Abstracts
Résumé
À l’heure où la plupart des institutions régissant notre vie collective québécoise et canadienne sont sujettes à d’importantes remises en cause, le monopole de représentation syndicale n’échappe pas au même examen critique, et ce, d’autant qu’il est confronté à l’incontournable et stimulante réalité de la diversité. Le présent texte aborde les difficultés et défis qui sont posés aux syndicats en ces temps de redéfinition et propose quelques pistes de réflexion pour appréhender l’avenir.
Abstract
In this era when most institutions governing our collective Québec and Canadian existences are subjected to being called into question, the monopoly of unionized representation cannot escape the same critical scrutiny, especially when confronted with the inescapable and simultaneous reality found in diversity. This paper looks into the difficulties and challenges facing unions at a time of self-redefining and suggests paths leading to a better grip on potential futures.
Article body
Le monopole de représentation syndicale, véritable pilier de l’organisation des rapports collectifs du travail en Amérique du Nord, possède-t-il la flexibilité requise pour s’adapter aux bouleversements et tensions du monde du travail actuel ou, tout en se maintenant, ne deviendra-t-il pas de plus en plus l’objet de vives critiques, voire de poursuites judiciaires, émanant de certaines personnes pour qui il agit ? La question est délicate, mais, en ce début de siècle agité, elle se doit d’être posée et de susciter des discussions et réflexions.
Toute personne qui s’intéresse de près ou de loin au monde du travail sait que la diversité grandissante de la composition de la main-d’oeuvre, l’accélération du processus d’individualisation au sein de nos sociétés modernes, la montée des revendications émanant de groupes identitaires et la quête soutenue de respect des principes d’égalité et de dignité des personnes constituent, s’ils ne sont pas les seuls[1], autant de courants qui marquent profondément le tissu de notre quotidien.
Le monde du travail, véritable microcosme de la société dans laquelle nous vivons, est également aspiré par cette spirale d’éléments internes et externes et doit nécessairement s’y ajuster. Ceci est tout particulièrement vrai pour les syndicats qui sont, à la fois, au centre des exigences posées par une représentation exclusive de tous les salariés d’une unité de négociation et des demandes de compromis émanant des employeurs et impliquant parfois des modifications à l’organisation du travail ou de sa rémunération.
Manifestement, ce rôle est de plus en plus délicat. Si le monopole de représentation permet aux syndicats de concentrer, en une seule organisation, l’ensemble de la force de travail afin d’en optimiser les revendications et possibles moyens de pression, son statut d’exclusivité pose un défi de taille, soit celui de devoir articuler des positions conciliant les voeux de la majorité d’un groupe syndiqué avec les exigences, parfois divergentes, de salariés individuels ne se reconnaissant plus dans les orientations collectives prises par leur syndicat.
Quatre décisions récentes, prononcées par des tribunaux québécois, illustrent parfaitement ce clivage[2]. Les syndicats impliqués dans ces affaires ont été condamnés, conjointement et solidairement avec des employeurs, à payer des dommages-intérêts à des salariés — exclusivement parmi leurs membres — pour avoir conclu des dispositions discriminatoires dans le cadre de conventions collectives[3]. Les moyens de défense syndicaux invoquant les principes traditionnels de la négociation, l’importance du maintien des avantages acquis et les mesures adoptées « afin d’éviter le pire » n’ont pas permis d’écarter la sanction judiciaire[4].
Le tableau est préoccupant. Difficile de déceler dans cette situation l’image d’un syndicalisme porteur de changement et d’égalité au sein d’un milieu de travail alors qu’il se trouve associé directement à la création de normes discriminatoires. Disons-le, l’écart entre les idéaux et la réalité est non seulement considérable, mais suscite de l’inquiétude. Les syndicats canadiens et québécois pourront-ils renverser la vapeur et réussir à relever les défis posés par la diversité et l’égalité ? Ou assisterons-nous, au fil des prochaines années, à une multiplication de contestations judiciaires provenant de salariés individuels ou regroupés en fonction d’intérêts communs, remettant en cause la légalité de pans entiers de conventions collectives et exigeant, tant de l’employeur que de leur syndicat, des dédommagements monétaires en raison de dispositions contractuelles jugées discriminatoires ? Et, sans être prophète de malheur, ne faut-il pas craindre qu’un tel mouvement, fondé jusqu’ici essentiellement sur des principes de légalité, ne finisse par s’attaquer à la légitimité même de l’organisation des rapports collectifs du travail, dont le monopole de représentation syndicale constitue une des assises fondamentales ?
Si la marche du temps est rapide et ne permet aucune procrastination, je suis d’avis que les syndicats peuvent encore réagir et entreprendre ou poursuivre, c’est selon, ce vaste mouvement de réorientation qui s’impose. En première partie, j’exposerai les principaux motifs justifiant, de la part des détenteurs du monopole de représentation syndicale, une nécessaire redéfinition de leurs actions posées. Par la suite, j’entends élaborer quelques pistes pouvant contribuer à concilier les nouveaux traits du monde du travail et de ses artisans à un monopole de représentation qui compte peut-être 75 ans bien sonnés, mais dont le potentiel de rebond, s’il est bien exploité, demeure excellent.
1 Un monopole de représentation interpellé…
1.1 Par la hiérarchie des normes de droit
Autour de la table, un groupe d’hommes blancs, expérimentés au sein de leur milieu de travail, rompus aux techniques de négociations discutent de la conclusion d’une convention collective en partageant un même objectif commun — tout en divergeant parfois sur le plan des moyens pour l’atteindre — soit le développement des conditions permettant le meilleur bien-être économique des personnes qu’ils représentent. Bref, on parle de grilles salariales, d’ancienneté, de sous-traitance, d’avantages sociaux. J’entends immédiatement des contestations : ce scénario des années 1950-1960 est aussi stéréotypé que désuet. Je l’admets. Rembobinons le tout.
Autour de la même table, un groupe de femmes et d’hommes, expérimentés au sein de leur milieu de travail, rompus aux techniques les plus innovantes de la négociation, discutent de la conclusion de la convention collective. L’objectif est le même que celui mentionné précédemment, quoiqu’il faille reconnaître que le « développement » de nouvelles conditions de travail est passé de plus en plus souvent, depuis quelques années, vers une politique de défense du « maintien » de celles-ci.
Toutes ces personnes sont évidemment de bonne foi : elles négocient, au meilleur de leurs connaissances et habiletés, les normes qui régiront leur milieu de travail pour les prochaines années. Ces négociateurs et négociatrices modernes abordent-ils, au cours de leurs discussions, les impacts que peuvent avoir certaines dispositions à l’égard de l’exercice de pratiques religieuses de certains salariés ? Traitent-elles des conséquences que certaines clauses peuvent avoir relativement à l’une ou l’autre des facettes de la vie privée des salariés ? Échangent-ils à propos des mécanismes permettant aux salariés de s’exprimer au sein de l’entreprise ou à l’extérieur de celle-ci ? Et quelle place accordent-elles à toute la question du maintien dans l’emploi de la personne salariée victime d’un handicap ?
