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Il y a dans la ville de Québec, au fronton de l’édifice Louis-S.-Saint-Laurent, un chien sculpté dans la pierre, en position couchée et qui ronge un os. C’est le Chien d’or de la légende[1]. Au-dessus de lui, une inscription : « Je suis un chien qui ronge l’os » et en dessous, la suite : « En le rongeant je prends mon repos / Un tems viendra qui nest pas venu /Que je morderay qui maura mordu ».

L’immeuble s’impose au passant. Il est présent. Il s’offre à l’appréciation, à l’analyse, à l’interprétation. Le texte qui fait corps avec lui provoque un sentiment d’inquiétude en raison de la menace qu’il contient. Toutefois, celle-ci, pour peu qu’elle ait été réelle, ne nous apparaît plus que dans la pierre, fixée par la sculpture. Et le geste de sculpter est immédiatement ambigu : en informant la menace, il la réduit ; mais il en conserve aussi la mémoire, aussi longtemps que la sculpture demeure. Il nous donne, en permanence, la possibilité de rappeler à nous le sentiment éprouvé à la lecture du texte. D’une certaine façon, il la rend présente. Le passant peut ne voir dans le chien qui ronge qu’une partie du bâtiment et interpréter le texte dans l’économie générale d’un édifice historique, dans le système de la pierre. Il peut aussi être frappé par les mots. Il peut lui sembler que le sentiment qu’ils rappellent pourrait être réactivé, réutilisé, réaffecté. Pour servir une autre cause que celle du texte gravé sur le bâtiment et à jamais inconnue. Pour servir à écrire une autre histoire.

En lisant ce qui précède, un juriste de bonne humeur pourrait retenir que l’écriture entretient un rapport ambigu avec ce dont elle parle. Que si l’on s’intéresse de près à son objet, on devrait aussi s’intéresser à elle. Que la manière dont on écrit le droit affecte le droit lui-même.

Un juriste de mauvaise humeur lisant le même texte dirait peut-être que, précisément, la manière dont il est écrit fait qu’il n’a rien à voir avec du droit. Qu’il y a une écriture plus adaptée à un texte appartenant à la littérature juridique. Qu’en quelque sorte le droit et la discipline juridique commandent à la manière de produire des textes juridiques.

Je voudrais, dans ce bref essai, aborder ces deux intuitions, à savoir : 1) que l’écriture juridique influe profondément sur le droit, pris comme discipline, mais aussi comme système ou ordre juridique et que, alors, l’écriture peut être un objet d’étude pour les juristes ; 2) que l’écriture juridique subit des contraintes spécifiques qui déterminent pour partie le droit tel qu’il est.

Le droit serait une question de style[2] ? En tout cas, à partir du moment où l’on pense qu’il est agité par la question littéraire, alors l’organisation formelle, les moyens d’expression, les lois de composition, les « conditions de production » des textes juridiques deviennent des questions de droit. Or, les raisons qu’on a de le penser abondent aujourd’hui. La linguistique, la sémiotique, la critique littéraire, les approches narratives intéressent intensément la théorie juridique depuis une trentaine d’années[3]. Le courant Droit et littérature nous indique, quant à lui, la fécondité des rapports entretenus entre le droit et l’oeuvre des écrivains[4]. L’ensemble de ces travaux souligne l’intérêt de l’analyse littéraire du droit. Mais je me demande aussi si, au-delà de ce qui est un point de vue ou une méthode, l’écriture juridique ne dévoile pas du droit quelque chose d’existentiel. Je veux dire quelque chose qui concerne une réalité vécue du droit, concrètement et personnellement. Peut-être parce que, pour un juriste universitaire, l’écriture entretient une certaine conscience du droit. Tous ceux qui occupent une part de leur temps à écrire sur le droit ont l’occasion d’éprouver celui-ci selon un vécu particulier.

Cette idée d’un rapport intime, et nécessaire, du droit et de l’écriture est ancienne. On trouve chez Platon que la loi a besoin d’être fixée par écrit pour accomplir ce qu’on attend d’elle, à savoir se rappeler au cas de besoin[5]. L’histoire des traditions occidentales indique la nécessité d’écrire le droit : constitution du corpus juris civilis, rédaction des coutumes, codifications, collections des jugements, grands dictionnaires juridiques… Il a aussi été montré de quelle manière la valeur de vérité du droit s’est propagée à travers l’écrit[6]. On peut en venir à penser que l’écriture fait advenir le droit tel que nous le connaissons. Chacun peut en venir à le penser.

En effet, au plan de l’expérience, le droit se présente à nous dans des écrits : lois, jugements, commentaires, avis professionnels, signalisations routières, interdictions affichées dans les lieux publics, contrats, testaments, autorisations, livres, bulletins, registres… Il arrive, donc, dans nos sociétés occidentales, que le droit nous soit rendu présent par l’écriture.

Ceci ne veut pas dire que le droit serait un phénomène essentiellement écrit. Il y a une oralité du droit. Il y a des traditions juridiques orales. Il y a aussi des modes de vocalisation du droit. Mais c’est un fait que les formes juridiques pullulent. C’est aussi un fait que les lois, les jugements, les conventions internationales et les mémos sont rédigés. C’est encore un fait que l’enseignement du droit implique des matériaux écrits. Il faut alors remarquer que l’écriture est non seulement un mode d’expression hyperprivilégié du droit, mais qu’elle a aussi à voir avec un acte qui fait être le droit. Il est certain que l’analyse de l’écriture juridique a des répercussions sur la manière de considérer le droit oral. Précisément parce que, comme il sera vu plus loin, l’opération de composition du texte ne se comprend qu’à raison d’une rupture avec le discours oral. Toutefois, le renouvellement du rapport entre l’oralité et l’écriture du droit devrait faire l’objet d’un travail postérieur. Car, à mener ensemble ces deux opérations théoriques, on risque de demeurer tenu par un présupposé : le droit serait d’abord dans le discours, celui-ci étant inévitablement pensé comme un discours oral ; l’écrit viendrait après[7]. C’est-à-dire qu’il y aurait, en premier lieu, ce que dit le droit, et ensuite l’écriture qui, consigne ce que dit le droit.

La prise en compte de l’écriture suppose de pouvoir renverser un tel rapport : le texte juridique inaugure, par le fait même de son écriture, un droit qui diffère du droit tel qu’il serait dit. Écrire relève d’un acte propre de constitution du droit.

Nous n’avons pas l’habitude de considérer l’écriture de cette manière parce que nous attendons d’elle, la plupart du temps, qu’elle soit transparente. Nous la considérons comme une indication du droit. Devant un texte, nous sommes plutôt accoutumés à en établir le sens selon ce que nous savons préalablement du système juridique, du droit positif, de la science du droit. Le texte nous semble plus ou moins clair, plus ou moins précis, plus ou moins bien écrit et permet plus ou moins facilement de saisir le droit qu’il désigne : la norme, la solution, la connaissance. Mais il reste que le texte n’est qu’un moyen d’accès au fond du droit. Symétriquement, quand nous écrivons, nous n’envisageons guère, explicitement en tout cas, la dimension littéraire de notre texte mais plutôt la manière dont il se rapporte substantiellement au droit. Ce qu’il « dit » du droit, ce qu’il « montre » de celui-ci, voire ce qu’il « démontre » juridiquement.

