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À la Conférence de Rio sur le développement durable (Conférence de Rio + 20), tenue à Rio Janeiro, du 20 au 22 juin 2012, la Commission mondiale du développement durable (CMDD) a été remplacée par un « forum politique [gouvernemental] de haut niveau [pour suivre l’application du] développement durable[1] », et le poids et la présence du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont été renforcés. La création d’une Organisation internationale de l’environnement a été complètement écartée, dès l’annonce de l’ordre du jour de cette conférence. Ce projet institutionnel, soutenu dès 1970 par différents partisans, proposait la création d’une « agence internationale de l’environnement comme une première étape vers la création d’une autorité internationale de l’environnement[2] ».

Laurent David Levien suggérait alors la mise en place d’une organisation internationale de l’environnement selon le modèle de la pratique de l’Organisation internationale du travail (OIT), datant de 1919[3]. Près de trois décennies plus tard, devant le Congrès de l’Union mondiale de la nature (UICN), en novembre 1998, Jacques Chirac mettait en exergue la nécessité d’établir, sur le plan mondial, « un centre impartial et incontestable d’évaluation de notre environnement ». Il invitait le PNUE à « fédérer les secrétariats, actuellement dispersés, des grandes conventions, pour créer progressivement une autorité mondiale, s’appuyant sur une convention générale qui doterait le monde d’une doctrine homogène[4] ». Depuis, cette idée a été défendue par la France, qui a, selon les époques, réussi à attirer dans son sillage certains États, dont de nombreux pays africains[5]. En décembre 2000, le Conseil européen des ministres de l’environnement suggérait également la création d’une telle organisation[6].

En l’absence de négociations internationales formelles sur cette question, il est difficile d’analyser les positions officielles des États à ce sujet. Il est néanmoins possible d’affirmer que la création d’une telle organisation internationale n’obtient pas le soutien des États-Unis, ni celui de la plupart des pays développés qui ne souhaitent pas avoir les mains liées dans le domaine environnemental qu’ils considèrent comme relevant de leur compétence nationale exclusive. Pourtant, plusieurs États et de nombreux auteurs soutiennent non seulement qu’une réforme importante de la gouvernance internationale de l’environnement aurait été indispensable à la Conférence de Rio + 20, mais que la meilleure manière de pallier les lacunes de celle-ci aurait été de créer une organisation internationale de l’environnement[7].

En convoquant la Conférence de Rio + 20, qui avait pour thème l’économie verte et le cadre institutionnel du développement durable, l’Assemblée générale des Nations Unies voulait « susciter un engagement politique renouvelé en faveur du développement durable » et « évaluer les progrès réalisés et les lacunes restant à combler au niveau de la mise en oeuvre des textes issus des grands sommets relatifs au développement durable[8] ». Bien que, au cours des dernières années, la gouvernance internationale de l’environnement ait reçu une plus grande attention dans la littérature, le domaine d’études politiques de cette question n’est pas nouveau, mais les études juridiques qui en traitent se font plus rares. Notre propos a pour objet de comprendre l’évolution qu’a connue cette question et de réfléchir aux perspectives d’avenir à son sujet, considérant que l’ONU est elle-même traversée par des mutations continues. La gouvernance internationale de l’environnement est-elle appropriée, si l’on tient compte de la nécessité de coordonner les nombreux accords environnementaux existants, pour renforcer les capacités des pays en développement (PED), pour payer les surcoûts de la mise en oeuvre de ces accords, et assurer une légitimité et une autorité aux institutions qui participent à cette gouvernance (1) ? La déclaration diplomatique finale de la Conférence de Rio + 20, intitulée L’avenir que nous voulons[9], contient-elle des engagements politiques susceptibles d’insuffler des améliorations notables à la gouvernance internationale de l’environnement (2) ?

1 Les piliers de la gouvernance internationale de l’environnement

James Gustave Speth, ancien doyen de la Yale School of Environmental Studies, fondateur du World Resources Institute (WRI) et directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), concluait en 2004 que, « malgré la négociation de centaines de traités, les efforts en vue de protéger l’environnement ont largement échoué si l’on considère que les tendances à la détérioration de l’environnement n’ont pas été empêchées et que le droit international de l’environnement ne sera pas en mesure de nous amener là où nous voulons, à temps pour parer une ère de déclin de l’environnement[10] ».

Tout comme M. Speth, nous constatons que malgré certains succès importants du droit international de l’environnement, tels que ceux qui ont été obtenus grâce au Protocole de Montréal sur les substances appauvrissant la couche d’ozone[11] ou à la Convention pour la conservation et la protection des phoques à fourrure du Pacifique Nord[12], l’aggravation des problèmes environnementaux empêche d’être trop optimistes devant les perspectives du droit international de l’environnement. Le récent rapport GEO5, « L’avenir de l’environnement mondial[13] » ne fournit-il pas des preuves tangibles des défaillances de ce droit lorsqu’il souligne, sur la base de données chiffrées, que l’environnement a continué à s’éroder depuis la publication de l’Évaluation des écosystèmes du Millénaire[14] et la parution du rapport « Lavenir de l’environnement mondial », GEO4[15], en 2007 ? Devant ces constats inquiétants, la tentation est grande de considérer la création d’une organisation internationale de l’environnement comme une solution à privilégier pour dissiper les craintes et renforcer l’autorité des accords, en favoriser la mise en oeuvre et rétablir l’équilibre entre les normes environnementales et commerciales. Toutefois, si l’on regarde de plus près, la création d’une telle organisation pourrait-elle véritablement pallier les déficiences qui sont à l’origine de ces constats ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord repérer les points d’ancrage de la gouvernance internationale de l’environnement, en retracer l’émergence et l’évolution pour en évaluer les forces et les faiblesses, puis analyser, les impacts potentiels des réformes institutionnelles dessinées, en 2012, à la Conférence de Rio + 20.

1.1 L’évolution de la gouvernance internationale de l’environnement

Les efforts en vue de réformer l’architecture de la gouvernance internationale de l’environnement ne datent pas d’hier. Depuis les années 60, les discussions sur les possibilités de réforme et la création de nouvelles institutions ont teinté les grands sommets onusiens ayant eu pour thèmes l’environnement et le développement durable. De la Conférence de Stockholm de 1972 à la Conférence de Rio + 20 de 2012, en passant par le Sommet de la Terre de Rio de 1992 et le Sommet mondial de 2002 sur le développement durable de Johannesburg, chacune de ces rencontres diplomatiques a connu des débats animés sur la question.