S’il arrive sûrement qu’une ou l’autre de ces questions fasse parfois l’objet de négociations, les conventions collectives présentant un large éventail de solutions à toutes ces questions sont rares. Pourtant, nous le savons, le « centre de gravité » de la création des normes applicables en milieu de travail syndiqué est résolument passé d’un monde fondé sur le principe d’autonomie contractuelle des parties contractantes à un ensemble complexe et mouvant où la loi extérieure ainsi que ses interprétations par les différents tribunaux s’imposent, par préséance, au cadre de la convention collective.
La donne a donc changé radicalement. En raison des principes fondamentaux découlant de la hiérarchie des sources, approche qui, depuis le récent arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général)[5], doit guider la grille d’analyse relative à l’interaction entre les normes extérieures quasi constitutionnelles et d’ordre public et le contenu de la convention collective[6], le droit positif n’occupe plus le simple rôle d’un figurant qu’il était autrefois possible d’oublier ou d’esquiver lors des négociations d’une convention collective. Dorénavant, sans être mis de l’avant, comme tel, par une « tierce partie » qui serait présente à la table des négociations, le droit extérieur est devenu « la » référence, le « noyau dur » auquel les conventions collectives doivent obligatoirement se conformer. Certes, ce « filet invisible » ne paralyse pas l’initiative des parties, mais il leur impose un inévitable amincissement de leur marge de manoeuvre créatrice. Le silence, voulu ou non, à propos, par exemple, de la question délicate d’aménagement d’un horaire particulier afin de composer avec les demandes de nature religieuse d’une personne salariée ou la solution, quoique imparfaite, adoptée pour préserver un peu plus les droits de certains salariés au détriment d’autres n’arrivent plus à écarter questionnements et remises en question de la part de salariés qui s’estiment lésés par ces mesures.
Le caractère universel de la « loi des parties », longtemps associé à la convention collective, relève définitivement du passé[7]. Si ceci vaut évidemment pour les employeurs et les syndicats, les conséquences pour ces derniers paraissent plus significatives dans la mesure où ceux-ci doivent intégrer, en amont des négociations ou au moment même de leur déroulement, une importante dimension individuelle à la vision collective de leurs demandes ou compromis. Ceci est également vrai à l’étape suivante de l’application de la convention collective.
1.2 Par des « personnes » en redéfinition d’identité
Ce premier élément ne peut être ignoré, d’autant qu’il s’accompagne d’une sensibilisation marquée de l’ensemble des citoyens — y incluant évidemment les salariés — à l’égard du respect de leurs droits et, tout particulièrement, des droits de la personne. Dans une société plus instruite, sensibilisée dès les premiers cycles scolaires à l’existence des chartes des droits et des autres lois d’importance, dans un monde où les multiples moyens de communication permettent à la fois d’obtenir rapidement de l’information quant à ses droits et de partager, souvent en temps réel, ses questions avec des centaines de personnes bien ou mieux renseignées, la personne salariée n’est plus seule, ni tributaire des seules sources de réponses qu’ont longtemps été son syndicat ou l’employeur.
Ce « cadre classique » est en complète métamorphose depuis une vingtaine d’années. Certes, le salarié continue de fournir une prestation de travail pour un employeur et peut être visé par une unité de négociation ayant été définie, entre autres éléments, par la « communauté d’intérêts » des personnes qui en font partie[8]. Toutefois, ce cadre « légal », aussi rassurant soit-il, est en train de se transformer de plus en plus en une « fiction » juridique dénuée de résonnance dans la réalité.
La personne salariée actuelle, fortement inspirée par un monde tourné vers l’extérieur, adhère à une « nouvelle communauté » où l’appartenance est moins affaire de similarité de tâches, d’historique des organisations ou de mobilité intra entreprise[9] — bref, à un monde du travail reposant sur une approche fonctionnelle et spatio temporelle — que par une recherche d’appartenance à des groupes partageant les mêmes affinités culturelles, sexuelles, raciales, etc.
Rien, évidemment, n’interdit à ces deux formes d’appartenance de coexister dans un même milieu. Toutefois, et ce, d’une façon qui paraît inévitable, la seconde communauté, souvent moins englobante et priorisant plus les droits individuels, s’arrimera difficilement avec la première qui repose essentiellement sur une vision collective de l’organisation du travail.
Qu’on le souhaite ou non, cet éclatement d’appartenances semble inexorable. S’il n’est pas un phénomène lié exclusivement aux salariés oeuvrant en milieu syndiqué, mais s’exprime évidemment dans l’ensemble de la société, sa manifestation dans le monde du travail bouleverse les balises traditionnelles. La solidarité entre salariés, les objectifs communs partagés, les compromis acceptés par les uns afin d’aider les autres, l’idée toute simple voulant que le « temps travaillé » dans l’entreprise permettra, au fil des années, de « lisser » les avantages et désavantages du moment, sont autant de concepts qui existent sûrement encore ici et là, mais paraissent s’estomper au fil des années afin d’être remplacés par une vision différente où ce sont les droits de chacun qui doivent dicter, souvent dans l’immédiat, les résultats.
À défaut d’atteindre cet objectif, la contestation judiciaire de la règle commune représente dorénavant un moyen percutant d’affirmation de ces salariés qui semblent ne plus voir le contrat collectif comme un ensemble fédérateur de droits et d’obligations obtenus à la suite de négociations bilatérales, mais plutôt comme une série de droits qui, indépendamment du contexte de leur formulation, doivent respecter en tout point leurs droits individuels.
La perspective est clairement différente. Les impacts le sont tout autant. Plus que jamais, les conventions collectives au Canada semblent avoir perdu leur caractère intangible d’antan. Dès le lendemain de leur conclusion, elles sont sujettes, en raison de l’interprétation mise de l’avant par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Morin[10], à des attaques provenant de salariés couverts par ces mêmes conventions. Il ne s’agit pas pour moi de critiquer l’exercice de ces droits, mais de constater, dans cette première partie, qu’elles constituent de véritables menaces au sacro-saint principe de la stabilité des conventions collectives[11] et, par la force des choses, à l’essence même du monopole de représentation syndicale.
Si l’engagement donné par un syndicat lors de la conclusion du contrat collectif n’est plus que « conditionnel » à l’absence de contestations éventuelles de la part des propres salariés qu’il représente, c’est toute la question de la nature de la représentation syndicale, tant au niveau de sa profondeur que de son effectivité, qui me paraît directement remise en cause.
Comment prétendre en effet à l’unicité de la représentation syndicale lorsque « l’écran[12] » se fissure et que l’entente conclue hier avec les porte-parole exclusifs de tous les syndiqués n’apparaît plus dorénavant qu’une simple norme fragile, ouverte à la contestation de salariés individuels et dissidents et susceptible d’annulation[13] ?
