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Avec la fin de l’année 2012, la phase d’engagement quinquennale convenue en 1997 dans le cadre du Protocole de Kyoto[1] s’est terminée sans que l’avenir du régime du climat ait pu être précisé en détail. L’espoir — irréaliste, diraient certains — que, au terme du Protocole de Kyoto, un accord soit trouvé en vue de poursuivre avec vigueur les efforts de réduction et d’adaptation entrepris en 1992 avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[2], a commencé à s’effriter avec le début des négociations post-Kyoto à Bali, en 2008. La valse-hésitation qui a suivi année après année lors des conférences des Parties à Copenhague (2009), à Cancún (2010) et à Durban (2011) et qui se perpétue dans les ententes prises aux conférences de Doha, en 2012, et de Varsovie, en 2013, traduit l’incapacité prolongée de la société internationale de concevoir un régime juridique pour un problème environnemental qui menace pourtant la vie telle que nous la connaissons. À la faveur des incertitudes qui accompagnent les changements climatiques et de la longue chaîne de cause à effet qui les rend insaisissables, malgré les efforts de modélisation et les premières manifestations concrètes, des intérêts économiques et politiques puissants compromettent toute entente sur un remède vigoureux. Certes, au terme de longues négociations, le Protocole de Kyoto a été prolongé[3], mais il a aussi perdu des parties, soit le Canada avant même l’échéance du protocole[4], le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Fédération de Russie depuis la décision de renouvellement[5], sans compter la défection initiale des États-Unis[6]. Si la décision, selon laquelle une nouvelle entente sera élaborée d’ici 2015 et entrera en vigueur au plus tard en 2020[7], est à saluer, le contexte actuel laisse sceptique quant à la stipulation d’obligations qui soient à la hauteur des défis. Malgré les déclarations officielles soulignant les avancées, les négociations sont marquées par le blocage.

Ce blocage a de multiples facettes, mais la difficulté de répartir les responsabilités devant la menace composite et multicausale du réchauffement climatique est certainement au coeur du problème. Le régime actuel du climat est articulé autour du principe des responsabilités communes mais différenciées. Celui-ci repose sur l’idée de l’équité environnementale interétatique et postule que tous les États partagent la responsabilité pour l’environnement, tout en répartissant cette responsabilité inégalement entre eux. Présent dans presque tous les accords multilatéraux sur l’environnement, ce principe constitue un pilier important du droit international de l’environnement. Si sa remise en question se cristallise autour de la différenciation prévue dans le régime du climat, certains États se sont montrés hostiles à toute forme de différenciation de sorte que l’avenir du principe dans d’autres sphères du droit international de l’environnement risque d’être compromis[8]. Le principe des responsabilités communes mais différenciées semble donc arrivé à un moment crucial de son histoire.

Notre réflexion relative à son opérationnalisation vise à montrer que ce principe doit et peut être réappréhendé. Nous défendons l’idée que ce n’est pas le principe qui est à remettre en cause, mais que sa transposition concrète dans le régime du climat — et ailleurs, le cas échéant — doit être repensée. Ainsi, nous avançons que la différenciation plus fine entre les États est incontournable, malgré les difficultés inhérentes à une telle stratégie. Il faut se rendre à l’évidence que le paradigme d’un monde bipolaire, articulé autour du « Nord » et du « Sud », n’est plus approprié. Il est inadapté à l’analyse du manque de mobilisation des États à l’égard d’un projet international ambitieux de protection de l’environnement autant qu’à la recherche de remèdes[9]. Il dessert la répartition équitable des charges et fait ainsi partie du problème. Ce constat nous amène à plaider en faveur de l’élargissement de l’éventail des aspects d’équité qui déterminent la différenciation. Pour l’avenir du droit international de l’environnement, l’enjeu est de taille, car l’atteinte de la quasi-universalité des traités est certainement favorisée par la perception qu’il s’agit de régimes équitables et la quasi-universalité des traités, faut-il le dire, est un pas essentiel vers l’efficacité du droit de l’environnement[10].

À la manière d’une simple esquisse, notre réflexion avance certaines idées qui pourront être développées ailleurs. Nous tracerons d’abord un portrait de la situation en rappelant la pratique d’opérationnalisation du principe des responsabilités communes mais différenciées dans les traités ainsi que ses remises en question (1). Ensuite, nous explorerons, dans une démarche de lege ferenda, les promesses et les paramètres d’une différenciation plus nuancée entre les États avant d’ébaucher les contours d’une opérationnalisation repensée (2).

1 Les responsabilités communes mais différenciées opérationnalisées : état de la situation

L’opérationnalisation la plus marquante de l’équité environnementale internationale, prévue dans le régime du climat, a été conçue au début des années 90 en phase avec un contexte socioéconomique passablement différent, l’exposant aujourd’hui à une importante remise en question. Elle ébranle la certitude que le principe des responsabilités communes mais différenciées doit guider les États afin que les traités sur la protection environnementale soient équitables. Nous mettrons en relief la conception de l’équité environnementale internationale ainsi que sa concrétisation dans les traités sur l’environnement (1.1)[11], afin d’indiquer ensuite, sur cette base, les principaux défauts de l’opérationnalisation actuelle, particulièrement de celle du régime du climat (1.2).