Nous savons donc, en général, que l’écrit est une forme du droit et que l’écriture constitue un enjeu pour l’ensemble des activités juridiques[8]. Mais l’écriture du droit a été peu étudiée pour elle-même. En conséquence, l’acte d’écrire se trouve, pour ainsi dire, effacé au cours de la lecture que les juristes font d’un texte. Or, au carrefour des intuitions développées ici, est l’idée que cet acte n’est pas neutre. L’écriture entraîne les textes juridiques dans un rapport implicite, silencieux, équivoque, avec le droit dont ils parlent — que l’on entende par « droit » le système, l’ordre ou la connaissance juridique. Elle entraîne aussi l’ensemble des auteurs de textes juridiques dans un processus incontrôlable de constitution du droit dont ils n’ont pas toujours conscience. Mettre en lumière ce rapport et ce processus, les reconstituer chaque fois que se présente un texte juridique et en développer l’interprétation : voilà qui pourrait être le projet d’une méthode critique prenant pour objet l’activité de textualisation du droit dans une société. Sa première tâche serait d’élaborer une théorie ou peut-être simplement une idéologie[9] de l’écriture juridique dont j’essaierai d’indiquer les linéaments dans ce qui suit.

Je procéderai en trois étapes. Il s’agira d’abord de comprendre pourquoi le texte constitue un problème spécifique, irréductible à la question du discours. Ainsi, la première partie de cet article porte sur le texte juridique. Il conviendra ensuite de s’intéresser à la composition des textes, de resserrer donc le propos sur l’écriture proprement dite : la deuxième partie de cet article cherche à élaborer les traits distinctifs de l’écriture juridique. La troisième partie est une tentative de représentation par l’analyse du processus que je considère comme déterminant de cette écriture juridique et que je propose d’appeler le « jeu de la référence ».

1 Le texte juridique

À la question « qu’est-ce qu’un texte ? », Paul Ricoeur répond qu’il s’agit d’« un discours fixé par l’écriture[10] ». Mais pour immédiatement rejeter l’idée que le texte puisse être compris comme une simple transcription du discours prononcé. L’écriture n’opère pas selon un mouvement de l’oral vers le texte. Ce dernier ne constitue pas une forme écrite de ce qui a été prononcé, pas plus que qu’il ne suppose l’oralité préalable de ce qui est fixé en son sein. Au contraire, le texte résulte d’un affranchissement de l’écriture vis-à-vis de ce qui est dit. Ricoeur note qu’à la faveur de cet affranchissement un bouleversement a lieu. Ainsi l’écriture dispose-t-elle d’un « statut autonome » vis-à-vis de la parole.

Cette autonomie se traduit par le fait que le rapport du texte au monde diffère de celui de la parole au monde. Le discours oral est soutenu par les gestes, la voix, la présence de l’orateur ; celui-ci renvoie au monde. Ricoeur insiste : « tout discours est à quelque degré [ainsi] relié au monde. Car si on ne parlait pas du monde, de quoi parlerait-on[11] ? » Plus précisément, à l’oral, le sens de ce qui est dit « se recourbe vers la référence réelle, à savoir ce sur quoi on parle[12] ».

Le texte, au contraire, suspend la référence à la réalité. Le rapport du discours au monde est remplacé par un rapport du texte à d’autres textes :

[Dans] ce suspens où la référence est différée, le texte est en quelque sorte « en l’air », hors monde ou sans monde ; à la faveur de cette oblitération du rapport au monde, chaque texte est libre d’entrer en rapport avec tous les autres textes qui viennent prendre la place de la réalité circonstancielle montrée par la parole vivante. Ce rapport de texte à texte, dans l’effacement du monde sur quoi on parle, engendre le quasi-monde des textes ou littérature[13].

Le lecteur dispose alors de plusieurs possibilités dans la lecture. Soit il demeure dans le suspens du texte et l’explique par « ses rapports internes et sa structure » (structuralisme) ; soit il lève « le suspens du texte », le « restitue à la communication vivante » (interprétation).

Rien n’empêche de solliciter une telle approche en droit : un texte juridique peut bien être saisi dans sa dimension littéraire[14]. Disons alors qu’il suspend le rapport du discours avec la réalité que figure le droit, c’est-à-dire le monde dans lequel on se représente les effets de droit se produisant vraiment : l’exécution de la prestation contractuelle, la répression des comportements violents, le respect de la propriété d’autrui… Corrélativement à cette suspension, le texte juridique s’inscrit dans un monde littéraire au sein duquel il entre en relation avec les autres textes du droit. Il se tient dans un rapport de texte à texte.

À partir de là, le juriste lecteur du texte peut choisir. Soit il lui revient de proposer une analyse qui, par l’exhibition des structures du texte, en fasse apparaître un sens nouveau, alternatif : c’est l’explication[15]. Soit il lui revient de réacheminer le texte jusqu’à son monde à lui, le monde des effets de droit, pour en déduire de tels effets : c’est l’application. Dans les deux cas, il y a une interprétation juridique ; dans les deux cas, la lecture du texte juridique est susceptible d’offrir des maximes d’action : elle permet de juger, d’argumenter, d’enseigner.

Il reste à comprendre ce qui autorise à parler de texte — et donc d’écriture — juridique. Il faut pour cela s’arrêter sur ce qui fait échapper le texte à la référence réelle. Et qui l’inscrit dans le monde des textes du droit. Ce qui est responsable du « suspens » du texte.

2 L’écriture juridique

Pour spécifier l’acte d’écriture du droit, il faut tirer des conséquences d’un processus fondamental de référencement. Le texte juridique parle de droit. Il concerne un discours dont la « fonction référentielle » est loin d’être claire. Je veux dire par là que les juristes ne s’entendent pas sur le rapport entre les énoncés juridiques et le monde. Il n’est d’ailleurs pas évident qu’un tel rapport existe[16]. On peut aussi douter de ce que le discours juridique, y compris celui qui est dit, indique le monde du locuteur[17]. Même lorsqu’il peut être « secouru » par les dispositifs qui accompagnent la parole. Est-ce qu’un professeur, lorsqu’il parle de droit, situe vraiment ce qu’il dit dans le monde réel ? Est-ce qu’un juge qui dit le droit s’exprime à propos d’une réalité du monde tel que les justiciables le vivent ? On suspecte parfois que le droit demeure dans son monde à lui, qu’il n’existe pas réellement.

Au fond, ceci ne semble pas très important. Ou plutôt : ça ne le devient qu’à un haut niveau de théorisation. Dans leurs activités techniques ou dogmatiques, les juristes se savent des interprètes. Ce qu’ils font suppose la médiation d’un texte auquel il aura fallu donner un sens, quel que soit le texte : loi, décision, commentaire, théorie. Quelle que soit la fonction référentielle qu’ils attachent à leur discours, ils ne remettent pas en question la nécessité de solliciter un texte juridique pour soutenir celui-ci.

