentralisation, même si, répétons-le, c’est à l’État seul que la loi confie ici le pouvoir du dernier mot[44] ? » Il ne fait pas de doute que pour le professeur Caillosse la réponse est négative ; il affirme d’ailleurs que « le droit de l’expropriation “tire” du côté du modèle de la centralisation les formes mixtes ou hybrides d’administration de l’action publique qui résultent des politiques de décentralisation[45] ».

Pour notre part, à la lumière de ces innovations récentes et en continuité avec la doctrine québécoise, nous définissons la semi-décentralisation comme un mode collaboratif de coproduction de normes ou de décisions juridiques qui requiert l’expression d’une volonté, par approbation ou absence d’opposition, d’un organe d’État et d’un organe local non centralisé. Nous considérons que, si l’État peut imposer sa volonté en l’absence du consentement de l’organe local non centralisé, il peut quand même y avoir semi-décentralisation, pourvu que cette imposition survienne après que cet organe aura pu exprimer sa volonté et du moment que la loi encadre strictement cette possible imposition.

Par ailleurs, même s’il ne l’est pas pour Eisenmann[46], le critère de l’élection des décideurs locaux est nécessaire pour nous, car il fait en sorte que la semi-décentralisation permet de qualifier des situations où la responsabilité politique est partagée entre un organe d’État et un organe non centralisé. De plus, le fait que deux instances se partagent le pouvoir est essentiel au caractère libéral de la semi-décentralisation. Certes, lorsque l’État peut imposer sa volonté in fine, le degré de libéralisme atteint est moindre. Néanmoins, il demeure supérieur à celui qui est atteint dans les cas de centralisation, car cette imposition est encadrée et ne peut survenir qu’après qu’un organe non centralisé se sera prononcé, alors que dans les cas de centralisation l’imposition de la volonté de l’État peut survenir à n’importe quel moment sans que les résidents touchés par la décision aient pu s’exprimer officiellement par l’entremise d’une instance de proximité. Quant à savoir si la semi-décentralisation peut favoriser l’entrée en vigueur de normes ou de décisions adaptées à des particularismes et du coup accommoder la diversité, il nous semble que oui. Alors que, dans les cas de centralisation, l’État peut adopter des normes ou prendre des décisions mal adaptées à des particularismes par ignorance de ces derniers, dans les cas de semi-décentralisation l’État devrait être informé par l’organe non centralisé appelé à se prononcer de toute inadéquation potentielle entre ses projets de normes ou de décisions et des particularismes.

Nous sommes conscient que le concept de semi-décentralisation complique un cadre conceptuel déjà quelque peu complexe. C’est pourquoi le tableau présenté en annexe reprend et simplifie les principaux éléments de différentes définitions des concepts. Cela dit, lorsque nous nous référons à ces concepts dans les pages suivantes, nous pensons davantage aux définitions complètes qui figurent dans le corps du texte qu’à celles de ce tableau. Ce dernier sert à faciliter la compréhension des concepts, ce qui est essentiel en vue de la troisième partie où nous verrons que deux de ces concepts sont cités par la doctrine portant sur la LAU. Cependant, il convient de se pencher d’abord sur le contenu de cette dernière.

2 Le contenu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme : ni totalement centralisateur ni totalement décentralisateur

Pour évaluer si la LAU, aussi appelée la « loi 125 », doit être qualifiée de centralisatrice, décentralisatrice ou semi-décentralisatrice au niveau de l’aménagement, nous tenons à résumer certains de ses principaux aspects ayant potentiellement un impact sur cette qualification. Comme le coeur de cette loi tourne autour du schéma régional d’aménagement du territoire, outil de planification et de coordination d’interventions d’instances centrales et d’instances locales, nous concentrons notre analyse sur des dispositions concernant ce schéma et l’instance régionale qui en est responsable. Notre objectif étant de proposer une qualification contemporaine de la LAU, nous nous attardons surtout à la version à jour au 1er octobre 2010 des articles de cette loi ainsi qu’à ceux de la LOTM qui y sont liés.

2.1 Les caractéristiques de la municipalité régionale de comté : personnalité morale, fiscalité locale et démocratie indirecte

Au départ, le caractère original de la LAU réside dans le fait qu’elle crée à partir de l’ancienne corporation de comté une nouvelle entité, soit la municipalité régionale de comté (MRC), et qu’elle lui confère une compétence en aménagement du territoire régional. Aujourd’hui, elle confère également cette compétence aux communautés métropolitaines de Québec et de Montréal. Comme c’est le cas de la plupart des autres auteurs de doctrine, notre propos se concentre toutefois sur les MRC, quoiqu’il soit aussi valable mutatis mutandis pour ces communautés et les villes-MRC.

La compétence régionale sur l’aménagement est un changement important puisque avant la LAU l’aménagement régional revenait surtout à un organe central. L’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ), institué au ministère du Conseil exécutif, était en effet responsable d’une planification de l’aménagement et du développement du territoire sur une base volontaire[47]. À l’opposé, la MRC est définie par la LOTM comme « une personne morale de droit public formée des habitants et des contribuables de son territoire[48] ». Évidemment, cette définition est d’une importance cruciale, car elle renvoie au critère de la personnalité morale distincte souvent associé à la décentralisation. Et la référence au territoire contenue dans cette définition confirme que c’est le concept de décentralisation territoriale, et non celui de décentralisation fonctionnelle, qui est potentiellement pertinent.

Les territoires des MRC ont été découpés en se basant sur ceux des corporations de comté vieilles de près d’un siècle et demi de manière à favoriser un sentiment d’appartenance, voire d’identité[49]. Il faut dire que le gouvernement de l’époque visait par la LAU à « éviter de bâtir une société uniforme de Hull à Blanc-Sablon et de Coaticook à Fort-Chimo[50] ». Cela aussi a son importance à la lumière du fait qu’une des raisons d’être de la décentralisation est la reconnaissance d’identités infranationales et l’accommodement de la diversité grâce à l’adoption de normes adaptées aux spécificités.

En ce qui a trait au financement de la MRC, chacun sait qu’elle ne dispose pas de pouvoir de taxation, hormis à l’égard des territoires non constitués en municipalités locales relevant de compétence, et qu’elle bénéficie de subventions gouvernementales[51]. Ici, un des critères de la décentralisation dans sa conception maximaliste n’est pas atteint. Tout de même, l’article 205 de la LAU précise que le financement de la MRC est à la charge des municipalités locales dont le territoire fait partie de celui de la MRC. Le même article prévoit que « [l]es dépenses de la municipalité régionale de comté sont réparties, entre les municipalités qui doivent contribuer à leur paiement, selon tout critère qu’elle détermine par règlement ». Il prévoit aussi qu’« [à] défaut d’un tel règlement, les dépenses sont réparties, entre ces municipalités, en fonction de leur richesse foncière uniformisée respective[52] ». Ce sont les représentants des municipalités locales qui peuvent voter au sujet de ces dépenses et de leur répartition[53].

Cela est d’autant plus logique que la composition du conseil de la MRC, soit son organe décisionnel, révèle qu’il s’agit d’une entité intermunicipale. En effet, « [l]e conseil de la municipalité régionale de comté se compose du maire de chaque municipalité » dont le territoire est compris dans celui de la MRC et de tout autre représentant d’une telle municipalité, selon ce qui est prévu par son acte constitutif[54]. Quant au préfet, c’est-à-dire le chef du conseil de la MRC qui préside ses séances et dispose d’un vote prépondérant[55], la procédure d’élection normale veut qu’il soit élu par les membres dudit conseil, parmi les maires[56]. Depuis 2002, il est aussi possible pour le conseil d’une MRC qui n’est pas située dans la Communauté métropolitaine de Montréal de prévoir l’élection de son préfet au suffrage universel direct[57]. Comme cette procédure ne concerne que le préfet et qu’elle est rarement utilisée, nous pouvons en déduire que l’élection des dirigeants des MRC se fait de manière générale au suffrage universel indirect, ce qui ne répond pas à une des exigences de la décentralisation dans sa conception maximaliste.

En ce qui concerne le pouvoir réglementaire, la MRC en a effectivement un, notamment en vue de l’exercice de sa principale compétence, soit la révision d’un schéma régional d’aménagement et de développement[58]. En vue d’analyser le degré d’autonomie associé à ce pouvoir réglementaire, voyons maintenant certains aspects du processus de révision du schéma régional prévu par la LAU, principalement les aspects concernant les deux acteurs principaux : le conseil de la MRC et le gouvernement.