1.1 L’équité environnementale : idée et pratique

Le modèle westphalien qui imprègne le droit international moderne repose sur l’idée que l’égalité juridique des États favorise l’équité interétatique. L’article 2, al. 1 de la Charte des Nations Unies[12] traduit cette conception en termes juridiques, confirmant l’égalité souveraine comme principe cardinal du droit international[13]. Au-delà de leurs différences économiques, politiques, géographiques, culturelles, linguistiques et autres, tous les États sont donc juridiquement égaux. Cette égalité formelle entraîne une préférence générale pour les régimes conventionnels qui reposent sur la justice commutative et prévoient la réciprocité des obligations. Comme certaines iniquités, notamment économiques, sont ainsi exacerbées, il est reconnu que, parfois, un antidote est requis précisément au nom de l’équité. Le traitement différencié, fonction des inégalités jugées pertinentes, est un tel antidote. L’égalité formelle cède alors la place à des considérations de justice distributive ou corrective[14]. Rien n’interdit le recours à des engagements inégaux en droit international, à condition que, conformément au principe de l’égalité souveraine formelle, tous les États visés y consentent.

Le traitement différencié pour compenser des iniquités, notamment économiques, s’est développé au moment de la décolonisation. L’avènement de nombreux nouveaux États a accentué l’hétérogénéité de la société internationale et créé des disparités sans précédent. Dès les années 50, s’ajoute aux groupes d’États communistes et capitalistes le groupe grandissant des États du « Tiers Monde[15] ». Politiquement indépendants du « premier » et du « deuxième monde », ces États souffrent d’une économie faible et du « sous-développement ». Cet aspect économique a été dominant dans la réception du terme et a présidé à la distinction entre pays développés et pays en développement, qui se manifeste particulièrement en droit international du commerce et en droit international de l’environnement[16].

Dès le début du droit international de l’environnement, soit dès les préparatifs pour le Sommet de Stockholm, tenu en 1972, il devenait évident que la dégradation environnementale ne pouvait être combattue sans considération pour la situation économique des États[17]. Cette reconnaissance a laissé des traces dans la Déclaration de Stockholm[18] et a été formulée 20 ans plus tard de manière percutante dans le principe 7 de la Déclaration de Rio : « Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent[19]. » Sous la plume des pays développés[20], cette formulation évite tout lien avec le principe du pollueur-payeur et toute allusion à leur responsabilité historique[21]. Une note interprétative des États-Unis va jusqu’à rejeter toute reconnaissance implicite d’une quelconque responsabilité juridique des pays développés et d’une diminution des responsabilités des pays en développement[22]. L’acception étroite du principe 7 privilégiée par les pays développés n’est pas anodine : elle joue même un rôle important dans la crise de la différenciation que vit le régime du climat actuellement.

Une caractéristique des réceptions conventionnelles, par ailleurs fort variées, est l’omniprésence de la dichotomie « pays développés — pays en développement ». En soi, il s’agit d’une distinction vague, car, exception faite de la liste onusienne des pays les moins avancés[23], il n’existe pas d’énumération universellement valable, ni de critères reconnus permettant de classer les États dans l’une ou l’autre catégorie. Par ailleurs, les enceintes internationales à vocation économique, comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI), procèdent à leurs propres distinctions, employant une terminologie plus cohérente avec les critères utilisés pour la différenciation. Bien que le renvoi, dans les accords multilatéraux sur l’environnement, aux « pays en développement » soit généralement associé aux 132 États réunis sous l’appellation « G77[24] », les contours de cette catégorie d’États demeurent vagues. Le manque de définition a fait naître la pratique de l’autoélection des pays en développement, pratique qui souvent n’est assujettie qu’à un contrôle politique limité. Par contre, il règne davantage de précision juridique dans deux régimes, soit celui de l’ozone[25], où les bénéficiaires des allègements sont déterminés au moyen de critères[26], et celui du climat, où l’annexe I de la Convention-cadre énumère les États développés et l’annexe II, les plus riches d’entre eux[27]. Ce dernier régime reprend — et cimente — la distinction entre pays développés et pays en développement telle qu’elle se présentait au début des années 90.

Dans les traités, les asymétries des obligations prennent des formes diverses. Commun à presque tous les accords est l’engagement des pays développés de soutenir le renforcement des capacités dans les pays en développement par des transferts de fonds et par l’encouragement de transferts de technologies. Certains traités vont toutefois plus loin en prévoyant aussi des asymétries relativement aux obligations centrales. Fréquentes sont des clauses de souplesse, qui consistent à renvoyer aux moyens dont disposent les parties pour exécuter une obligation donnée, de sorte qu’il revient à chaque Partie de déterminer son degré d’exécution[28]. Seul le contrôle de conformité par l’entremise de rapports des États parties balise un tant soit peu cet assouplissement.

