Article body

Le Brésil est héritier de la tradition de droit civil, dans laquelle les droits français, italien et allemand, avec leur vision du monde et leur pensée juridique, ont donné naissance à une culture juridique commune. Dans un premier temps, notre dialogue en tant que juristes brésiliens avec le droit canadien a eu lieu principalement par la voie de l’héritage français. Dans un second temps, lorsque le dialogue s’est étendu au modèle de gestion de l’action publique, nous avons été amenés à tenir compte du modèle britannique d’administration publique et de son encadrement juridique, qui cherchent à répondre à des exigences de transparence et de responsabilité concernant l’utilisation des ressources publiques. Ainsi, le droit canadien présente un cas singulièrement intéressant pour comprendre la circulation des modèles juridiques, à une époque marquée par la mondialisation et par la notion de « société de l’information ».

Or, malgré sa tradition de droit civil, le Brésil s’engage de plus en plus dans ce mouvement de dialogue entre droit civil et common law. Il est possible de l’observer dans la manière dont le raisonnement juridique prend appui sur les diverses sources de droit dans chacune des branches du droit brésilien, notamment s’agissant de la jurisprudence et de l’action administratives.

Nous voulons cependant, ici, inviter à réfléchir sur les modes de formation et de circulation des modèles juridiques et surtout sur la façon dont ces modes impliquent une nouvelle approche dans les processus d’enseignement et d’apprentissage du droit. Cette question prend une tonalité particulière lorsque nous tenons compte du fait que les processus de construction de ce qui est « légal » ou « positif », de la définition du « juridique », comportent des dimensions à la fois politiques, historiques, économiques et communicationnelles.

Une chaîne de télévision à vocation éducative et culturelle, au Brésil, fait sa publicité au moyen d’une formule très intéressante. Se positionnant sur le terrain philosophique, dans la mesure où elle propose de penser notre temps et notre place dans le monde, la publicité en question lance la formule suivante : « Ce ne sont pas les réponses qui font bouger les choses dans le monde, mais plutôt les questions. »

C’est exactement ce qu’il faut se dire lorsque l’on cherche des réponses au défi de l’enseignement du droit, enseignement traditionnellement conservateur, dans cet environnement contemporain connecté, interconnecté, et où les hiérarchies admises sont en fait subverties, rompues, ou tout simplement inexistantes.

Nos interlocuteurs dans le cadre universitaire, les étudiants, sont nés sous le signe des médias ; pour eux, les coordonnées d’espace et de temps ont été relativisées : ils appartiennent à l’ère d’Internet.

1 Le droit comme projet éternel et dialectique

Dans ce nouveau cadre, qui n’est plus de l’ordre de l’imaginaire, réfléchir, enseigner et transmettre des compétences relatives à la conception et à l’élaboration d’actes normatifs n’est pas une tâche facile pour les facultés de droit. D’autant plus qu’actuellement au Brésil la grande majorité des travaux concernant le processus législatif relèvent de la science politique. Cela n’a pas été toujours le cas.

Revenons sur le parcours de la pensée juridique antérieure au mouvement de codification, c’est-à-dire de formation d’un droit écrit. Il est déjà possible d’y discerner les concepts de légalité, de sécurité juridique, la notion de « droit nouveau » opposée aux usages préexistants et parfois identifiés à des structures de pouvoir inégalitaires, et cela, bien avant que la société se fasse représenter dans les textes juridiques par la médiation obligée du langage des juristes.

Il est également aisé de constater que la planification philosophique du droit s’est reflétée dans l’organisation, la hiérarchie, l’utilisation de la force, la forte prééminence de l’appareil d’État, l’administration de la justice, comme garanties de l’efficacité de la législation.

Du point de vue chronologique, à partir du xviie siècle, le dialogue entre la loi et un certain besoin social, ainsi que l’encadrement de l’exercice du pouvoir exercé par les autorités et les maîtres du droit, ont vu croître leur niveau de complexité au fur et à mesure que s’accentuait la maîtrise de la nature, ou même la création d’autres « natures » ou d’environnements virtuels, imités de la réalité.

Un tel ordre des choses requiert une perspective particulière sur la manière dont un besoin social ou une nécessité de l’administration publique (et de la justice) devient un acte normatif issu de l’administration publique, de l’administration de la justice ou des parlements, bref des institutions qui composent le réseau des sources de droit, réseau qui s’étage typiquement sur de multiples paliers, comme c’est le cas dans les systèmes fédératifs du Brésil ou du Canada.

Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il appelle une compréhension plus fine de l’articulation des différentes sources du droit dans un contexte modifié, justement, par la circulation des modèles juridiques entre les systèmes de droit civil et de common law.

Quant aux coordonnées d’espace et de temps, établies à partir des paradigmes qui ont guidé le processus de formalisation du droit, qui, à son tour, a influé sur les conceptions en matière de diffusion du droit, de connaissance de la loi et de contrôle de l’action publique, elles ne répondent plus aux exigences de notre temps.

Cette situation exerce en effet une influence sur la façon dont la connaissance du droit est systématisée, problématisée et définie, principalement parce que chacun a accès à une vaste gamme d’informations dont beaucoup proviennent de sources considérées comme non officielles, mais qui néanmoins véhiculent des informations juridiques. Une grande partie de ces informations concerne la réglementation de domaines tels que la génétique, les télécommunications, la médecine, l’environnement, la sécurité des aliments, l’innocuité des médicaments, l’utilisation d’Internet ou l’intelligence artificielle, y compris l’utilisation de celle-ci comme soutien à la prise de décision.

Dans ces conditions, quelle serait l’approche appropriée pour comprendre le parcours d’élaboration d’une loi aujourd’hui ? Quel est le rôle du juriste dans ce processus d’élaboration ? Comment enseigner le droit dans ce contexte, au milieu d’un flux d’informations juridiques dont toutes ne proviennent pas de sources fiables ?

Le professionnel du droit n’est pas préparé, en général, par l’environnement de la salle de classe, à interagir avec d’autres sciences, d’autres domaines du savoir, d’autres démarches méthodologiques ; pour le constater, il suffit d’examiner les programmes d’études des facultés de droit.

Dès lors, les propos du processualiste italien Francesco Carnelutti, l’un des théoriciens qui ont le plus influencé le droit brésilien, paraissent prophétiques puisqu’ils remontent aux années 60 ; ils indiquent la voie et envisagent l’introduction d’instances multidisciplinaires dans le processus d’élaboration du droit :

Il n’est pas difficile de constater qu’il existe un objet de connaissance appelé « droit », mais que par contre il n’existe pas de méthode juridique, parce que la méthode doit s’adapter à la matière et non le contraire. Le chemin du savoir est unique, accidenté, abrupt et ouvert à tous, aux philosophes, aux mathématiciens, aux physiciens, aux biologistes, aux historiens et aussi aux juristes[1].

L’analyse multidisciplinaire et interdisciplinaire d’un enjeu — une science carrefour[2], extrêmement précieuse pour l’élaboration de la législation, exige cependant aussi une adaptation de la part des autres sciences et des technologies.

L’ingénieur brésilien Paulo Blikstein dirige à l’Université Stanford un centre de didactique appliquée (Transformative Learning Technologies Lab), où le travail multidisciplinaire fait « fondre » les frontières entre disciplines : les problématiques de recherche prennent en considération, par exemple, les points de vue de l’analyste de systèmes et du biologiste. Des outils d’enseignement et d’apprentissage y sont conçus pour promouvoir le développement de telles compétences aussi bien chez les individus que dans les groupes.

Quels seraient les outils didactiques, l’équipement et la technologie qu’il conviendrait d’utiliser aujourd’hui dans un cours de droit ?

2 La législation à l’ère technologique

Contrairement à la législation d’il y a 200 ans, imprégnée des contenus moraux et éthiques de groupes dominants, la protection juridique des minorités ou la régulation des secteurs dominés par la technologie met en présence aujourd’hui des intérêts nombreux et tous pertinents. Ce phénomène peut être constaté à propos de la protection des groupes vulnérables et minoritaires, de la défense du patrimoine culturel et immatériel, de l’environnement, de la bioéthique, des télécommunications, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de bien d’autres questions.

Les facultés de droit privilégient depuis très longtemps dans leur enseignement l’application du droit et la mise au point d’outils destinés à servir dans les processus judiciaires de décision. Le système juridique et politique est dominé par la tendance de l’État à réglementer, à légiférer et à intervenir dans la sphère de liberté des individus et dans le secteur économique. Or, au Brésil, la conception du droit est de plus en plus confiée à des professionnels sans formation juridique.

Ainsi, dans la phase parlementaire, l’existence d’une carrière juridique de soutien au processus législatif n’exclut pas, par exemple, la présence dans ce processus de professionnels non juristes. Lorsqu’il y a débat au sujet du contenu de la future « légalité », cela se passe dans un processus public, au cours duquel plusieurs visions concurrentes du monde, différentes représentations sociales, aspirent depuis longtemps à disposer de moyens de se faire entendre et de participer activement à ce débat.