2.2 L’adoption du schéma régional révisé : une MRC au coeur du processus, un État prépondérant

Le schéma régional lie en principe le gouvernement, ses ministères et ses mandataires dans le contexte de leurs projets d’équipement, d’infrastructure, de travaux ou d’utilisation d’un immeuble[59]. Les plans d’urbanisme des municipalités locales doivent être conformes aux objectifs du schéma[60]. Cela reflète que l’objet de ce dernier est de coordonner les interventions d’instances centrales et d’instances locales.

En ce qui a trait au processus d’adoption du schéma régional, il existe une distinction entre la version originale de la LAU datant de 1979 et la version actuelle. La version originale concerne l’élaboration d’un premier schéma régional, alors que la version actuelle, adoptée après que chaque MRC se soit doté d’un premier schéma, concerne plutôt sa révision. Comme les différentes étapes du processus d’adoption d’un premier schéma régional et celles du processus d’adoption d’un schéma régional révisé se ressemblent, nous avons choisi d’examiner ici presque exclusivement la version de la LAU à jour au 1er octobre 2010.

La procédure de révision doit être déclenchée au plus tard cinq ans après l’entrée en vigueur du dernier schéma régional[61]. Dans le contexte de cette révision, il est possible pour le conseil de la MRC d’adopter des mesures de contrôle intérimaire. Celles-ci permettent de préciser les opérations (construction, utilisation du sol, changement au cadastre, morcellement d’un lot par aliénation) qui sont interdites pendant la révision du schéma régional[62], pour éviter que de telles opérations puissent contrecarrer les futurs objectifs du schéma régional révisé. Le conseil de la MRC peut adopter de telles mesures de manière autonome par une résolution qui a toutefois une portée limitée, car elle ne lie pas le gouvernement, et dont l’effet peut cesser dans un délai fixé par le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire[63]. Le conseil de la MRC peut aussi adopter ces mesures par un règlement qui n’est pas ainsi limité, mais dont l’entrée en vigueur dépend de l’avis motivé du ministre concernant sa conformité avec les orientations du gouvernement. En cas de non-conformité, le ministre peut alors désavouer le règlement et demander à la MRC son remplacement. Le règlement peut aussi entrer en vigueur en l’absence de cet avis dans le délai prescrit[64]. Ici, il y a un changement par rapport à la version originale de la LAU. Dans la version actuelle, ce pouvoir de désaveu du ministre est encadré de manière légèrement différente puisque, en plus du fait de devoir s’exercer dans un certain délai comme dans la version originale, il survient seulement en cas de non-conformité du règlement avec les orientations gouvernementales et est obligatoirement exercé dans le cadre d’un dialogue avec le conseil de la MRC qui s’ouvre par un avis du ministre. Cela dit, il s’agit d’un changement mineur qui ne concerne que le contrôle intérimaire, soit une mesure temporaire en vue de ce qui compte davantage eu égard à la qualification du caractère centralisé ou décentralisé de la loi : la révision du schéma régional.

Concernant cette révision, le conseil de la MRC adopte et envoie au ministre un premier projet de schéma régional révisé[65]. Le ministre lui retourne ensuite un avis indiquant les orientations et les projets du gouvernement touchant l’aménagement dans le territoire de la MRC et, le cas échéant, toute objection au premier projet soumis[66]. Le conseil de la MRC procède alors à l’adoption d’un second projet de schéma régional révisé qui, si le ministre a signifié un avis mentionnant une objection au premier projet, contient tout changement nécessaire pour éliminer le motif d’objection[67]. S’en suit une période de consultation de la population organisée par la MRC, période qui précède l’adoption par le conseil de cette dernière d’un règlement édictant un schéma régional révisé[68]. Contrairement à la version originale de la LAU, la version actuelle prévoit que l’entrée en vigueur du schéma régional révisé dépend d’un avis du ministre attestant sa conformité avec les orientations et les projets gouvernementaux, quoique, en l’absence de cet avis dans le délai prescrit, le schéma régional révisé entre en vigueur[69]. Dans la version originale, le ministre n’avait pas à approuver expressément ni à adopter le schéma régional ; quoique ce dernier ne pouvait entrer en vigueur qu’en l’absence d’un avis de non-conformité du ministre dans le délai prévu[70]. La différence entre les deux versions est donc une différence de forme qui est peu susceptible d’influer sur le caractère centralisé ou décentralisé de la loi.

En cas de non-conformité avec ses orientations, le gouvernement peut demander au conseil de la MRC les changements nécessaires pour rendre le projet de schéma régional révisé conforme et, si le conseil de la MRC ne procède pas à ces changements dans un délai de 120 jours, le gouvernement peut adopter un décret les imposant[71]. Une fois le schéma régional révisé entré en vigueur, le gouvernement peut encore forcer sa modification en le demandant au conseil de la MRC ou, en cas d’inaction de ce dernier après une telle demande, en l’imposant par décret[72]. Enfin, il peut toujours intervenir en créant une zone d’intervention spéciale à l’intérieur de laquelle la municipalité locale doit appliquer la réglementation d’aménagement et d’urbanisme du gouvernement[73]. Évidemment, dans cette dernière hypothèse exceptionnelle, nous sommes en présence d’un régime de pure centralisation, même si l’instance chargée d’appliquer les normes est réputée être décentralisée.

Il importe de retenir du processus d’adoption du schéma régional révisé qu’une instance centrale, le gouvernement, et une instance non centralisée, le conseil de la MRC, sont toutes deux très engagées. Dès lors, et puisque la MRC possède certaines des caractéristiques associées à un organe décentralisé, nous ne pouvons proposer une conclusion hâtive quant au caractère centralisé ou décentralisé du régime d’aménagement du territoire mis en place par la LAU. Tout au plus pouvons-nous estimer que l’hypothèse de la semi-décentralisation devra être envisagée au moment d’exposer notre opinion sur la qualification qui convient le mieux. Mais d’abord, il importe de considérer les qualifications suggérées par d’autres.

3 Les qualifications de la LAU : de la centralisation à la décentralisation aux autres qualifications possibles

Plusieurs auteurs et parlementaires s’étant prononcés sur la qualification qui sied le mieux à la LAU, nous nous attardons aux opinions émises par ces acteurs, avant d’exposer nos conclusions eu égard à son caractère centralisé ou décentralisé. Ces acteurs peuvent être catégorisés en trois groupes, soit ceux qui qualifient cette loi de centralisatrice ou, du moins, de nondécentralisatrice, ceux qui la qualifient de décentralisatrice et ceux qui la qualifient autrement.

3.1 Une loi centralisatrice ou, du moins, non-décentralisatrice

Autant certains auteurs affirment que la LAU opère une centralisation, autant d’autres se contentent d’affirmer qu’elle n’opère pas une réelle décentralisation. Même les porte-paroles de l’opposition à l’époque de l’adoption de cette loi se montrent alors plus ou moins nuancés à cet égard. Par exemple, après avoir énuméré divers pouvoirs du gouvernement portant sur le schéma régional, le critique de l’opposition officielle en la matière affirme ceci : « je ne suis pas convaincu qu’un gouvernement du Québec doive se départir de ses pouvoirs en ce qui concerne les grandes initiatives qui constituent un aménagement du territoire et un aménagement important. Mais que le gouvernement actuel ne se vante pas de décentraliser quand il ne le fait pas[74]. » Dans la même lignée, après avoir considéré lui aussi les nombreux pouvoirs conférés au gouvernement par la LAU, le chef de l’opposition officielle dénonce le « jacobinisme » qu’il associe à cette loi[75].

Du côté de la doctrine, explorant davantage l’application de la loi que son texte même, Lorne Giroux affirme au milieu des années 1980 que le gouvernement utilise excessivement son pouvoir de désaveu des règlements de contrôle intérimaire pour imposer ses volontés aux MRC. C’est d’ailleurs ce qui lui fait dire ceci :

[M]algré la rhétorique officielle de la décentralisation, l’application concrète de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme révèle une tendance centralisatrice jusqu’ici inconnue qui va jusqu’à imposer de force aux collectivités locales l’adoption d’un contenu réglementaire déterminé par le ministère des Affaires municipales. Ce qui a été vendu comme étant l’instrument par excellence de la décentralisation devient le véhicule privilégié de la volonté ministérielle par l’utilisation du pouvoir de désaveu[76] !