À partir de là, remarquons qu’un texte juridique mobilise d’autres textes juridiques dont il réclame la puissance. Peut-être est-ce même ce qui le distingue de la littérature non juridique. La performance normative et rhétorique d’un texte en droit est liée aux textes auxquels il renvoie[18]. Ce rapport entre les textes finit par garantir au texte dont il est question son caractère juridique. Un texte qui attache ce qu’il dit à une décision de la Cour suprême ou au Code civil a quelque chose de juridique. Plus le texte réfère à d’autres textes juridiques, eux-mêmes liés à d’autres textes juridiques, plus il s’inscrit profondément dans ce qu’on appelle le « droit ».

Par certains aspects, ceci n’est pas très éloigné de la perspective ouverte par Hans Kelsen lorsqu’il fait du rapport entre les normes juridiques une caractéristique du droit positif[19]. En revanche, nous sommes très loin de Kelsen en ne considérant pas ici la distinction entre interprétation authentique et non authentique, en mélangeant (probablement) le droit et la science du droit, en ne respectant pas la séparation de l’être et du devoir-être. En outre, la référence perturbe la hiérarchie caractéristique des systèmes[20].

Cette pratique de la référence indique une dimension importante de l’acte d’écriture du droit : préparer l’insertion du texte dans la « littérature juridique ». L’expression désigne, comme chez Ricoeur, le lieu de suspension du texte : le « quasi-monde ». Mais ce « quasi-monde » est déjà celui du droit. Alors la lecture faite par les juristes consiste à décoder pour encoder de nouveau. Les deux étapes ont lieu ensemble.

Il s’agit de constituer la signification du texte pour le cas en jeu, pour la question posée, à savoir pour ce qui a déjà eu lieu — achever la lecture ; il s’agit aussi de réserver la signification du texte pour l’avenir — commencer l’écriture. La lecture et l’écriture se font dans le même geste[21]. Il y a, à la fois, une « appropriation[22] » du texte qui autorise à penser la réalisation du droit et une désappropriation du texte par laquelle celui-ci est réinscrit dans le quasi-monde. Ainsi, le droit demeure dans le texte, pas dans la bouche de celui qui le dit, lorsqu’il le dit. Le droit s’est déjà constitué comme tel par sa textualisation, c’est-à-dire sa capacité à être rappelé : « il n’y [a] pas de droit sans possibilité de trace[23] ». À ce moment, le droit est une écriture.

La condition juridique du texte lui impose une double ouverture[24] : ouverture sur le réel et ouverture sur l’écriture. Cette double ouverture est pratiquée par constitution de la référence qui correspond à ce que Ricoeur nomme le « jeu des appartenances[25] ». Nous voyons alors que l’écriture du droit est contrainte. Et spécifiquement contrainte. Elle doit amener au texte les références propres à garantir son caractère juridique.

Ajoutons que c’est bien sur le geste de l’écriture que pèse la contrainte[26]. Le principe et l’effet d’une telle contrainte échappent à l’intention de l’auteur, comme lui échappent ceux des contraintes grammaticales ou orthographiques. Évidemment, les textes juridiques comportent des références explicites à d’autres textes juridiques. Il y a des formules de référencement. Dans un jugement de la Cour suprême, on trouvera un sommaire de la « jurisprudence », des « lois et règlements cités », de la « doctrine et autres documents cités ». Dans une loi ou règlement, on trouvera la mention des textes modifiés par la loi ou le règlement. Une loi n’est parfois qu’un texte fait de bouts d’autres textes dont des mots, des phrases et des chiffres sont supprimés ou remplacés[27]. Dans un texte académique, on trouvera des commentaires de textes préalablement indexés par l’auteur et des notes qui sont parfois constituées en systèmes de référence[28]. Il y a aussi d’autres textes : des actes juridiques (contrat, testament, procès-verbal…), et puis des dispositifs de signalisation du droit : des panneaux, des affiches qui, parfois, se réfèrent explicitement aux textes juridiques.

Chaque fois, la référence, parce qu’elle est explicite, participe de l’intentionnalité. Elle concourt à l’ouverture du texte sur le réel (le monde dans lequel le droit a lieu). La référence sert à guider ce dont parle le texte vers un mode de réalisation du droit. Elle rend vraisemblable l’effet de droit projeté.

Il y a aussi une référence implicite, et c’est pourquoi je propose de parler de « jeu » de la référence. Implicite, la référence ouvre un espace dans le texte, espace constitué par les variations possibles du sens[29]. C’est-à-dire qu’il se crée un mouvement entre les différentes significations possibles du texte, donc entre les différents effets de droit envisageables. Il y a référence implicite lorsqu’elle est enveloppée (implicitus) par le texte. C’est-à-dire lorsque celui-ci renvoie à ce que le lecteur est en mesure d’appeler « droit », indépendamment du sens visé par le texte. Il s’agit d’un effet mécanique de la contrainte consistant à insérer le texte dans la littérature juridique.

Cette obligation de placer le texte dans le « quasi-monde » — réserve inépuisable du droit — peut bien être ignorée ou connue de celui qui écrit ; quoi qu’il en soit, elle s’exécute dès le tracé des signes qui constituent le texte juridique. Sauf à mettre en place des dispositifs textuels qui garantissent l’écriture contre le droit. Mais la sanction tomberait automatiquement : le texte serait hors du droit ; il ne « serait pas du droit ». On n’échappe à la signification juridique implicite de son texte qu’en n’écrivant pas de droit. Corrélativement, toute écriture du droit est implicitement référentielle du droit. Ainsi, les références à des textes juridiques explicitement mises en place par l’auteur contiennent, à leur tour, des références implicites.

Le jeu de la référence se déroule sur la totalité du texte. Tous les procédés d’écriture, toutes les manières de composer un texte peuvent produire un effet de référence : le titre, la signature, le style, la construction et les mots du texte. J’essaie d’en rendre compte dans ce qui suit.

3 Le déroulement du jeu de la référence

Quatre morceaux de texte ou, plus exactement, quatre dispositifs textuels, font l’objet de cette analyse qui est en même temps une tentative de représentation du jeu de la référence : titre, signature, couverture d’ouvrage, mots du droit.

3.1 Le titre

Soit un titre : « Consumer Law and Policy : Text and Materials on Regulating Consumer Markets[30] ». Ce morceau de texte annonce son ouverture sur le réel : il devrait être question de porter à la connaissance du lecteur un contenu de « droit de la consommation » annoncé dans un certain sens, comme ce qui réglemente des marchés sur lesquels interviennent des opérations entre consommateurs et non-consommateurs.

Le texte produit aussi un effet de référence juridique en usant de l’expression « Text and Materials ». Il se trouve lié à la « littérature juridique » comme un certain type d’ouvrage (Textbooks/Casebooks). Il ouvre alors sur un monde différent, celui des textes didactiques, indicatifs des lieux d’apprentissage du droit — Law Schools. Élargissons un peu la perspective. Nous voyons sur la couverture qu’il s’agit d’une deuxième édition. Voilà qui indique le succès du livre et dit quelque chose de sa place dans la littérature ; de son autorité vis-à-vis de l’ordre du droit au sein duquel il s’insère, quoique le sens de cette autorité demeure, à ce stade de lecture, indéterminé. Mais le lecteur sait qu’il pourra composer son propre texte juridique (note, dissertation, interprétation, argumentation, décision) à l’aide de celui-ci.