La question se présente donc comme suit : quel est le rôle du juriste, de nos jours, dans les processus de production du droit à travers l’élaboration de règles et de principes ?

Il est étonnant de constater qu’il existe si peu d’études proprement juridiques sur ce thème. Voici cependant l’exemple d’une expérience récente, emblématique du point de vue du processus de production du droit. En Islande, la Constitution fait l’objet d’un processus d’élaboration participative, qui met à contribution Facebook, Twitter et d’autres réseaux sociaux. Grâce à cette démarche méthodologique d’externalisation ouverte (utilisation de la créativité, de l’intelligence et du sens commun disséminés dans la collectivité), les destinataires de la future Constitution font valoir leurs propres représentations de la société.

Telle est la réalité des étudiants d’aujourd’hui. Nous aussi, enseignants, vivons dans un monde où le professeur n’est plus la seule source de savoir, même dans la salle de cours : les ordinateurs portables, connectés aux réseaux sans fil, peuvent jouer un rôle de concurrents, de démystificateurs, mais aussi de précieux auxiliaires pour différencier l’information, pour accéder au savoir et surtout pour apprendre à se servir de ce vaste répertoire de données à la disposition de tous.

Tout cela justifie un virage méthodologique dans notre manière de comprendre les pratiques et l’action des professionnels du droit dans ce monde globalisé, qui permettra à ceux-ci de rechercher et d’exploiter non seulement les sources de droit, mais aussi les informations techniques, les données statistiques, les matériaux historiques et les connaissances spécialisées.

Tel est le droit de notre temps, qui évolue frénétiquement, tandis que nous, simples spectateurs, opérateurs (et parfois ouvriers) du droit, sommes mis en demeure chaque jour de réagir à l’afflux d’une réalité mobile, vibrante et complexe.

De récentes décisions de la Cour suprême fédérale, la cour constitutionnelle du Brésil, soulignent l’insuffisance de la définition classique des fonctions de l’État à une époque où le Pouvoir judiciaire légifère, le Pouvoir législatif s’abstient de légiférer et le Pouvoir exécutif essaie d’anticiper et de réglementer les conflits. Si les « Pouvoirs » se déplacent ainsi de la sphère de l’un à celle de l’autre, c’est qu’ils reflètent les tensions d’une société plurielle qui aspire à la consolidation de la démocratie.

Dans ce tableau, les progrès technologiques viennent ajouter à la connaissance des conflits auxquels doit faire face l’action publique au Brésil : cette connaissance s’alimente de fichiers texte, sonores ou visuels par les réseaux sociaux, l’interconnexion avec les blogues, les sites de journalisme « non officiel », les sites gouvernementaux et ceux d’organisations non gouvernementales.

3 Le droit entre innovation technologique et asymétrie d’accès : la fracture numérique

Cet état de choses nous amène à réfléchir sur la tolérance et sur la façon dont nous considérons, ignorons ou combattons les visions du monde qui diffèrent de la nôtre. Aujourd’hui, les informations circulent ; par exemple, une nouvelle provenant de Djakarta fait partie de notre vie quotidienne, ce qui relativise la distance et le temps, assises d’une pensée réflexive. Par contre, les acteurs de la nouvelle, eux, ne sont souvent pas en mesure de s’exprimer de première main, puisqu’ils n’ont pas la possibilité de se mettre « en réseau ».

Nous savons que la publicité est un principe chéri par le droit. Pourtant, le Brésil, malgré l’appui populaire à la politique du « gouvernement en ligne », à ce jour ne considère pas comme valide la publication électronique des actes normatifs et n’a pas atteint les objectifs de généralisation de l’accès au réseau Internet. Cet écart relève du paradoxe, puisque de nombreux documents officiels concernant des questions aussi sensibles que la preuve du paiement de l’impôt sur le revenu, par exemple, peuvent être obtenus en ligne et validés par voie électronique. Toutefois, aucun Brésilien ne peut établir son droit en recourant à des actes normatifs publiés dans les sites Web officiels de quelque entité gouvernementale que ce soit.