Une tout autre forme d’asymétrie se trouve dans le régime de l’ozone, où le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone permet la suspension temporaire des obligations centrales. L’État qui désire s’en prévaloir doit être un pays en développement selon les critères objectifs du Protocole de Montréal. Ainsi qualifié, il est autorisé à surseoir pendant 10 ans aux obligations de réglementation, afin de pouvoir « répondre à ses besoins intérieurs fondamentaux[29] ». Cette forme d’asymétrie prévoit donc un assouplissement qui assure qu’à terme tous les États sont tenus de respecter l’ensemble des obligations.

À cet égard, la différenciation dans le régime du climat se distingue considérablement. Au nom du principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, explicitement mentionné parmi les principes devant guider les Parties[30], les États ne sont pas tous soumis aux mêmes obligations. Certes, toutes les Parties s’engagent à des mesures de base relativement peu onéreuses, comme l’aménagement d’un inventaire des sources et puits de gaz à effet de serre (GES)[31]. Par contre, seulement les pays développés listés dans l’annexe I assument des obligations de réduction des GES[32] et seulement les plus riches d’entre eux, énumérés à l’annexe II, ont l’obligation de soutenir financièrement les pays en développement dans l’exécution de leurs obligations[33]. L’asymétrie est ainsi poussée à un degré qui est sans pareil en droit international de l’environnement. Avec les pays en développement, une grande majorité de Parties est complètement exemptée des obligations de réduction qui, bien quelles soient onéreuses, sont indispensables pour contrer la hausse des températures. Qui plus est, l’obligation de réduction des pays énumérés dans l’annexe I contraste avec le droit implicite des autres Parties d’augmenter leurs émissions.

Cette concession a été faite en 1992, alors que peu d’indices permettaient d’anticiper la trajectoire de pollution qu’allaient emprunter certains pays en développement, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil[34]. Le consensus selon lequel les pays développés, en tant que pollueurs principaux, devaient prendre la tête des efforts internationaux a été consolidé en 1997 par l’adoption du Protocole de Kyoto. Or, le refus des États-Unis de ratifier cet accord, en raison de sa répartition jugée injuste des responsabilités[35], d’ailleurs cohérente avec la position américaine exprimée en 1992 lors des négociations du principe 7 de la Déclaration de Rio[36], révélait au grand jour que cette reconnaissance ne faisait pas l’unanimité. Et c’est essentiellement à cette position que plusieurs États industrialisés clés se sont ralliés dans les négociations post-Kyoto, qui se déroulent sur le fond de l’essor économique de certains grands pays en développement.

1.2 L’opérationnalisation remise en question

La différenciation dans le régime du climat étant la plus radicale, elle prête particulièrement le flanc à la critique. Des opérationnalisations prévues dans d’autres régimes, existants ou à venir, risquent cependant d’être aussi touchées par ces remises en question. Elles sont de quatre ordres, mais nous verrons qu’elles peuvent toutes être ramenées à une question : qu’est-ce qu’une répartition juste des responsabilités ?

La remise en question, par les pays développés, de l’appréhension bipolaire du monde est parmi les plus vigoureusement articulées. Cette bipolarité se manifeste de manière particulièrement évidente dans le régime du climat où les obligations de réduction n’incombent qu’aux États mentionnés dans l’annexe I. Alors qu’il est en théorie possible d’amender l’annexe I pour y inclure de nouveaux États, aucun mécanisme de révision régulière n’existe et le consentement de l’État visé est requis[37]. Par conséquent, la division opérée en 1992 s’est avérée tenace en pratique. Elle paraît pourtant anachronique par rapport aux États dits BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine[38]), historiquement des pays en développement, mais considérés comme un groupe à part — des « économies émergentes » dans le jargon économique — en raison de leur développement économique fulgurant[39]. Par ailleurs, ils sont, à l’exception de l’Afrique du Sud, parmi les plus grands États, du point de vue de leur population autant que de leur territoire, ce qui ajoute à leur potentiel d’influence sur les changements climatiques. Le classement parmi les pays en développement d’États partis d’une situation moins désespérée, comme la Corée du Sud et le Mexique, est également malaisé.

La contribution des pays émergents à la dégradation environnementale globale en général et au réchauffement climatique en particulier est aujourd’hui considérable — la Chine étant désormais le plus grand émetteur de GES[40] — et rien ne permet de croire que leur développement industriel et démographique ralentira. Devant cette situation, la demande de certains pays développés afin que les pays émergents participent à la lutte contre le réchauffement se fait plus insistante[41]. Ces appels à une plus grande symétrie des obligations de réduction des pays développés et des pays émergents doivent de plus être vus sur fond de capacités économiques renforcées des pays émergents. Ainsi, après s’être initialement articulé autour de la différenciation des obligations au nom des « responsabilités communes mais différenciées », le débat actuel paraît se focaliser sur les « capacités respectives[42] ». Les pays émergents reconnaissent que leurs émissions et capacités accrues alourdissent leur responsabilité. Tous les États BASIC, le Mexique et la Corée du Sud ont ainsi annoncé pour la première fois des engagements volontaires de réduction de leur GES dans le cadre de l’Accord de Copenhague[43].