Comment ne pas déceler dans ces développements les possibles germes d’une « représentation alternative », plus en phase avec les intérêts spécifiques des uns et des autres ? Ne peut-on pas anticiper que les prochaines étapes d’un tel mouvement pourraient consister à exiger que les revendications « sectorielles » de ces nouveaux groupes soient présentées directement à la table de négociations par des porteurs différents ? Un rôle similaire pourrait également être réclamé au moment de l’application de la convention collective. N’est-ce pas, en effet, à cette étape que la personne salariée, s’estimant lésée par une disposition de la convention collective, aurait le plus besoin d’une représentation distincte ? À ce titre, les interventions de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse dans le cadre des dossiers mentionnés précédemment illustrent parfaitement cet éclatement de la représentation au sein même d’une entreprise syndiquée. Au nom d’un groupe de salariés définis qui par leur âge, qui par leur sexe, qui par leur état civil, la Commission des droits, dans le cadre de son enquête, demandera par exemple, afin de « favoriser un règlement », que les parties à la convention collective exposent leurs positions relatives à la problématique soulevée et fera des propositions dans le but de l’adoption par ces dernières de mesures visant à modifier les textes litigieux[14]. Toutes ces démarches pouvant avoir des impacts directs sur le libellé de la convention collective, sont, notons-le, totalement indépendantes de la période légale de négociation prévue au Code du travail[15]. Bref, la Commission des droits de la personne devient, pour les fins des plaintes dont elle est saisie, un nouvel « agent de négociation ». Tout en étant extérieure à la convention collective et ne représentant qu’une partie des salariés visés par l’accréditation, la Commission des droits peut conclure un règlement avec les parties ou, en cas de refus de négociation ou défaut d’entente, s’adresser à un tribunal[16]. Bref, de facto, ce rôle accordé à la Commission par la Charte, renforcé implicitement par l’arrêt Morin[17], introduit une dérogation au caractère exclusif du monopole de représentation syndicale relatif à la négociation des conditions de travail des salariés couverts par une accréditation. Dans le cadre de plaintes de salariés syndiqués portées à la Commission, la représentation atypique et binaire qui en découle, si elle ne constitue pas le seul élément qui s’écarte des éléments caractérisant le régime des rapports collectifs du travail[18], s’avère une des manifestations les plus évidentes des transformations qui, sans bruit ni véritable débat, minent graduellement les assises du monopole de représentation syndicale.
1.3 Par le risque d’un affaiblissement du lien de confiance
Si tout ce scénario peut sembler théorique et exagéré, si les nouvelles « appartenances » dont je traitais précédemment ne paraissent pas articulées autour de structures formelles de revendications, il paraît téméraire d’ignorer ces diverses tendances qui révèlent une formidable capacité de réseautage, de partage rapide et efficace de l’information. Il est à craindre que, le moment venu, nos formes d’organisations statiques, issues d’un autre temps, résistent difficilement à ces remises en cause.
Un troisième motif commande, à mon avis, la présente réflexion à propos du monopole de représentation syndicale, et il s’agit probablement du plus important puisqu’il concerne le lien de confiance devant prévaloir et subsister entre les syndicats et les salariés qu’ils représentent. Car, tous en sont conscients, le fait qu’un syndicat acquiert, une fois l’accréditation accordée, un statut exclusif de représentant « légal » des salariés visés par l’unité de négociation, ne peut avoir pour effet de dispenser celui-ci d’entretenir en tout temps une véritable relation de confiance avec les personnes représentées.
Si, au lendemain de la conclusion collective, des salariés se plaignent d’être victimes de discrimination et s’empressent de porter plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, il faut voir dans cette démarche plus que l’exercice légitime d’un « droit », mais également un signe de désaveu de l’action syndicale. Des salariés indiquent, en effet, qu’ils ne se retrouvent pas ou plus dans une ou l’autre des conditions énoncées à la convention collective et n’hésitent pas à s’en désolidariser.
Le malaise, convenons-en, est grand. Il le sera encore plus lorsque le syndicat, à titre de codéfendeur avec l’employeur, sera tenu de justifier les choix qui ont dû être faits en bout de piste, et ce, sans pouvoir bien souvent — et il s’agit là, selon moi, d’une limite à revoir — faire la preuve de l’ensemble de la négociation de la convention collective en cause afin de situer, plus particulièrement, les dispositions contestées[19].
Souvent, le syndicat se trouvera dans la délicate position d’avoir à défendre, face à certains de ses propres salariés, la légalité de dispositions porteuses d’inégalités qui ont été, par ailleurs, entérinées par les négociateurs syndicaux et par la majorité des salariés[20]. Difficile de voir dans ces situations la meilleure façon de maintenir un lien de confiance entre les différentes composantes d’une organisation.
À plus ou moins long terme, l’affaiblissement de ce lien de confiance constitue une véritable menace à la stabilité même des organisations syndicales. Non seulement les contestations judiciaires placent les syndicats en mode d’opposition à l’égard de certains de leurs propres salariés — et souvent membres de leur organisation —, mais elles peuvent devenir le catalyseur d’autres insatisfactions pouvant s’exprimer de différentes manières : le grand nombre de plaintes pour manquement à l’obligation de représentation en est d’ailleurs une possible illustration[21]. Le lien de confiance miné ou brisé, c’est toute la cohérence du groupe et de ses actions qui risque fort d’en subir les contrecoups.
Le tableau que je viens d’esquisser semblera sombre pour plusieurs[22]. On me reprochera de voir, dans certains événements isolés, la source de scénarios improbables. Après tout, le mouvement syndical occupe encore, au Canada, une place importante dans le monde du travail, et ceci est encore plus vrai au Québec, doté d’organisations syndicales solides et professionnelles et où les défis posés consistent d’abord et avant tout à s’ajuster aux bouleversements économiques de notre époque.
Je ne conteste pas ces arguments. Je crains cependant que ces constats, aussi fondés puissent-ils être, fassent oublier certaines vagues de fond qui, si on n’y prête pas suffisamment attention, vont finir, selon moi, par éroder les bases de notre système de représentation syndicale. D’où les quelques pistes de réflexion suivantes qui pourraient contribuer à absorber le changement plutôt que de le nier.
2 Un monopole de représentation proactif…
2.1 Par une « appropriation » intégrée des droits de la personne
Depuis quelques années, en matière de droits de la personne, certains syndicats semblent de plus en plus en décalage avec la réalité émergente. C’est comme si ces droits, aux contours indéfinis, pouvaient facilement faire l’objet de discours généreux, mais ne réussissaient pas à s’articuler dans la réalité des conventions collectives et de leur application.
À l’instant crucial de la conclusion d’une convention collective, les efforts consentis pour protéger les droits de la personne paraissent souvent s’émousser devant l’implacable « réalité », source, s’il en est, de choix et d’orientations où le poids de la majorité finit toujours par jouer un rôle prépondérant dans la balance. Or, ce sont ces « choix », pas toujours compatibles avec les droits individuels de certains salariés, qui feront subséquemment l’objet de contestations.
Manifestement, cette approche doit être totalement revue. Les syndicats doivent développer ou, selon le cas, raffiner une nouvelle vision où les droits de la personne s’inscrivent directement dans la trame de la vie et de l’action syndicale. Loin d’être antinomiques, ces deux dimensions, convergentes quant à la finalité de la défense de la valeur d’égalité des salariés[23], peuvent, en synergie, optimiser la protection de l’une et de l’autre. Pour atteindre un tel objectif, les droits de la personne ne doivent plus être vus ou perçus comme des « limites » à l’action syndicale, mais plutôt comme éléments essentiels et indissociables d’un monde du travail ouvert où les syndicats ont encore un rôle à jouer.