Il est indéniable que les questions environnementales sont arrivées trop tardivement à l’ordre du jour politique pour être prises en considération dans la Charte des Nations Unies[16]. L’ONU, exerçant un leadership incontestable en matière d’environnement et pouvant créer de nouvelles institutions grâce aux pouvoirs que lui accorde l’article 57 de sa charte constitutive, n’a donné naissance à aucune agence spécialisée en cette matière. Les « agences spécialisées » de l’ONU sont des institutions intergouvernementales, soit des personnes morales de droit international public, à vocation universelle, de caractère technique et dont l’objet est d’assister les États et les autres personnes morales qui en sont membres, dans le domaine particulier qui leur est assigné par leur acte constitutif[17]. Bien qu’elles soient liées à l’ONU, elles n’y sont pas subordonnées. Elles bénéficient plutôt d’une autonomie relative, chacune représentant une entité juridique propre et autonome. Le Conseil économique et social (ECOSOC) peut leur adresser des recommandations, suivant l’article 63 de la Charte, et ces institutions peuvent être créatrices de droit, mais d’un droit dérivé de leur acte constitutif[18] et qui est ainsi subordonné à l’ordre juridique international général[19].

En lieu et place de la création d’une agence spécialisée de l’ONU ou d’une organisation internationale de l’environnement indépendante de celle-ci, le PNUE a vu le jour, étant mis en place par l’Assemblée générale des Nations Unies, en 1972, à la suite de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm[20]. L’Assemblée générale se déclarait alors consciente de la « nécessité d’élaborer d’urgence, dans le cadre des organisations des Nations Unies, des arrangements institutionnels permanents pour la protection et l’amélioration de l’environnement[21] ». Organe subsidiaire de l’Assemblée générale, le PNUE est contrôlé et financé par cette dernière. Son rôle consiste à favoriser l’action d’autres institutions en matière d’environnement, en donnant une orientation aux programmes de protection de l’environnement des institutions et des agences de l’ONU.

Par conséquent, la gouvernance internationale de l’environnement repose sur le PNUE, ainsi que sur d’autres institutions, telles que le nouveau Forum politique intergouvernemental de haut niveau sur le développement durable (FPHN), qui a été mis sur pied en 2012 à Rio pour remplacer la CMDD, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et les multiples institutions créées par les centaines d’accords multilatéraux sur l’environnement (AME), notamment les conférences des parties (CdP), les réunions des parties (RdP), ainsi que les secrétariats et les organes scientifiques qui les accompagnent dans l’exercice de leurs fonctions. Des organisations régionales, comme le Conseil de l’Europe et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), participent également à la gouvernance internationale de l’environnement en prenant des décisions dans ce domaine, de manière accessoire à leur mandat général, tout comme le font également près de 30 agences spécialisées de l’ONU, notamment la FAO, l’OMS, l’UNESCO, l’OMPI, l’AIEI et l’OMM.

En 1992, à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), baptisée « Sommet de la Terre », la proposition la plus importante de changement institutionnel est venue de Sir Geoffrey Palmer, premier ministre de la Nouvelle-Zélande, qui a défendu la création d’une organisation internationale de l’environnement. Faisant cette proposition en s’inspirant librement des mécanismes de l’OIT, il y voyait l’occasion d’une « restructuration bénéfique des institutions environnementales de la planète, qui limiterait les chevauchements existants[22] » entre les mandats des différentes institutions et programmes environnementaux. Ce jalon important de la diplomatie environnementale qu’a été le Sommet de la terre n’a toutefois pas donné lieu à un renforcement du PNUE qui aurait permis d’en faire le coeur d’une organisation internationale de l’environnement. Au lieu de procéder à sa création, les États ont plutôt appelé à un rôle accru et renforcé du PNUE et de son conseil d’administration, objectif formulé dans le document politique Action 21[23]. Ils ont également créé la Commission du développement durable (CDD)[24] pour assurer le suivi de la mise en oeuvre des accords conclus au Sommet de Rio et pour en rendre compte.

En juin 1997, l’Assemblée générale des Nations Unies s’est réunie en session extraordinaire pour évaluer les progrès réalisés depuis le Sommet de la Terre, notamment les actions accomplies pour relever les défis d’Action 21[25]. Au « Sommet de la Terre », l’idée de renforcer la gouvernance internationale de l’environnement en centralisant le système actuel sous un parapluie institutionnel, dont le PNUE constituerait le point central, a reçu un soutien important de quatre pays de quatre continents. Dans une déclaration concernant l’initiative mondiale sur le développement durable, le chancelier allemand, Helmut Kohl, le président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, le vice-président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, et le premier ministre de Singapour, Goh Chok Tong, ont proposé qu’à court terme, le PNUE soit réformé et renforcé et que, à moyen terme, une organisation internationale de l’environnement en tant qu’organisation « parapluie » soit créée sous l’égide de l’ONU, dont le PNUE serait un pilier majeur[26]. Cette déclaration n’a pas eu de suite concrète, mais elle a « incité les décideurs à reconnaître la nécessité de penser de façon plus systématique les faiblesses des institutions environnementales mondiales[27] ».

En 2002, le Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg n’a donné lieu à aucun changement institutionnel important, au vu des affirmations de nombreux observateurs qui s’attendaient à ce que la gouvernance internationale de l’environnement y soit examinée de plus près. Les États ont souligné le caractère fragmenté et évolutif de la gouvernance internationale de l’environnement et ont déclaré qu’il était primordial « de réexaminer les divers mécanismes périodiquement, de recenser les lacunes, de supprimer les fonctions redondantes et de continuer à ne ménager aucun effort pour que les volets économiques, sociaux et environnementaux des politiques de développement durable […] soient mis en oeuvre de manière plus intégrée, plus efficace et plus coordonnée[28] » en vue de relever les défis environnementaux du xxie siècle. La création d’une organisation internationale de l’environnement n’était toutefois pas à l’ordre du jour de ce sommet mondial. Dans les faits, seules la France et l’Allemagne y avaient pris des positions officielles en faveur de sa création[29].

Les discussions concernant la nécessité d’une réforme de la gouvernance internationale de l’environnement se sont intensifiées à la suite du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg, sur le fond des recommandations du Groupe intergouvernemental des ministres (GMI) ou de leurs représentants mis en place à la 21e session du conseil d’administration du PNUE/FMME, qui s’est tenue en février 2001. Le mandat du GMI, qui consistait à réaliser une évaluation politique exhaustive des faiblesses institutionnelles existantes et à déterminer les besoins et les solutions de rechange en matière de renforcement de la gouvernance internationale de l’environnement, a mené à la présentation d’un rapport à la 7e session extraordinaire du conseil d’administration du PNUE/FMME, à Cartagena, en 2002. Ce rapport a souligné la nécessité que le PNUE joue un rôle plus proéminent dans le soutien du renforcement des capacités et de la formation dans les pays, dans la coordination nationale de la composante environnementale du développement durable, ainsi que dans la gouvernance environnementale régionale et l’amélioration de la coordination, de la mise en oeuvre, du renforcement des capacités et du transfert des technologies, en coopération avec les organisations régionales et sous-régionales[30].

