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Le principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD) est-il voué à n’avoir qu’un rôle incantatoire en droit international de l’environnement et du développement ou, inversement, est-il possible d’en identifier dès à présent une application pratique, notamment dans le cadre des mécanismes de contrôle du respect des conventions de protection de l’environnement ? La réponse apportée à cette question contribue à l’appréciation plus générale de la juridicité du PRCMD et à la suite de son hypothétique mise en oeuvre pratique.

Le PRCMD est au mieux un principe émergent du droit international de l’environnement. Il a été formalisé par le Principe 7 de la Déclaration de Rio de 1992[1]. Il prescrit la production d’obligations internationales asymétriques en fonction du rôle historique et des capacités actuelles de chaque État à la protection de l’environnement[2].

La différenciation des obligations internationales prônée par le PRCMD peut évidemment paraître en contradiction avec l’égalité souveraine des États. Or, celle-ci constitue aujourd’hui encore un dogme des relations internationales. Dans ces conditions paradoxales, chaque trace de mise en oeuvre du PRCMD est digne d’attentions particulières. Tel est l’objet de la présente étude : la recherche et l’analyse de la rencontre entre le PRCMD et le contrôle du non-respect.

En outre, les indices collectés ici au sujet du PRCMD sont liés non pas à une simple affirmation solennelle de ce principe, mais bien au cadre de ce qui pourrait être l’une de ses applications d’espèce, à savoir la mise en oeuvre des mécanismes de contrôle du non-respect des obligations conventionnelles. Ainsi, avant d’exposer plus en détail ces mécanismes, l’intérêt spécifique de l’étude doit être souligné. Ses enseignements peuvent permettre de connaître l’opérabilité pratique du PRCMD. Ces indices sont fort instructifs même si des matérialisations du PRCMD pourraient être identifiées ailleurs.

Dans le cadre du droit international de l’environnement, plus précisément de ses conventions-cadres et de ses accords environnementaux multilatéraux, ont été progressivement développées des structures institutionnelles qui, sans être des organisations internationales stricto sensu, comportent un ensemble d’organes chargés de faire fonctionner et appliquer les dispositions conventionnelles. C’est le cas, par exemple, de la Conférence des Parties et du secrétariat.

Pour la question cruciale de l’application et du respect des obligations conventionnelles, des dispositions spéciales ont été prévues. Elles définissent des obligations procédurales de monitoring et de reporting réguliers des pratiques étatiques ainsi que des mécanismes de contrôle du respect présentées comme des « follow-up machineries ». Les premières ne sont pas considérées ici pour pleinement se consacrer aux secondes. Plus précisément, ce sont les mécanismes de contrôle du respect des obligations des accords environnementaux multilatéraux (AEM) qui retiennent l’attention.

Les mécanismes de contrôle du respect ou du non-respect des obligations résultent, pour chaque cadre conventionnel, de l’adoption d’un instrument juridique spécifique. Souvent prévu par la convention, cet instrument, au nom variable et au langage diplomatique soigné, est adopté, tel du droit dérivé, par la Conférence des États Parties à la convention.

D’un point de vue organique, le contrôle du non-respect est habituellement confié à un comité spécialement institué par l’instrument. Il comporte une dizaine de membres, personnes physiques proposées ou nommées par les Parties, individuellement ou collégialement. Ces membres exercent leur fonction sur la base d’une indépendance de plus en plus affirmée.

D’un point de vue procédural, divers types de saisines du comité existent et doivent être mentionnés. Il peut être saisi à la demande d’un État Partie qui argue qu’une autre Partie, un État incriminé, est en situation de non-respect. Le schéma contentieux est apparemment classique. Reste qu’il y a fort peu de pratiques de ce type. Craignant sans doute d’avoir à subir des actions contre eux en retour, les États n’introduisent quasiment pas d’actions à propos de la situation de leur pairs. Le comité peut aussi être saisi à la demande du secrétariat de l’AEM. C’est le cas le plus courant en pratique qui ne va pas sans rappeler l’action en manquement du droit de l’Union européenne. Le troisième type de saisines possibles est bien plus original. Il permet à un État Partie de saisir le comité pour l’examen de sa propre situation. Cette procédure est relativement pratiquée sur la base des avantages que cet État peut tirer du constat de non-respect, une assistance technique et financière notamment. Enfin, tout aussi original en regard du caractère interétatique dominant des instances internationales, une action peut parfois être introduite par une ou plusieurs personnes privées, citoyens ou associations intéressés, pour faire constater le non-respect d’un État Partie. C’est une possibilité assez rare permise, par exemple, dans le cadre de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement adoptée en 1998[3].

Saisi, le comité du respect (compliance committee) procède par un examen juridique classique. Il vérifie la conformité d’un comportement ou d’une pratique étatique avec une norme de référence. Cette dernière est définie par les obligations conventionnelles. Il statue sur le non-respect de l’une quelconque des obligations conventionnelles, terme diplomatiquement préféré à celui de violation des obligations.

Les mécanismes de contrôle du respect ainsi brossés semblent proches des procédures contentieuses et juridictionnelles classiques. Toutefois, ces mécanismes s’en distinguent aussi à maints égards. Ainsi, les instruments ont usage de qualifier ces mécanismes de contrôle du respect de « non-contentieux » et de « non-confrontationnels ». Ils sont définis sans préjudice des mécanismes classiques de règlement des différends.

L’originalité de ces mécanismes de contrôle du respect est à rechercher dans le présupposé qui en promeut la création. Il s’agit de la pleine satisfaction de l’objectif conventionnel indépendamment des intérêts nationaux qui guident habituellement les rapports interétatiques. Dans une très large mesure, ces mécanismes intègrent les préconisations d’une théorie anglo-saxonne des relations internationales dérivée de celle des régimes internationaux : la theory of compliance.

La théorie de la compliance est principalement promue par les écrits d’Abram Chayes et d’Antonia Handler Chayes[4]. Leur point de départ est une critique du système international de réaction décentralisée à la violation d’une obligation. Ce système serait imparfait et largement inadapté aux enjeux réellement communs, tels la protection de l’environnement et les droits de l’homme. En lieu et place de cela, des mécanismes collégiaux de contrôle des engagements conventionnels et de réaction au non-respect peuvent garantir un meilleur respect des obligations. Les mesures de réaction au non-respect doivent être définies à la lumière des causes du non-respect. Parmi ces causes, le manque de capacité financière et technique prime largement la volonté de violation.