Pour y arriver, les syndicats — et ceci vaut également pour les employeurs — doivent remettre en question, entre autres aspects, la vision « verticale » de l’organisation du travail afin d’y substituer une toute nouvelle approche, cette fois « horizontale » qui est essentiellement fondée sur des principes d’égalité[24]. Si la trame de fond est inversée, cela ne signifie pas que les conventions collectives doivent dorénavant exclure tout élément de verticalité. L’expérience acquise au fil des mois et des années dans un travail ou la durée du service au sein d’une entreprise continuent, en effet, de représenter des jalons qui, en raison de leur nature objective, permettent de différencier entre elles des personnes salariées. Toutefois, ces éléments — qui peuvent permettre l’élaboration de conditions de travail adaptées pour chacun des groupes — ne doivent pas servir d’assise à un possible traitement discriminatoire à l’égard de certains salariés.
La ligne peut semble ténue, et j’admets qu’elle l’est. J’estime néanmoins que si la perspective d’analyse est modifiée, que si, dès le départ, les droits et avantages consentis aux uns et aux autres sont modulés en tenant compte du respect des droits de la personne plutôt que d’être greffés plus ou moins habilement à un schéma normatif peu accueillant, de grands pas vers l’égalité peuvent être franchis[25]. La Cour suprême du Canada a d’ailleurs souligné l’« important rôle » que les syndicats peuvent jouer lors de la négociation de certains textes de conventions collectives ayant trait aux clauses de cessation d’emploi et à leur compatibilité avec l’obligation d’accommodement[26]. Si le résultat de cette négociation n’est pas « déterminant », la Cour a indiqué que ces clauses « constituent plutôt une indication claire des parties sur la question de l’accommodement raisonnable[27] » et qu’il « s’agit en conséquence d’un facteurimportant que l’arbitre doit prendre en considération en cas de dépôt d’un grief[28] ».
Les droits de la personne ne sont donc pas des normes absolues, dissociées de toute résonnance avec le monde réel du travail. Au contraire, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il revient aux parties à une convention collective de préciser la portée concrète de ces droits, et ce, évidemment, tout en respectant le cadre général de droits de nature prépondérante que le texte d’une convention ne peut limiter[29].
L’analyse des arrêts Centre universitaire de santé McGill et Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000[30] illustre d’ailleurs ce qui peut être désigné comme un axe de « contractualisation » des droits de la personne en milieu de travail syndiqué. Certes, ces droits sont fondamentaux, mais la Cour indique, alors qu’elle traitait de l’obligation d’accommodement à l’égard d’un salarié victime d’un handicap, que cela « n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de fournir, contre rémunération, une prestation de travail[31] ».
En somme, les bases fondamentales du droit du travail ne sont pas remises en question, mais l’« espace créatif » des normes conventionnelles a perdu de son élasticité et doit se conformer à une grille d’analyse où les droits fondamentaux occupent une place significative. D’où l’importance, à mon avis, d’adopter, dès que possible, une approche d’élaboration des normes plus en phase avec cette réalité.
Pour y arriver, nous savons tous que de profonds changements de culture s’imposent[32]. Il faut que les syndicats et les employeurs, trop souvent engoncés dans un système priorisant une vision collective des rapports du travail, intègrent la nouvelle donne incontournable qu’est le « salarié-personne ». Ce salarié qui, en raison de ses différences, de ses croyances, de sa vie privée, etc., est en droit d’exiger de la part de tous les intervenants à sa relation d’emploi le respect de ses droits fondamentaux.
2.2 Par une réelle ouverture à la pluralité
Mais au-delà de cette considération de base, il me semble que les syndicats doivent adopter — ou continuer de le faire lorsque celles-ci sont déjà engagées — une série de stratégies visant à maximiser les canaux de communication avec tous les salariés, y incluant ceux qui semblent les moins attirés ou impliqués dans la vie syndicale.
Permettre, si c’est un besoin manifesté, l’expression des groupes « identitaires » existant au sein de l’organisation syndicale peut constituer, par exemple, une piste, à envisager[33]. Certains pourraient craindre que l’existence de tels groupes risque d’accentuer encore plus l’éclatement de la base syndicale. Pour ma part, je crois que le fait que de tels groupes puissent à la fois exister et intervenir peut contribuer à faire tomber certaines barrières, souvent invisibles, qui ont trop souvent pour effet de marginaliser la différence. De plus, ces groupes, une fois reconnus, peuvent devenir un canal structuré de communication et de meilleure compréhension inter salariés, option de loin favorable à une connaissance approximative découlant d’échanges insuffisants.
Les organisations syndicales, aussi respectueuses soient-elles de la démocratie, devraient également s’interroger sur le développement ou la consolidation de règles permettant à des salariés représentant les jeunes, les personnes handicapées, etc., de pouvoir accéder plus facilement à leurs instances décisionnelles. D’une certaine façon, comme c’est le cas pour toutes les organisations modernes, les syndicats ne devraient pas hésiter, si ce n’est déjà fait, à revoir leurs règles de gouvernance afin de s’assurer que partout — et surtout là où les orientations et décisions sont prises — la pluralité de la main-d’oeuvre, la diversité des opinions et des besoins sont vraiment prises en considération.
Loin de trahir la démocratie, ces nouvelles approches permettent plutôt d’en assurer l’efficience. Le fait de mieux comprendre et intégrer les préoccupations des uns, d’expliquer les positions des autres, de faire ressortir les avantages et dangers de telle formule ou interprétation a non seulement pour effet d’écarter le reproche de manque de transparence qui est formulé à l’occasion par les tribunaux à l’égard de syndicats[34], mais permettrait, selon moi, une prise de décisions marquée par une sensibilité accrue à un environnement juridique plus ouvert à la pluralité des sources qu’à la seule consécration de textes négociés par les parties à une convention collective.
En fait, on le constate, c’est toute la perspective horizontale, développée antérieurement[35], qui peut profiter de telles stratégies d’ouverture et d’élargissement des organisations syndicales. À terme, c’est la qualité intrinsèque des conventions collectives et celle de leur application qui en sortiront également gagnantes.
Conclusion : Un monopole de représentation ouvert et engagé
Le monopole de représentation syndicale demeure, j’en suis persuadé, un moyen fondamental permettant la défense efficace des droits des salariés. Toutefois, comme toute autre composante de notre société, ce monopole ne peut être en marge des courants individualistes et « chartistes » qui traversent actuellement tant de débats et d’actions.