En renvoyant à la responsabilité historique des pays développés, les pays émergents refusent cependant des engagements négociés, jugeant que ceux-ci incombent aux pays développés[44], et, ce faisant, ils dénoncent implicitement la lecture anhistorique du problème environnemental[45]. Celle-ci conduit les pays développés à n’assumer de la responsabilité que pour leur contribution actuelle à la dégradation environnementale, tout en ignorant la dette écologique imputable à leur développement bicentenaire débridé, et à écarter ainsi des facteurs pertinents relativement à la distribution équitable des charges[46]. Cette critique est particulièrement puissante au regard des GES qui n’atteignent leur niveau dévastateur qu’à retardement. Malgré les précautions que les pays développés ont prises dans l’articulation du principe 7 de la Déclaration de Rio, la discussion sur la responsabilité historique s’avère donc inévitable en matière climatique. Les représentants de plusieurs pays en développement et émergents ne se lassent pas de réitérer l’importance d’en tenir compte[47] et ont obtenu son intégration officielle, quoique modeste, aux négociations climatiques actuelles[48]. Or, certains pays développés, pour justifier leur absence de la deuxième phase du Protocole de Kyoto[49], insistent, pour toute réponse, sur l’insuffisance des engagements volontaires des pays émergents, étant donné leur situation économique actuelle et leurs émissions de GES. En se renvoyant ainsi la balle, les États visés, la Chine et les États-Unis en tête, perpétuent une stratégie de non-action qui bloque les négociations actuelles[50]. Cette paralysie profite, de manière perverse, aux élites des deux groupes d’États[51], ce qui risque de la rendre durable.

Problématique d’un point de vue de l’équité est par ailleurs la lecture par État des contributions aux problèmes environnementaux. Le régime du climat l’illustre bien. Dans le discours américain en particulier, les émissions de GES de la Chine sont ainsi comparées avec celle d’autres États sans mise en perspective[52]. Or, l’équité environnementale interétatique, objectif ultime des tractations, devrait au final être atteinte au bénéfice des personnes qui disparaissent derrière l’organisation politique qu’est l’État[53]. Cette comparaison des États sans considération pour leur démographie respective est peut-être une conséquence de l’égalité formelle des États ; elle se révèle néanmoins comme étant incompatible avec le sens premier de l’équité environnementale. Une lecture par habitant des contributions brosserait un tout autre tableau[54]. En effet, les émissions par habitant de la majorité des pays en développement sont toujours loin derrière celles des pays développés, même si certains pays en développement, dont la Chine, mais aussi la Corée du Sud et Taïwan, ont fait du « rattrapage » et jouent aujourd’hui dans la même ligue que les pays de l’Union européenne[55]. Les émissions par habitant des États-Unis, du Canada et de l’Australie, toutefois, dépassent toujours de plus de deux fois celles de la Chine et d’environ dix fois celles de l’Inde. La convergence des émissions par habitant à l’échelle mondiale est ainsi l’idée maîtresse du modèle « contraction et convergence », selon lequel la gouvernance climatique doit avoir pour objet de réduire les émissions globales à un niveau sécuritaire tout en veillant à une répartition égalitaire par habitant[56]. Ce modèle séduit certes, puisqu’il semble résoudre les problèmes d’équité par une simple opération mathématique. Un de ses défauts est cependant de ne pas prendre en considération certains facteurs importants, comme les différences dans les conditions de vie, dont le climat[57].

Enfin, la vulnérabilité ne joue qu’un rôle secondaire dans l’opérationnalisation du principe des responsabilités communes mais différenciées. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la « vulnerabilité » correspond au « degré de capacité d’un système de faire face ou non aux effets néfastes du changement climatique[58] ». Grâce à leurs capacités financières et technologiques supérieures, les pays développés sont en général moins vulnérables que les pays en développement. Parmi les pays en développement, la vulnérabilité varie toutefois fortement : les États aux côtes basses et les États victimes de stress hydrique, d’aridification, de désertification ou encore de la fonte des glaciers risquent de subir des effets particulièrement délétères. La Convention-cadre esquisse une distinction plus fine que la bipartition en pointant notamment vers des situations de vulnérabilité potentiellement élevée[59] et en exhortant à la prise en considération de la vulnérabilité des pays en développement[60]. La vulnérabilité est considérée sur le chapitre du renforcement des capacités, mais elle n’a pas eu d’effet (visible) jusqu’à présent relativement à la conception des obligations de réduction.

Sans la prise en considération de ces différents aspects, la question de l’équité environnementale internationale risque d’être mal posée. Cela semble précisément un des problèmes qui affligent les négociations climatiques.