Le comité du respect inscrit ses activités de contrôle du respect des obligations dans la droite ligne de ces préconisations. Il propose à la Conférence des Parties les mesures de réaction les plus adaptées à la situation de l’État en fonction des raisons du non-respect et des capacités de cet État. Schématiquement, au lieu de stigmatiser et de sanctionner le non-respect d’un État se trouvant dans une situation économique telle qu’il ne peut pas réaliser ses obligations, le comité recherche les moyens lui permettant de les satisfaire en l’aidant financièrement ou techniquement par exemple. Les mesures ne sont pas seulement positives. Un large éventail de réactions est possible, y compris de strictes sanctions, ainsi que leur panachage.

À la lumière de ces rappels généraux[5], la question centrale examinée ici est celle visant à identifier, à quantifier et à qualifier la résonance du PRCMD dans les activités des mécanismes de contrôle du non-respect des obligations des AEM.

De façon intuitive, on peut être porté à penser que la rencontre entre PRCMD et contrôle du non-respect a lieu, qu’elle a nécessairement lieu. La philosophie d’aide, d’assistance et d’équité ainsi que le vocabulaire commun lié à la prise en compte des difficultés des plus faibles et aux besoins de développement constituent des indices forts. La conviction est très vite emportée : PRCMD et contrôle du non-respect se rencontrent nécessairement.

Même largement partagée, l’intuition n’a toutefois pas valeur de vérité. Surtout, le pres-sentiment bute très vite et très durement sur l’analyse juridique. L’immersion dans les profondeurs des mécanismes de contrôle du respect des obligations des AEM n’est pas la pêche miraculeuse du encore fort mystérieux PRCMD. En effet, la référence au PRCMD dans les instruments de contrôle du non-respect est paradoxale (1) et son application demeure hypothétique dans le contrôle du non-respect (2).

1 Une référence paradoxale au PRCMD dans les instruments de contrôle du non-respect

Une analyse des instruments de contrôle du non-respect des obligations conventionnelles des AEM toute orientée vers la recherche de références au PRCMD apporte des enseignements qui peuvent paraître surprenants. Alors même que le visa du PRCMD est par nature inadapté à ces instruments de contrôle (1.1), de telles références peuvent paradoxalement être identifiées dans certains instruments (1.2).

1.1 Un visa inadapté aux instruments de contrôle

Le visa du PRCMD n’a pas lieu d’être dans les instruments de contrôle du non-respect des obligations conventionnelles. En effet, il s’agit d’un principe de production d’obligations différenciées (1.1.1) qui ne peut être qu’écarté des instruments de contrôle de l’application des obligations (1.1.2).

1.1.1 Un principe de production d’obligations différenciées

Une ligne directrice stucture fortement l’analyse. Il s’agit d’identifier et de garder à l’esprit la fonction juridique du PRCMD.

Le PRCMD a pour fonction l’énonciation normative ; sa finalité est la production d’obligations différenciées. Il est ainsi fort justement qualifié de « principe législatif » de « différenciation des obligations » ou d’« obligations […] à géométrie variable » ou encore de « technique juridique » productrice d’« asymétrie conventionnelle[6] ».

Le PRCMD est ainsi l’une des techniques, l’un des outils des diplomates et des négociateurs internationaux pour définir, énoncer et produire des normes particulières qui s’analysent dans la plupart des cas comme des obligations primaires au sens de Herbert Hart. Ces obligations sont des prescriptions de comportement qui intègrent des responsabilités historiques et politiques différentes en matière ici de protection de l’environnement, ainsi que des différences actuelles quant aux capacités de chacun de satisfaire des obligations environnementales substantielles.

Inversement, le PRCMD n’est pas un principe servant l’application, l’effectivité ou plus largement le respect des obligations juridiques, même s’il est possible de postuler que des obligations différenciées seront somme toute plus aisées à respecter parce qu’elles sont davantage adaptées à la situation de leurs destinataires.

Ainsi, c’est au stade de l’élaboration des obligations conventionnelles que le PRCMD a vocation à jouer et non pas au stade de leur application et des moyens à mettre en oeuvre pour s’assurer de leur respect. Preuve peut par exemple en être trouvée dans les directives du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur le respect et l’application des accords multilatéraux sur l’environnement[7]. Le PRCMD n’est cité qu’une seule fois et c’est alors seulement en tant que facteur de nature à « faciliter une participation large et efficace des États aux négociations[8] ».

Le PRCMD est assurément un principe de production de normes. Il s’avère très largement et fort logiquement absent de la lettre des mécanismes de contrôle des obligations des AEM.

1.1.2 Un principe écarté des instruments de contrôle

Les résultats d’une lecture attentive des instruments et des procédures de contrôle du respect des obligations conventionnelles des AEM animée par la recherche du PRCMD ou de ses manifestations sont décevants. À titre principal, le PRCMD est absent des instruments de contrôle des obligations adoptés par la Conférence des Parties contractantes aux AEM.

Ainsi, pas de traces, par exemple, du PRCMD dans le modèle historique de procédure de non-respect qu’est la procédure du Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone[9]. Le PRCMD n’est cité ni dans la version initiale de l’instrument, ni dans son document annexe constituant la Liste indicative des mesures qui pourraient être prises par une réunion des Parties en ce qui concerne le non-respect des dispositions du Protocole[10]. Ils ont été tous deux adoptés à Copenhague en novembre 1992 sur la base d’un projet finalisé antérieurement à la Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement (CNUED) de 1992 et l’énoncé du PRCMD au principe 7 de la Déclaration de Rio. Mais le PRCMD n’est pas plus cité dans leur version actualisée au Caire en novembre 1998. Pourtant, le Protocole de Montréal est souvent analysé comme un exemple de prise en compte du PRCMD du fait de son très long article 5 relatif à la « [s]ituation particulière des pays en développement[11] ». Fruit d’un amendement de la deuxième Réunion des Parties à Londres en juin 1990, le paragraphe 7 dudit article 5 est encore plus significatif en prévoyant une modulation dans le temps pour ces pays en développement des obligations liées au mécanisme de non-respect. Toutefois, hors ce report, lorsque la procédure s’applique auxdits pays, elle s’applique sans altération, sans différenciation au nom d’un PRCMD textuellement écarté.