À la même époque, Jacques L’Heureux invoque les pouvoirs du ministre eu égard au schéma régional avant d’affirmer que « [l]a Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, loin d’être une loi autonomiste, constitue fondamentalement une loi centraliste[77] ». Examinant l’application de cette loi, il rejoint le professeur Giroux en avançant que « [l]es fonctionnaires du ministère des Affaires municipales se servent déjà, en effet, du pouvoir de désaveu pour imposer leur volonté aux municipalités relativement au règlement de contrôle intérimaire. Il y a lieu de craindre qu’ils agissent de la même façon relativement au schéma d’aménagement[78]. »

Reprenant les trois critères de la décentralisation dans sa conception maximaliste, Jacques Gagnon en arrive à une conclusion semblable. Il affirme que « [l]’élection des titulaires à la MRC n’est pas faite directement. En fait, leur mandat est conféré au niveau de la municipalité et non pas à celui de la MRC. Pour parler de décentralisation au sens qu’entend Andrée Lajoie […], les représentants doivent être élus directement[79]. » Au sujet du deuxième critère, cet auteur considère que « [l]a décentralisation implique la dotation d’un pouvoir autonome de taxation. Les MRC ne sont pas pourvues de celui-ci[80]. » Quant au dernier critère, Jacques Gagnon est tout aussi explicite lorsqu’il tranche ainsi :

Tant au niveau de la fonction principale des M.R.C. (le schéma), qu’aux niveaux administratif et politique, le contrôle étatique est présent […] Donc, le pouvoir de réglementation est presque inexistant pour les M.R.C. Ce pouvoir est possible tant et aussi longtemps qu’il répond aux prérogatives étatiques. Dans ce sens, pouvons-nous parler de décentralisation ? Nous demeurons négatifs par rapport à ce point[81].

Cet auteur va même plus loin en qualifiant de « processus de centralisation » ce « contrôle gouvernemental sur les M.R.C.[82] ».

Pour une opinion plus récente, nous avons décidé de nous tourner vers le juriste et urbaniste Jean-Pierre Saint-Amour. Ce dernier affirme que, « [à] certains égards, les espoirs fondés à l’origine dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme comme instrument de décentralisation ont, au contraire, débouché sur une tutelle renforcée de l’État sur les administrations municipales[83] ». Pour appuyer cette prétention, il invoque essentiellement les interventions gouvernementales concernant la révision des schémas régionaux et les règlements de contrôle intérimaire. Cependant, il nuance son raisonnement en précisant ceci :

Sous un autre point de vue, en l’absence de cette législation, il faut admettre que l’État québécois ne serait soumis qu’à un encadrement interne à l’administration gouvernementale dont la coordination serait encore plus déficiente. Il doit donc composer avec ce contexte juridique, même en l’ajustant à son avantage, sous peine d’en payer le prix politique et, parfois, de subir des coups de semonce judiciaires[84].

Cette dernière mention fait référence à la décision rendue dans l’affaire de la ligne Hertel-des-Cantons. Dans cette affaire, la Cour supérieure a invalidé des décrets gouvernementaux visant la construction d’une ligne électrique, notamment parce que ce projet n’était pas conforme au schéma régional et que le gouvernement n’avait pas respecté la procédure d’information de la MRC nécessaire à la validité de ses décrets[85].

Ainsi, tout en croyant que la LAU n’est pas une loi de décentralisation, Jean-Pierre Saint-Amour n’affirme pas qu’il s’agit d’une loi de centralisation. C’est donc dire que la vision d’une LAU centralisatrice ne fait pas l’unanimité. Ce qui est d’autant plus vrai que d’autres auteurs ont une vision carrément opposée.

3.2 Une loi décentralisatrice

Des auteurs considèrent en effet que la LAU opère une décentralisation. Soulignons d’abord les propos des politologues Jean-Luc Berthiaume et Marc Boivin :

Pour ce qui est de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, on peut constater un mouvement de décentralisation dans la prise en charge décisionnelle de son élaboration et de son application. C’est un processus d’échange qui fait intervenir en premier lieu les municipalités et le gouvernement lorsqu’ils soumettent leurs plans au conseil de la M.R.C. pour approbation. Une exception à cette règle : le gouvernement a le pouvoir de décréter l’adoption de ses suggestions, mais seulement après s’être soumis à une procédure de consultation[86].

De manière comparable, le juriste et économiste André Trudeau explique ce qui suit :

Jusqu’à tout récemment […] la planification régionale de l’aménagement et du développement était pour l’essentiel entre les mains des instances gouvernementales […] l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) avait reçu le mandat de préparer, sur la base de chacune des régions administratives, des schémas régionaux d’aménagement et de développement […]. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme vient modifier ce modèle. Avec l’introduction de cette loi et l’apparition des MRC, les responsables de la préparation des schémas ne sont plus des fonctionnaires du gouvernement, mais bien des instances décentralisées, les MRC. Ces schémas ne contiennent plus uniquement des actions gouvernementales, mais des actions du milieu, du monde municipal et des autres intervenants. Le gouvernement est un acteur certes important, mais un acteur parmi d’autres qui devra transmettre ses orientations et ses projets et en débattre avec chaque MRC. Une fois le schéma en vigueur, le gouvernement sera lié par celui-ci […] En somme, le modèle de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme a déplacé l’axe de planification de l’aménagement au Québec dans le sens d’une décentralisation[87].

Il faut dire que ces auteurs peuvent s’appuyer sur le discours gouvernemental de l’époque qui présentait la LAU comme une loi de décentralisation ayant une portée identitaire. Par exemple, au moment de présenter le projet de loi no 125, le ministre d’État à l’Aménagement mentionne que « l’aménagement, c’est l’affaire de tout le monde […] L’aménagement […] se fait [donc] aussi au niveau de plusieurs municipalités dans une petite région à laquelle les citoyens s’identifient[88]. » Du même souffle, ce ministre ajoute que « justement parce que l’aménagement, c’est l’affaire de tout le monde, il est important que les décisions d’aménagement soient prises le plus près possible des citoyens qui auront à en vivre les conséquences. La loi devra donc être décentralisatrice[89]. »

Jane Matthews Glenn s’appuie aussi sur ce discours gouvernemental dans son article où elle présente d’abord la LAU comme une réforme décentralisée[90]. En effet, à l’appui de cette thèse elle invoque des documents gouvernementaux ayant servi de base aux consultations sur ce qui allait devenir la LAU, soit les livres verts intitulés La décentralisation : une perspective communautaire nouvelle[91]. Comme c’est le cas dans les discours du ministre, en plus de l’association de la réforme de l’aménagement à la décentralisation, ces livres prônent la création d’une instance régionale présentée comme une petite région d’appartenance à laquelle les citoyens s’identifient. La professeure Matthews Glenn mentionne aussi le rôle important joué par les élus municipaux et l’article 2 de la LAU qui assujettit le gouvernement au schéma régional[92]. Elle concède par contre que le gouvernement n’est lié que dans la mesure où il le veut bien, avant d’énumérer les pouvoirs dont celui-ci est investi en vertu de cette loi, dont celui de désavouer les règlements de contrôle intérimaire[93]. Au final, elle conclut que « la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme peut se présenter — avec plus ou moins d’exactitude, nous l’avons vu— comme exemple de la décentralisation[94] ».

Bien que ces nuances dans l’opinion de Jane Matthews Glenn soient liées, entre autres, au pouvoir de désaveu des règlements de contrôle intérimaire qui était encadré différemment dans la version originale de la LAU, il existe de semblables nuances chez des auteurs s’étant exprimés après l’adoption de modifications législatives en vue de l’encadrement de ce pouvoir. Ainsi, dans un schéma contenu dans leur ouvrage L’action gouvernementale. Précis de droit des institutions administratives datant de 2009, Pierre Issalys et Denis Lemieux placent les MRC avec les municipalités locales, les communautés métropolitaines et les commissions scolaires au sein de la catégorie des collectivités locales résultant d’une décentralisation territoriale[95]. Plus loin dans le même ouvrage, ils affirment à propos des communautés métropolitaines et des MRC qu’elles ne correspondent pas pleinement au modèle de la décentralisation administrative territoriale, notamment à cause du critère de l’élection directe des décideurs et de celui des pouvoirs fiscaux[96].

Bref, si certains associent la LAU à la décentralisation avec assurance, d’autres le font en nuançant plus ou moins fortement par la suite. Cela est parfaitement compréhensible puisque cette loi contient des aspects décentralisateurs et d’autres, centralisateurs. Dès lors, il n’est pas surprenant que des auteurs aient plutôt associé à cette loi une qualification autre.

3.3 Une loi appelant une qualification autre

Dans la catégorie des auteurs employant une qualification autre que celles qui sont associées à la centralisation et à la décentralisation, il y a d’abord la spécialiste du droit de l’urbanisme Marie-Odile Trépanier qui voit dans la LAU un compromis entre la tradition de l’autonomie locale et les pouvoirs centralisés développés surtout depuis la Révolution tranquille[97]. Elle souligne aussi, quelques années après l’adoption de la LAU, que « le souffle politique et décentralisateur qui a animé les premières ébauches de cette Loi n’a plus l’air que d’un filet[98] ». De manière complémentaire, Jacques Léveillée affirme que l’état du rapport de force entre les promoteurs de la centralisation et les défenseurs de la décentralisation était tel que la loi se devait de mener à un compromis[99].