Il n’y aura pas de retour en arrière sur le chemin dans lequel s’est engagée la communication humaine. Non seulement l’ordinateur, mais aussi tout équipement ayant les fonctions de communication et d’échange de fichiers, par exemple les téléphones portables de plus en plus performants (et de moins en moins coûteux), finira par s’imposer là où l’État n’est apparemment pas capable d’« aller », c’est-à-dire dans ces domaines où les politiques publiques contre la fracture numérique (par le développement de la compétence d’utilisation ou l’accès aux équipements et aux réseaux) n’ont pas été en mesure de corriger l’asymétrie d’information entre les personnes.

Ainsi, la possibilité de diffuser des valeurs démocratiques dans le monde virtuel a cédé devant des réalités bien différentes, ce qui nous a valu d’être témoins du Printemps arabe, de contester certaines pratiques dans des villages exotiques, tout en étant incapables d’offrir un minimum de dignité au peuple somalien. Les personnes qui n’ont ni courrier électronique ni portable, qui ne participent pas aux blogues ou à Twitter, représentent un bastion de résistance presque étranger à cette ère de connexions, qui n’est pas encore une réalité pour tous.

Au milieu de tout cela, il y a le droit, le Droit, LE DROIT, pas nécessairement dans cet ordre : ce droit qui nous invite, nous ses enseignants, à nous surpasser au moment même où cette nouvelle Renaissance met en question le rôle de l’enseignant dans une ambiance de surcharge d’informations. Le défi peut-il être relevé ?

4 Une expérience dans le Web 2.0[3] : l’utilisation des réseaux sociaux dans l’enseignement — apprentissage du droit

De nos jours encore, la structure physique de nos salles de cours évoque davantage le modèle suzerain / vassal que celui d’une agora grecque, même si nous pouvons supposer que les Grecs, eux, seraient fascinés par le monde où nous vivons.

Devant une lourde table, sur laquelle il n’est pas possible de poser grand-chose, à une extrémité de la salle, une marche au-dessus, se tient le professeur… Certains disent qu’autrefois il suffisait d’un livre avec des citations, ou peut-être des chapitres entiers inspirés par la doctrine étrangère, pour que cet enseignant s’assure, pour le restant de sa vie, sa place en haut de la marche.

Pourtant un jour, notre propre fille nous a demandé comment nous pouvions avoir été une enfant sans téléphone portable ni Google !

Ce jour-là, nous avons vécu personnellement l’équivalent de la prise de conscience de soi, sur le mode de la paideia. Ce n’était que le début de nombreux questionnements sur le rôle de l’enseignant dans ce monde de Wikipédia, de magazines en ligne, de forums, de blogues, de sites, de réseaux, de Twitter, de fichiers virtuels, de jeux en ligne, etc.

Ainsi, pendant le cours de légistique consacré à la « reconstruction des chaînes de sources du droit », nous avons expliqué aux étudiants devant nous comment faire de la recherche « croisée » entre législation et jurisprudence dans les sous-sols de notre bibliothèque pendant des heures. « Pas terrible » … c’est du moins ce que nous avons lu sur les lèvres d’une étudiante qui nous regardait, consternée, avec son joli portable.

Face à des interlocuteurs aussi branchés, quelles méthodes faut-il adopter pour enseigner le droit ? Comment rendre les cours en salle attrayants et utiliser la Toile au profit du savoir et de la réflexion sur les enjeux de notre temps ? Comment retenir l’attention, avec les téléphones portables qui sonnent constamment, les courriels qui arrivent sans relâche, la recherche hallucinée de nouvelles et d’informations, avec cet appétit insatiable pour la restauration minute qu’offre la Toile ?

Si nous sommes en surcharge d’informations, peut-être le professeur — l’éducateur pourra-t-il servir à remettre en question la pertinence de ce fatras ; peut-être son défi sera-t-il de lancer constamment une invitation à la réflexion.

C’est ainsi que nous en sommes venue à tenter cette expérience paradoxale qu’a été et que reste le réseau legistica.ning comme milieu d’enseignement — apprentissage — enseignement, dans le cadre du cours de légistique donné à la Faculté de droit de l’Universidade Federal de Minas Gerais.

Il s’agit d’un réseau social sur une plateforme du type 2.0, qui donne accès au monde réel de l’élaboration des lois et des actes réglementaires et qui permet le dialogue entre les sources du droit par l’entremise de tous les acteurs du circuit normatif ; où les étudiants, les experts (consultants législatifs, légistes auprès des assemblées parlementaires, collaborateurs du Pouvoir exécutif et même juges), les professeurs et autres intéressés se voient offrir un aperçu de « la vie telle qu’elle est » dans les assemblées législatives et aux multiples points de contact entre elles et le pouvoir exécutif ou la société civile.