Les exemples d’instruments pour lesquels le PRCMD a été ignoré peuvent être multipliés. Le PNUE ne fait mention du PRCMD qu’une seule fois[12] dans son analyse des mécanismes d’une vingtaine des principaux AEM[13]. Silence quant au PRCMD est ainsi gardé par le mécanisme établi provisoirement en 2001 puis définitivement en 2004 dans le cadre de la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière signée en 1991 à Espoo[14]. Il n’y a pas non plus de référence au PRCMD dans l’instrument rénové en 2012 de la Convention alpine[15]. L’argument selon lequel une telle référence serait inopportune pour un traité liant seulement des États européens n’est sans doute pas dénué de tout fondement. Il perd toutefois de sa force en constatant que les instruments d’autres accords conclus sous les auspices de la Commission économique pour l’Europe du Conseil économique et social des Nations Unies et réunissant des pays du continent européen en situation économique faible ou en transition ne comportent pas davantage de référence au PRCMD. Tel est le cas de l’instrument de non-respect adopté à Genève en 2006 et rénové en 2012 par les Parties à la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance[16] de 1979 et ses huit protocoles.

Les premiers éléments de cette analyse laissent à penser que, le PRCMD étant par nature un principe de production d’obligations, il est écarté de la lettre des instruments de contrôle du respect des obligations des AEM. Juste, ce constat ne doit toutefois pas être doté d’une portée surdimensionnée. En effet, nonobstant la fonction normative du PRCMD, des références à ce dernier peuvent être trouvées dans les instruments relatifs à l’application des obligations conventionnelles (1.2).

1.2 Des références identifiables dans les instruments de contrôle

Contrairement aux déductions qui pourraient être hâtivement faites de la fonction de production normative du PRCMD, des références à ce dernier existent dans les instruments relatifs au contrôle du respect. Reste toutefois qu’une telle référence explicite est exceptionnelle, voire unique (1.2.1). En dehors de ce cas, il n’est possible d’identifier des références au PRCMD dans ces instruments qu’à la condition importante d’en rechercher des formes fort implicites (1.2.2).

1.2.1 Une exceptionnelle référence explicite : l’observance du Protocole de Kyoto

Une référence explicite au PRCMD existe dans un instrument de contrôle du non-respect. Elle est exceptionnelle. À ce titre, cette référence est évidemment à rechercher dans le cadre conventionnel généralement analysé comme l’exception internationale qui incorpore le PRCMD[17]. Il en va ainsi dans le cadre conventionnel de lutte contre les changements climatiques, plus précisément dans l’instrument lié au Protocole de Kyoto[18].

À la suite de l’article 3 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques[19] et de l’article 10 du Protocole de Kyoto, le mécanisme du contrôle du respect du protocole, connu sous le nom de « mécanisme d’observance », fait expressément mention du PRCMD dans son instrument intitulé Procédures et mécanismes relatifs au respect des dispositions du Protocole de Kyoto[20].

Deux mentions du PRCMD sont faites par l’instrument d’observance du Protocole de Kyoto. La première se trouve au paragraphe 4 de l’article IV :

La Chambre de la facilitation est chargée de donner des conseils et d’apporter une aide aux Parties aux fins de l’application du Protocole et de promouvoir le respect, par les Parties, des engagements qu’elles ont pris en vertu du Protocole, compte tenu du principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives des Parties, énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. La Chambre tient compte également des circonstances qui entourent les questions dont elle est saisie[21].

La seconde référence est à l’article XIV relatif aux Mesures consécutives appliquées par la Chambre de la facilitation, qui indique que « [l]a Chambre de la facilitation, tenant compte du principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, décide de l’application d’une ou de plusieurs des mesures consécutives suivantes[22] ». Suivent quatre alinéas visant classiquement la dispense de conseils, l’octroi d’aide, l’assistance financière et technique, y compris le transfert de technologie et le renforcement des capacités.

Plusieurs réflexions et enseignements peuvent naître de l’identification de cette référence explicite et exceptionnelle au PRCMD dans un instrument de contrôle du respect. Premièrement, une telle référence est possible dans ces instruments. Deuxièmement, lorsqu’il est fait mention du PRCMD, il n’est pas question de lui conférer un champ d’application illimité. Au contraire, la référence au PRCMD dans le cadre du mécanisme d’observance est limitée aux compétences attribuées à la Chambre de facilitation qui n’est que l’une des deux chambres de l’observance. Ces attributions et ces pouvoirs semblant plus diplomatiques et moins juridictionnels que ceux de la Chambre d’exécution, il est loisible de s’interroger sur la juridicité du PRCMD. Troisièmement, lorsqu’il est visé par un instrument de contrôle, le PRCMD doit essentiellement jouer au stade de la définition des mesures de réaction au non-respect dans l’esprit de sa fonction de production d’obligations différenciées. Quatrièmement, la référence explicite au PRCMD n’est pas accompagnée de dispositions précises quant à sa mise en oeuvre. Il n’est fait mention que de classiques conseils, aides et de assistances. À la lumière de ce champ lexical, il est possible de mener une relecture des instruments de contrôle du non-respect pour peut-être identifier des références implicites au PRCMD.

1.2.2 De possibles références implicites dans les instruments de contrôle

Sans être en contradiction avec les éléments précédents, une recherche de références implicites au PRCMD dans les instruments de contrôle du non-respect n’est pas nécessairement stérile. Il importe toutefois de convenir des critères de ce type de référence. Il ne peut s’agir de visa du PRCMD, mais de mentions de son champ lexical fortes de considérations pour les pays en voie de développement et les pays à économie en transition. Envisagées de la sorte, ces mentions peuvent ne plus être l’expression du PRCMD mais seulement d’un traitement différencié. Cette question reste pour l’heure ouverte en renvoyant à d’autres développements sur le risque inhérent d’un gauchissement et d’une dénaturation du PRCMD[23].