Ces deux auteurs signent ensemble un texte qui vient préciser davantage leur pensée à l’égard de la LAU. Dans un article intitulé « Évolution de la législation relative à l’espace urbain au Québec », Jacques Léveillée et Marie-Odile Trépanier se posent explicitement la question à savoir si la LAU est un premier pas vers la décentralisation, une loi centralisatrice ou simplement une restructuration municipale[100]. Concernant la première hypothèse, ils mentionnent d’abord que la LAU ne livre rien de bien précis en regard de l’ambitieuse décentralisation qui était ébauchée dans le livre blanc de 1977[101]. Il faut dire que, pour eux, aucun nouveau pouvoir n’est remis à des organismes décentralisés[102]. À ce sujet, soulignons que cette affirmation se comprend dans le contexte de la réflexion des auteurs qui porte d’abord sur le droit de l’urbanisme ; car nous avons vu que, en ce qui concerne le droit de l’aménagement régional, il y a bel et bien un certain transfert de fonctions de l’OPDQ vers les MRC.

En ce qui concerne la seconde hypothèse, celle d’une LAU centralisatrice, Jacques Léveillée et Marie-Odile Trépanier soulignent que, « [e]n termes juridiques et administratifs, la loi ne comporte pas de mécanismes par lesquels le pouvoir central s’arrogerait des compétences jadis locales ni même ne leur impos[e] de nouveaux contrôles centraux[103] ». Répondant aux critiques de ceux qui considèrent que la LAU est centralisatrice en raison des pouvoirs qu’elle confère au gouvernement, ils précisent que le gouvernement se soumet à des discussions et à des consultations plus que jamais auparavant[104].

De même, ces auteurs écartent la qualification de restructuration municipale parfois accolée à la LAU, car cette loi maintient les municipalités locales. Enfin, ils concluent ainsi une partie de leur analyse :

En somme, les termes centralisation, décentralisation, regroupement municipal ne suffisent plus à rendre compte des réformes récentes. Ces termes renvoient peut-être à des réalités […] trop rigides. La Loi 125 constitue une réforme plus souple qui appelle d’autres types de qualification. Il nous semble plus opportun alors de présenter cette réforme en tant que tentative de coordination des interventions publiques sur le territoire. En effet, la notion de coordination […] implique la surimposition aux structures existantes de mécanismes d’échange, d’interaction, de concertation selon une expression largement utilisée ailleurs. Dans le cadre de ces nouveaux mécanismes, la place de la contrainte ou de la coercition est réduite ; celle de la négociation s’accroît[105].

La qualification de la LAU comme cadre de coordination ne répond pas directement à notre question, à savoir si la LAU est centralisatrice ou décentralisatrice. Cependant, elle peut nous aider à y répondre puisque des éléments définissant cette qualification, pensons à la concertation et à l’interaction, rappellent ceux qui caractérisent la semi-décentralisation.

4 La LAU : un exemple de semi-décentralisation

Avant de présenter notre hypothèse selon laquelle le concept de semi-décentralisation est celui qui correspond le mieux à la LAU, il convient de préciser pourquoi nous rejetons les deux premières hypothèses, à savoir la centralisation et la décentralisation.

4.1 L’hypothèse d’une loi centralisatrice

Concernant l’hypothèse de la centralisation, notons en premier lieu que les auteurs qui l’appuient le font généralement avec modération ou dans un contexte particulier. Jean-Pierre Saint-Amour mentionne tout au plus que les espoirs d’une LAU décentralisatrice ont débouché sur une tutelle renforcée, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit d’une loi centralisatrice. Quant à Lorne Giroux et Jacques L’Heureux, leurs propos s’inscrivent dans le contexte des débuts de l’application de la LAU, plus précisément de l’adoption des premiers règlements de contrôle intérimaire pour lesquels le gouvernement avait un pouvoir de désaveu qui est aujourd’hui encadré de manière quelque peu différente. Seul le politologue Gagnon affirme clairement que la LAU est centralisatrice sans se référer prioritairement à la question du contrôle intérimaire.

En second lieu, nous sommes plutôt d’accord avec Jacques Léveillée et Marie-Odile Trépanier pour dire que « la loi ne comporte pas de mécanismes par lesquels le pouvoir central s’arrogerait des compétences jadis locales[106] ». Certes, en vertu de la LAU le gouvernement peut imposer les modifications qu’il souhaite aux schémas régionaux. Cependant, avant l’adoption de cette loi, il pouvait le faire encore plus directement à l’égard des schémas élaborés par l’OPDQ qui relevait directement du premier ministre. Une nuance peut toutefois être apportée à ce raisonnement dans la mesure où, contrairement aux schémas de l’OPDQ, les schémas des MRC s’imposent aux plans et aux règlements d’urbanisme des municipalités locales. Par conséquent, du fait de ses pouvoirs sur le contenu des schémas des MRC, le gouvernement peut influencer indirectement la gestion de l’urbanisme, bien qu’il s’agisse d’une compétence locale, voire jadis complètement locale. En contrepartie, il est vrai aussi que les municipalités locales ont acquis un pouvoir d’influence sur les politiques du gouvernement en matière d’aménagement puisque ce dernier est dans une certaine mesure, lié par les schémas élaborés par les MRC, qui, elles, sont contrôlées par les municipalités locales.

Plus déterminant encore, les MRC ont non seulement une personnalité morale distincte mais aussi une réelle vie juridique, ne serait-ce que parce qu’elles adoptent leurs résolutions, leurs règlements et leurs propres budgets. Elles participent aux décisions concernant le schéma régional ; en fait, nous pouvons même dire qu’elles codécident avec le gouvernement en ce qui concerne l’aménagement du territoire. Plus précisément, elles ont un rôle important d’animation, notamment avec la tenue de consultations. Les MRC jouent aussi un rôle en matière d’orientation, de décision et d’édiction des schémas régionaux qui contiennent des objectifs s’imposant directement aux municipalités locales ainsi qu’au gouvernement et, indirectement, par l’intermédiaire des plans et des règlements d’urbanisme, aux citoyens. Leur rôle est si important et leur influence possible si grande que le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire pourrait raisonnablement ne pas être considéré comme totalement responsable du contenu d’un schéma régional, ce qui est inconcevable dans un système centralisé.

Il nous apparaît clair que les MRC ne sont pas des agents de l’État soumis à son pouvoir hiérarchique. Bien que le gouvernement ait plusieurs pouvoirs prévus par la LAU, le rapport qu’entretiennent avec lui les MRC n’est pas un rapport « de dépendance permanent, continu, multiforme », pour le dire avec les professeurs Issalys et Lemieux[107]. Au contraire, les interventions de l’État sont ponctuelles, car elles peuvent survenir seulement à certains moments pendant le processus de révision. Souvent, elles visent des cas spécifiques uniquement, soit les schémas ou les règlements de contrôle intérimaires non conformes aux projets ou aux orientations du gouvernement. Elles s’exercent sous un nombre restreint de formes précises, soit essentiellement l’envoi d’orientations ou d’avis au conseil de la MRC et l’adoption de décrets après avis. Ces interventions possibles sont, de ce fait, limitées par la LAU. Ainsi, une modification gouvernementale au schéma régional ne peut survenir autrement que de la manière prévue par cette loi, c’est-à-dire après avis au conseil de la MRC. En cas de non-respect de cette procédure, le gouvernement peut même être sanctionné par les tribunaux qui n’hésitent pas à invalider ses décrets, comme nous le rappelle l’affaire de la ligne Hertel-des-Cantons[108]. Cette affaire illustre donc que la LAU limite les pouvoirs du gouvernement, ce qui lui confère un caractère libéral peu compatible avec une centralisation hiérarchique pure. Les pouvoirs du gouvernement ne relèvent donc pas d’une subordination hiérarchique, selon le sens que donnent Pierre Issalys et Denis Lemieux à ce concept.