1.2 L’état actuel de la gouvernance internationale de l’environnement

La compréhension des forces et des faiblesses de la gouvernance internationale de l’environnement est un préalable nécessaire à la formulation d’une vision claire du rôle futur des institutions internationales de l’environnement. Certes, les définitions de la gouvernance varient, mais elles convergent généralement en reconnaissant qu’il s’agit de l’« ensemble des processus par lesquels des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en oeuvre et contrôlées[31] ». La définition qu’en donne la Commission sur la gouvernance globale va dans le même sens lorsqu’elle la définit comme « un processus continu à travers lequel les intérêts conflictuels peuvent être réglés et la coopération peut être développée. Ce processus comprend la constitution d’institutions formelles et de régimes capables de renforcer les allégeances ; il comprend aussi des accords informels que les peuples et les institutions font ou envisagent de faire dans la protection de leurs intérêts[32]. » Dans une allocution qu’il prononçait à la Conférence de Rio + 5, en 1997, James Gustave Speth affirmait d’ailleurs que :

La gouvernance mondiale n’est pas un gouvernement mondial, mais un ensemble de mécanismes d’orientation et de contrôle interagissant, tels que les acteurs étatiques et non-étatiques, les acteurs publics et privés, nationaux et multilatéraux. En tant que telle, la gouvernance mondiale est une réalité puissante et croissante. La gouvernance mondiale est ici et là pour rester, et devant tenir compte de la mondialisation économique et de l’environnement, la gouvernance mondiale se développera inévitablement. Les défis mondiaux et les besoins mondiaux – qu’ils soient économiques, environnementaux ou autres – exigent des solutions mondiales et une action mondiale. L’intégration économique et de l’environnement conduit à l’intégration politique. C’est la gouvernance mondiale[33].

Dans cette conception de la gouvernance mondiale, de nouveaux acteurs — individus, organisations non gouvernementales (ONG) et entreprises multinationales — ont un rôle à jouer. Leur participation colore la gouvernance mondiale dans la sphère environnementale, et le PNUE, dont la tâche consiste fondamentalement à améliorer le sort de l’environnement, reconnaît le caractère essentiel de ces acteurs :

[Les gouvernements], les organisations intergouvernementales et non-gouvernementales, les groupes principaux[34], le secteur privé et la société civile, individuellement ou collectivement, ont un rôle à jouer dans la gouvernance environnementale. Au niveau international, les accords multilatéraux sur l’environnement jouent un rôle de plus en plus important. Les organisations et autres institutions régionales fournissent des lieux de discussion pour le développement et la mise en oeuvre de politiques dans les régions. La communauté scientifique a un rôle spécifique à jouer afin de fournir une base pour une prise de décision informée et scientifiquement solide[35].

Malgré ses lacunes, la gouvernance internationale de l’environnement n’est pas complètement dysfonctionnelle. Le PNUE a, entre autres, connu un certain succès au fil des ans, en particulier en favorisant l’adoption de nouveaux AME, tels que la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone[36], la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[37] et la Convention sur la diversité biologique[38]. Au cours des dernières années, d’importants AME ont été négociés avec son concours, notamment sur la biosécurité[39], les polluants organiques persistants[40] et les produits chimiques[41]. Le PNUE abrite également les secrétariats de plusieurs conventions environnementales[42].

Le rôle du PNUE a néanmoins été critiqué à maintes reprises. Malgré des tentatives de réforme[43] datant d’avant la Conférence de Rio + 20, son travail de coordination des institutions spécialisées de l’ONU n’a pas eu tout le succès escompté. Souffrant, sur le plan légal, d’une absence d’autonomie par rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies, ce qui en diminue la marge de manoeuvre et les moyens, le PNUE n’exerce évidemment aucune autorité sur les États ou les organisations internationales avec lesquels il collabore. De nombreux États en ont également critiqué l’opacité[44] puisque son conseil d’administration, qui doit rendre compte à l’Assemblée générale des Nations Unies, était, jusqu’en 2012, composé de 58 membres élus par cette dernière selon le principe de la responsabilité régionale équitable[45]. Coopération et concurrence caractérisent les relations qu’ont entretenues le PNUE et la CDD, institutions visées par la mise en oeuvre du nouveau paradigme du développement durable[46].

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le PNUE et le FPHN, qui remplace depuis peu la CDD, ne sont pas les seuls organes qui participent à la gouvernance internationale de l’environnement. En effet, de nombreux régimes constitués de conventions environnementales et des institutions qu’elles ont créées ont été adoptés et sont des sphères de décision centrales dans les relations internationales en matière d’environnement. Ces nombreuses conventions environnementales, qui sont des conférences diplomatiques dont la plupart n’ont pas la personnalité juridique internationale, n’en sont pas moins d’importants lieux de coopération et de gouvernance[47], et même si leur souplesse présente certains avantages, leur action, sectorielle et dispersée, entraîne des problèmes de différents ordres, décrits ainsi par le directeur exécutif du PNUE, en 2001 :

L’accroissement de la complexité et du morcellement croissants de la gouvernance internationale en matière d’environnement tient en partie à l’augmentation du nombre des acteurs, tant gouvernementaux que non gouvernementaux, dans le domaine de l’environnement. En outre, la prolifération des organes des Nations Unies et d’autres organismes internationaux qui s’occupent de questions d’environnement ne fait qu’ajouter à cette complexité[48].

La multiplication des institutions, des problèmes et des accords relatifs à l’environnement met les systèmes actuels et notre aptitude à les gérer à rude épreuve. L’accroissement continuel du nombre des organes internationaux compétents en matière d’environnement comporte le risque d’une réduction de la participation des États du fait que leurs capacités sont limitées alors que la charge de travail augmente, et rend nécessaire l’instauration ou le renforcement de synergies entre tous ces organes. Appuyées mollement et oeuvrant en ordre dispersé, ces institutions sont moins efficaces qu’elles ne pourraient l’être, tandis que les ponctions sur leurs ressources continuent d’augmenter. La prolifération des exigences internationales a imposé des contraintes particulièrement lourdes aux pays en développement, qui, souvent, ne disposent pas des moyens nécessaires pour participer efficacement à l’élaboration et à l’application des politiques internationales en matière d’environnement[49].