Considérées par renvoi au champ lexical de l’assistance au pays en voie de développement, les références implicites au PRCMD peuvent paraître assez régulières dans les instruments de contrôle. Loin de toute exhaustivité, plusieurs exemples en témoignent.

Une triple référence à l’économie générale du PRCMD peut être trouvée dans l’instrument de contrôle du non-respect de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination adoptée le 22 mars 1989[24]. L’article 2 définit la nature du mécanisme en énonçant que « [t]out en accordant une attention particulière aux besoins des pays en développement et des pays à économie en transition, il vise à promouvoir la coopération entre toutes les Parties[25] ». Selon l’article 19, « le Comité peut fournir à une Partie, en coordination avec elle, des conseils, des recommandations non contraignantes et des renseignements concernant notamment […] b) La facilitation d’une assistance, en particulier aux pays en développement et aux pays à économie en transition, y compris pour l’accès à une aide technique et financière, notamment en matière de transfert de technologie et de création de capacités[26] ». L’article 21 donne encore comme mission générale au Comité d’examiner des questions générales telles que « [l]a fourniture d’une assistance technique et financière, en particulier aux pays en développement, y compris sous forme de transfert de technologie et de création de capacités[27] ».

Moins expressif est le texte de la Procédure visant le respect des dispositions adopté dans le cadre du Protocole sur l’eau et la santé[28] relatif à la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontalières et des lacs internationaux[29] faite à Helsinki le 17 mars 1992. Le paragraphe 3 de son titre premier indique seulement que « [l]a procédure est appliquée en gardant à l’esprit les intérêts de la Partie confrontée à des difficultés, des Parties dans leur ensemble et des populations qui risquent de pâtir ou qui pâtissent effectivement du non-respect[30] ».

Un autre exemple est donné par le cadre de la Convention sur la diversité biologique de 1992 dont le préambule est l’occasion de noter « les conditions particulières des pays les moins avancés et des petits États insulaires[31] ». À la suite, son Protocole de Cartagèna de 2000 sur la prévention des risques biotechnologiques indique en préambule tenir « compte du fait que de nombreux pays, notamment les pays en développement, disposent de moyens limités pour faire face à la nature et à l’importance des risques, connus et potentiels, que présentent les organismes vivants modifiés » et, de façon plus laconique, dans son article 34 relatif au respect des obligations que le mécanisme qui sera institué devra comporter « des dispositions visant à offrir des conseils ou une assistance, le cas échéant[32] ». Ainsi, ledit mécanisme institué en 2004 par les Procédures et mécanismes de respect des obligations au titre du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques fait plusieurs mentions, selon des formules proches, de l’« attention particulière aux besoins spéciaux des Parties qui sont des pays en développement, en particulier les moins avancés d’entre eux et les petits États insulaires, ainsi que des Parties à économie en transition » qui s’impose pour prendre « pleinement en considération les difficultés auxquelles ils font face dans la mise en oeuvre du Protocole[33] ». À suivre les voeux du PNUE, cette considération implicite du PRCMD pourrait devenir explicite pour le futur mécanisme du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation[34] relatif à la Convention sur la diversité biologique, protocole adopté en octobre 2010[35].

Le paragraphe 32 du Guide sur les procédures CITES pour le respect de la Convention adopté en 2007 et amendé en 2010 pourrait encore être cité en ce qu’il prévoit que, « [l]orsque le Comité permanent décide de prendre une ou plusieurs des mesures susmentionnées, il tient compte : a) de la capacité de la Partie concernée, en particulier les pays en développement, surtout les pays les moins développés, les petits États insulaires, et les pays à économie en transition[36] ». C’est aussi le cas des Procédures et mécanismes opérationnels visant à promouvoir l’application et à résoudre les problèmes de non-application[37], adoptés en 2011 à Bali dans le cadre du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Le texte mentionne l’objectif consistant à « prodiguer des conseils ou donner une assistance, y compris des avis ou une assistance juridique, s’il y a lieu et sur demande, en particulier aux pays en développement et aux pays en transition[38] » et appelle à une mise en oeuvre qui « tient compte notamment des besoins spéciaux des Parties contractantes qui sont des pays en développement et des Parties contractantes qui sont des pays en transition[39] ». Deux derniers exemples méritent davantage d’attention. Le premier n’est qu’un projet d’instrument encore en discussion entre les Parties à la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants qui vise dans son préambule « la situation et des besoins particuliers des pays en développement, notamment les moins avancés parmi eux, et des pays à économie en transition[40] ». Principalement formalisé et amendé entre 2006 et 2009, le projet de Procédures et mécanismes de respect de la Convention de Stockholm[41] comporte des références implicites identiques comme l’objectif d’assistance et de conseils (annexe, art. 1) et l’affirmation encore discutée que les « procédures applicables en cas de non-respect prennent en compte [tous les principes de la Convention ainsi que] les besoins particuliers des pays en développement et des pays à économie en transition qui sont Parties à la Convention, et les dispositions propres à la Convention, telles que les articles 12, 13 et 7[42] ». Plus originales, de pareilles considérations pourraient aussi transparaître dans la composition du comité « compte dûment tenu de la parité hommes-femmes [et d’un équilibre entre pays développés, pays en développement et pays à économie en transition][43] ». Une prise en compte organique, la seule, est aussi à l’étude pour le projet de mécanisme de non-respect de la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet d’un commerce international[44].

L’aspect le plus intéressant du projet de mécanisme de la Convention de Stockholm reste encore à exposer. Il est en effet prévu qu’« [a]u cas où un pays en développement se trouverait en situation de non-respect faute d’une assistance technique et financière, les alinéas c) à f) du paragraphe 27 ne s’appliqueront pas[45] ». Ces alinéas renvoient à des mesures de publicité du non-respect, mais aussi à la suspension de droits et de privilèges au titre de la Convention de Stockholm. À s’en tenir à cette lecture, il y aurait une stricte modulation des mesures de réaction sur le fondement du niveau de développement et ainsi implicitement du PRCMD. Sans doute fort intéressante, cette hypothèse de différenciation des mesures de réaction ne doit pas être surestimée tant ladite disposition 28 est encore maintenue entre crochets pour discussion et n’a été conservée dans le projet de mécanisme, selon une de ses notes de bas de page, qu’à la demande d’une seule délégation nationale.