Soit un autre titre : « L’avare et l’intangible : à propos du téléchargement d’oeuvres[31] ». Le texte ouvre sur le monde, plus nettement encore que précédemment. L’objet visé — l’intentionnalité — se repère tout de suite : « le téléchargement d’oeuvres » annoncé dans une forme littéraire ne rappelant pas le droit, mais plutôt des textes moralistes classiques[32]. Le titre n’augure pas un texte juridique. Il ne comporte pas d’ouverture sur l’écriture du droit. Il pourrait, à ce moment, se trouver assigné hors du droit par le lecteur. Regardons alors la signature du texte.

3.2 La signature

« Georges Azzaria » : une note de bas de page indique qu’il est « professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval ». Le texte de la signature ainsi conçu modifie le statut du texte annoncé en l’attachant au droit, en tant que discipline universitaire. Il indique le propos d’un juriste qui enseigne et écrit. La même note de bas de page précise que le « texte tient compte des évènements antérieurs à juin 2007 ». La mention complète, signature et note, implique un certain rapport entre ce qui s’annonce et la rationalité caractéristique de l’ordre ou du système juridique, en même temps que la positivité du droit traité par le texte. L’énoncé « professeur de droit » précipite dans le texte la « rationalisation[33] » du droit dont le professeur a eu, à un moment ou à un autre, la charge. L’auteur n’a pas la possibilité de contrôler l’effet de référence produit par la mention de son nom suivi de « professeur de droit ». Celui qui signe ainsi s’inscrit comme élément de texte dans son propre texte, ce qui implique son effacement comme auteur[34]. Et parfois sa transformation en « personnage conceptuel[35] ».

3.3 Les énoncés d’une couverture

Soit la couverture d’un ouvrage — ce qui « enveloppe » ou « habille » le texte — qui présente ce dont il est question.

En son centre un titre : « Regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation[36] ». Sous le titre, le nom d’un auteur qui n’est pas tout à fait un auteur ; il est mentionné « sous la direction de Thierry Bougoignie ». Il est fait mention aussi de l’éditeur : « Éditions Yvon Blais. Une société Thomson ». Et en haut de la couverture, à gauche, un sigle : « GRDP », signifiant « Groupe de réflexion en droit privé » ; à droite, un autre sigle : « GREDICC » signifiant « Groupe de recherche en droit international et comparé de la consommation », et au-dessous « UQAM » :

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Le tableau — la synthèse des énoncés ; je laisse de côté la composition graphique de la couverture — livre une intentionnalité et s’ouvre sur le réel, c’est-à-dire, je le répète, le monde du lecteur. Voici un ouvrage savant (le directeur est professeur ; l’Université a quelque chose à voir avec le livre, une certaine université [Université du Québec à Montréal] ; la couverture contient les mots « réflexion » et « recherche »), collectif (l’auteur mentionné en assure la « direction » ; les « regards » sont « croisés » ; il peut s’agir des actes d’un colloque, d’une série de conférences, du résultat d’un recherche collective) et juridique.

En portant un regard plus analytique, on verra la diversité des éléments de rattachement au droit. Le moindre énoncé de la couverture indique du droit. Explicitement : « droit de la consommation », « droit privé », « droit international et comparé de la consommation ». Implicitement : « Thierry Bourgoignie », « Éditions Yvon Blais ». De tels énoncés fournissent d’abord un accès à l’objet visé par le texte. Ils participent à la représentation que celui-ci propose. Mais ils s’inscrivent aussi eux-mêmes dans le « quasi-monde » du droit. Et ils accrochent le texte à la littérature juridique. Les renvois qu’ils provoquent redoublent l’ouverture du texte. Le jeu de la référence démarre dès la couverture du livre. Les énoncés qui y figurent participent à ce qui est alors une re-présentation du droit par l’écriture juridique.

3.3.1 Le titre dans la couverture

La mention « droit de la consommation » ouvre sur une législation, des jugements et des productions académiques avec lesquels le texte autorise sa propre mise en rapport. Le texte réfère à un corpus dont il poursuit l’écriture[37]. Saisissons au passage la chance de l’ambiguïté du terme « corpus ». Je le proposerai d’abord dans son usage philologique et linguistique comme la réunion de « la totalité des documents disponibles d’un genre donné » et comme l’« [e]nsemble de textes établi selon un principe de documentation exhaustive, un critère thématique ou exemplaire en vue de leur étude linguistique[38] ». Et ensuite dans son rapport au droit en référence au corpus juris civilis[39].

L’ouvrage de « droit de la consommation », signalant son agrégation au corpus du droit de la consommation, entre dans le champ des principes de documentation, critères thématiques et dans tous les systèmes de sélection ou de classement qui justifient qu’on puisse parler littérairement d’un corps de droit — corpus juris. Il se soumet alors à l’épistémè, à l’axiologie, aux considérations politiques, éthiques, esthétiques qui se rapportent à ces systèmes. Ainsi, l’annonce « regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation » ne parvient pas tout à fait à contenir le propos du texte annoncé aux « regards croisés sur les enjeux contemporains ». Une part indiscernable du texte réclame son association au droit de la consommation tout court. Elle exige de produire un sens juridique abstrait, c’est-à-dire un sens pour le texte à venir.

On comprend que le jeu de la référence est communautaire. L’insertion dans la communauté — le fait de l’écriture juridique — implique le respect de la liberté pour ses membres d’user de ce qui peut être saisi comme communautaire, à savoir cette part indiscernable du texte. Un exemple d’usage : la citation. Dans notre espèce, les « regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation » peuvent être cités dans un texte qui a à voir avec le droit de la consommation, mais rien à voir avec le croisement des regards sur ses enjeux contemporains. La nécessité de préparer le texte à s’offrir en référence participe à sa qualification en texte juridique, indépendamment même de son intentionnalité, de l’objet qu’il vise en propre, de l’effet de droit qu’il indique. Il doit pouvoir être utilisé pour indiquer du droit en-dehors de lui.

Une telle dissociation dans la composition du texte relève parfois d’une loi du genre. Pour l’illustrer, et concevoir une caractéristique importante du jeu de la référence, je voudrais ici opérer une légère digression.

Il me semble nécessaire de passer un peu de temps sur la composition d’un des textes les plus surveillés de la littérature juridique, soit la thèse : « A thesis for the Doctoral degree must constitute original scholarship and must be a distinct contribution to knowledge[40]. »

L’écriture de la thèse est commandée par la nécessité de combiner l’originalité de la proposition théorique avec la contribution au savoir préexistant. Contribuer, c’est participer et même « payer sa part […] d’une charge commune[41] ». La contribution suppose la fongibilité des objets.

Pour contribuer au savoir des juristes, la contribution devrait avoir forme de droit. L’écriture juridique transfère le texte à la littérature juridique. Elle augmente mécaniquement le savoir. Relevons encore que la combinaison qui constitue la thèse n’est pas vue comme un mélange (synthèse), mais comme la conjonction de deux catégories distinctes dans leur principe (original scholarship et distinct contribution to knowledge) : « It must show familiarity with previous work in the field […] as well, the thesis must clearly demonstrate how the research advances knowledge in the field[42]. »

Concentrons-nous sur cette « familiarité avec le travail qui précède la thèse dans le champ de recherche ». La composition de la thèse devrait rendre compte de la familiarité de l’auteur avec les travaux existant avant le sien et qui, selon la loi du genre, préparent en quelque sorte celui-ci.