Les analyses de Patrice Garant sur cette question du pouvoir hiérarchique et de la tutelle nous mènent à une conclusion semblable. Dans une section d’un de ses ouvrages consacrée aux procédés de tutelle, cet auteur mentionne que « [l]e pouvoir d’instruction est, en principe, le propre du contrôle hiérarchique : cependant, le législateur peut l’utiliser dans le cas de la tutelle[109] ». Puis, s’appuyant sur une décision qui ne concerne pas directement la LAU, soit celle qui a été rendue dans l’affaire Coopérative de commerce des Mille-Îles c. Société des alcools du Québec[110], il précise qu’« en contexte de décentralisation le pouvoir d’instruction n’existe que s’il est prévu expressément dans la loi[111] ». Plus pertinent encore, le professeur Garant donne comme exemple d’instruction à caractère incitatif prévue par la loi les avis du ministre au conseil de la MRC concernant le schéma régional. Et, à titre d’exemple de pouvoir d’instruction ayant tantôt un caractère incitatif, tantôt un caractère impératif, il mentionne les avis du ministre au conseil de la MRC concernant le règlement de contrôle intérimaire. Cet auteur associe également ces derniers avis au pouvoir de désaveu, soit le pouvoir qui permet à l’autorité de tutelle de désavouer un acte avant son entrée en vigueur. C’est d’ailleurs après avoir souligné que les dispositions concernant ce pouvoir sont rares, et qu’il est essentiel que des conditions suffisamment objectives président à son exercice ou qu’un délai soit fixé, qu’il cite le cas du pouvoir de désaveu du ministre à l’égard des règlements de contrôle intérimaire. Or, nous avons vu que ce pouvoir de désaveu doit effectivement s’exercer en fonction de la conformité avec les orientations gouvernementales et dans un délai précis. Au sujet du pouvoir de réformation, Patrice Garant mentionne que dans le contexte d’une décentralisation administrative il est octroyé à l’organe de tutelle. Par la suite, il précise que « [l]a loi peut également prévoir l’exigence d’un avis à l’autorité contrôlée et un délai lui enjoignant de faire les modifications nécessaires » juste avant de citer comme exemples les dispositions de la LAU prévoyant que le gouvernement peut modifier le schéma avant ou après son entrée en vigueur[112].

C’est donc dire que des pouvoirs du ministre ou du gouvernement en matière d’aménagement du territoire qui sont prévus par la LAU peuvent ressembler à des pouvoirs de type hiérarchique pur. Cela est d’autant plus vrai que la doctrine française aussi nous apprend que le pouvoir d’instruction et celui de réformation sont typiques du pouvoir hiérarchique[113]. En toute logique, le professeur Garant souligne au sujet du pouvoir d’instruction qu’il est « en principe, le propre du contrôle hiérarchique[114] ». Quant au pouvoir de désaveu, il mentionne que les dispositions le concernant sont rares, ce qui, à notre avis, s’explique par le fait que ce pouvoir s’inscrit généralement dans le contexte d’un contrôle hiérarchique de plein droit.

Malgré leur apparence, dans la logique de cet auteur, ces pouvoirs du ministre et du gouvernement ne sont pas nécessairement liés à une centralisation pour autant, car ils sont prévus et strictement encadrés par la LAU et, ajouterions-nous, par la jurisprudence[115]. Par conséquent, suivant cette logique, même si ces pouvoirs ressemblent à des pouvoirs hiérarchiques normalement associés à la centralisation, ils sont davantage des pouvoirs de tutelle et sont de ce fait potentiellement plus compatibles avec une décentralisation, ce qui nous mène à l’hypothèse d’une LAU décentralisatrice.

4.2 L’hypothèse d’une loi décentralisatrice

Tout comme les auteurs qui qualifient la LAU de centralisatrice, les auteurs qui l’associent plutôt à la décentralisation le font souvent avec circonspection. André Trudeau parle d’un déplacement de l’axe dans le sens d’une décentralisation. Les professeurs Issalys et Lemieux affirment que les MRC s’inscrivent dans un contexte de décentralisation territoriale, avant de dire que ce n’est pas pleinement le cas. Jane Matthews Glenn qualifie cette loi d’exemple de décentralisation « avec plus ou moins d’exactitude[116] ». Seuls Jean-Luc Berthiaume et Marc Boivin affirment sans trop de nuances que la LAU est une loi de décentralisation. Est-ce à dire que la LAU correspond au concept de décentralisation mais seulement dans sa conception la plus minimaliste ?

Puisque cette loi crée une organisation distincte du pouvoir central, dotée d’un pouvoir normatif en matière d’aménagement et soumise à ce qui peut sembler être une tutelle prévue par la loi plutôt qu’un pouvoir hiérarchique de plein droit, il peut paraître que oui. Par contre, vu l’influence du gouvernement sur le contenu du schéma régional, il est difficile de qualifier ce pouvoir d’« autonome ». Certes, pour Patrice Garant, les pouvoirs conférés au ministre ou au gouvernement par la LAU sont des pouvoirs de tutelle du simple fait qu’ils sont prévus dans la loi, même lorsqu’il s’agit de pouvoirs qui, autrement, seraient de type hiérarchique. Nous pouvons donc penser que, pour lui, ces pouvoirs ne sont pas incompatibles avec le caractère autonome du pouvoir de la MRC en matière d’aménagement, bien qu’ils le limitent fortement[117].

Cela dit, il y a lieu d’apporter des bémols à la vision très extensive que cet auteur se fait du concept de décentralisation. C’est que, à ses yeux, il semble que tout pouvoir du centre sur une instance locale est assimilable à une tutelle, et donc compatible avec une décentralisation, dès lors qu’il est prévu par la loi. Pour notre part, nous sommes prêt à le suivre lorsqu’il soutient que les pouvoirs généralement considérés comme étant de type hiérarchique ne le sont plus vraiment lorsqu’ils sont limités par une loi. Par contre, le fait de qualifier ces pouvoirs de tutelle, et donc de dire qu’ils sont intrinsèquement compatibles avec la décentralisation, simplement parce qu’ils se trouvent dans une loi, nous paraît abusif. En effet, ce raisonnement pourrait mener à qualifier de décentralisatrices des lois qui conféreraient au gouvernement des pouvoirs illimités d’instruction et de réformation sur toutes les décisions d’instances supposément décentralisées, peu importe les motifs justifiant l’exercice de ces pouvoirs.

À notre avis, la conception de la décentralisation chez Patrice Garant est si minimaliste qu’elle en devient imprécise. Elle est susceptible d’inclure des situations excessivement différentes, allant de la collectivité élue et exerçant de vastes pouvoirs sans aucune intervention du gouvernement jusqu’à l’organe sans personnalité morale distincte de l’État dont les membres sont nommés et les pouvoirs systématiquement contrôlés par le gouvernement en vertu d’une loi. Autrement dit, elle est susceptible d’englober des cas où l’autonomie s’avère très forte et des cas où elle se révèle très faible. Ainsi, le professeur Garant peut utiliser le concept de décentralisation employé seul autant pour qualifier une municipalité locale qui, sauf exception, prend et applique des décisions de manière autonome avec ses propres revenus que pour qualifier un cégep qui prend et applique des décisions beaucoup plus souvent en fonction de normes gouvernementales et avec des revenus provenant de l’État[118].

Dès lors, cette conception ne permet pas d’atteindre une des principales fins des concepts de centralisation et de décentralisation, soit la désignation des titulaires de la responsabilité politique. Puisque le concept de décentralisation devrait renvoyer à des situations où des exécutifs sont responsables devant des élus locaux et des populations directement, donc à des situations où ce n’est pas un ministre qui répond des décisions au Parlement, nous voyons mal comment ce concept pourrait être applicable au cas de l’organe dont les membres sont nommés et les pouvoirs systématiquement contrôlés par le gouvernement. De manière comparable, cette conception de la décentralisation ne permet pas d’évaluer de manière appropriée le degré de libéralisme d’un système de droit administratif, car elle pose trop peu de balises minimales qu’une poussée autoritaire ne saurait heurter sans pouvoir être qualifiée de centralisatrice. Ici aussi, l’exemple de l’organe dont la loi prévoit la nomination des dirigeants et le contrôle systématique des pouvoirs par le gouvernement peut être utile. Car, dans l’éventualité où un gouvernement autoritaire devait exercer pleinement ces pouvoirs de contrôle à l’égard de cet organe sans qu’il soit possible de remettre en cause la qualification de décentralisatrice, et donc de libérale accolée à la loi permettant cela, le concept de décentralisation s’en trouverait vidé d’une grande partie de son utilité et de son sens. De même, si une loi permettant au gouvernement de faire adopter par des instances locales des normes identiques sur l’ensemble du territoire devait être qualifiée de décentralisatrice, le concept de décentralisation pourrait plus difficilement servir à qualifier des systèmes pouvant accommoder des identités infranationales grâce à des normes adaptées aux particularismes. Certes, le professeur Garant mentionne que dans sa conception de la décentralisation les instances décentralisées « ne sont pas de simples relais d’exécution, mais des centres juridiques distincts et autonomes[119] ». Toutefois, comme il considère des pouvoirs normalement qualifiés de hiérarchiques comme compatibles avec une décentralisation, pourvu qu’ils soient prévus dans une loi, le contenu minimal de cette autonomie nous échappe.