Le dernier exemple intéressant examiné ici est celui du mécanisme de contrôle de la Convention pour la protection de la mer Méditerranée[46]. Adopté en 2008, il s’agit des Procédures et mécanismes de respect des obligations dans le cadre de la Convention de Barcelone et de ses Protocoles[47]. Selon les objectifs exprès du mécanisme, « compte tenu de la situation spécifique de chaque Partie contractante, en particulier de celle des pays en développement[48] »,

[l]e Comité peut prendre une ou plusieurs des mesures suivantes en vue de faciliter le respect des obligations et de régler les cas de non-respect en tenant compte de la capacité de la Partie concernée, en particulier s’il s’agit d’un pays en développement, ainsi que de facteurs tels que la cause, la nature, le degré et la fréquence du non-respect : a) fournir des conseils ou faciliter une assistance, s’il y a lieu ; b) inviter ou aider, selon le cas, la Partie concernée à établir un plan de respect des obligations[49].

De même, [la] Réunion des Parties contractantes peut, sur examen du rapport et de toutes recommandations du Comité, tenant compte de la capacité de la Partie concernée, en particulier s’il s’agit d’un pays en développement, ainsi que de facteurs tels que la cause, la nature et le degré du non-respect, décider de mesures appropriées pour obtenir un respect complet de la Convention et de ses Protocoles, telles que : a) aider à se conformer aux avis du Comité et faciliter une assistance à telle ou telle Partie, y compris au renforcement des capacités, le cas échéant[50].

Si les formules du Mécanisme de la Convention de Barcelone semblent classiques et claires, les comportements subséquents ne le sont apparemment pas. Ainsi, en juillet 2011, lors de la rédaction d’une brochure-guide de présentation des activités du Comité du respect, ses membres se sont interrogés sur le sens à donner aux mentions d’aide et d’assistance faites par l’instrument. À cet égard, l’un des membres du comité « considère que le Comité n’a pas et n’est pas habilité à fournir une assistance directe ; [un] autre estime que la référence à l’assistance devrait s’accompagner d’exemples ; un troisième propose une formulation alternative : “faciliter l’interprétation des dispositions de la Convention de Barcelone et de ses Protocoles”[51] ». Ce n’est finalement qu’après le rappel du Conseiller juridique du secrétariat, selon lequel les formules « fournir des conseils » et « faciliter une assistance » figurent mot pour mot à l’article 32 a) et que les écarter irait à l’encontre de la volonté des États Parties, que ces références n’ont pas été supprimées du projet de brochure-guide. Inversement, sur une question proche et toute aussi importante « [u]n membre, avec l’appui de deux autres, propose de ne pas faire référence, au paragraphe 2 comme dans le reste du document, aux différences entre pays en supprimant le membre de phrase “en particulier de celle des pays en développement”. La réunion approuve cette proposition[52]. » Cette amputation surprenante et somme toute critiquable de la référence à la situation des pays en voie de développement est par la suite tout aussi patente dans le programme de travail que se donne le Comité pour l’exercice biennal 2012-2013. Il prévoit simplement de « [d]onner des avis et le cas échéant, apporter une assistance aux Parties contractantes concernées en application du paragraphe 32, alinéas a) et b) des Procédures et mécanismes de respect des obligations[53] ».

Les enseignements de ces exemples sont nombreux. Premièrement, en ouvrant la recherche à des références implicites au PRCMD, plusieurs instruments peuvent être considérés. Deuxièmement, ces références prennent place au côté des principes généraux des mécanismes institués. Troisièmement, et sauf exception — Projet de mécanisme de la Convention de Stockholm (art. 28) —, les références ne prennent pas la forme de prescriptions précises pour une réaction différenciée aux cas de non-respect. Quatrièmement, et à la suite, l’interprétation de ces références implicites et imprécises peut conduire à ne donner aucun effet pratique à cette potentielle considération du PRCMD.

Ces dernières remarques invitent à dépasser le cadre textuel des instruments de contrôle du respect pour considérer leur mise en oeuvre pratique. À cet égard, l’application du PRCMD dans le contrôle du non-respect paraît largement hypothétique (2).

2 L’application hypothétique du PRCMD dans le contrôle du non-respect

L’identification de possibles références implicites au PRCMD, voire exceptionnellement explicites dans les instruments de contrôle du respect des AEM, alors même que ce principe n’a pas une fonction normative liée à la mise en oeuvre et à l’effectivité des obligations, conduit légitimement à formuler l’hypothèse d’une application d’espèce de ce principe lors de la pratique du contrôle du non-respect. Cette hypothèse s’avère d’autant moins dépourvue de tout fondement que l’application du PRCMD paraît nécessaire à ce contrôle (2.1). Toutefois, force est de constater que l’application singulière du PRCMD est au mieux partielle et ne va pas sans risquer de pervertir et de dénaturer le PRCMD (2.2).

2.1 Une application nécessaire

Certes importante, la lettre des instruments conventionnels doit être dépassée pour considérer la pratique du contrôle du non-respect. L’étude met alors en lumière que l’application du PRCMD paraît éminemment nécessaire au processus de contrôle. Plus précisément, il s’agit tant d’une double nécessité théorique (2.1.1) que d’un impératif en pratique (2.1.2).

2.1.1 Une double nécessité théorique

Deux perspectives d’analyse théorique postulent le recours au PRCMD dans la pratique du contrôle du non-respect. La théorie de la compliance prescrit cette application (2.1.1.1) de même que les fondements théoriques de la justice la commandent plus largement (2.1.1.2)

2.1.1.1 Une prescription de la théorie de la compliance

Les mécanismes de contrôle des obligations des AEM sont très largement l’expression des prescriptions de la théorie de la compliance[54]. Or, quelques éléments identifiés rapidement confirment la relation forte pouvant exister entre les prescriptions de cette théorie et celles du PRCMD.