La thèse montrera les accointances de l’auteur avec le droit en question, l’amplitude de son savoir. Au plan de l’écriture, le texte de la thèse se fera complice des textes qui le précèdent. Si la thèse est bien rédigée, ces textes en auront constitué l’annonce, l’amorce ou le préambule. Ainsi, les textes du droit rendent possible le prochain texte à venir ; ils forment une interminable introduction à leur propre réinscription comme référence. Il faut donc que la thèse — celle dont le texte augure la soutenance — se replie en son propre corps pour laisser passer les textes du droit auxquels la thèse — celle qui s’écrit — doit (must) référer.

Nous n’en avons pas fini avec la familiarité. Le terme rappelle à lui la communauté qui participe au jeu de la référence. On le verra plus immédiatement dans le mot anglais. Familiarity indique l’appartenance à la famille, et plus encore la déférence à la famille. En effet, dans un sens jugé obsolète, familiarity signifie : « The quality proper to a member of the family ; hence, behaviour due from a retainer or a familiar friend, devotion, fidelity[43]. »

Remarquons aussi que familiarity renvoie, en tout premier lieu, à l’hospitalité comme qualité du chef de famille. Tel est le premier sens du mot : « The quality proper to the head of a household, hospitality[44]. »

La thèse qui montre sa familiarité avec le travail qui vient avant elle montre ses qualités. Ce qui la caractérise, ce qui en fait la valeur. Ce qui réfère au droit signale le respect pour la communauté juridique (famille) et tout à la fois la capacité du texte à accueillir en son sein ce qui lui viendrait du droit (hospitalité). Voici donc aussi ce qui qualifie la thèse. L’écriture juridique dispose des signes de reconnaissance dans le coeur du jeu de la référence. Celui-ci est communautaire, il est aussi synallagmatique.

Nous voyons se dessiner un trait cardinal de l’écriture du droit tracé dans la référence. Il s’y trouve inscrits l’obéissance, le respect dû au droit (qui est un respect dû au texte) et, finalement, le pressentiment de la force. La référence au droit n’indique pas quelque chose qui lui serait extérieur et dont elle instruirait de l’autorité. Elle impose ce dont elle parle[45]. Le texte juridique qui s’établit dans le jeu de la référence ne saurait simplement décrire ; il prescrit. Il ne le fait pas cependant en son nom propre mais au nom du texte.

« The Preface of a Doctoral thesis must also include a statement clearly indicating those elements of the thesis that are considered original scholarship and distinct contributions to knowledge[46] » : retour à l’intentionnalité ici. À la thèse avancée et qui sera soutenue. Mais ce retour est devenu suspect. Rendu ambivalent par le jeu de la référence. D’un côté, on comprend que l’originalité du travail académique, la contribution de la recherche au savoir permettent de déterminer sa valeur propre (ou valeur ajoutée). Un bénéfice. C’est ce qui, au sein du travail, peut être retenu et même distingué. Voilà qui expliquerait le caractère obligatoire de la règle disposant d’indiquer clairement une telle partie du texte. Mais d’un autre côté, en marquant aussi nettement les différences entre l’avant et l’après de la thèse, on propose un principe d’exclusion. Ce qui peut être retenu, distingué, est aussi ce qui peut être oublié. On peut l’écarter à peu de frais puisque l’indication claire du savoir préexistant en assure la pérennité. Sans doute cette ambivalence garantit-elle le jugement porté sur la thèse lors de sa soutenance. Mais là n’est pas la question. Nous sommes plutôt conduits à voir dans cette dissociation le fait qu’en soutenant une thèse on soutient deux choses : l’objet visé et le droit qui se constitue dans la référence[47].

Je reviens maintenant à l’analyse des énoncés fixés sur la couverture d’un livre de droit.

3.3.2 L’auteur — directeur dans la couverture

« Sous la direction de Thierry Bourgoignie » : je ne travaillerai pas sur ce que cette mention a d’ambigu lorsqu’on la rapporte à l’indication simple d’un auteur. La question se poserait de savoir comment composer le régime littéraire de cette mention d’un auteur qui n’est pas l’auteur du texte ; qui est plus (il dirige l’ouvrage) et qui est moins (il n’a pas tout écrit). J’en resterai à essayer de repérer comment se joue le jeu de la référence.

Il faut se garder d’une réduction. La mention du nom de l’auteur appelle une première série de références implicites. On en saisira rapidement les principes en suivant Michel Foucault dans son analyse de la « fonction-auteur[48] ». Foucault en dégage quatre caractères.

Le premier tient dans ce qu’on peut appeler l’indication d’un rapport juridique de l’auteur au texte. Il s’agit d’une appropriation, précédée historiquement d’une responsabilité. L’auteur dispose de son oeuvre comme un élément de son patrimoine ; il en supporte aussi les risques. En second lieu, l’auteur préserve le texte de l’anonymat. Il indiquant la « source » du texte ; son sérieux aussi. Le nom de l’auteur est comme le sceau, le seing que les juristes connaissent ; une garantie de l’authenticité. Le troisième caractère rappelle une construction de l’auteur réalisée à partir du texte[49]. À son terme, l’auteur introduit de la rationalité. Foucault le dit : « c’est également le principe d’une certaine unité d’écriture […] ce qui permet de surmonter les contradictions qui peuvent se déployer dans une série de textes[50] ». Enfin, la mention de l’auteur constitue le lieu de croisement des discours qui composent le texte et qui renvoient à des ego multiples. C’est-à-dire que l’auteur sert à mettre à distance les différents « je » qui parlent dans le texte. Il donne la possibilité de multiplier les niveaux de discours.

Le rapprochement de la « fonction-auteur » avec la mention « sous la direction de Thierry Bourgoignie » fait apparaître certaines références implicites, étant bien entendu que je ne considère ici de référentiel que ce qui signale le texte comme texte juridique.

La mention lie d’abord le chercheur et professeur de droit avec une fonction de direction. Nous voici renvoyés aux responsabilités de celui qui conduit une recherche dans son champ de compétences : le droit, et plus précisément ici le droit de la consommation. Renvoyés aussi à la part du travail qu’il peut revendiquer (appropriation) : réunir des auteurs pouvant mettre leur travail au service de la recherche entreprise[51] ; élaborer et raffiner les questions qui forment l’horizon du texte, donner une orientation. Et ici encore, le propre du nom d’auteur joue comme un procédé de sélection : nous savons qui écrit ; nous pressentons alors une partie de ce qui sera écrit.

