Conférence annuelle Claire-L’Heureux-Dubé

L’influence du droit international sur la Cour d’appel du Québec[Record]

  • Nicole Duval Hesler

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  • Nicole Duval Hesler
    Juge en chef du Québec

L’influence du droit international est un sujet qui mérite une introduction. Étonnamment, peut-être, je vous suggère que l’affaire Strauss-Kahn en fournit une, en ce sens qu’elle souligne à quel point des questions qui paraissent au départ purement légales peuvent véhiculer une toile de fond culturelle qui revêt presque autant d’importance que le droit positif, en ce qu’elle est prémonitoire des particularités du régime de droit d’intérêt. Le perpwalk, littéralement la « marche de celui qui a perpétré le crime » commun aux États-Unis, comporte quelques particularités qui peuvent nous paraître fortement déplacées, dont les suivantes : les médias sont prévenus bien à l’avance, les caméras enregistrent, la foule afflue et l’accusé, menottes aux mains, est paradé dans un grand élan de zèle de la poursuite. L’effet est dramatique. Est-il pour autant négligeable ? La présomption d’innocence pourrait-elle en être altérée ? Est-il besoin de rappeler qu’aux États-Unis le procureur du district (district attorney) doit souvent être élu, ce qui pourrait accentuer cet élan de zèle ? Ce perpwalk en particulier, je veux dire celui de Strauss-Kahn, a eu d’importantes répercussions. Président du Fonds monétaire international et héritier présomptif des espoirs socialistes pour la course à la présidence française de 2012, celui-ci ne se sera pas présenté contre Nicolas Sarkozy. Et cela, malgré que les accusations contre Strauss-Kahn se soient littéralement effondrées pour une multitude de raisons qu’il ne servirait à rien de revoir ici une à une, ce qui pourrait démontrer que les perpwalks n’ont rien de mortel pour les accusés, et possiblement desservent la poursuite. Grand nombre d’Américains ont pris la chose à la légère. Après tout, Strauss-Kahn était peu connu aux États-Unis. Ce n’est pas l’aspect politique de l’affaire qui mérite l’attention mais plutôt le fait qu’elle a soulevé une polémique importante relativement au droit des accusés à la présomption d’innocence et à un procès impartial. La presse française s’est interrogée, non sans raison, sur l’attitude cavalière du ministère public américain envers les droits de l’accusé. On pourrait aller jusqu’à dire qu’elle s’est indignée. Les Américains ont rétorqué que les Français étaient mal placés pour les critiquer, estimant que la plupart des comparaisons entre le système français et le système américain de justice criminelle démontrent que le premier laisse beaucoup plus à désirer que le second. Pourquoi cette certitude, chez nos voisins du sud, de bénéficier d’un système qui saurait s’élever au-dessus du perpwalk, sans danger pour l’impartialité judiciaire et la justesse des verdicts ? C’est que le système américain, comme tous les systèmes d’inspiration britannique, dépend du débat contradictoire (adversary ou adversarial system) pour faire apparaître la vérité, alors que le système français, de nature inquisitoire, ne met pas nécessairement l’accent sur l’équité du procès devant les forces étatiques, le sort du litige dépendant davantage de ce que les experts pensent du crime et de l’accusé. Les Américains en concluent que le perpwalk est tolérable aux États-Unis, alors qu’il ne saurait l’être en France, vu cette apparente absence de garanties procédurales chez les Français. Je dis bien apparente, car rien ne permet de croire que les prisons françaises regorgent d’innocents. Selon ce qui a été rapporté, Anne Sinclair, épouse de Strauss-Kahn, aurait répondu, lors d’une première entrevue, que les journalistes américains lui semblaient moins déchaînés que la presse européenne. L’auteur américain Robert E. Shapiro conclut que « we have no reason to adopt the French inquisitorial system of criminal justice, but the greater sensitivity to the public presumption of innocence that the French system necessitates should cause us to ponder whether, despite the greater procedural protections …

Appendices