Bien sûr, la MRC créée par la LAU ne correspond pas à cette hypothèse de l’organe dont les membres sont nommés et les pouvoirs systématiquement contrôlés par le gouvernement. Néanmoins, la qualification de la LAU comme étant décentralisatrice sans autre nuance pose un problème semblable, car elle suggère que le ministre n’aurait pas à répondre en chambre aux questions portant sur les schémas régionaux et les règlements de contrôle intérimaire, ce qui serait un non-sens considérant l’influence qu’il peut avoir sur ces documents. De même, il nous semble problématique de ne pas pouvoir remettre en question le caractère décentralisateur et donc libéral de la LAU lorsque le gouvernement exerce autoritairement son pouvoir de désaveu des règlements de contrôle intérimaire pour imposer ses normes. Nous avons vu que cela s’est fait au milieu des années 80, et que des auteurs de doctrine ont cru y voir une preuve que la LAU est centralisatrice. C’est d’autant plus problématique que les normes imposées à ce moment étaient très semblables d’une MRC à l’autre[120] et, de ce fait, généralement peu ou pas adaptées aux particularismes. Pour toutes ces raisons, nous nous refusons à qualifier la LAU de loi décentralisatrice en matière d’aménagement. D’ailleurs, ce sont aussi ces pouvoirs du gouvernement prévus par la LAU qui font en sorte que Jane Matthews Glenn, qui a pourtant une conception minimaliste de la décentralisation, qualifie cette loi d’exemple de décentralisation « avec plus ou moins d’exactitude[121] ».

Si la LAU n’est pas suffisamment décentralisatrice pour satisfaire pleinement aux critères de la décentralisation dans sa conception minimaliste, a fortiori elle ne remplit pas non plus ceux de la conception maximaliste. Plus précisément, comme nous l’avons vu au moment d’analyser le contenu de cette loi, l’élection des dirigeants régionaux est indirecte[122], l’autonomie fiscale de la MRC aussi partielle qu’indirecte et son pouvoir de réglementation fortement encadré. Pour nous, le contraste entre cette réalité législative et le discours du gouvernement qui présente cette loi comme étant décentralisatrice s’explique par le fait qu’il avait au départ l’intention de décentraliser[123], mais qu’il n’est pas allé au bout de cette intention.

D’ailleurs, la jurisprudence peut être invoquée au soutien de cette explication. En effet, dans l’affaire Côte-de-Gaspé (Municipalité régionale de comté) c. Compagnie Gaspésia ltée, la Cour d’appel mentionne ceci :

Lorsque l’Assemblée nationale a voté la Loi de l’aménagement et l’urbanisme (la Loi), elle entendait décentraliser le développement du territoire. Toutefois, le Ministre des Affaires municipales a conservé, à l’égard de la réglementation régionale, un dernier contrôle et le gouvernement, d’autre part, tout lié qu’il soit par la Loi pour ses interventions dans le territoire, a maintenu, à leur endroit, un ultime pouvoir de décision[124].

Dès lors, et puisque cela s’ajoute à notre conclusion selon laquelle la LAU ne correspond pas au concept de centralisation, force nous est d’aborder l’hypothèse de la semi-décentralisation.

4.3 L’hypothèse d’une loi semi-décentralisatrice

À première vue, le processus prévu par la LAU pour l’adoption du schéma régional semble correspondre à la semi-décentralisation définie par Einsenmann. En effet, ce processus fait dépendre l’entrée en vigueur du schéma régional d’une double décision libre, prise par un organe d’État, le gouvernement, et un organe local non centralisé, le conseil de la MRC, de concourir ou de s’opposer.

Le conseil de la MRC prend une décision libre dans la mesure où il ne fait pas que vérifier la conformité du schéma régional avec des normes fixées par le législateur, il élabore lui-même ce schéma et décide ensuite de le mettre en vigueur. La décision du gouvernement est également libre puisque l’envoi de ses projets et de ses orientations est une question d’opportunité et non de légalité, ce qui fait en sorte qu’il est aisé d’y voir un pouvoir de consentement. Certes, ses interventions postérieures à cet envoi ont pour objet de vérifier la conformité du schéma régional avec lesdits projets et orientations. Cependant, comme il s’agit de ses propres projets et orientations, ces interventions du gouvernement visent à faire valoir sa propre volonté et non celle d’un tiers. Cela se différencie donc radicalement du cas où il y a un contrôle de légalité par un organe administratif dont la mission est de faire valoir la volonté du législateur.

La LAU correspond également à la semi-décentralisation telle que nous pouvons l’interpréter à la lumière des explications de Pierre Ferrari, exégète d’Eisenmann. Car, pour ce dernier, la semi-décentralisation renvoie à la participation de deux autorités au pouvoir de décision. Or, pour comprendre cette référence à la participation dans ce contexte, il faut lire le passage suivant signé Pierre Ferrari :

La participation peut être simplement matérielle, elle consistera à effectuer certaines formalités indispensables à la régularité de l’opération d’édiction. Elle peut être intellectuelle dans la mesure où elle fixe le contenu de la norme. Elle peut […] être volontaire et c’est le cas des personnes amenées à se prononcer sur le projet de norme élaboré par d’autres sujets. Et, si l’on définit l’auteur d’un acte par le pouvoir que possède une personne sur la naissance de la norme, il est évident que seul celui qui effectue une opération intellectuelle ou de volonté, ou bien les deux à la fois, peut être qualifié d’auteur de l’acte[125].

Dans le contexte de la LAU, le conseil de la MRC participe à la révision du schéma régional par une opération intellectuelle consistant à en fixer le contenu, et par une opération de volonté en décidant de son entrée en vigueur. Le gouvernement participe également sur le plan intellectuel en influençant ce contenu grâce à ses projets et à ses orientations, et aussi sur le plan de la volonté, car il se prononce sur le projet de schéma régional révisé élaboré par le conseil de la MRC. Par conséquent, ces deux autorités participent au pouvoir de décision et sont les coauteurs de l’acte que constitue le schéma régional, ce qui confirme que ce dernier est issu d’un processus de semi-décentralisation.

Le régime de la LAU n’est pas pour autant en parfaite adéquation avec la définition de la semi-décentralisation chez Einsenmann. Car, pour lui, aucun des deux organes ne doit pouvoir imposer sa volonté à l’autre, alors que la LAU prévoit que le gouvernement peut imposer sa volonté à la MRC. Si cela démontre que la LAU ne met pas en place un régime parfaitement conforme à la semi-décentralisation au sens où l’entend Eisenmann, cela n’écarte pas la possibilité que ce concept soit le mieux à même de qualifier ce régime : d’une part, parce que cet aspect de sa définition est critiquable ; et, d’autre part, parce que ce régime pourrait correspondre à ce concept tel qu’il est conçu par d’autres auteurs.

La référence d’Eisenmann à l’impossibilité pour un organe d’imposer sa volonté à l’autre, et plus généralement à l’égalité des deux organes, est critiquable parce qu’elle est strictement théorique. Dans un État qui n’est pas de type fédéral, le gouvernement peut toujours imposer sa volonté à l’organe décentralisé en faisant adopter une loi par le Parlement. C’est donc dire que ce critère n’est pertinent ni pour la semi-décentralisation, ni pour la décentralisation tout court d’ailleurs, pour autant qu’elle ne se situe pas dans un cadre fédéral. Le Québec n’étant pas un État fédéral[126], nul ne peut exiger que son droit prévoie une impossibilité pour l’organe central d’imposer sa volonté à l’organe non central pour conclure à l’existence d’une semi-décentralisation ou même d’une décentralisation. Cela est d’ailleurs illustré par l’affaire de la ligne Hertel-des-Cantons. Dans cette affaire, le gouvernement, qui a vu ses décrets invalidés du fait qu’il avait omis d’envoyer un avis à la MRC avant d’intervenir à l’encontre du schéma régional, a par la suite fait adopter une loi spéciale rétroactive pour imposer sa volonté[127]. Même si la LAU n’avait pas prévu que le gouvernement puisse influer sur le contenu du schéma régional par décret précédé d’un avis, autrement dit si elle avait été plus près du pôle de la décentralisation, celui-ci aurait tout de même pu imposer sa volonté, car une loi a toujours priorité sur le règlement de l’autorité déléguée qui la contredit[128]. Ce n’est peut-être pas un hasard si la définition québécoise de la semi-décentralisation ne se réfère pas au critère de l’impossibilité pour un organe d’imposer sa volonté à l’autre. Andrée Lajoie et Alain Baccigaluppo se contentent d’évoquer une certaine égalité entre les organes, sans préciser clairement jusqu’à quel point cette égalité doit être réelle dans les faits.