Dans son discours d’ouverture, le président du Sommet de la Terre + 5 de 1997, Razali Ismail, résumait également les principales faiblesses de la gouvernance internationale de l’environnement en ces quelques mots : « Le fait que la Déclaration de Rio se soit traduite en principes juridiques et en droit international dans les conventions, constitue également une réalisation notable. Mais, le résultat d’ensemble reste insuffisant à cause de la lenteur de l’examen des questions, de l’exécution irrégulière des accords et de la faible aptitude à en imposer le respect et à faire en sorte que les avantages soient équitables pour tous[50]. »

Plusieurs considèrent que le caractère décentralisé et fragmenté de la gouvernance internationale de l’environnement, la faiblesse de ses institutions et les chevauchements inévitables entre leurs attributions, nuisent à la cohérence et à l’efficacité de la coopération internationale dans le domaine de l’environnement, ce qui ne favorise pas l’intégration des considérations liées à l’environnement et au développement durable dans les différentes compétences de l’ONU et dans le droit international en général. Les faiblesses de la gouvernance internationale de l’environnement, maintes fois commentées, sont de divers ordres : incohérence interne, moyens insuffisants, faible autorité, défaut d’universalisme, renforcement limité des capacités, incohérence externe[51].

La gouvernance internationale de l’environnement est actuellement dispersée, ce qui en diminue la cohérence interne, et constitue une source de confusion pour les experts, tout en étant incompréhensible du grand public. En effet, la majorité des observateurs estime que la gouvernance internationale de l’environnement n’est pas optimale et la nécessité de la coordination entre les AME et leurs institutions revient souvent dans la doctrine et le discours des politiciens[52].

De plus, un budget limité entraîne une capacité d’action limitée des institutions et des programmes environnementaux existants. Une autre lacune de la gouvernance internationale de l’environnement sur le plan mondial tient à la faible autorité de ses institutions, ce qui ne favorise pas le contrôle de l’application des textes[53]. Les institutions conventionnelles mises en place sont souvent trop faibles pour résoudre les problèmes environnementaux qui leur sont soumis.

Le manque d’universalisme du PNUE[54] et la multiplication des régimes environnementaux causent, selon plusieurs auteurs, une dilution et un affaiblissement des contributions de toutes sortes au renforcement des capacités des PED[55]. Le besoin de consolider le budget des institutions environnementales et l’impératif d’augmenter la contribution au renforcement des capacités des PED reviennent souvent dans la littérature. De plus, depuis la parution du rapport Brundtland[56] et la négociation multilatérale de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement[57] :

[La] problématique de l’environnement a été redéfinie en termes de développement durable […] dont la traduction politique est aujourd’hui centrée autour des objectifs du Millénaire. Cette redéfinition a pour conséquence d’orienter l’action publique vers la lutte contre la pauvreté et les dimensions locales (plus que globales) et socioéconomiques (plus que scientifiques) de la protection de l’environnement. Selon le G77, le débat sur la [gouvernance internationale de l’environnement] devrait, en fait, être un débat sur la gouvernance internationale du développement durable[58].

Le besoin d’une meilleure représentation des enjeux environnementaux à l’échelle internationale est mise en exergue par nombre d’auteurs. La cohérence externe a pour objet une meilleure interface entre l’environnement et d’autres régimes comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (commerce et l’environnement), l’OMS (santé et environnement), l’OIT (environnement de travail) ou la FAO (agriculture et environnement). La nécessité d’une meilleure intégration de l’environnement à l’ONU et en droit international revient fréquemment dans les écrits, car elle est indispensable au projet de développement durable[59]. Dans un plaidoyer intitulé « GATTing the Greens », Daniel C. Esty, auteur expérimenté dans les négociations environnementales et aussi dans celles du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), proposait d’ailleurs la mise en place d’une nouvelle organisation internationale de l’environnement, sur le modèle du GATT, pour mieux résoudre les conflits du commerce et de l’environnement, estimant que même une écologisation des règles commerciales ne suffirait pas[60].

Les lacunes de la gouvernance internationale de l’environnement, liées au déficit de la coordination entre les conventions environnementales elles-mêmes, au manque et à la dispersion des ressources, aux lacunes en matière de renforcement des capacités des PED, au manque d’autorité et de contrôle relativement à l’application des normes environnementales internationales et à la faible cohérence externe seront-elles endiguées par les réformes institutionnelles adoptées dans le sillage de la Conférence de Rio + 20 ? Cette question fera l’objet de la prochaine partie de notre texte.

2 Les possibilités de réforme de la gouvernance internationale de l’environnement et les décisions prises à la Conférence de Rio + 20 : quelles perspectives d’avenir pour la gouvernance internationale de l’environnement ?

Quelles sont les possibilités de réforme de la gouvernance internationale de l’environnement ? Quels ont été les choix effectués à la Conférence de Rio + 20 ? Permettront-ils d’aller « là où nous voulons » en matière de protection de l’environnement et, partant, de développement durable ?

2.1 Les possibilités de réforme

Les réformes pouvant être apportées aux institutions qui prennent part à la gouvernance internationale de l’environnement sont protéiformes. Elles peuvent se décliner selon un spectre qui va du regroupement (clustering) des conventions environnementales à la création d’une organisation internationale de l’environnement plus ou moins centralisée, en passant par le renforcement du PNUE et la création d’une cour mondiale de l’environnement.

2.1.1 Le regroupement ou (clustering) des conventions environnementales

Dans la Déclaration finale de la Conférence de Rio + 20, la deuxième partie portant sur le cadre institutionnel du développement durable met en relief la nécessité d’« accroître la cohérence et la coordination à l’échelle du système des Nations Unies », de « promouvoir les synergies » et d’« éliminer les chevauchements inutiles[61] ». Le manque de coordination a été ciblé comme un problème important bien avant 2012 et avait conduit le PNUE lui-même à mettre en place un ensemble de mesures pour assurer une plus grande cohérence et harmonie entre les conventions environnementales et leurs institutions respectives. Un large éventail de mesures a ainsi été mis en oeuvre pour améliorer la coopération entre ces institutions, le PNUE appelant au renforcement de leur coordination, dans le respect de l’autonomie décisionnelle des CdP[62]. La coordination se fait notamment par la conclusion de mémorandums d’accords, lesquels reçoivent l’aval des CdP, et formalisent davantage les formes de collaboration existantes entre conventions. Certains de ces mémorandums existent aussi entre des conventions et des ONG, comme en témoigne notamment le mémorandum existant entre la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) et l’ONG TRAFFIC[63].