La mention comportant le nom de l’auteur garantit ensuite le texte contre l’anonymat. En l’espèce, le risque de l’anonymat ne concerne pas le contenu de l’ouvrage qui rassemble les contributions de plusieurs auteurs. Il pèse en revanche sur ce qui est annoncé dans la couverture à propos des « enjeux contemporains du droit de la consommation ». Il menace le livre comme ensemble. L’anonymat risquerait d’effacer le principe de synthèse qui justifie la réunion de diverses contributions en un livre. Le nom de l’auteur-directeur règle l’unité du livre. Il fait tenir ensemble les différentes contributions[52]. La mention de l’auteur indique une source du texte. Elle le valide. Elle scelle aussi une certaine destinée du texte dans l’association entre « les enjeux contemporains du droit de la consommation » et « Thierry Bourgoignie ». Nous en venons alors à l’indication de l’auteur comme mode de rationalisation du texte. Ce qui en constitue un enjeu très lourd. Le texte réfère alors à une série de textes en droit de la consommation qui forment l’oeuvre de l’auteur Thierry Bourgoignie. Ses textes propres, et aussi tous ceux qui portent sa marque autrement que comme auteur : les directions de recherches et d’ouvrages. Je laisse de côté la fonction-auteur qui donne lieu à la « dispersion des ego[53] », moins significative ici.

3.3.3 Des précisions

Cette première série de renvois aux textes juridiques a son importance. Mais, quoiqu’implicite et inévitable, elle n’épuise pas le jeu de la référence. Et cela parce qu’on n’y trouve pas le flottement qui m’apparaît caractéristique du jeu en question. Un flottement vient de l’impossibilité de contrôler la référence. L’effet de référence produit par telle ou telle inscription vient de ce que celle-ci est mise en réserve, sans égard à la configuration du texte qui porte la référence. Dès lors, les dispositifs qui organisent expressément le référencement du texte (note de bas de page, citation) ne permettent en rien de disposer du jeu de la référence. Or le lien entre le nom d’un auteur et son oeuvre relève de la fonction référentielle du nom de l’auteur. Pour le dire simplement : le nom désigne l’auteur ; l’auteur désigne ses textes. La référence est inévitable parce que le nom d’auteur constitue un dispositif référentiel comparable à une note de bas de page. Mais la compréhension de ce qui « joue » dans la référence suppose de considérer le dispositif en lui-même, de se dégager donc de la référence qu’il assume pour accéder à celle qu’il peut ignorer en toute bonne foi.

La mention de l’auteur a alors des implications plus profondes. Revenons à ce qu’écrit Foucault, mais cette fois-ci pour essayer d’en subtiliser un motif. Il se penche sur ce qu’il appelle les « fondateurs » puis « instaurateurs de discursivité » :

Ces auteurs ont ceci de particulier qu’ils ne sont pas seulement les auteurs de leurs oeuvres, de leurs livres. Ils ont produit quelque chose de plus : la possibilité et la règle de formation d’autres textes […] quand je parle de Marx ou de Freud comme « instaurateurs de discursivité », je veux dire qu’ils n’ont pas rendu simplement possible un certain nombre d’analogies, ils ont rendu possible (et tout autant) un certain nombre de différences […] Étendre un type de discursivité comme la psychanalyse telle qu’elle a été instaurée par Freud, ce n’est pas lui donner une généralité formelle qu’elle n’aurait pas admise au départ, c’est simplement lui ouvrir un certain nombre de possibilités d’applications. La limiter, c’est, en réalité, essayer d’isoler dans l’acte instaurateur un nombre éventuellement restreint de propositions ou d’énoncés, auxquels seuls on reconnaît valeur fondatrice et par rapport auxquels tels concepts ou théories admis par Freud pourront être considérés comme dérivés, second, accessoires[54].

Le détour par ces « fondateurs de discursivité » est risqué tant il nous éloigne du domaine de la littérature juridique. Mais, en acceptant le principe de l’emprunt, on verra qu’il offre d’accéder au jeu de la référence engagé dans la mention de l’auteur.

Si la composition d’un texte juridique ouvre sur l’objet qu’elle vise et, simultanément, sur l’écriture du droit, alors le juriste est un « fondateur de discursivité ». Le texte juridique vaut pour ce qu’il dit, mais aussi pour ce qu’il permet de faire. Il prend du sens, en droit, dans la relation qu’il fonde avec d’autres textes et dont le principe lui échappe toujours en partie.

Il est dit quelque part ceci :

Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu’elle équivaut à de l’exploitation du consommateur, ou que l’obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante[55].

L’affirmation prend toute son importance lorsque, placée dans une argumentation adressée à un juge, elle permet à un individu d’obtenir la réduction du montant de sa dette de 900 dollars[56]. Sa valeur augmente aussi dans le texte qui opère son rapprochement avec la décision du juge en question et qui permet à son tour la production d’autres textes[57].

Le nom d’auteur comme texte juridique implique de considérer la « possibilité et la règle de formation d’autres textes[58] » qu’il provoque. L’implicite de l’implicite. C’est ici que le nom d’auteur s’accroche au droit. La mention « sous la direction de Thierry Bourgoignie » ne fait pas que renvoyer aux travaux de cet auteur. Elle renvoie aussi au rapport que ses textes entretiennent avec la littérature juridique au sens particulier de leur capacité à fonder d’autres textes. Prenons les Éléments pour une théorie du droit de la consommation[59]. Dans sa manière de référer à l’écriture juridique, ce texte est fondateur d’autres textes qui le citent comme référence juridique. Et cet effet-là est incontrôlable. Le nom « Thierry Bourgoignie » ouvre alors le texte sur les textes qui réfèrent aux travaux de Thierry Bourgoignie.

Disons que les Éléments pour une théorie du droit de la consommation visent une conception disciplinaire (le droit de la consommation est conçu comme une discipline ; elle est, par ailleurs, pluridisciplinaire[60]), comparative[61] et critique[62] du droit de la consommation. Ce faisant, et si leur inscription dans la littérature juridique a été réalisée, ils sont eux-mêmes ouverts sur l’écriture d’un droit qui n’est pas une discipline mais un droit positif[63], pas un droit comparé mais un système juridique[64], pas critique mais dogmatique[65]. Cet écart forme une référence implicite de la mention « Thierry Bourgoignie ». Cette superposition des références peut sembler inutilement compliquée. Ce n’est pourtant qu’à la condition de ces renvois de texte juridique à texte juridique que le droit advient dans l’infinité de ses effets : prenant sa force en même temps qu’il prend forme.

3.3.4 D’autres mentions

Parmi les trois mentions qui restent à lire, deux renvoient explicitement au droit : « Groupe de réflexion en droit privé » et « Groupe de recherche en droit international et comparé de la consommation »/« UQAM ». Je n’insisterai pas sur la densité des références sur lesquelles le texte s’ouvre par ces deux mentions.

Simplement, d’une part, il faut relever une certaine perception de l’ordre juridique que rappelle le « droit privé[66] » : appréhension du droit par des principes rationnels de divisions[67] (droit public et droit privé), des oppositions (intérêt public/intérêt privé[68]) ; une conception de la connaissance juridique aussi, qui fait de la distinction droit privé/droit public une idée élémentaire[69]. La portée de la mention ne devrait cependant pas être surestimée ; elle signale le rôle qu’un « regroupement institutionnel des membres du corps professoral du Département des sciences juridiques[70] » de l’UQAM a pu avoir dans la publication. D’autre part, c’est une conception différente du droit qu’appelle la mention « droit international et comparé de la consommation ». Un droit qui répond à des critères moins formels. En outre, le texte indique une orientation non nationale du droit de la consommation. Il suggère aussi que le droit en question est saisi dans sa dimension disciplinaire et théorique plutôt que dans sa positivité.