Face à une société qui ne cesse de se complexifier, devant une main-d’oeuvre plurielle, diversifiée, toute en réseaux sociaux, mais simultanément revendicatrice soutenue de droits individuels, les syndicats ne doivent pas hésiter à innover et à occuper pleinement le rôle de leadership qui leur revient naturellement en milieu accrédité. À ce titre, les droits de la personne doivent s’intégrer pleinement, telle une toile de fond, à tous les volets de la vie syndicale, aux négociations de conventions collectives et à l’application de celles-ci. Plutôt que d’adopter une stratégie « minimaliste » afin d’éviter les inévitables chocs de valeurs, les syndicats doivent saisir l’actuelle période de redéfinition afin d’y jouer un rôle de premier plan. Il n’y a aucune raison pour que la défense des droits à l’égalité et à la dignité des salariés passe aux mains de la Commission des droits de la personne. Cette avenue, présentée par certains syndicats comme une « option » devant être reconnue aux salariés[36], envoie non seulement un message ambigu de dissociation des syndicats à l’égard des personnes salariées qui allèguent être l’objet de discrimination, mais cette voie s’est avérée, jusqu’ici, beaucoup plus un vecteur de contestation de certaines actions syndicales qu’une manifestation d’une quelconque sensibilité à l’égard de leur rôle représentatif[37].
La nouvelle approche que je préconise exige, j’en conviens, d’importants compromis, des renonciations parfois douloureuses aux façons de faire d’autrefois, implique de nouveaux partages de pouvoir au sein des organisations. Ces conditions, si elles supposent toutes des efforts certains d’adaptation, constituent, à mon avis, autant d’éléments qui, conjugués, permettront au monopole de représentation syndicale de traverser les turbulences de notre époque tout en y apportant une contribution significative.
Appendices
Notes
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[1 ]
Tout en reconnaissant leur existence, le présent texte n’aborde pas les autres facteurs, tels ceux liés à l’économie, aux politiques publiques, à la mondialisation, etc., qui ont, depuis plus d’un quart de siècle, des retombées certaines sur le mouvement syndical, sur les taux de présence syndicale et, par ricochet, sur l’avenir même du monopole de représentation syndicale. L’objet du texte vise plutôt à examiner à quels défis est confronté le monopole de représentation conféré, en exclusivité par le Code du travail, L.R.Q., c. C-27, et autres lois canadiennes relatives aux rapports collectifs du travail. L’angle retenu, aux fins de la conférence, est celui de la coexistence de ce monopole de représentation de l’ensemble des salariée visés par une accréditation avec l’émergence de groupes de salariés qui, estimant que certaines dispositions de conventions collectives, bien que négociées et agréées par leur syndicat, sont discriminatoires, contestent judiciairement celles-ci.
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[2 ]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Laval (Ville de) (Service de sécurité d’incendies), 2009 QCTDP 4, [2009] R.J.D.T. 399, inf. par 2011 QCCA 2041, D.T.E. 2011T-775) (ci-après « Ville de Laval ») ; Syndicat du transport de Montréal – CSN c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2010 QCCA 165, D.T.E. 2010T-120 (ci-après « Syndicat du transport de Montréal ») ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Syndicat des constables spéciaux, D.T.E. 2010T-197, 2010 QCTDP 3 (requête pour permission d’appeler accordée, C.A., 30-03-2010, 500-09-020488-102, 500-09-020493-102, 2010 QCCA 641) (ci-après « Syndicat des constables spéciaux ») ; Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2010 QCCA 172, D.T.E. 2010T-109 (demande pour autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 08-07-2010, 33631) (ci-après « Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis »). Pour le jugement du Tribunal des droits de la personne dans cette affaire, voir Commission des droits de la personne et de la jeunesse c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, 2007 QCTDP 29.
-
[3 ]
Dans le dossier Ville de Laval, un groupe de 50 pompiers alléguait que leur syndicat et l’employeur avaient conclu une convention collective comportant des clauses discriminatoires en créant deux échelles salariales distinctes en fonction de la date d’embauche des pompiers. Le Tribunal des droits a accueilli le recours en concluant que ces clauses étaient discriminatoires et a condamné solidairement les deux parties à payer à 38 des salariés les pertes salariales subies pendant 21 mois (par. 253). Le Tribunal a noté que les plaignants n’avaient pas demandé de dommages moraux. Dans l’affaire Syndicat du transport de Montréal, le syndicat et l’employeur ont été tenus solidairement de verser, à titre de dommages moraux, 12 500 dollars à deux salariés – des pères naturels – qui ont contesté, via la Commission des droits de la personne, des dispositions d’une convention collective qui accordait un congé de paternité plus long aux pères adoptifs. Pour les faits de cette affaire, vu la brièveté de l’exposé factuel du jugement de la Cour d’appel, il faut consulter la décision du Tribunal des droits de la personne : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de transport de Montréal, D.T.E. 2009T-29 (T.D.P.Q.). Dans l’affaire Syndicat des constables spéciaux, préc., note 2, le Tribunal des droits de la personne a conclu également à la responsabilité solidaire de l’employeur (70 p. 100) et du syndicat (30 p. 100) relativement à la compensation des dommages matériels découlant d’une entente, conclue en 1996, portant atteinte, au motif de l’âge, au droit à l’égalité en emploi des constables occasionnels. Le montant de ces dommages matériels n’a pas été déterminé dans le jugement au fond, mais on peut penser que celui-ci sera élevé compte tenu du nombre de salariés victimes (16) et de la période couverte par la condamnation (3 ans, soit de février 1999 à février 2002, ainsi que les intérêts) (par. 274). Enfin, dans le dossier Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, l’hôpital et le syndicat avaient conclu, en 1999, une entente relative à la sexualisation de postes de préposés aux bénéficiaires, ayant pour effet de réserver certains postes, selon les clientèles visées, à des hommes ou à des femmes. Selon l’entente, « le but principal de la création de tels titres d’emploi est pour respecter le désir des patients à recevoir des soins intimes par une personne du même sexe que le leur » (par. 12). En 2000, cette entente était reconduite et les parties ajoutaient que celle-ci visait également des « raisons religieuses » (par. 14). Deux salariées lésées ont contesté la légalité de cette entente par le biais de la Commission des droits de la personne. Le Tribunal des droits de la personne a conclu que l’entente patronale-syndicale était discriminatoire et a condamné les deux parties à payer à chacune 10 000 dollars de dommages moraux et 5 000 dollars de dommages punitifs : Commission des droits de la personne et de la jeunesse c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, par. 269-291. La Cour d’appel a infirmé cette partie de la décision, voir infra, note 4.
-
[4 ]
Dans l’affaire Ville de Laval, préc., note 2, le Tribunal des droits de la personne souligne (par. 220) :
Bien que la négociation d’une convention collective implique nécessairement la gestion d’intérêts collectifs et individuels, le syndicat doit s’assurer de respecter les impératifs que lui impose la Charte. S’il est acquis qu’un syndicat doit disposer d’une marge de manoeuvre suffisante dans l’exercice de son pouvoir de représentation exclusif lors des négociations avec l’employeur, rien n’indique qu’un syndicat pourrait renoncer à des droits fondamentaux dont il n’est pas le titulaire.