Initialement, ce qui a attiré notre attention était la difficulté pour les étudiants d’exposer leur opinion sur un blogue ou dans un forum à propos de questions faisant l’objet de débats publics à l’échelle nationale, alors même que beaucoup de ces thèmes avaient des répercussions immédiates sur leur vie quotidienne.

Cette situation nous semblait un contresens, en regard de la facilité avec laquelle les mêmes personnes exposent leur vie privée, leur état d’esprit, le récit de leurs activités (depuis les éphémérides de la vie quotidienne jusqu’à l’étalage d’un style de vie), envoient une profusion de messages, de fichiers audio ou vidéo, de photographies et dévoilent parfois leur intimité affective, avec des déclarations sur leurs relations en crise ou sur leur bonheur total en amour.

En dépit de cette apparente facilité à tout partager avec des centaines d’« amis » (nous avouons nous sentir jurassique avec la demi-douzaine d’amis que nous pourrions appeler au petit matin pour changer un pneu de notre voiture, par exemple), nous avons dû recourir à certaines stratégies pour susciter un climat de « délibération englobante », de sorte que l’analyse de projets de loi ou des effets d’actes normatifs en vigueur puisse reposer sur une série d’informations pertinentes. Nous coexistons avec une génération née sous le signe d’une haute perméabilité à la séduction du visuel. Cela exerce une grande influence sur la façon d’enseigner, classiquement guidée par la lecture de textes — qui sont devenus des fichiers texte.

C’est là un défi constant avec lequel nous vivons jour et nuit : c’est-à-dire utiliser les informations à notre disposition, créer un environnement de travail d’équipe en réseau, susciter des réflexions à partir de fichiers texte, faire des exposés oraux visuels (qui finissent par synthétiser les textes, mais sont efficaces pour mémoriser des informations clés), exploiter les techniques audio et vidéo et l’interaction entre participants. À la manière des analyses d’impact des projets de loi ou de règlement[4], nous cherchons à rassembler des informations sur le problème que l’action législative veut résoudre, et ce, afin d’éclairer la compréhension des textes et de leur contexte.

L’expérience de legistica.ning a donné certains fruits. Ainsi, le réseau a permis l’interaction, à plus de 1 500 kilomètres de distance, entre des habitants du sud du pays et un groupe d’étudiants, qui ont analysé un projet de ficha limpa (fiche vierge) au niveau municipal ; il s’agit d’un projet correspondant à la loi fédérale, adoptée sur initiative populaire grâce à une mobilisation massive sur la Toile et destinée à empêcher l’entrée dans la vie publique de tout candidat ayant été condamné au criminel, en particulier pour un crime concernant la gestion publique et la reddition de comptes.

Dans legistica.ning, sans s’en rendre compte, les étudiants réfléchissent même en dehors de la salle de classe ; ils peuvent assister aux séances du Congrès, écouter une entrevue de Ferrajoli ou voir un documentaire sur Pierre Verger ; ils peuvent également en apprendre davantage, par exemple, sur les décisions prises dans leur ville, sur la réglementation de l’usage des sacs en plastique adoptée par le Mercosul, ou sur la manière dont São Paulo a critiqué l’impact de cette réglementation sur les travailleurs des entreprises qui fabriquent ou utilisent ces sacs.

Les étudiants, bien sûr, prennent ainsi connaissance de ce qui se passe dans nos assemblées législatives, de la dynamique et des acteurs qui produisent les paramètres de ce que nous comprenons comme le principe de légalité. Cependant, ils peuvent, surtout, et nous en sommes très fière, apprendre à collaborer entre eux. Ils ont la liberté de défendre leurs choix en matière de législation, en faisant appel à des données juridiques ou techniques mais aussi au bon vieux sens commun — autrement dit à ce qui est appelé, dans le discours savant des juristes et des philosophes, la prudence ou la phronésis.

5 À la recherche du mouvement

Si le présent article était électronique et multimédia, il comporterait maintenant la séquence autopublicitaire de la chaîne de télévision brésilienne Canal Futura, qui en résume le propos essentiel : « Ce ne sont pas les réponses qui font bouger les choses dans le monde, mais plutôt les questions. »

En voici quelques-unes : de quel genre de professionnel du droit le monde actuel a-t-il besoin ? Quel est le rôle de l’enseignant et de l’étudiant dans la formation de ce professionnel ? Dans un environnement mondialisé, comment les facultés de droit doivent-elles exploiter les technologies de l’information et aménager le cadre physique de leur enseignement ?