D’autres propositions de stratégies et de mesures institutionnelles ont été faites, en 2001, pour améliorer la gouvernance internationale de l’environnement dans le contexte de la prolifération des AME. À ce titre, on trouve notamment le tenue de réunions sur une base régulière entre les organes scientifiques de certainss AME et l’harmonisation des rapports nationaux produits conformément aux mécanismes conventionnels de communication des données (reporting). Le regroupement des conventions, sous la forme de clusterings, devrait se faire à trois niveaux : sectoriel, par exemple entres conventions pertinentes relativement à la conservation de la biodiversité ou aux produits chimiques ; fonctionnelle, comme dans le cas des questions liées au commerce et enfin, régionale, pour tenir compte notamment du renforcement des capacités, des mesures de non-conformité et des sanctions ainsi que du regroupement des ressources[64].

De nouvelles initiatives ont récemment vu le jour pour tenter de mieux coordonner et regrouper le travail de certaines institutions conventionnelles[65], notamment de celles qui existent dans le secteur des produits chimiques et des déchets. La tenue subséquente, au même endroit, des sessions des différentes CdP des conventions pertinentes en est un bon exemple[66].

2.1.2 La création d’une cour mondiale de l’environnement

Il existe une telle variété de conventions environnementales que l’on n’assiste pas à un manque de textes, mais bien plutôt à une certaine « crise de la mise en oeuvre » des textes juridiques adoptés aux différentes conférences onusiennes sur l’environnement et le développement durable, particulièrement ceux qui ont été adoptés à la Conférence de Rio en 1992, crise que l’on attribue largement à l’inefficacité des institutions internationales dans le domaine de l’environnement.

Il est parfois suggéré qu’il serait bénéfique d’avoir un système de règlement des différends, comme celui de l’OMC, pour les régimes environnementaux. Quelques raisons nous portent à croire que ce modèle ne serait pas souhaitable pour une organisation internationale de l’environnement. En premier lieu, le système de l’OMC repose sur le règlement des différends plutôt que sur la vérification de la conformité des États avec les AME auxquels ils ont adhéré. Le modèle de l’OMC, qui prévoit que le règlement des différends se fait par un arbitrage interne, n’est pas utilisé dans les AME. Il l’est toutefois par l’ONU dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM)[67] qui a son propre tribunal international, mais qui se préoccupe de questions dépassant largement la protection de l’environnement marin.

De plus, la force de l’OMC repose sur la possibilité d’imposer des sanctions commerciales en cas de non-respect puisqu’il s’agit d’un système dans lequel la réciprocité est une valeur centrale. Cela n’est toutefois pas approprié pour des régimes environnementaux fixant des objectifs que les États doivent respecter en adoptant et en faisant respecter des lois nationales. Pour les régimes environnementaux, les processus de vérification de la conformité que prévoient les accords semblent être plus appropriés[68]. En effet, en droit international de l’environnement, les États sont réticents à mettre en oeuvre les mécanismes de responsabilité ou d’autres mécanismes classiques de mise en oeuvre du droit international que sont les contre-mesures ou la suspension de l’application d’un traité[69], moyens qui ne sont pas prévus dans les conventions environnementales, et qui ne sont guère appropriées dans le contexte de conventions dont l’objectif est le bien collectif et l’intérêt commun à la protection de l’environnement. En effet, ces moyens sont « trop lourds, souvent aléatoires, et leur utilisation est politiquement dommageable[70] », notamment parce que les activités sur le territoire d’un État, qui entraînent des dommages transfrontaliers, sont souvent conduites en toute légalité, mais aussi parce que certains pays ont des moyens limités pour respecter les dispositions des traités et pour contrôler l’activité économique sur leur territoire. C’est pourquoi les États ont mis au point, au fil du temps, des mécanismes de conformité ou de « non-respect » des dispositions conventionnelles, lesquels sont sophistiqués dans les traités plus modernes. Ces mécanismes de non-respect ne sont pas aussi conflictuels que ceux qui existent au sein de l’OMC et ils peuvent également être directement liés à l’assistance technique, laquelle est largement absente de l’OMC. En droit international de l’environnement, les accords qui prévoient le règlement des différends offrent généralement un arbitrage ad hoc. Des accords prévoient en outre la possibilité de recours à la Cour internationale de justice, qui avait autrefois créé une chambre permanente de l’environnement, laquelle a finalement été abolie, faute d’avoir été utilisée. En 2001, la Cour permanente d’arbitrage a également établi un ensemble de règles pour l’arbitrage des différends relatifs aux ressources naturelles et à l’environnement[71].

2.1.3 La création d’une Organisation internationale de l’environnement

Les partisans de la création d’une organisation internationale de l’environnement soutiennent que plusieurs raisons militent en sa faveur. James Gustave Speth affirme que c’est précisément parce que nous avons besoin d’une plus grande harmonisation des mécanismes de gouvernance internationale de l’environnement que la création d’une organisation internationale de l’environnement doit être envisagée. Selon lui, la dégradation continue de l’environnement et le besoin croissant de traiter les questions d’environnement à l’échelle internationale expliquent la nécessité de créer une entité internationale capable de développer et d’assurer le suivi des accords internationaux sur l’environnement, ainsi que de promouvoir la protection de l’environnement et la coopération internationale dans ce domaine. La prolifération des obligations, des programmes et des exigences de surveillance résultant de l’augmentation du nombre d’accords et de conventions internationales sur l’environnement et la gestion des ressources, et le besoin qu’existe un partenaire efficace au niveau international pour travailler avec l’OMC et d’autres entités, suggèrent la nécessité d’une organisation internationale forte de l’environnement[72].

Pour sa part, Ken Conca a affirmé que la coordination de l’action environnementale des États n’était pas optimale et que, bien que les organisations environnementales aient apporté des modifications à leur façon de coordonner les efforts des États, elles avaient encore de la difficulté à dépasser l’autorité des États, dans la sphère environnementale, et à être suffisamment cohérentes entre elles pour arriver à peser assez fort dans les négociations[73]. Plusieurs partisans de la création d’une organisation internationale de l’environnement ont d’ailleurs, à la même époque, pris position dans le débat international sur « le commerce et l’environnement » qui était en plein essor en 1993, à l’aube de la création de l’OMC[74]. Il faut dire que tant les écologistes que les néolibéralistes considéraient que la faiblesse des mesures environnementales pouvait être un problème, les premiers estimant qu’elles n’étaient pas suffisamment fortes pour résister au GATT de 1994, qu’ils voyaient comme une menace pour les mesures environnementales, et les seconds pensant que de meilleures conventions environnementales pourraient stimuler l’utilisation d’instruments appropriés pour la protection de l’environnement plutôt que d’instruments inappropriés, tels que des mesures commerciales discriminatoires[75].