Pour expliciter les raisons du non-respect et justifier la variété des réactions à celui-ci, notamment l’assistance, la théorie de la compliance met l’accent sur le manque de capacités de certains États de respecter pleinement leurs obligations, faiblesses techniques, économiques et financières principalement. Ainsi, en tenant compte de ces faiblesses étatiques, les comités de compliance, animés d’un esprit coopératif, définissent des réactions adaptées à ces situations. Sauf cas particuliers, il ne s’agit en principe pas d’une simple déclaration de non-respect à l’effet stigmatisant mais, dans un large éventail de mesures possibles, d’une sélection de mesures adéquates alliant assistance et éventuellement sanction, « de la carotte au bâton ».

Selon l’hypothèse de son application au contrôle du non-respect, le PRCMD prône que « [l]a situation et les besoins particuliers des pays en développement, en particulier des pays les moins avancés et des pays les plus vulnérables sur le plan de l’environnement, doivent se voir accorder une priorité spéciale[55] ». Cette prise en compte de la situation des pays plus faibles économiquement conduit encore à la mise en oeuvre d’un mécanisme de contrôle du respect des obligations des AEM où « [l]es États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial[56] ».

La commune attention à la situation particulière des États ainsi que l’appel réitéré à une coopération internationale forte conduisent ainsi à considérer qu’au stade du contrôle des obligations conventionnelles, la théorie de la compliance et le PRCMD semblent être les deux faces d’une même pièce. Leurs prescriptions sont immédiatement similaires. Ainsi, le PRCMD aurait nécessairement à être appliqué dans le cadre des procédures de compliance.

2.1.1.2 Un commandement des fondements théoriques de la justice

Sans qu’il soit possible dans le présent cadre d’étayer précisément ce point, deux principes au moins peuvent être considérés comme essentiels à l’examen juridictionnel auquel il est procédé par la justice. D’une part, il s’agit du principe de l’appréciation souveraine des faits de l’espèce par le juge qui conduit ce dernier à les connaître avec précision ainsi que le justiciable, son identité, son statut, ses antécédents et à qualifier ses comportements selon des facteurs endogènes (préméditation, par exemple) ou exogènes (force majeure, fait du tiers, par exemple). D’autre part, une justice d’équité requiert tout autant l’application du principe d’individualisation des peines selon lequel le juge prononce une décision adaptée à la situation du justiciable, eu égard aux intérêts collectifs et individuels protégés.

En juxtaposant leurs prescriptions, ces deux principes éminemment liés au fonctionnement de la justice apparaissent aussi comme ceux appelant l’application du PRCMD dans les mécanismes de contrôle du non-respect. Les uns et l’autre commandent la prise en compte de la situation de l’État en position de non-respect, la détermination de mesures personnalisées et éventuellement différentes — différenciées — de celles choisies dans un autre cas d’espèce pour un non-respect d’une obligation conventionnelle pourtant identique.

Certes, ce parallèle suppose de considérer les mécanismes de contrôle du respect des AEM comme des mécanismes juridictionnels, quasi-juridictionnels ou en voie d’institutionnalisation. Ce débat est vaste et ne peut prendre place ici[57]. Avec cette condition et sans encore apprécier la juste portée qui serait alors donnée au PRCMD, ces principes fondamentaux de l’appréciation souveraine des faits de l’espèce par le juge et de l’individualisation des peines peuvent être perçus comme l’expression de l’équité environnementale dans le mécanisme de contrôle. En identifiant de la sorte l’application de l’équité environnementale, fondement théorique du PRCMD, dans les mécanismes de contrôle du non-respect, c’est l’hypothèse de l’application du PRCMD dans ce processus de contrôle qui est aussi confortée.

Ainsi doublement nécessaire en théorie, l’application du PRCMD au mécanisme de contrôle du non-respect constitue aussi un impératif pratique.

2.1.2 Un impératif pratique continu

Le fonctionnement des mécanismes de contrôle du respect des AEM appelle une application continue du PRCMD. Il s’agit d’un impératif pratique fort nonobstant l’absence de tout visa de ce principe dans les rapports de contrôle et qui permet la bonne réalisation des deux phases essentielles du contrôle : d’une part, lors de l’examen de la situation d’espèce de chaque État (2.1.2.1) ; d’autre part, pour le choix des mesures de réaction au non-respect (2.1.2.2).

2.1.2.1 Lors de l’examen de la situation d’espèce

Même si les rapports des comités n’en soufflent mot, il peut sembler que ceux-ci sont nécessairement conduits à faire une certaine application du PRCMD lors de l’examen de la situation d’espèce d’un État Partie. En effet, selon les formules indirectes qui ponctuent les instruments de non-respect, les comités tiennent inévitablement compte, c’est juridiquement leur mission, de la situation du pays en voie de développement, du pays à économie en transition, pour apprécier tant les raisons qui ont prévalu à son éventuel non-respect que sa capacité à justifier sa situation au comité. L’analyse d’espèces en témoigne.

Premièrement, le plaidoyer de la Croatie en 2009 dans le cadre du mécanisme d’observance du Protocole de Kyoto atteste en creux cet impératif pratique qu’est une certaine application du PRCMD lors de l’examen de la situation d’espèce[58]. À l’occasion de l’examen d’un potentiel non-respect, la Croatie plaide pour l’application à son cas du PRCMD par la Chambre de l’exécution, alors même que l’instrument de l’observance ne se réfère au PRCMD que pour les offices de la Chambre de facilitation[59]. Certes, aucune réponse précise n’est apportée à cet argument de la Croatie, de même que la situation de non-respect dudit État est constatée. Pour autant, la Chambre de l’exécution, nonobstant le silence de l’instrument de l’observance, a nécessairement pris en compte la situation d’espèce de l’État, conformément au PRCMD, pour apprécier la situation de la Croatie. Quel comité de compliance pourrait en effet faire abstraction de la situation d’un État lors de l’examen de sa situation ?