2 L’affinement de la différenciation

Ces remises en question forcent une réflexion en profondeur sur l’opérationnalisation du principe des responsabilités communes mais différenciées. Les maux causés actuellement par le traitement différencié ne signifient certainement pas la fin de la différenciation — ce serait la fin du droit international de l’environnement tel que nous le connaissons de nos jours. Par contre, ils induiront probablement des modifications, et il est à espérer qu’ils catalyseront l’émergence d’une différenciation plus fine[61]. La question est donc de savoir si les différentes préoccupations d’équité sont conciliables et peuvent être traduites en un régime juridique fonctionnel. Avec l’objectif d’apporter des débuts de réponse, nous jaugerons d’abord les risques et les promesses d’une stratégie qui s’engage dans les géométries complexes (2.1). Ensuite, comme les promesses prédominent, nous esquisserons la conjugaison des différents aspects (2.2).

2.1 Le potentiel de l’affinement circonscrit

Tout changement majeur est source d’incertitudes, de craintes et de résistances. S’agissant de l’environnement, les changements sont inévitables. De deux choses l’une : soit nous choisirons, rapidement et avec courage, un changement politique majeur, soit nous subirons, démunis et impuissants, des changements environnementaux majeurs. La différenciation fine des obligations des États serait certes en rupture avec la politique opportuniste à courte vue, elle serait peut-être de l’ordre de la « politique de l’improbable[62] », mais elle se justifie par des raisons autant éthiques qu’environnementales. Si le concept de développement durable est envisagé comme exigeant à la fois la protection de l’environnement[63] et l’atteinte de l’équité intragénérationnelle et intergénérationnelle[64], la concrétisation repensée du principe des responsabilités communes mais différenciées pourrait se révéler cruciale pour réaliser un développement durable. Il a d’ailleurs été intégré au régime du climat dans cette perspective[65]. Néanmoins, l’ampleur des changements suggérés suscite des réactions ambivalentes, voire des objections vigoureuses. Même si nous avançons que les promesses l’emportent, ces réactions ne doivent pas être passées sous silence. Trois points méritent d’être examinés plus en profondeur.

Premièrement, les pays en développement risquent de résister à la distinction au sein de leur groupe. Une différenciation plus fine suppose en effet, à l’image de la — timide — distinction opérée parmi les pays développés dans le régime du climat[66], une catégorisation plus nuancée des États. Alors qu’elle toucherait tous les États, les pays en développement ont exprimé leur « rejet ferme » de toute proposition voulant introduire une distinction au sein de leur groupe[67]. Celle-ci, craignent-ils, menacerait leur identité et le levier politique que leur nombre leur a procuré jusqu’à présent, du moins en apparence[68]. L’attachement au statu quo pourrait donc faire obstacle à la négociation d’une différenciation plus fine[69]. Or, l’unité des pays en développement a déjà commencé à s’effriter[70]. Elle s’est fissurée visiblement à la veille du Sommet de Copenhague avec l’annonce, par les États BASIC, d’engagements unilatéraux de réduction. Au lendemain du Sommet de Durban, elle semble définitivement rompue. La plate-forme de Durban évite en effet de mentionner le principe des responsabilités communes mais différenciées pour plutôt appeler de ses voeux l’élaboration d’un « régime multilatéral fondé sur des règles découlant de la Convention […] applicable à toutes les Parties[71] ». Ce langage nouveau, confirmé aux conférences de Doha[72] et de Varsovie[73], témoigne de la perte d’unité des pays en développement qui n’ont plus le poids politique pour imposer un engagement clair en faveur de la différenciation[74]. L’abandon de la référence directe au principe des responsabilités communes mais différenciées est certes tempéré par la référence à la Convention-cadre qui contient le principe. Le changement de langage pourrait néanmoins présager une opérationnalisation repensée selon laquelle les pays émergents ne bénéficient plus des mêmes privilèges que les autres pays en développement[75]. À tout le moins dans le régime du climat, les pays en développement risquent ainsi d’être incapables d’éviter le démantèlement de leur bloc. D’ores et déjà regroupés par affinités durant les négociations, les pays en développement pourraient eux-mêmes accélérer ce processus[76] et être finalement forcés d’en prendre acte. Or, la subdivision n’est pas qu’une perte : elle offre aussi l’occasion de négocier des engagements qui sont au total plus ambitieux et plus équitables.

Deuxièmement, la multitude des facteurs qui seraient à prendre en considération au moment de l’affinement de la différenciation suscite deux inquiétudes. D’abord, les nombreux facteurs pourraient favoriser une multiplication des conditionnalités, paralysant les négociations par la stratégie du « après vous[77] » ou débouchant sur des engagements qui ne seraient pas à la hauteur des défis[78]. Lavanya Rajamani attribue ainsi la plus grande symétrie des engagements des pays émergents et des pays développés au nivellement par le bas des engagements des derniers tout en critiquant aussi le manque d’ambition inhérente aux engagements volontaires de réduction annoncés aux conférences de Cancún et de Durban[79]. Au vu de ces engagements, elle anticipe, avec raison, un rôle plus circonscrit pour le droit international dans les efforts contre le réchauffement climatique[80]. En dernière analyse, toutefois, ce ne sont pas les engagements volontaires ni l’harmonisation des obligations qui compromettent des résultats ambitieux. Il faut blâmer plutôt le manque de volonté politique des États, situation qui s’explique, entre autres, par la perception que les charges ne sont pas équitablement réparties.