Daniel C. Esty , de son côté, souligne que trois principaux défis environnementaux se posent à la communauté des États : l’interdépendance des problèmes écologiques que seule une action commune peut endiguer ; la mondialisation économique qui met en concurrence les États au détriment de leurs politiques environnementales ; l’engagement et les demandes de la société civile, nouvellement active en droit international. Affirmant que la résolution du conflit du commerce et de l’environnement nécessite non seulement une écologisation des règles commerciales, mais aussi une organisation plus forte de la gouvernance environnementale[76], il estime que la création d’une organisation internationale de l’environnement constitue une façon de répondre à ces défis et propose le GATT comme un bon modèle pour une institution de l’environnement. Selon cet auteur, une organisation environnementale représenterait une autorité centrale pouvant « discipliner » les resquilleurs (free-riders), servir de forum pour l’échange de données, d’informations et d’analyses politiques. Elle fournirait les mécanismes nécessaires pour coordonner les politiques et empêcher le nivellement par le bas[77].

En 1994 également, Ford Runge a suggéré l’établissement d’une organisation internationale de l’environnement pour donner une « voix » plus forte aux préoccupations environnementales[78]. Cette idée semble rejoindre celle de Jacques Chirac pour qui une telle organisation permettrait d’avoir une « doctrine environnementale homogène[79] ». Un observateur de longue date, Konrad von Moltke, constate qu’à aucun moment la structure de la gestion internationale de l’environnement n’a été revue dans le but de développer une « architecture optimale[80] ».

Quelle « architecture optimale » pourrait prendre cette gouvernance ?

Quelques rares auteurs ont cherché à développer plus systématiquement les différentes conceptions d’institutions qui pourraient être adoptées, en déclinant les avantages et les inconvénients de chacune, et en se penchant sur l’importance de l’empiètement qu’elles représenteraient sur la souveraineté nationale des États.

Ainsi, Frank Biermann a dépeint trois modèles d’organisation. Le premier est une « autorité » qui disposerait de « pouvoirs de contrainte » à l’égard des États contrevenants, à l’instar du Conseil de sécurité des Nations Unies, et qui aurait pour mission de protéger l’environnement comme bien commun[81]. Ses pouvoirs de contrainte pourraient être définis de plusieurs manières, tant en termes de force ou de formes que de circonstances dans lesquelles ceux-ci pourraient être exercés. Est-ce que seule la dérogation à des principes considérés comme fondamentaux en matière de protection de l’environnement, tels que ceux qui ont proposés par Narito Harada[82], conduirait à l’utilisation de ces pouvoirs de contrainte, ou leur application serait-elle étendue à la violation des termes de conventions conclues sous l’égide de cette nouvelle « autorité » ? Comme nous l’avons mentionné précédemment, en droit international de l’environnement, les États sont réticents à mettre en oeuvre des mécanismes de responsabilité ou d’autres mécanismes classiques, ainsi que le permettrait la première forme d’organisation proposée par Frank Biermann. Un tel projet, tout comme la création d’une cour mondiale de l’environnement ayant une juridiction contraignante, sont par conséquent utopiques dans l’état actuel des choses. En outre, ils nécessiteraient une modification de la Charte des Nations Unies, qui requiert une majorité des deux tiers des membres de l’ONU, y compris le vote positif de tous les membres du Conseil de sécurité[83]. Ces projets pourraient devenir de puissants instruments pour les PED, qui pourraient les utiliser contre les pays les plus pollueurs de la planète. En 1989, dans la Déclaration de La Haye, 43 pays appelaient de leurs voeux la création d’une telle autorité internationale pour protéger le climat. Parmi les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, il est symptomatique que seule la France ait défendu cette proposition[84].

Le deuxième modèle proposé est celui d’une organisation de « centralisation » dont le PNUE serait le coeur et qui réunirait les différents régimes environnementaux en une seule institution, à l’image de l’OMC[85]. Cette organisation reposerait sur un accord global constitutif qui en définirait les principes généraux et les règles de fonctionnement. Ces principes pourraient alors être ceux formulés dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992. Frank Biermann décrit ainsi cette possibilité :

Suivant les usages de l’OMC, les régimes couverts par cette [organisation internationale de l’environnement] pourraient être divisés en accords multilatéraux (appliqués à tous les membres) et accords plurilatéraux (négociés entre membres volontaires).

Les accords multilatéraux constitueraient alors le cadre juridique global de cette organisation et les conférences des parties existantes seraient transformées en sous-comités placés sous l’égide de la conférence ministérielle de [l’organisation internationale de l’environnement]. Cette centralisation institutionnelle permettrait à l’organisation internationale de l’environnement de mettre en place un système commun de suivi des différents accords multilatéraux d’environnement (AME), un organe commun de règlement des différends, etc. Une telle organisation permettrait des gains notables d’efficacité. Par exemple, les secrétariats parfois minuscules de certains [AME] seraient centralisés. De même, les négociations pourraient être regroupées géographiquement, [ce qui serait] une aubaine pour les [PED] qui n’ont pas toujours les moyens d’envoyer des diplomates suffisamment qualifiés à chacune des conférences environnementales. Un gain également pour les organisations non gouvernementales qui pourraient ainsi participer aux négociations à moindre coût.

Reste qu’une [organisation internationale de l’environnement] centralisée et puissante ne serait acceptable pour les pays industrialisés et en développement que si les procédures de prise de décision leur garantissaient un contrôle suffisant de l’issue des négociations et des évolutions futures de l’organisation[86].

Bien qu’elle soit séduisante, la création d’une telle organisation internationale de l’environnement centralisée est peu réaliste à court et à moyen terme, la structure des régimes environnementaux étant très différente des accords de l’OMC et la centralisation de tels accords étant difficile à réaliser, à rebours, sans nuances. Sandrine Maljean-Dubois met en garde contre une telle centralisation intempestive des institutions environnementales : « L’expérience déjà ancienne de l’OMI dans le domaine de la pollution des navires montre qu’une centralisation est possible, si elle est instituée dès le début. Mais il est bien plus difficile d’y travailler “après-coup”, ce qui implique de contrer tous les féodalismes locaux qui se sont constitués dans ce “royaume morcelé[87]. »