J’en viens alors au point essentiel qui est la conjonction de ces deux mentions. Elles sont à côté, face à face, et aussi l’une contre l’autre. « Réflexion en droit privé » et « recherche en droit international et comparé de la consommation » participent à la composition du texte de couverture. Quelque chose du jeu de la référence se joue encore dans ce « et ». Indiquant un moment où les idées sont encore « compossibles », le « et » forme une « loi de la pensée théorique[71] ». La conjonction « et » rapproche autant qu’elle tient à distance ce qu’elle unit. Alors la référence s’établit de manière incontrôlable. Le « droit international et comparé » est contre le droit d’un ordre juridique (les juristes, habitués à la jurisprudence, savent que le mot contre n’est pas clair ; qu’il oppose les parties au procès mais qu’il rassemble le droit en une solution). La conjonction rappelle alors au texte deux tensions récurrentes : autonomie et dépendance du droit de la consommation vis-à-vis du droit privé ; droit étatique/national et droit non étatique/global. Ajoutons que le lieu de ces tensions est lui aussi référencé. La mention « UQAM » renvoie à un espace académique qui n’est pas neutre, ni quant aux références juridiques qu’il contient[72], ni quant aux traditions juridiques qui s’y rappellent[73].

La dernière mention sur la couverture est celle des « Éditions Yvon Blais. Une société Thomson ». Encore une fois, le texte redouble la référence implicite. Il y a l’évidence : cherchant ce qui raccroche la mention « Éditions Yvon Blais » à la littérature juridique, il suffit de songer au catalogue de l’éditeur. Mais, comme le texte du nom d’auteur, il faut se garder d’une réduction. La mention de l’éditeur renvoie aux livres édités de manière aussi évidente que le nom de l’auteur renvoie aux livres qu’il a écrits. La référence est inévitable ; elle n’est pas incontrôlable — pas assez flottante à ce moment. Questionnons, comme avec le nom d’auteur, la possibilité et la règle de formation d’autres textes à partir des textes référencés.

Disons que les « Éditions Yvon Blais » visent des publications qui peuvent : 1) revendiquer un rapport privilégié avec le droit positif québécois ; 2) établir les tendances de l’évolution du droit en question ; 3) constituer une littérature de référence pour une utilisation professionnelle du droit[74]. Quels textes peuvent référencer, du point de vue de l’éditeur[75], les textes édités ? Allons très vite : tous les textes dont l’intentionnalité mobilise du droit civil québécois. Y compris donc un texte qui s’en distingue pour un motif critique : s’intéresser aux constructions théoriques qui signalent l’irréductibilité du droit au droit positif[76] ; ou pour un motif économique : éditer des ouvrages de droit comme concurrent[77]. Ainsi réinscrite dans la littérature juridique, la mention « Éditions Yvon Blais » signale un écart entre le droit qu’elle vise implicitement et un autre droit : 1) un droit différent du droit positif québécois ; 2) indifférent aux tendances futures de ce même droit ; 3) épousant une perspective plus théorique ou moins professionnelle du droit. De telles oppositions forment une référence implicite de la mention « Éditions Yvon Blais ».

3.4 Les mots du droit

Voici les éléments les plus flottants du texte. Ceux qui ouvrent le plus sûrement celui-ci et l’accrochent à la littérature juridique : les expressions, les formules et les mots du droit[78]. Je rappelle l’hypothèse en jeu ici : 1) un texte juridique s’écrit sous la contrainte que j’ai appelée le « jeu de la référence », à savoir l’insertion de dispositifs textuels qui renvoient à d’autres textes juridiques ; 2) celui qui écrit ne maîtrise ni le principe de cette contrainte ni ses effets. La référence est inévitable, mais elle est aussi implicite au texte lui-même. Les références explicites ou implicites disposées stratégiquement dans un texte ne parviennent pas à contraindre totalement la lecture. Celle-ci, dans le geste qui la constitue déjà comme écriture, appréhende le texte comme texte juridique grâce à la référence et réserve cette part indiscernable du texte pour l’avenir. L’infinité des effets de droit se trouve ainsi garantie.

Le mot du droit au sein duquel se joue le jeu de la référence — inscription dans la réserve inépuisable du droit — n’est pas un concept juridique. L’infinité de l’effet de droit, la capacité permanente d’un mot à produire du droit, ne vient pas du fait qu’il a déjà été pensé. À cela répondrait une systématique des effets juridiques, un ordre des solutions potentiellement couvertes par le mot du droit. Il s’ensuivrait une définition possible de celui-ci ou une connaissance a priori de ses sens. Le mot se fixerait dans le concept.

Au contraire, la capacité inépuisable d’un mot à produire du droit vient de ce qu’il provoque une dispersion. On peut l’expliquer par l’idée d’ubiquité. Prenons une phrase : « Adjudication has often been a central institution in reforms intended to provide consumer protection and the adjudicative process is an important model for administrative decision-making[79]. »

Considérons le mot adjudication comme mot du droit. Il est à la fois dans ce texte et dans tous les textes qui l’utilisent. Pour cette raison, il référence le texte au droit et le qualifie comme texte juridique. Mais le terme est alors tiraillé entre ce qu’il veut dire dans le texte (ici : l’institution centrale qui a souvent permis de mener à bien les réformes ayant pour objectif la protection du consommateur), ce qu’il peut vouloir dire ailleurs (« Is Pragmatic Adjudication Inescapable[80] ? » ; « The act of giving a judgment or of deciding a legal problem[81] ») et le fait que, quoi qu’il vise dans les textes, une part indiscernable de tous les textes se réclamera de la référence juridique qu’il constitue.

Le mot du droit revendique de composer l’intentionnalité du texte dans lequel il se trouve et, en même temps, de faire ce qu’il fait dans tous les textes. Considéré du point de vue du droit, il n’est donc pas seulement une unité significative. Il figure aussi un principe d’harmonisation du droit à partir des mots saturés de sens juridique. Cette harmonisation suggère l’ordre[82] ; un ordre juridique qui échapperait à un principe monolithique de normativité. On peut utiliser l’image d’un ordonnancement qui s’organise de bas en haut (bottom up[83]). Peut-être davantage, nous aurions affaire à un ordre qui s’établit en fonction d’une instabilité de ses composants.

En effet, le mot du droit ne se tient jamais à sa place. Il est instable. D’une instabilité qui lui permet préserver sa capacité de référer en permanence au droit.

« Is Pragmatic

 

Inescapable ? »

 

ADJUDICATION

« The act of giving a judgment or of deciding a legal problem »

-> See the list of tables

« has often been a central institution in reforms intended to provide consumer protection and the adjudicative process is an important model for administrative decision making. »

On comprend le besoin qu’ont eu les juristes — et auquel ils continuent à tâcher de répondre — de construire des projets théoriques destinés à limiter ou à masquer cette instabilité, à achever le mot dans le concept juridique. L’espoir est d’en circonscrire — et par là en assurer — la signification en droit. D’où l’immense avantage du conceptualisme[84] et du formalisme : ils supposent la calculabilité des solutions.