Par ailleurs, l’affinement de la différenciation introduit des géométries complexes, dans les négociations autant que dans l’application de l’accord. À supposer qu’un régime acceptable pour tous puisse être élaboré, un solide mécanisme de contrôle de la conformité devrait assurer que le consensus traduirait dans la pratique en mesures effectives. Le défi principal est cependant de concevoir une différenciation nuancée qui rallie tous les États. Elle pourrait se révéler si difficile à négocier que la conclusion d’un accord en temps utile pourrait être compromise. Toutefois, une différenciation simple ne garantirait pas davantage un consensus rapide. La simplification dans le régime du climat crée, au contraire, un cadre qui compromet actuellement la formulation d’engagements satisfaisants. Les deux inquiétudes sont donc, au fond, attribuables à la difficulté de trouver une répartition des charges qui soit perçue comme équitable par toutes les parties.

Troisièmement, la formulation des obligations des parties par référence à de nouvelles considérations d’équité s’expose à une fin de non-recevoir de la part des pays développés. Ceux-ci risquent en effet d’opposer la résistance la plus vigoureuse à la reconceptualisation du principe des responsabilités communes mais différenciées. Leur narration de la problématique environnementale globale a façonné jusqu’ici le droit international de l’environnement, y compris le biais dans la répartition des charges. Or, l’affinement de la différenciation en fonction des contributions historiques, des contributions par habitant ou encore de la vulnérabilité pour corriger ce biais nécessite la réappréhension complète de la problématique[81]. Les références historiques et éthiques seraient à revoir, tout comme le modèle économique et le style de vie dans les pays développés[82], dans une perspective de redistribution des pouvoirs et des richesses[83]. À l’évidence, ce bouleversement serait radical et douloureux pour les pays développés. Il est, par conséquent, impossible de balayer du revers de la main la conjecture selon laquelle une stratégie en vue de traiter la lutte contre la dégradation environnementale comme un problème éthique serait vouée à l’échec, parce que les pays développés n’y auraient rien à gagner[84]. La défection de quelques joueurs importants, en particulier des États-Unis, pourrait ainsi faire péricliter toute l’entreprise[85].

L’hypothèse appelle néanmoins quelques remarques. Premièrement, il est faux de dire que les pays développés ne gagnent pas à accepter un fardeau, même s’il est lourd. Concernant les changements climatiques, le rapport Stern rappelle qu’à terme l’inaction coûtera plus cher que l’action[86]. Le véritable problème est que l’action génère des coûts immédiatement, tandis que les bénéfices — incertains quant à leur forme et à leur ampleur — se feront attendre, ce qui est incompatible avec les contraintes politiques d’aujourd’hui. Deuxièmement, bien que l’incitatif économique soit un des plus importants vecteurs de l’action politique, il ne faut pas sous-estimer le poids des considérations éthiques[87]. C’est la leçon qu’il faudrait tirer des négociations climatiques, qui échouent manifestement à forger un consensus sur la base de la répartition actuelle des charges. Il est à espérer que cet échec relance le débat et l’ouvre à une relecture du développement. Si les pays développés prennent la mesure de leur responsabilité historique[88], les considérations éthiques auront des chances d’être considérées comme une partie intégrante de la problématique environnementale. Ajoutons à ces deux points que le sentiment d’urgence pourrait jouer un rôle moteur en faisant apparaître tous ces aspects sous une lumière nouvelle. Il est à souhaiter que l’impulsion propice mise en oeuvre a une signification particulière en droit international public du principe des responsabilités communes mais différenciées puisse ainsi être générée[89]. La publication du 5e rapport du GIEC, prévue entre septembre 2013 et octobre 2014[90], mettra, espérons-le, les négociateurs suffisamment sous pression pour que l’entente qui sera à conclure au plus tard en 2015[91] ait le mordant requis par l’urgence de la situation.

2.2 La conjugaison des aspects multiples

Le régime du climat renferme déjà un germe pour la différenciation plus fine des obligations. En effet, dès le préambule de la Convention-cadre, il est mentionné que la majeure partie des émissions de GES passées et actuelles ont leur origine dans les pays développés et que les émissions par habitant dans les pays en développement sont encore faibles et susceptibles d’augmenter dans le contexte de leur développement[92], que la coopération doit s’organiser en fonction des responsabilités communes mais différenciées, des capacités et des situations sociales et économiques respectives[93] et, enfin, que certains pays sont plus vulnérables que d’autres[94]. Les aspects pertinents relativement à la différenciation sont ainsi mis en évidence : 1) la contribution actuelle par habitant ; 2) la contribution passée (par État) ; 3) la contribution actuelle (par État) ; 4), les capacités technologiques et financières ; et 5) la vulnérabilité. Ces aspects sont suffisamment universels pour être transposables à d’autres problèmes environnementaux. À noter que la prise en considération du facteur démographique pourrait s’imposer, puisqu’une forte croissance démographique avantagerait l’État visé dans l’évaluation par habitant des contributions, alors qu’elle accentue la pression exercée sur l’environnement. Or, toute intervention étatique sur l’évolution démographique est une entreprise politique hautement délicate, et il est permis de douter de la volonté des États de l’assujettir au droit international.