Dans l’arrêt Syndicat du transport de Montréal, préc., note 2, la Cour d’appel a fait montre de fort peu d’ouverture à l’analyse du contexte dans lequel la disposition de la convention collective contestée avait été adoptée et maintenue au fil des années. Pour une analyse de cet arrêt, lire Denis Nadeau, « Discrimination au sein de conventions collectives : la “sourde oreille” vilipendée ! », LeBulletin. La Conférence des arbitres du Québec, vol. 35, no 2, 2010, p. 11, [En ligne], [www.conference-des-arbitres.qc.ca/Bulletin.aspx] (19 septembre 2011). Par ailleurs, dans l’arrêt Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, préc., note 2, jugement prononcé le même jour que l’arrêt Syndicat du transport de Montréal, préc., note 2, mais par un autre banc, l’approche de la Cour d’appel a été différente. Alors que seul l’employeur a interjeté appel de la décision du Tribunal des droits de la personne, la Cour a infirmé la condamnation en dommages moraux et exemplaires imposée par le Tribunal des droits de la personne. L’obiter suivant de la Cour d’appel est néanmoins intéressant. Le juge en chef Robert indiqua que, même si la Cour avait accordé des dommages moraux, elle n’aurait pas attribué des dommages punitifs parce que, à son avis, « nous sommes loin d’être dans une situation où la conduite de l’Hôpital pourrait être qualifiée de “malveillante”, “d’opprimante” ou encore “d’abusive” » (par. 59). Il ajouta – et ce volet me paraît fort important – que « [l]’Hôpital et le Syndicat n’avaient pas l’intention de nuire à qui que ce soit en négociant cette entente, mais tentaient davantage de trouver une solution à une problématique compliquée et dont la solution n’était pas évidente » (par. 60 ; l’italique est de nous). Manifestement, la Cour d’appel a estimé qu’il faut tenir compte du contexte dans lequel une disposition d’une convention collective a été négociée.
-
[5 ]
Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), [2010] 2 R.C.S. 61, par. 39-45.
-
[6 ]
Au sujet de cette problématique et des impacts découlant de l’arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), préc., note 5, lire Denis Nadeau, « La perméabilité du droit au sein des rapports collectifs du travail et la compétence arbitrale : nouveau regard sur la valse-hésitation de la Cour suprême du Canada », (2010) 69 R. du B. 219 ; Fernand Morin, « Commentaires de l’arrêt S.F.P.Q. c. P.G. (Québec), 2010 C.S.C. 28. D’un pas sage vers “ l’inclusion ” ! », Le Bulletin. La Conférence des arbitres du Québec, vol. 36, no 1, 2010, p. 7, [En ligne], [www.conference-des-arbitres.qc.ca/App_Doc/Bulletin/Bulletin%202010-12.pdf] (19 septembre 2011). Pour une illustration de l’application de la démarche d’analyse développée par la Cour suprême du Canada dans cet arrêt, lire Syndicat des métallos, section locale 2843 (Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 2843) c. 3539491 Canada Inc., D.T.E. 2011T-140, 2011 QCCA 264.
-
[7 ]
Sur cette question, largement discutée depuis une dizaine d’années, lire, entre autres, Guylaine Vallée et Dalia Gesualdi-Fecteau, « La constitutionnalisation du droit du travail : une menace ou une opportunité pour les rapports collectifs du travail ? », (2007) 48 C. de D. 153.
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[8 ]
Pour une revue des critères applicables au moment de la détermination de l’unité de négociation appropriée, lire France Giroux et Jean Paquette, « Procédure d’accréditation », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit du travail », Rapports individuels et collectifs du travail, fasc. 12, Montréal, LexisNexis Canada, 2009, par. 33 et 34. Selon ces auteurs, deux commissaires expérimentés à la Commission des relations du travail, le critère de la « communauté d’intérêts » est le critère qui a été jugé « prééminent » (par. 34).
-
[9 ]
Id.
-
[10]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185 (ci-après « Morin »).
-
[11]
Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207. Au nom de la Cour suprême, le juge LeBel indique à ce sujet (par. 44 ; l’italique est de nous) :
L’employeur peut s’attendre à ce que les problèmes négociés et réglés avec le syndicat le demeurent et ne soient pas remis en cause intempestivement à l’initiative d’un groupe de salariés, sinon d’un seul d’entre eux. Ainsi, pendant la durée d’une convention collective approuvée par l’unité de négociation, l’employeur acquiert le droit à la stabilité et au respect des conditions de travail dans l’entreprise et à l’exécution continue et correcte des prestations de travail. Quelles que soient leurs réticences, les membres d’un groupe de salariés dissident ou minoritaire se trouveront liés par la convention collective et devront s’y conformer.
-
[12]
Id., par. 42.
-
[13]
Pour une illustration récente de la contestation de salariés temporaires qui, invoquant l’article 87.1 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, contestaient une entente conclue par leur syndicat et l’employeur ayant pour effet de leur accorder une condition de travail moins avantageuse que leurs collègues permanents qui effectuaient les mêmes tâches, lire Commission des normes du travail c. Sherbrooke (Ville de), D.T.E. 2011T-179, 2011 QCCA 325. Dans cette affaire, le recours a été exercé, devant la Cour du Québec, par la Commission des normes du travail, compétence rendue possible par le biais de l’article 102 (2) de la Loi sur les normes du travail (sur ce point, lire le jugement de la Cour du Québec : D.T.E. 2006T-462).
-
[14]
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 78. Sur l’ensemble des pouvoirs de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, lire Christian Brunelle, « La mise en oeuvre des droits et libertés en vertu de la Charte québécoise », dans Collection de droit 2010-2011, École du Barreau du Québec, vol. 7, Droit public et administratif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 98, aux pages 101 et 102.
-
[15]
Code du travail, art. 52-58.
-
[16]
Charte des droits et libertés de la personne, art. 79 et 80.
-
[17]
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a reconnu que le Tribunal des droits de la personne avait compétence pour disposer d’un recours déposé par la Commission des droits de la personne alléguant que des dispositions d’une entente, intégrée à des conventions collectives dans le monde de l’éducation du Québec, étaient discriminatoires. Selon la majorité de la Cour, le contexte factuel de cette affaire permettait de conclure que ce litige ne ressortissait pas exclusivement à l’arbitre de griefs (par. 24). À son avis, le Tribunal des droits avait compétence puisque le litige reposait sur une allégation de discrimination dans la formation de la convention collective et sur la validité de celle-ci (par. 25). Pour un commentaire de cet arrêt, lire Denis Nadeau, « L’arrêt Morin et le monopole de représentation des syndicats : assises d’une fragmentation », (2004) 64 R. du B. 161.
-
[18]
Ces éléments sont par exemple, le caractère intangible d’une convention collective pendant sa durée, la période légale de négociations, l’interdiction, pour l’employeur, de négocier des conditions de travail avec tout autre interlocuteur que l’association accréditée. Sur l’ensemble de ces caractéristiques du régime collectif de relations de travail au Québec, lire Fernand Morin et autres, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010.
-
[19]
Cette règle est rappelée dans l’affaire Syndicat du transport de Montréal, préc., note 2, par. 125 (l’italique est de nous) :
Pour déterminer la part de responsabilité de chacun, il importe d’examiner les faits dans la mesure où ils permettent d’établir le contexte dans lequel cette discrimination a eu lieu, sans qu’il soit nécessaire de reconstituer intégralement l’historique des négociations. Tant la jurisprudence que la doctrine nous enseignent que les tribunaux ne doivent pas se livrer à une entreprise de prospection dans les négociations collectives, qu’ils ne doivent pas chercher à déterminer l’origine (patronale ou syndicale) de chaque proposition déposée à la table de négociations. La convention collective doit être considérée comme une entente conclue par les deux parties, et tant l’employeur que le syndicat en sont responsables.