Deuxièmement, la juxtaposition de deux décisions de non-respect adoptées par la dix-septième session de la Conférence des Parties du Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone s’inscrit dans la même perspective. L’une des décisions concerne l’Arménie qui relève des États visés à l’article 5 du Protocole de Montréal justifiant d’un traitement spécial, l’autre décision a trait à l’Azerbaïdjan qui ne relève pas de cette catégorie. La similitude du dispositif des deux décisions est frappante. L’analyse de la situation des deux États est tout autant circonstanciée de même que leurs capacités à respecter leurs obligations identiquement appréciées[60]. À la lumière de ces exemples, il est encore possible de nourrir l’hypothèse d’une application du PRCMD lors de la pratique du contrôle du non-respect, y compris dans des cadres conventionnels, comme celui du Protocole de Montréal, dont l’instrument de contrôle ne fait aucune référence à ce principe.

Une analyse de la situation des États qui ne serait pas différenciée est tout aussi impossible à concevoir dans la pratique des comités de compliance qu’un défaut équivalent pour le choix des mesures de réaction.

2.1.2.2 Pour le choix des mesures de réaction

Tout comité de compliance doit impérativement tenir compte de la situation des États pour le choix des mesures de réaction qu’il propose à la Conférence des Parties. Inversement, il serait purement et simplement inefficient de définir des mesures de réaction au non-respect indépendamment de la situation des États en cause, de la raison du non-respect et de leur capacité à réaliser ou à supporter les mesures de réaction. Les mesures de réaction sont en cela liées à la situation des États. Elles sont différenciées en fonction des diverses situations étatiques. Selon les cas, elles allient sanctions et assistance, suscitant pour cela des critiques parfois acides[61].

La différenciation des mesures de réaction n’est évidemment pas binaire. Elle suit davantage un continuum dicté par les situations d’espèce des États en non-respect. Ce défaut de dualité et l’absence évidente de visa du PRCMD lors de l’énonciation des mesures de réaction ne doivent pas pour autant condamner l’hypothèse d’une application pratique du PRCMD. En effet, ici plus qu’ailleurs, c’est la prise en compte de la situation de chaque État qui dicte le choix des mesures de réaction. L’action inaugurale de saisine du Comité de respect du Protocole de Montréal par la Russie est à cet égard riche d’enseignements.

En octobre 1994, la Fédération de Russie a, de sa propre initiative, activé le mécanisme de contrôle du respect du Protocole de Montréal. Sans nul doute, cette action était guidée par les bénéfices, notamment financiers, qui pouvaient en résulter[62]. L’argumentation de la Russie était fort subtile. Le Protocole de Montréal ne fait pas de cas du PRCMD, son article 5 définit seulement le traitement spécial à réserver aux pays en voie de développement qui ne comptent évidemment pas la Fédération de Russie. Pour bénéficier des avantages liés à ce traitement spécial, la Russie a invoqué le PRCMD comme règle nouvelle du droit international. Selon elle, le PRCMD, en faisant régulièrement référence aux pays en développement et aussi aux pays à économie en transition, justifiait une interprétation extensive des États visés par l’article 5 du Protocole de Montréal. Il s’agissait de convaincre que l’article 5 visait aussi, avec l’avènement du PRCMD, les pays à économie en transition, catégorie dont la Russie se réclamait.

La thèse russe n’a évidemment pas été accueillie par le Comité qui ne fait pas non plus mention du PRCMD. Toutefois, le choix des mesures de réaction au non-respect n’est pas anodin. Ainsi, la Conférence des Parties décide d’« autoriser la Fédération de Russie, afin de tenir compte des difficultés économiques et sociales des pays à économie en transition, à exporter des substances réglementées par le Protocole de Montréal destinées à des Parties visées à l’article 2 du Protocole membres de la Communauté des États indépendants[63] ». La mention des « difficultés économiques et sociales des pays à économie en transition » est importante. Elle témoigne que, même en l’absence de référence au PRCMD, ses prescriptions peuvent être obligatoirement présentes lors du choix des mesures de réaction au non-respect.

Ainsi, nécessaire en théorie, impérative en pratique, l’application du PRCMD lors de la pratique du contrôle du non-respect pourrait être une hypothèse susceptible d’être étayée. Toutefois, cette hypothèse est fortement mise à mal lorsqu’est considérée la portée donnée en pratique à cette hypothétique application du PRCMD. Au mieux, l’application du PRCMD n’est que Partielle (2.2).

2.2 Une application partielle

Même telle qu’envisagée avec bienveillance ici, l’hypothèse d’une application du PRCMD dans le processus de contrôle du respect des AEM ne peut dissimuler le caractère singulier qui serait alors donné audit principe. En effet, l’application hypothétique du PRCMD ne serait qu’une application partielle. Ce constat renforce les doutes légitimes qui perdurent quant aux prescriptions normatives du PRCMD et quant à sa valeur juridique en droit international. Si elle existe, l’application du PRCMD dans les mécanismes de contrôle du non-respect ne serait qu’une application a minima comportant seulement une prise en compte de l’équité intra-générationnelle (2.2.1). Le rejet de l’équité inter-générationnelle conduit à penser que les pratiques de contrôle du non-respect ne satisfont pas au PRCMD ou imposent son profond gauchissement, une dénaturation du PRCMD (2.2.2).

2.2.1 Une prise en compte de l’équité intragénérationnelle : le PRCMD a minima ?

L’ensemble des éléments évoqués jusqu’ici étaie clairement un constat : le fonctionnement des mécanismes de contrôle du non-respect des obligations des AEM prend en compte l’équité intra-générationnelle.

Que ce soit dans la lettre des traités ou dans celle des instruments instituant les mécanismes de contrôle du respect des obligations des AEM, que ce soit aussi sur la base de la théorie de la compliance ou des principes fondamentaux de la justice, que ce soit enfin au titre de considérations pratiques d’examen de la situation d’espèce ou de définition des réactions adéquates au non-respect, il s’avère que, toujours, nécessairement, impérativement, le processus de contrôle du non-respect prend en compte la situation particulière de l’État — pays développé, pays en voie de développement, pays à économie en transition — pour examiner les causes du non-respect et, à la suite, déterminer les réactions à ce dernier.

Ainsi, il y a une différenciation ratione personae des réactions au non-respect. Cette différenciation peut être analysée comme l’expression de l’équité intra-générationnelle, celle qui suppose de considérer différemment les États selon leur situation actuelle et leur capacité actuelle à satisfaire aux obligations environnementales.