Cela étant, la difficulté principale consiste à se mettre d’accord sur les aspects qui sont à retenir aux fins d’un régime donné, à décider de leur pondération et à déterminer leurs rapports mutuels. Quels que soient les choix, une caractéristique de l’affinement de la différenciation dans tous les régimes devrait être la distinction entre les divers types d’obligations. Une telle distinction se trouve déjà dans le régime du climat de sorte qu’il s’agira avant tout de la pousser plus loin. Ainsi, un schéma bien balancé de responsabilités distinguerait entre les obligations de réduction, les obligations d’atténuation, les obligations de soutien à l’atténuation et les obligations de soutien à la résilience. Le régime du climat serait tout particulièrement à revoir. Tous les États devraient assumer des obligations d’atténuation afin d’assurer que le passage vers une économie plus faible en émissions de GES pourra s’opérer. Cela nécessiterait des changements dans l’industrie et l’agriculture, dans l’urbanisme et les habitudes de vie. Des efforts de réduction ambitieux incomberaient à tous les grands pays émetteurs d’aujourd’hui[95], quel que soit leur niveau de développement et étant entendu qu’ils seraient identifiés tant à travers les émissions par État qu’à travers les émissions par habitant, selon une formule qui demeure à préciser. L’ampleur de la réduction subirait par ailleurs l’influence de deux autres facteurs : alors qu’une importante dette écologique requerrait des efforts supplémentaires, une grande vulnérabilité aurait des effets atténuants. Enfin, les États dont les capacités dépassent un certain seuil assumeraient deux responsabilités additionnelles à l’égard des États à faible capacité. D’abord, il leur incomberait de soutenir ces États dans leurs efforts d’atténuation, afin d’assurer qu’ils empruntent dès le départ la voie d’un développement à faibles émissions de GES. Puis, ils seraient tenus de contribuer au renforcement des capacités d’adaptation des États vulnérables pour améliorer leur résilience devant les changements qu’induit le réchauffement du climat.

Les facteurs qui entrent en ligne de compte dans la conception des obligations pourraient en outre être pondérés différemment selon qu’ils s’appliquent aux obligations de réduction, aux obligations d’atténuation, aux obligations de soutien à l’atténuation ou aux obligations de soutien à la résilience. Ainsi, les capacités des États pourraient peser davantage dans la balance lorsqu’il s’agit de déterminer les obligations de soutien, tandis que les contributions historiques joueront surtout au moment de déterminer les obligations de réduction. Le défi consistera alors à assurer que le régime sera gérable.

Quel que soit le degré d’affinement privilégié, le meilleur moyen pour relever ce défi consiste à prévoir une certaine classification des États. En effet, tandis que la bipartition — économique — de la société internationale est réductrice de la réalité, l’individualisation des engagements semble irréaliste. Il serait peut-être possible d’individualiser les obligations, à l’instar des contributions aux Nations Unies, qui sont fonction de la capacité de payer de chacun des États, si les engagements se fondaient exclusivement sur des considérations financières et consistaient uniquement en des obligations financières[96]. La classification des États paraît par contre inévitable dès lors que d’autres types de considérations et d’engagements sont envisagés. Par conséquent, malgré les difficultés inhérentes à la stratégie de classification[97], il semble préférable d’établir une matrice au moyen des différents aspects d’équité et d’y classer les États les regroupant dans un certain nombre de catégories. Chaque catégorie correspondrait ensuite à un ensemble précis et gradué d’obligations, de manière à concilier nuance équitable et gestion pratique.