Il reste que, aucun dispositif textuel ne pouvant empêcher le jeu de la référence, le mot peut toujours trahir le concept. Comment se fait-il qu’on ne puisse pas empêcher le jeu de la référence ? Précisément parce que c’est la fonction des mots du droit que de rendre possible la référence à un autre corpus que celui dans lequel on les trouve, corpus qui peut dire autre chose. Le texte renvoie au texte. On ne peut alors pas plus compter sur l’identité du mot et du concept juridiques qu’on ne peut compter sur la présence d’un « signifié transcendantal[85] ». Comme le dit encore Derrida,

l’écrivain écrit dans une langue et dans une logique dont, par définition, son discours ne peut dominer absolument le système, les lois et la vie propres. Il ne s’en sert qu’en se laissant d’une certaine manière et jusqu’à un certain point gouverner par le système. Et la lecture doit toujours viser un certain rapport, inaperçu de l’écrivain, entre ce qu’il commande et ce qu’il ne commande pas des schémas de la langue dont il fait usage[86].

Revenant aux mots du droit, je dirais que la référence se joue dans cette part inaperçue par l’écrivain et qui est réécrite par le lecteur. Ce qui fait que l’argumentation juridique peut jouer sans épuiser l’effet de droit des mots qu’elle emploie (il est possible, par exemple, en jurisprudence, de se dégager du précédent ; cela suppose un effort de rédaction particulier du jugement). Et celui à qui s’adresse l’argumentation a toujours une contre-argumentation disponible. Le concept juridique ne parvient jamais à lier complètement le lecteur qui dispose, quant à lui, du mot.

Le mot du droit crée un flottement de celui-ci. Dans un sens qu’il faut préciser. Je ne veux pas dire qu’un mot du droit désigne toujours plusieurs choses ou des idées différentes. Un mot du droit peut signifier une chose ou une idée (la « Constitution canadienne »). Le flottement vient de l’impossible contrôle de la référence. On peut déterminer les références de son texte ; on ne peut pas en déterminer l’usage dans les textes à venir. Et, paradoxalement, cette impossibilité garantit le droit. Ainsi, non seulement l’ambivalence des mots du droit est inévitable, mais elle est nécessaire pour qu’on puisse utiliser les mots comme mots du droit. On pourrait le dire à la Endicott — « Law is necessarily vague because it necessarily uses (or can be stated in) abstract terms such as “reasonable” or “substantial”[87] » — en cherchant la tautologie : le mot du droit est nécessairement flottant parce qu’il est un mot du droit.

Au terme de cette analyse de certains dispositifs textuels du droit, il est possible de spécifier l’acte d’écriture du droit. Il s’organise autour du processus que j’ai proposé d’appeler le « jeu de la référence ». Selon ce processus, on dira qu’il y a écriture juridique chaque fois qu’un texte, pris indépendamment du point de savoir quel en est l’auteur, fait référence à d’autres textes dont il n’est pas douteux qu’ils soient eux-mêmes « juridiques » (ils réfèrent à leur tour à d’autres textes qui, eux-mêmes, réfèrent, etc.). Dans le cours des références, il s’établit un « jeu », c’est-à-dire un espace creusé dans le sein du texte juridique par les références. On peut parler d’« espace » parce que le dispositif textuel du droit ne « remplit » pas toutes ses significations juridiques possibles. Les significations juridiques possibles — celles qui ne sont pas visées par le texte — existent par l’effet d’un renvoi à la littérature juridique. C’est encore par le biais de la référence qu’a lieu ce renvoi ; mais l’effet de la référence est alors implicite, en ce sens qu’il est inévitable et incontrôlable, quel que soit le degré de conscience qu’en a l’auteur. Dans le jeu de la référence, le texte juridique est flottant.

Conclusion

Le droit qui se présente « dans la lignée ininterrompue des commentaires juridiques ou des nouvelles versions du texte[88] » flotte, au fil de l’écriture. Ceci ne veut pas dire qu’il faudrait voir le droit comme étant indéterminé. Mais plutôt qu’il se détermine dans le texte ou, pour ainsi dire, littérairement. Ainsi, ce que nous appelons « système » ou « ordre juridique », d’une part, et « discipline juridique » ou « science du droit », d’autre part, apparaissent comme des ensembles de textes. Ces ensembles obéissent à certains principes de composition communs. Prendre l’écriture juridique comme objet d’étude pourrait conduire à une reconfiguration radicale du travail théorique en droit. En libérant celui-ci de la nécessité de fonctionner relativement à ce que les juristes ont convenu d’appeler le « droit positif ».

En effet, les activités juridiques théoriques sont, en général, tenues de se justifier par rapport au droit en vigueur dans le monde réel. Soit qu’elles doivent offrir des perspectives pour la pratique juridique, soit qu’il leur faille exposer leurs propres conséquences en termes de droit positif, soit qu’elles assument n’avoir aucun effet sur le droit dont elles parlent (discours strictement descriptif). Cette nécessité de se justifier est un problème à partir du moment où les activités juridiques se trouvent jugées, non pas selon ce qu’elles proposent, mais selon cette espèce de police du discours juridique. Or cette police fonctionne avec un concept de positivité dont elle est incapable de préciser le rapport avec le réel. Parce que le moment de l’application concrète du droit est théoriquement insaisissable. Les juristes ne peuvent pas garantir que l’effet de droit annoncé dans un texte juridique se produit effectivement, pas plus qu’ils n’en peuvent prévoir la forme.

En prenant l’écriture juridique comme objet d’étude, on évite la difficulté. Parce que le travail théorique se déroule dans les textes, et non plus sur ou à propos des textes juridiques. On considère alors que l’effet de droit est l’écriture d’un texte juridique. Jugements, lois et livres sont tour à tour, et à la fois, des textes juridiques et des effets de droit. C’est dans leurs rapports textuels que se constitue l’ordre juridique qui est donc un ordre de l’écriture.

Le travail juridique s’oriente vers une pratique du texte et de l’écriture. Toujours flottant, le texte juridique offre des possibilités d’action et d’argumentation renouvelées.

La question qui demeure est de savoir comment développer ces possibilités puisque l’acte d’écriture est lui-même promis au flottement. Le travail juridique ainsi conçu serait condamné à demeurer aléatoire. Une rigidité typique du droit aurait sauté : on ne pourrait jamais expliquer la production d’un effet de droit sans saturer sa propre affirmation d’une incertitude dévastatrice du propos. En d’autres termes, l’écriture, passant au premier plan, viendrait à ce point relativiser le droit dont elle parle qu’elle risquerait d’en saper la force. Tel n’est ni l’objectif ni le résultat du travail ici entrepris. Mais cela doit résonner comme une mise en garde. On ne peut s’engager sur cette voie qu’en développant des pratiques du texte juridique qui ne se soldent pas par la dissolution du droit formalisé.

L’une d’entre elles, dont j’ai essayé de suggérer l’emploi par un certain nombre d’effets d’écriture et de références dans le présent travail, est une déconstruction des textes juridiques : un travail qui respecte scrupuleusement la lettre du droit et qui entend simultanément lui soutirer du sens par une réécriture utilisant la dislocation, la dissémination, la suspension des dispositifs textuels.

Une autre pratique possible se ferait sur le terrain de la forme du texte juridique. Elle consisterait, elle aussi, dans un type de réécriture. Celle-ci jouerait avec les lignes, le style, la composition des textes juridiques afin de les réinterpréter. On songe à une sorte de poétique ou d’esthétique juridique. À suivre.