Voir également Université Laval c. Commission des droits de la personne et de la jeunesse, [2005] R.J.Q. 347 (C.A), où la Cour signale que « le professeur Brunelle nous met en garde contre l’idée de s’engager dans une “entreprise de prospection” dans les propositions déposées à la table de négociation, rappelant qu’une clause d’une convention collective constitue généralement le résultat d’une “symbiose contractuelle” » (par. 122). La Cour cite alors le texte suivant : Christian Brunelle, « Droits d’ancienneté et droits à l’égalité : l’impossible raccommodement ? », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 205, Développements récents en droit du travail 2004, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 102.
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[20]
Telle était la situation dans l’affaire Syndicat du transport de Montréal, préc., note 2, par. 50. Dans le dossier Syndicat des constables spéciaux, préc., note 2, les autorités du syndicat n’avaient pas convoqué d’assemblée générale des membres pour soumettre l’entente conclue avec l’employeur à la discussion et au vote des membres. Seul le comité paritaire de négociation avait, après de longues discussions, entériné l’entente (par. 187 et 188). Ceci sera d’ailleurs reproché au syndicat par le Tribunal (par. 271).
-
[21]
La consultation du dernier rapport annuel de la Commission des relations du travail, Rapport annuel de gestion2009-2010, Québec, Commission des relations du travail, 2010, [En ligne], [www.crt.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/fichiers/Sections_contenu/Publications/Rapports_annuels/RappAnn09-10.pdf] (19 septembre 2011), fait état de l’augmentation du nombre de dossiers ouverts à la Commission, mais ne permet pas d’identifier précisément, d’une façon quantitative, le nombre d’audiences consacrées ou de décisions en lien avec, par exemple, l’obligation de représentation prévue au Code du travail. Par ailleurs, un examen du site Internet de la Commission permet de constater le nombre important de décisions impliquant des plaintes contre des syndicats pour des manquements à l’obligation de représentation (www.crt.gouv.qc.ca/decisions). À titre d’illustration, entre janvier et juillet 2011, la Commission a rendu, mensuellement, entre cinq et dix décisions relatives à des plaintes exercées en vertu des articles 47.2 et 47.3 C.t. Certes, à l’examen de ces décisions, on remarque que la majorité de ces plaintes sont rejetées, mais leur multiplication et la nature de plusieurs de celles-ci révèlent, à leur lecture, de véritables tensions entre certains membres et leurs syndicats. Pour une discussion syndicale de la problématique entourant ce qui est qualifié, dans le texte, comme une « hausse phénoménale du nombre de plaintes » pour manquement au devoir de représentation, et ce, depuis l’élargissement de la portée de l’article 47.2 C.t. à l’égard de toute décision, lire Michel Crête, « 47.2 ou le devoir de représentation. Une réflexion s’impose », Perspectives CSN, vol. 25, mars 2009, p. 22, à la page 22 (l’italique est de nous). Dans le cadre du Conseil confédéral de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) tenu les 22 et 23 septembre 2009, il est noté ceci : « Au début d’avril 2009, le ministre du Travail demandait un autre avis au CCTM [Conseil consultatif du travail et de la main-d’oeuvre] sur les impacts de l’élargissement des dispositions du Code du travail concernant le devoir de représentation, soit les articles 47.2 et suivants du Code du travail. À notre avis, cet élargissement a conduit à une judiciarisationpernicieuse des relations de travail. »
Confédération des syndicats nationaux, Conseil confédéral de la CSN. Mandat 2008-2011. Procès-verbal de la 7e réunion tenue à Québec les 22 et 23 septembre 2009, p. 439, à la page 501, [En ligne], [www.csn.qc.ca/ap/content/wcservice/api/node/content/workspace/SpacesStore/7f74aa52-4a07-4f63-a5c4-141c47c92ea6/090922%20PV%20et%20annexes.pdf] (28 juillet 2011) (l’italique est de nous). Pour une analyse empirique de la jurisprudence relative à l’obligation de représentation syndicale dans le contexte des droits de la personne, lire Marie-Josée Legault et Philippe Bergeron, « La promotion des droits de la personne influe-t-elle sur l’évolution des plaintes portant sur le devoir syndical de juste représentation au Québec (1978-2005) ? », (2007) 48 C. de D. 249. Les auteurs concluent ceci (p. 278 et 279) :
[Notre étude] ne nous permet pas de conclure à l’augmentation des recours en vertu de cet article [47.3 C.t.] qui invoquent de la discrimination fondée sur une condition protégée par l’article 10 de la Charte québécoise, de la part du comité exécutif du syndicat. Notre recension ne nous autorise donc pas à soutenir la thèse de l’influence de la promotion des droits de la personne sur la fréquence du recours exercé par le salarié contre son syndicat pour manquement au devoir syndical de juste représentation. Elle ne permet pas non plus de soutenir celle de l’émergence d’une nouvelle fragmentation syndicale fondée dans les droits de la personne, bien qu’elle ne permette pas non plus de l’infirmer.
Deux observations à propos de cette conclusion. D’une part, les auteurs indiquent qu’ils ont exclu de leur étude les plaintes fondées sur un manquement à l’obligation générale de représentation prévue à l’article 47.2 C.t. qui peut fonder, depuis janvier 2004, un recours de la part de salariés à l’encontre de leur syndicat. C’est d’ailleurs cette « ouverture » législative qui a entraîné, note l’auteur Michel Crête, la « hausse phénoménale du nombre de plaintes » contre les syndicats. Du coup, la conclusion des auteurs Legault et Bergeron doit être forcément relativisée puisqu’elle ne tient compte que du recours individuel, exercé en vertu de l’article 47.3 C.t. qui est de nature plus spécifique (cas de renvoi et de mesures disciplinaires). Par ailleurs, la jurisprudence récente du Tribunal des droits de la personne auquel le présent texte réfère (préc., note 2), toute évidemment post-Morin, révèle que si, comme les auteurs Legault et Bergeron le soulignent, « les salariés n’empruntent pas la voie du recours en vertu de l’article 47.3 pour se plaindre de discrimination exercée pour un motif interdit par la Charte québécoise » (p. 279), la situation est très différente lorsque, regroupés, ces derniers estiment que la convention collective, négociée et conclue par leur syndicat et l’employeur, est porteuse de discrimination. En raison de l’arrêt Morin, préc., note 10, qui a permis à des salariés de court-circuiter le pouvoir exclusif d’un syndicat de contester les dispositions d’une convention collective (Noël c. Société d’énergie de la Baie-James, préc., note 11, par. 41-45), il semble bien que, dès qu’une situation implique quelques salariés, la plainte déposée auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse s’impose comme le recours pour invoquer et contester la présence d’une discrimination. Pour une illustration récente de la difficulté, pour un seul salarié, de faire valoir que son syndicat a manqué à son obligation de représentation en refusant de porter en arbitrage un grief alléguant qu’une disposition de la convention collective est discriminatoire à son égard en raison de son âge, lire Vaudry c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4238, 2010 QCCRT 0316, [2010] no AZ-50653262. Appliquant les principes dégagés principalement de la décision Syndicat du transport de Montréal, préc., note 2, la Commission des relations de travail a estimé que, dans le cadre de la négociation de la convention collective, le syndicat avait rencontré des résistances indéfectibles de la part de l’employeur sur la question de la permanence et qu’il ne pouvait refuser l’entente finale au détriment de ses membres, entraînant le rejet de la plainte du salarié (par. 25-27). Le commissaire a souligné, en conclusion, que le salarié n’avait « malheureusement pas pris le bon recours pour faire valoir ses droits » (par. 29), sans plus expliquer cette conclusion.