La classification des États serait préférablement appuyée sur des critères objectifs[98]. Elle gagnerait ainsi en objectivité, objectivité à laquelle elle ne pourrait prétendre si elle était négociée sur la base de perceptions. La dichotomie « pays développés — pays en développement » disparaîtrait de la pratique de la différenciation[99], tout comme on peut espérer que les résistances qui s’y rattachent disparaîtront à leur tour. Les différents aspects d’équité, soit la contribution à la dégradation, passée et actuelle, par État et par habitant, les capacités et la vulnérabilité, devront ainsi être transformés en facteurs mesurables et contrôlables. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la difficulté d’élaborer de tels critères. Si le régime de l’ozone a emprunté la voie de l’objectivité dans la classification des États et pourrait donc être présenté comme un exemple à suivre, il faut souligner que l’appauvrissement de la couche d’ozone est beaucoup moins complexe que le problème multifactoriel du changement climatique. Il était donc relativement plus facile de se mettre d’accord sur des critères objectifs à considérer et sur leur pondération. L’irruption des perceptions subjectives dans les négociations climatiques, par contre, semble inévitable[100]. L’exemple très parcellaire de l’année de référence peut illustrer des difficultés de négociation auxquelles il faut s’attendre. Si la dette écologique devait entrer en ligne de compte, serait-il pertinent de déterminer une année de référence ? Si oui, laquelle ? Ou faudrait-il s’en passer en considérant que la réduction ne devrait pas cimenter des avances historiques de certains États privilégiés ? Ces questions révèlent que ce sont les pays en développement qui seraient les bénéficiaires principaux d’une approche par critères objectifs. Ils en sont aussi les plus grands partisans[101]. Pour le moment, le régime du climat ne semble pas avoir la maturité nécessaire pour intégrer cette démarche objective, et il serait, par conséquent, opportun de prévoir des objectifs d’étape. À cet égard, Lavanya Rajamani souligne avec lucidité que des engagements volontaires, qui ne reposent pas sur des critères collectivement convenus, mais sur des choix individuels des États, pourraient s’avérer une solution provisoire appropriée[102].

Pour résister à l’écoulement du temps, le régime devrait organiser de manière efficace la mobilité intercatégorielle des États parties[103]. S’il était fondé sur des critères objectifs, le passage d’une catégorie à l’autre s’opérerait plus facilement, comme le montre l’exemple du régime de l’ozone. Contrairement au régime du climat, où seul le Kazakhstan, de sa propre initiative, s’est joint aux États avec des obligations de réduction en vertu de l’annexe B du Protocole de Kyoto[104], le régime de l’ozone se démarque par son extraordinaire capacité de rester en phase avec l’évolution économique des États grâce aux nombreuses classifications et reclassifications qui ont été effectuées depuis la première conférence des Parties[105]. Par conséquent, le nouvel accord en matière de climat devrait inclure un mécanisme de révision automatique et à intervalles réguliers. En particulier, des changements des capacités — à la baisse ou à la hausse — ainsi que le dépassement d’un certain seuil d’émissions de GES devraient se solder par un reclassement de l’État afin d’adapter ses obligations. Il faut alors se poser la question de savoir si le consentement de l’État visé par le reclassement est requis au cas par cas. Il pourrait être difficile à obtenir, si la charge de l’État devait s’alourdir. Toutefois, certains États pourraient rejeter le régime, en vertu duquel leurs obligations pourraient s’alourdir ultérieurement contre leur gré, compromettant potentiellement son efficacité. Étant donné ce risque, le consentement au cas par cas semble préférable[106].

Conclusion

Nous sommes entièrement d’accord avec le constat de Jutta Brunnée, à savoir que le concept des responsabilités communes mais différenciées n’est que le germe d’un cadre qui organiserait le partage des charges environnementales globales et que le consensus sur les justifications et les méthodes de la répartition des charges associées à l’atténuation et à l’adaptation reste à bâtir[107]. En effet, les discussions dans les négociations sur l’avenir de la lutte contre les changements climatiques le montrent bien : au-delà du consensus de base selon lequel l’environnement est la responsabilité de tous les États alors que tous ne sont pas convoqués aux mêmes obligations, les divisions sont multiples et variées. Par conséquent, bien que ce consensus de base soit essentiel et à juger à sa juste valeur, le travail ardu de conciliation ne fait que commencer[108]. Étant cruciale pour assurer une large participation et des engagements ambitieux, l’équité devra être au coeur de la démarche, même si elle est au centre du blocage des travaux. L’équité est, on l’aura compris, une question de perspective[109]. Un regard commun sur les problèmes environnementaux globaux s’avère une prémisse de toute entente sur les justifications de la différenciation et les méthodes de répartition des charges.

À cet égard, l’initiative des États-Unis, qui consiste à s’entourer des principales économies au sein du Major Economies Forum[110] avec l’objectif de prendre la tête dans la gouvernance climatique, soulève des interrogations importantes. Évidemment, la réunion de ce groupe restreint d’États puissants qui, en outre, émettent plus de 80 p. 100 des GES, pourrait être porteuse d’une nouvelle impulsion pour relancer les négociations climatiques[111]. Toutefois, si ces rencontres finissent par supplanter les négociations sous les auspices des Nations Unies et balisées par la Convention-cadre, il est à craindre que ni les considérations d’équité, ni les besoins de la large majorité des États pauvres exclus du cercle sélect, ni l’environnement ne pèseront lourd dans les ententes qui en résulteront. Or, si l’objectif est un effort véritablement efficace quant à la protection de l’environnement global, une solution de rechange à une démarche qui cherche une répartition équitable des charges ne semble pas exister. Bien que toute négociation aussi complexe que celle sur l’avenir du régime climatique requière une bonne dose de pragmatisme, celui-ci ne doit pas être le prétexte pour maintenir des injustices contreproductives. Le constat de l’« unavoidability of justice », auquel arrivait déjà Henry Shue en 1992[112], demeure ainsi actuel.