Enfin, la dernière solution étudiée par Frank Biermann est celle d’un « modèle coopératif », qui maintiendrait le régime décentralisé actuel, mais transformerait le PNUE en une véritable organisation internationale ayant une personnalité juridique, des moyens financiers et un personnel accru. Cette organisation serait une agence de coopération environnementale, et non de coordination, au même titre que d’autres institutions internationales comme la FAO ou l’Unesco, qui pourraient alors laisser le PNUE gérer leurs programmes environnementaux. L’évolution du PNUE en une agence spécialisée de l’ONU pourrait se faire sur le modèle de l’OMS ou de l’OIT, à savoir une organisation internationale indépendante ayant ses propres membres, ou bien selon celui de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), agence internationale créée par l’Assemblée générale des Nations Unies. Dans un rapport produit en 2001, le Conseil consultatif allemand sur le climat a préconisé que le PNUE soit transformé et devienne une organisation internationale de l’environnement, en tant qu’entité ou agence spécialisée du système de l’ONU[88]. Le Conseil consultatif allemand soulignait que cette étape ne suffirait peut-être pas à remédier aux déficits de la gouvernance environnementale internationale et il suggérait donc l’examen d’une autre proposition qui impliquerait l’intégration de divers accords environnementaux et de leurs CdP dans une convention-cadre commune instituant une organisation internationale de l’environnement. Sur la base et dans les limites de compétences que fixerait son acte constitutif, l’organisation ainsi créée pourrait adopter des instruments de droit dérivé qui feraient partie intégrante de l’ordre juridique international, à l’image des instruments qu’adoptent l’OMS, l’OMM ou l’OIT[89].

En effet, le droit dérivé des CdP n’est pas contraignant et ne lie généralement pas les États qui ont ratifié un traité. Les CdP aux AME ne peuvent pas être considérées comme des organisations internationales. Toutefois, elles produisent une grande quantité de décisions, qui tiennent une place incomparable dans la sphère du droit international de l’environnement. La production normative de ces organes interpelle toutefois plus d’un auteur : peut-on qualifier ces organes de « législateurs » du droit international de l’environnement comme certains l’ont affirmé[90] ? Il est vrai que le droit dérivé des traités environnementaux foisonne et que son existence ne peut laisser indifférent[91]. Quel est le rôle de ces CdP dans l’édification du droit de l’environnement ? Ce rôle est-il juridiquement distinct de celui que tiennent les organisations internationales dans les autres sphères du droit international[92] ?

À la différence d’une organisation internationale, désignée comme « toute organisation instituée par un traité ou par un autre instrument régi par le droit international et dotée d’une personnalité juridique internationale propre[93] », la CdP n’est pas un sujet de droit international. Bien qu’elle soit destinée à jouer le rôle de structure de coopération entre les États qui y participent, elle n’est pas une créature assujettie au respect de la règle Pacta sunt servanda. Dotée de la personnalité juridique, l’organisation internationale est, au contraire, assujettie à cette règle, laquelle lui impose de respecter les obligations auxquelles elle a souscrit en concluant des traités avec d’autres sujets, qu’il s’agisse d’États ou d’autres organisations internationales. Les règles communes que les États ont consenti à observer en constituant la CdP ne sont nullement comparables à celles d’une organisation internationale, et cette dernière peut voir sa responsabilité internationale engagée, du fait de l’attribution de la personnalité juridique, alors que la CdP ne le peut pas[94].

Le pouvoir normatif des CdP en fait-il des structures suffisantes pour imposer leurs décisions aux États parties aux AME ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord préciser que, contrairement aux résolutions du Conseil de sécurité, les décisions des CdP ne sont pas contraignantes pour les États parties aux AME, malgré la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui prévoit que l’expression du consentement à être lié peut prendre diverses formes, telles que la signature, la ratification ou « tout autre moyen convenu[95] ». Sauf de rares exceptions où le texte lui-même d’un traité confère un rôle contraignant aux décisions de la COP[96], comme c’est le cas, par exemple, avec les adaptations prévues dans le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone[97] et la procédure d’accord préalable en connaissance de cause du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique[98], les décisions des CdP ne contraignent pas les États. En effet, les décisions des CdP ne sont ni signées ni ratifiées. Elles sont adoptées selon les règles de vote prévues par l’AME et son règlement intérieur. Ainsi, une grande majorité des décisions que les CdP adoptent n’ont en fait que le statut de recommandations et « n’emportent pas de conséquences directes pour les États […] l’analyse des textes conventionnels confirme donc qu’aucune force contraignante ne peut être reconnue à la plupart des décisions de CdP. Cependant, dans ces régimes environnementaux, la règle du consensus est généralement la méthode d’adoption des décisions, exprimant alors la volonté de l’ensemble des parties[99] » et, dès lors, ces décisions peuvent parfois permettre d’interpréter le texte de manière évolutive, pourvu que le principe de la sécurité juridique et le respect de la volonté des parties soient préservés, de manière à ne pas réviser l’accord initial[100].

Certains auteurs qui considèrent qu’une organisation internationale de l’environnement qui prendrait la forme coopérative proposée par Frank Biermann serait nécessaire pour dépasser les limites normatives du droit dérivé des CdP, prennent en exemple le modèle de l’OIT. Ils soutiennent que la confusion institutionnelle règne entre les diverses institutions permanentes des AME, alors qu’une institution spécialisée comme l’OIT permet au contraire, de centraliser la gestion des différentes conventions dans un domaine — les normes du travail — et peut promouvoir de nouveaux traités qui, au fil du temps, constituent une codification juridique de la matière[101]. Fondée sur la partie XIII du Traité de Versailles[102], et au départ associée à la Société des Nations, l’OIT est désormais une institution spécialisée de l’ONU. Le modèle de l’OIT est a priori inspirant pour la constitution potentielle d’une organisation internationale de l’environnement et ce, à plus d’un égard. Tout d’abord, sa constitution comprend, en annexe, la « Déclaration de Philadelphie[103] » qui confirme les buts et les principes de l’OIT. Une telle déclaration n’est pas sans nous faire penser — au moins pour ce qui est des principes — que la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement pourrait se trouver en annexe de la constitution d’une organisation internationale de l’environnement. Un autre motif pour lequel l’OIT retient notre attention tient à la constitution tripartite de ses organes. Tant la Conférence internationale du travail (CIT) que le Conseil d’administration (CA) ou le Bureau international du travail (BIT) réunissent les représentants des 185 États membres de l’OIT. À la CIT, chaque pays a deux sièges de délégués gouvernementaux, un siège de délégué employeur et un siège de délégué travailleur. Le CA, quant à lui, est constitué de 28 représentants gouvernementaux, 14 représentants des employeurs et 14 représentants des travailleurs[104]. Tant à la CIT qu’au CA, la répartition des votes est identique : la moitié pour le gouvernement et l’autre moitié partagée entre les employeurs et les travailleurs[105]. Cette structure teinte l’élaboration des normes internationales du travail, comme le souligne Alfred Wisskirchen :