-
[22]
Outre les décisions mentionnées à la note 2 où la Commission des droits de la personne a intenté, devant le Tribunal des droits de la personne, des recours au nom de groupes de salariés à la fois contre leur employeur et leur syndicat, d’autres affaires de même nature sont également en cours : Résidences Laurendeau, Légaré, Louvain c. Tribunal des droits de la personne, 2005 QCCA 572 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Université de Montréal, [2004] no AZ-50268382 (T.D.P.Q.), conf. par 2006 QCCA 508.
-
[23]
Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 84.
-
[24]
Dans l’affaire Commission des droits de la personne et de la jeunesse c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, préc., note 2, le Tribunal des droits de la personne indiquait ceci, en traitant de la responsabilité du syndicat signataire de l’entente contestée par deux de ses membres (par. 265) :
Le Syndicat représente tous les employés. Il ne peut justifier l’adoption d’une règle discriminatoire en alléguant qu’entre les intérêts divergents de ses membres, sa marge de discrétion est appréciable pour « apporter une solution qui lui paraît la plus juste ». Cette dernière ne saurait lui permettre de rester sourd aux revendications égalitaires des femmes. Il doit plutôt chercher à s’entendre avec l’employeur pour corriger la situation discriminatoire sinon, comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Renaud, « ils sont tous deux également responsables ».
Le syndicat n’ayant pas interjeté appel de ce jugement du Tribunal des droits de la personne, on peut en déduire qu’il reconnaissait, entre autres, la pertinence de ces propos.
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[25]
Sur cette démarche, lire quelques suggestions que j’ai formulées dans Dominic Roux et Anne-Marie Laflamme (dir.), Rapports hiérarchiques ou anarchiques des règles en droit du travail. Chartes, normes d’ordre public, convention collective, contrat de travail, etc. Actes du colloque tenu à l’Université Laval / 8 novembre 2007, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, p. 162. Lire également les propositions, liées principalement à l’intégration des programmes d’accès à l’égalité dans les conventions collectives, mises de l’avant par l’auteure Marie-Josée Legault, « Droits de la personne, relations du travail et défis pour les syndicats contemporains », Relations industrielles, vol. 60, no 4, 2005, p. 701 et 702.
-
[26]
Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, par. 25.
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[27]
Id., par. 27 (l’italique est de nous).
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[28]
Id. (l’italique est de nous).
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[29]
Id., par. 21.
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[30]
Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), [2008] 2 R.C.S. 561.
-
[31]
Id., par. 15.
-
[32]
L’auteure M.-J. Legault, préc., note 25, traite de la montée de ces « citoyens industriels » qui expriment des intérêts distincts de leurs syndicats. Elle fait ressortir les difficultés posées par cette nouvelle donne qu’est l’introduction des droits fondamentaux dans les relations collectives du travail en soulignant ceci (p. 700 ; l’italique est de nous) : « Cette revendication citoyenne est nouvelle – et problématique – entre autres parce qu’elle promeut les droits des minorités dans un milieu où la démocratie s’appuie sur la majorité et parce qu’elle s’appuie sur un raisonnement d’équité promu dans les chartes mais en rupture avec la tradition d’égalité des droits qui caractérise la logique syndicale traditionnelle. »
Pour l’auteure, les droits reconnus par les chartes aux groupes minoritaires font que « l’uniformité du collectif syndiqué qui fonde la légitimité de la règle démocratique de la décision majoritaire » (p. 701) est de plus en plus difficile à soutenir. L’auteure parle de « la fin d’une certaine autonomie syndicale dans l’arbitrage des conflits d’intérêts internes, parallèle à la fin d’une certaine autonomie des rapports collectifs de travail » (p. 701 ; l’italique est de nous). Notons que ce constat a été fait à partir d’études de cas d’intégration de femmes dans des secteurs d’emploi non traditionnellement féminins entre 1998 et 2001 (p. 685) et a été publié au lendemain de l’arrêt Morin (p. 695 et 696). Les décisions plus récentes qui s’inscrivent dans la foulée de cet arrêt de 2004 de la Cour suprême, et qui sont à la base du présent texte (supra, note 2), amplifient, à mon avis, les constats de l’auteure quant aux bouleversements et remises en cause qu’entraînent, au sein des organisations syndicales, les revendications distinctes de certaines catégories de main-d’oeuvre (p. 684). Sur la question de l’application des règles relevant du principe démocratique en milieu syndiqué et de l’importance de l’autorité décisionnelle s’appuyant sur la majorité, lire Fernand Morin, L’élaboration du droit de l’emploi du Québec. Ses sources législatives et judiciaires, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 146-148.
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[33]
Au même effet, lire Christian Brunelle, « L’émergence des associations parallèles dans les rapports collectifs de travail », Relations industrielles, vol. 57, no 2, 2002, p. 282, aux pages 302 et 303.
-
[34]
Syndicat des constables spéciaux, préc., note 2, par. 271.
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[35]
Supra, p. 154 et suiv.
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[36]
Je réfère ici à des propositions récentes de certaines centrales syndicales québécoises à l’effet que les salariés syndiqués puissent opter, lorsqu’un grief soulève une question de droits de la personne, entre un recours à l’arbitrage de griefs ou une plainte déposée à la Commission des droits de la personne.
-
[37]
Dans toutes les décisions mentionnées précédemment où la Commission des droits de la personne a intenté, au nom de salariés, des recours à l’encontre de dispositions de conventions collectives qualifiées de discriminatoires (préc., notes 3 et 22), ceux-ci ont tous été dirigés à la fois contre l’employeur et le syndicat. Dans ces dossiers, la lecture des « demandes » portées par la Commission devant le Tribunal des droits de la personne révèle que celle-ci a requis, à l’égard des deux parties signataires de la convention collective, la condamnation solidaire pour les dommages matériels allégués et, parfois, des dommages moraux. Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, préc., note 2, la Commission des droits demandait également contre les deux parties des dommages punitifs (par. 3), ce qui a d’ailleurs été accordé par le Tribunal des droits de la personne (par. 279-291). La Cour d’appel a confirmé les conclusions du Tribunal des droits de la personne relatives à l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe, mais a infirmé les ordonnances du Tribunal condamnant solidairement les parties à des dommages moraux et punitifs (Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, préc., note 2, par. 54-61). Toutefois, cette partie de la décision n’a pas d’effet à l’égard du syndicat puisque ce dernier n’avait pas interjeté appel de la décision du Tribunal des droits de la personne.