Même si nous devions considérer que l’égalité des organes est un critère de la semi-décentralisation « à la québécoise », nous pourrions arguer qu’il y a une certaine égalité dans le contexte de la LAU : d’une part, parce que ce critère est respecté dès lors que les deux organes possèdent un pouvoir de consentement[129], et, d’autre part, parce qu’il est encore plus parfaitement respecté lorsqu’ils ont le même degré de participation aux différentes étapes de l’exercice du pouvoir de décision[130]. Or, les deux organes ont dans ce cas précis un pouvoir de consentement et un degré de participation tout à fait semblables. Pour ce qui est du consentement à la mise en vigueur, les deux sont engagés, quoique le gouvernement puisse avoir le dernier mot. Toutefois, cet élément d’inégalité qui défavorise le conseil de la MRC est en quelque sorte en partie « compensé » par le fait que ce dernier a seul le pouvoir d’initiative en ce qui concerne la révision du schéma. En ce qui a trait à la participation, le gouvernement et le conseil prennent part de manière comparable à l’étape de la conception intellectuelle du contenu du schéma. Enfin, même si nous considérons que la LAU ne crée pas une parfaite égalité entre les deux organes, n’empêche que par rapport à l’état du droit antérieur, c’est-à-dire à l’époque où l’organe central qu’était l’OPDQ pouvait élaborer seul les schémas régionaux et où les élus locaux avaient moins leur mot à dire sur l’aménagement du territoire par le gouvernement, elle favorise une certaine égalité. Comme nous le disent très justement Jacques Léveillée et Marie-Odile Trépanier, grâce à la LAU, « la place de la contrainte ou de la coercition est réduite ; celle de la négociation s’accroît[131] ».

Au-delà de cette explication et de la définition d’Andrée Lajoie qui date des années 60, nous avons vu qu’il existe un auteur contemporain, Jacques Caillosse, pour qui le concept de semi-décentralisation est aussi pertinent à l’égard de mécanismes en vertu desquels l’État peut imposer sa volonté à un organe local avec lequel il collabore[132]. Cela renforce notre conviction que toute définition contemporaine de la semi-décentralisation ne devrait pas faire référence à l’égalité des organes ; d’où notre définition qui voit dans ce concept simplement un mode collaboratif de coproduction de normes ou de décision juridiques qui requiert l’expression d’une volonté, par approbation ou absence d’opposition, d’un organe d’État et d’un organe local non centralisé.

À la lumière de ces précisions sur la définition du professeur Caillosse et la nôtre, difficile d’imaginer une formule théorique qui cadre mieux avec le régime mis en place par la LAU. Tant dans sa version originale que dans sa version actuelle, cette loi prévoit une association ainsi qu’une participation du conseil de la MRC et du gouvernement au pouvoir de décision en ce qui a trait au schéma régional. Autrement dit, elle prévoit une collaboration, concept que nous préférons dans notre définition, en nous inspirant d’Alain Baccigalupo et d’Andrée Lajoie. D’ailleurs, quand Jacques Léveillée et Marie-Odile Trépanier parlent de coordination, d’échange, d’interaction et de concertation, cela est totalement compatible avec les concepts d’association et de participation chers à Jacques Caillosse, et a fortiori avec celui de collaboration. Or, la LAU ne fait pas que consacrer cette concertation-association, elle l’augmente considérablement puisque, comme le soulignent Jacques Léveillée et Marie-Odile Trépanier, « le gouvernement se soumet lui-même à des discussions et à des procédures de consultation auxquelles il ne s’était jamais astreint auparavant[133] ».

Surtout, le concept de coproduction juridique nous semble tout désigné pour décrire le processus qui mène à la révision du schéma. En effet, comment décrire autrement un processus qui requiert en alternance une intervention du conseil de la MRC, qui enclenche le processus, une intervention du gouvernement, par l’envoi de ses orientations et de ses projets, à nouveau une intervention dudit conseil, qui adopte un projet, puis une nouvelle intervention du gouvernement sous la forme d’un avis. Et le fait que, ultimement, le gouvernement puisse imposer sa vision du schéma régional n’enlève rien à ce raisonnement, tout au plus nous amène-t-il à préciser qu’il s’agit d’une coproduction asymétrique. Quant à la référence à l’expression d’une volonté par chacun des deux organes, nous avons vu que la LAU prévoit effectivement une telle double expression.

C’est d’ailleurs pourquoi, selon nous, le ministre et plus généralement le gouvernement peuvent avoir à répondre au Parlement du contenu d’un schéma régional, ce qui ne serait pas le cas s’ils n’exerçaient à l’égard de ce schéma qu’un pouvoir de contrôle de légalité, car dans ce cas nous serions dans un contexte de décentralisation. Inversement, puisque le conseil de la MRC participe à l’élaboration et à la mise en vigueur du schéma en question, ses membres peuvent aussi avoir à en répondre devant les élus locaux et les populations de leur région, ce qui ne serait pas le cas si nous étions dans un contexte de centralisation. C’est parce qu’il s’agit d’un régime de semi-décentralisation que la responsabilité politique est partagée entre le gouvernement et le conseil de la MRC.

L’autre raison d’être du concept de décentralisation et a fortiori de celui de semi-décentralisation, soit leur utilité à titre d’indicateur du degré de libéralisme d’un système de droit administratif, nous indique aussi que la LAU met en place un cadre semi-décentralisé. L’arrêt rendu dans l’affaire de la ligne Hertel-des-Cantons illustre notre propos ici aussi[134]. Car, si l’aménagement du territoire avait été totalement centralisé au moment où le gouvernement a entrepris de faire construire cette ligne électrique, malgré l’opposition de citoyens qui voyaient une partie de leur propriété touchée, ces derniers n’auraient pu invoquer la dérogation au schéma régional et l’absence d’avis à la MRC pour contester cette construction. Bien qu’au final le gouvernement ait pu faire prévaloir sa volonté grâce à une loi spéciale[135], il n’en demeure pas moins que le régime de collaboration entre le gouvernement et la MRC rendu obligatoire par la LAU, autrement dit le régime de semi-décentralisation, a fourni à de simples citoyens des outils dans la défense de leurs droits devant ce qu’ils considéraient comme un gouvernement autoritaire.

Quant à savoir si la LAU permet l’adoption de normes adaptées aux particularismes de manière à accommoder des identités infranationales, il semblerait que oui. Une brève recherche jurisprudentielle suffit pour trouver un exemple de schéma régional dont le premier objectif est de « renforcer l’identité régionale » et dont certains éléments sont liés à des particularités de la région[136]. Cela est d’ailleurs logique considérant que le gouvernement qui a fait adopter la LAU visait effectivement à valoriser la diversité et les identités régionales. Certes, même dans un régime centralisé les lois et les règlements centraux peuvent valoriser les identités régionales et tenir compte des particularismes locaux, mais cela est moins probable, ne serait-ce que parce que le gouvernement central n’est pas toujours au fait de ces particularismes. Dans un système décentralisé, la valorisation des identités infranationales et l’adaptation des normes sont davantage probables. La spécificité de la semi-décentralisation à cet égard est sans doute qu’elle rend possible, d’une part, l’imposition de normes identiques partout, ce qui serait pratiquement impossible dans un régime décentralisé, et que, d’autre part, elle rend probable l’adoption de normes adaptées aux différents particularismes, ce qui l’est moins dans un système de centralisation. Or, justement, la LAU permet tant les normes adaptées à la diversité identitaire, comme le montre l’exemple cité ci-dessus, que les normes identiques partout, comme l’illustre l’imposition par le gouvernement de mesures de contrôle intérimaire similaires dans plusieurs MRC au milieu des années 80.

Conclusion

Bien qu’elle puisse sans doute être complétée par une analyse davantage axée sur l’application pratique de la LAU et sur l’évolution détaillée de celle-ci dans le temps, notre étude nous permet de conclure que cette loi peut être qualifiée de semi-décentralisatrice. Que convient-il de retenir de cette conclusion ? D’abord que, même si la jurisprudence qui se réfère au courant doctrinal incarné par le professeur Garant ne le retient pas[137], le concept de semi-décentralisation est pertinent, car il permet de qualifier certaines situations qui ne relèvent ni tout à fait de la centralisation ni parfaitement de la décentralisation. Cela est vrai pour les articles de la LAU portant sur le schéma régional et sans doute pour une foule d’autres dispositions législatives. Avec Jacques Caillosse, nous avons appris que ce concept peut être pertinent pour décrire une procédure d’expropriation qui prévoit l’intervention d’une instance locale et d’un organe d’État, tout en conférant à ce dernier une prépondérance. Bien que cet exemple nous vienne du droit français, comme il existe des procédures d’expropriation semblables au Québec[138], cela confirme la pertinence du concept de semi-décentralisation en droit municipal québécois.