Certes, cette différenciation peut être vue comme une expression du PRCMD. La prise en compte de la situation des pays est importante. Il relève de l’équité environnementale — fondement du PRCMD — de prendre en compte la situation et les capacités particulières de chaque État pour déterminer la réaction adaptée à un cas de non-respect. Toutefois, si elle est nécessaire, cette différenciation n’est pas suffisante à la stricte application du PRCMD. Tout au plus faudrait-il convenir d’une application partielle, d’une application a minima du PRCMD. En effet, le PRCMD est aussi fondé sur l’équité inter-générationnelle dont il n’a pas été ici soufflé mot. Ce silence conduit à penser que le principe appliqué n’est pas le PRCMD, mais une simple forme de traitement différencié.

2.2.2 Un rejet de l’équité intergénérationnelle : une dénaturation du PRCMD !

La mise en abyme du constat précédent relatif à l’équité intra-générationnelle s’impose fortement quand il s’agit de considérer l’équité inter-générationnelle. Le constat est diamétralement opposé.

Que ce soit dans la lettre des traités ou dans celle des instruments définissant les mécanismes de contrôle des obligations, que ce soit aussi sur la base de la théorie de la compliance ou des principes fondamentaux de la justice, que ce soit enfin au titre de considérations pratiques d’examen de la situation d’espèce ou de définition des réactions adéquates au non-respect, il est indéniable que, jamais, à aucun titre, le processus de contrôle du non-respect ne considère le poids historique d’un État dans la dégradation de l’environnement général ou à propos de tel ou tel enjeu environnemental pour examiner les causes du non-respect et, à la suite, pour déterminer les réactions à ce dernier.

Ainsi, il n’existe pas de différenciation des réactions au non-respect fondées sur les rôles ratione temporis. Cette absence de différenciation constitue un rejet de l’équité inter-générationnelle, celle qui suppose de considérer différemment les États selon leur contribution historique à la dégradation de l’environnement général, ou encore la « diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial » selon la formule précise du Principe 7 de la Déclaration de Rio qui énonce le PRCMD.

Or, le PRCMD comporte tout à la fois les dimensions intra-générationnelle et inter-générationnelle de l’équité environnementale. Cela le distingue par exemple des prescriptions de la théorie de la compliance qui, somme toute, n’intègre qu’une perspective intra-générationnelle de différenciation des mesures de réaction au non-respect fondée sur les situations actuelles des États.

Le poids de cette remarque est important. Si elle s’avère fondée, les mécanismes de contrôle du non-respect ne constituent pas un cadre de mise en oeuvre du PRCMD. Cette conclusion s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de ce qui a été établi quant à la fonction normative du PRCMD, une fonction de production de normes différenciées et non de leur application. Cette conclusion s’impose encore à l’aune de l’absence de référence expresse au PRCMD dans les rapports des comités de compliance, de son absence expressis verbis dans leur instruments conventionnels. L’exception de la Chambre de facilitation du mécanisme d’observance du Protocole de Kyoto doit rester circonscrite en l’absence de toute illustration pratique convaincante.

Conclusion

« De deux choses l’une » : telle est en définitive la formule triviale qui s’impose. Soit le PRCMD est largement découvert dans la pratique de contrôle du non-respect et c’est au prix d’un gauchissement dudit principe qui le dénature profondément. Soit, et cette proposition emporte notre conviction, aucune application pratique du PRCMD ne peut être découverte dans le contrôle du non-respect, comme d’ailleurs le justifient la fonction première de ce principe et sans doute la volonté majoritaire des États qui négocient et adoptent les instruments conventionnels.

Ce constat est sans doute décevant pour qui apprécie les solutions tranchées. Toutefois, ce n’est qu’un constat de circonstances à un moment où le PRCMD pénètre depuis peu l’ordre juridique interétatique structuré par le présupposé strictement antagoniste de l’égalité souveraine. À cet égard, le temps ne peut qu’apporter des réponses plus claires.

En outre, c’est la nature même du PRCMD que de ne pas apporter de solution tranchée et de préférer au contraire, comme on peut l’espérer pour ses applications futures, tout un éventail de nuances pondérées, variant selon les personnes et leurs rôles historiques.

La conviction finale est ainsi teintée de déception logique et d’espoirs possibles. La déception naît de l’impossibilité de découvrir aujourd’hui une application pratique du PRCMD dans la pratique des mécanismes de contrôle du non-respect. Indépendamment de l’aspect théorique, cette conclusion pourrait avoir l’effet pratique de décourager certains États, notamment ceux en voie de développement, de participer aux entreprises internationales de protection de l’environnement. Pour quelques États, la prise en compte des pratiques du passé et des capacités actuelles de chacun peut en effet légitimement être une condition sine qua non de leur participation. A posteriori, une conclusion différente paraît impossible en ayant à l’esprit la jeunesse du PRCMD et sa fonction normative.

La déception logique ne doit toutefois pas annihiler tout espoir. Si en tant que tel le PRCMD est absent stricto sensu des mécanismes de contrôle du respect, son esprit peut fort logiquement et largement y souffler. Sa proximité avec la théorie de la compliance l’explique facilement. Sur cette base, divers espoirs peuvent naître. En premier lieu, l’existence de mécanismes de compliance à la philosophie proche de celle du PRCMD peut laisser espérer que les États pour qui ce principe est important ne se formalisent pas de son absence dans les mécanismes de non-respect. En second lieu, l’interpénétration entre mécanismes de compliance et PRCMD parfois invoqué mais non appliqué dans ces cadres peut potentiellement conduire à une prise en compte plus fine de la situation passée et future de chaque État lors de l’examen du respect des obligations. La dualité qui est aujourd’hui parfois admise quant au niveau étatique de développement pourrait ainsi céder au profit d’une échelle plus détaillée des responsabilités de chacun. Cette dernière reste à inventer et, avec elle, les moyens de dépasser le filtre des États et de leur égalité formelle. La consécration de responsabilités communes mais différenciées pourrait ainsi aller de pair avec la prise en considération des rôles historiques et des capacités actuelles, non des États, mais des consommateurs dans la dégradation de l’environnement.