Par ailleurs, faut-il retenir de notre conclusion que nous sommes à l’abri d’une régression centralisatrice ou d’une évolution rapide vers une décentralisation en matière d’aménagement du territoire ? Oui et non. Ou plutôt, non et oui. D’une part, puisque la LAU met en place un régime de semi-décentralisation qui confère à l’État le pouvoir du dernier mot, un gouvernement pourrait toujours se servir de cette loi pour imposer sa volonté, voire pour imposer des normes identiques dans toutes les MRC. D’autre part, une évolution décentralisatrice n’est pas impossible. Cette évolution est toutefois peu probable, du moins dans le contexte de la LAU, car, depuis l’adoption de cette loi, les développements qui vont dans ce sens se font plutôt dans d’autres lois. Par exemple, la consécration du pouvoir général et autonome de réglementer du conseil de la MRC se trouve dans la Loi sur les compétences municipales[139]. C’est un peu comme si le législateur tentait de sortir de la logique de la semi-décentralisation pour entrer lentement dans celle de la décentralisation, du moins ailleurs qu’en matière d’aménagement, mais qu’il ne pouvait le faire dans la LAU tant cette loi est totalement inscrite dans cette première logique. Le fait que les compétences des MRC en matière d’aménagement figurent toujours dans la LAU[140], alors que le gouvernement a longtemps songé à les inclure dans la Loi sur les compétences municipales, est d’ailleurs révélateur à cet égard[141]. De manière comparable, avec la possibilité d’élire au suffrage universel direct les préfets de la très grande majorité des MRC, et d’ainsi répondre davantage à un des critères de la décentralisation dans sa conception maximaliste, un pas de plus vers la décentralisation a été franchi. Ce pas a été réalisé non pas dans la LAU, mais par une modification à la LOTM[142].

La lenteur de la progression vers la décentralisation depuis l’adoption de la LAU ne s’explique pas que par la logique intrinsèque de cette loi et le manque de volonté du législateur. Comme l’illustre le fait que seules 14 MRC sur les 76 qui pouvaient le faire ont opté pour une élection de leur préfet au suffrage universel direct[143], il y a un manque de volonté démocratique de la part des élus locaux. De ce fait, nous sommes aux prises avec ce qui semble un paradoxe. Si le gouvernement utilise la majorité parlementaire pour faire adopter une loi imposant l’élection des préfets au suffrage universel direct, il fait progresser la décentralisation, puisque l’élection directe des dirigeants est un critère retenu par les conceptions maximalistes. Cependant, cette réforme peut aussi être perçue comme une centralisation puisqu’elle aurait pour effet de transférer une compétence, celle de choisir le mode de sélection du préfet, du conseil de la MRC au pouvoir législatif central. Dès lors, c’est le gouvernement qui aurait à répondre en chambre de ce choix, et non plus chacun des conseils devant la population. Comme ceux-ci sont souvent opposés à l’élection du préfet au suffrage universel direct, cela pourrait aussi être considéré comme une mesure autoritaire imposée par le gouvernement grâce à sa majorité parlementaire. Et surtout, cela serait dénoncé à titre de mesure uniformisatrice ne tentant pas compte des particularités régionales. Il est connu, par exemple, que dans certaines MRC où il existe une ville regroupant la grande majorité des habitants de la MRC, les petites municipalités membres s’opposent à l’élection du préfet au suffrage universel direct, puisque ce mode de sélection du préfet est moins avantageux pour elles que l’élection par les membres du conseil de la MRC.

Un bref regard sur un aspect de l’histoire du droit municipal québécois peut toutefois nous éclairer sur la manière de surmonter cette impasse. C’est que l’élection au suffrage universel direct des maires des municipalités locales, l’équivalent au niveau subrégional des préfets des MRC, ne s’est pas faite d’un seul coup. Entre l’époque de l’élection du maire par les membres du conseil et celle de son élection au suffrage universel direct, il y a eu plusieurs étapes intermédiaires. Une de ces étapes est illustrée par l’article 47 de la Loi concernant les cités et villes de 1903 qui prévoyait que « [l]e maire est élu pour deux années à la majorité des électeurs municipaux de la municipalité ayant voté » avant d’ajouter que « [n]éanmoins, si le conseil municipal passe un règlement à cet effet à la majorité des deux tiers de ses membres, le maire peut être élu pour deux années par le conseil municipal[144]. » Nous pensons que cet article de la Loi des cités et villes de 1903 pourrait inspirer une modification au mécanisme prévu par les articles 210.29.1 à 210.29.3 de la LOTM[145]. Car, à l’heure actuelle, ce mécanisme permet l’élection du préfet au suffrage universel direct sans toutefois la favoriser[146]. Or, cette modification aurait justement pour effet de favoriser l’élection d’un plus grand nombre de préfets au suffrage universel direct, sans toutefois transférer la compétence de déterminer le mode de leur sélection des MRC au centre incarné par le gouvernement et l’Assemblée nationale.

Après avoir réalisé des progrès démocratiques sur cette question cruciale de l’élection du principal dirigeant régional, le législateur pourrait envisager de conférer une plus grande autonomie à la MRC. En effet, une fois surmonté au moins en partie l’obstacle du principe selon lequel il ne peut y avoir de taxation directe sans représentation directe (No taxation without representation), d’autres avancées, notamment sur le plan de l’autonomie fiscale, pourraient avoir lieu ; d’ailleurs, ces avancées seraient nécessaires pour que l’élection direct du préfet ait un impact déterminant. Nous pensons, par exemple, à l’octroi aux MRC qui élisent leur préfet au suffrage universel direct d’un pouvoir de taxation ou de perception de redevances sur les ressources naturelles. Le rehaussement de la légitimité de la MRC qui résulterait de cette élection pourrait aussi justifier une plus grande autonomie de son pouvoir réglementaire, notamment eu égard au schéma régional. Concrètement, cela pourrait se traduire par le retrait de la possibilité pour le gouvernement d’influer directement sur le contenu de ce schéma, par l’envoi d’orientations ou de projets et par son veto sur la mise en vigueur, du moins à l’égard de certains éléments[147]. Dans cette éventualité, il y aurait semi-décentralisation à l’égard des éléments du schéma régional pour lesquels le gouvernement garderait un pouvoir de consentement, et décentralisation pour les éléments que la MRC pourrait élaborer et mettre en vigueur seule. Cette évolution serait évidemment un progrès pour la démocratie de proximité en raison de l’élection directe du préfet et parce qu’elle permettrait aux principaux intéressés, soit les citoyens du territoire visé, de prendre eux-mêmes des décisions les concernant directement sans risquer de voir ces dernières renversées par un gouvernement moins proche d’eux. Cette autonomie décisionnelle serait aussi une garantie que les normes choisies en raison de leur adéquation avec des spécificités régionales ne seraient pas rejetées par un gouvernement hypothétiquement moins sensible à l’importance de ces spécificités pour l’identité régionale. Par contre, une évolution dans le sens d’une autonomie qui permettrait à la MRC de prendre davantage de décisions seule, et donc sans que des citoyens dissidents puissent faire prévaloir leur point de vue en convaincant le gouvernement de bloquer certaines de ses décisions[148], serait possiblement moins favorable au libéralisme tel qu’il est conçu dans la tradition de Montesquieu.

C’est vraisemblablement une des raisons pour lesquelles une évolution de cette ampleur est loin d’être certaine. D’ailleurs, l’avant-projet de loi intitulé Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme ne va pas dans cette direction, même si l’Union des municipalités du Québec réclame l’introduction d’une disposition proclamant qu’il s’agit d’une loi de décentralisation[149], ce qui, en plus d’être susceptible de freiner les ardeurs centralisatrices de fonctionnaires nationaux pas toujours respectueux de l’esprit partiellement décentralisateur de la LAU, irait dans le sens de ce que nous suggérons. Et, de toute manière, l’élection directe d’un nombre significatif de préfets nous paraît un préalable à une telle évolution. Car avant de passer au stade de la décentralisation, il serait logique de tendre vers une semi-décentralisation davantage à l’abri d’une régression centralisatrice. Or, l’élection d’un plus grand nombre de préfets au suffrage universel direct aurait sans doute cet effet, parce qu’il est difficile d’imaginer un gouvernement imposant ses volontés à l’encontre d’une vision de l’aménagement formulée et approuvée dans le contexte d’une élection régionale.

Pour l’instant, rien ne garantit que le gouvernement va proposer une modification législative favorisant l’élection directe d’un plus grand nombre de préfets. Considérant que cette évolution serait comparable à certaines évolutions survenues au cours des 30 dernières années, il est tout de même permis d’espérer qu’elle pourrait voir le jour quelque part au cours des 30 prochaines…