Il faut bien insister sur l’indépendance d’action des représentants des employeurs et des travailleurs et surtout sur leur indépendance à l’égard de leur propre gouvernement qui s’enracine dans le principe de la liberté syndicale. C’est pourquoi les gouvernements ne peuvent nommer les représentants des partenaires sociaux en tant que délégués à la CIT qu’avec l’accord des organisations professionnelles les plus représentatives soit des employeurs soit des travailleurs (article 3, paragraphe 5, de la Constitution). Si un État Membre envoie une délégation incomplète où figurent, aux côtés des représentants des gouvernements, soit uniquement un représentant des employeurs, soit uniquement un représentant des travailleurs, celui-ci perd son droit de vote (article 4, paragraphe 2, de la Constitution). Le principe du tripartisme est complété par le principe, strictement observé, de l’autonomie des groupes. Cette autonomie est évidente au vu des dispositions relatives à la désignation des représentants des employeurs et des travailleurs au Conseil d’administration (article 7, paragraphe 4, de la Constitution), ainsi que de nombreux articles du Règlement de la Conférence internationale du Travail qui traitent du Bureau de la Conférence, de la composition des commissions (hormis la Commission des finances qui ne rassemble que des représentants des gouvernements), des bureaux des commissions et des règles de vote.

Les commissions techniques de la Conférence, où se fait le travail essentiel, le travail de fond, ont toutes une composition tripartite, chacun des trois groupes ayant un nombre égal de voix (article 64, paragraphe 2, du Règlement de la Conférence). Cela signifie que, si les groupes des employeurs et des travailleurs se mettent d’accord, ils ont une majorité des deux tiers à eux seuls[106].

Enfin, une caractéristique de l’OIT digne d’intérêt est l’action normative de celle-ci, considérant que la préparation et l’adoption de normes internationales du travail, sous forme de conventions ou de recommandations, ont été pendant longtemps sa principale tâche.

Il est vrai que la composition tripartite de l’OIT siérait plutôt bien au contexte environnemental où des acteurs sont issus tant des milieux gouvernementaux que des ONG environnementales ou des communautés scientifiques. Il est vrai également que les 189 conventions, les 5 protocoles et les 202 recommandations provenant de l’OIT ont de quoi faire penser aux quelques centaines d’accords multilatéraux et régionaux environnementaux. Toutefois, dans la pratique, ces textes ont été adoptés par l’OIT et l’OIT ne les chapeaute pas à rebours. De plus, de nombreux observateurs condamnent la production massive d’instruments de l’OIT, la qualité inégale et le caractère trop détaillé de plusieurs d’entre eux, qui en font des textes difficiles à mettre en oeuvre. Le grand nombre de ratifications de ces instruments s’explique par le fait que la majorité de deux tiers, nécessaire pour l’adoption d’un nouvel instrument par la CIT, est généralement obtenue, puisque les gouvernements et les travailleurs sont habituellement d’accord pour adopter le texte. Comme l’explique Alfred Wisskirchen, « [c]ela peut même arriver lorsqu’un gouvernement est décidé à ne pas ratifier la convention pour son pays. L’un des arguments avancés en faveur d’une telle pratique est que ces gouvernements ne souhaitent pas faire obstacle à l’application de la convention par les autres États[107] ». Toutefois, ce grand nombre de textes fait en sorte que leur application devient difficile à contrôler[108]. Malgré l’intérêt que suscite l’OIT, pour la composition, les règles de fonctionnement et la production normative d’une éventuelle organisation internationale de l’environnement, ses faiblesses, relevées dans la littérature, nous laissent songeurs.

Quant au modèle de l’OMPI, aucun auteur n’a, à notre connaissance, proposé la constitution d’une organisation internationale de l’environnement pouvant s’en inspirer. L’OMPI pourrait, selon nous, être un modèle intéressant à explorer, compte tenu de son mandat qui est « i) de promouvoir la protection de la propriété intellectuelle à travers le monde par la coopération des États, en collaboration, s’il y a lieu, avec toute autre organisation internationale et ii) d’assurer la coopération administrative entre les Unions[109] ». Il s’agit ici des Unions établies par la Convention pour la protection de la propriété industrielle signée le 20 mars 1883 (« Convention de Paris ») et la Convention pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques signée le 9 septembre 1886 (« Convention de Berne »)[110]. Correspondant à ces buts, l’OMPI a différentes fonctions :

[Elle se doit de] promouvoir l’adoption de mesures destinées à améliorer la protection de la propriété intellectuelle à travers le monde et à mettre en harmonie les législations nationales dans ce domaine ; ii) [d’assurer] les services administratifs de l’Union de Paris, des Unions particulières établies en relation avec cette Union et de l’Union de Berne ; iii) […] [d’]accepter d’assumer l’administration qu’implique la mise en oeuvre de tout autre engagement international tendant à promouvoir la protection de la propriété intellectuelle ou de participer à une telle administration ; iv) [d’encourager] la conclusion de tout engagement international tendant à promouvoir la protection de la propriété intellectuelle ; v) [d’offrir] sa coopération aux États qui lui demandent une assistance technico-juridique dans le domaine de la propriété intellectuelle ; vi) [de rassembler et de diffuser] toutes informations relatives à la protection de la propriété intellectuelle, [d’effectuer et d’encourager] des études dans ce domaine et [d’en publier] les résultats ; vii) [d’assurer] les services facilitant la protection internationale de la propriété intellectuelle et, le cas échéant, [de procéder] à des enregistrements en la matière et [de publier] les indications relatives à ces enregistrements[111].

Les fonctions de l’OMPI, qui servent à coordonner des accords existants, à donner l’impulsion nécessaire à la conclusion de nouveaux accords, à centraliser l’information et à offrir une assistance technico-juridique, pourraient faire l’objet d’un examen attentif afin d’évaluer si un tel modèle serait intéressant pour la constitution d’une organisation internationale de l’environnement, en évitant toutefois les écueils que l’OMPI connaît actuellement sur le chapitre de l’équité entre les pays développés et les PED dans la négociation et l’évolution des accords internationaux conclus sous son égide[112].

James Gustav Speth soutient le modèle « coopératif » d’organisation environnementale internationale que propose Frank Biermann lorsqu’il affirme que l’ONU est l’emplacement logique pour une telle institution et qu’une telle agence spécialisée pourrait être mise sur pied à partir d’un PNUE entièrement reconstruit, renforcé et renommé. Selon lui, une telle organisation devrait avoir un mandat d’information et de statistiques, de surveillance mondiale de l’environnement, de prévision et d’alerte précoce, de leadership normatif et politique — en aidant à la conclusion d’accords et de conventions mondiales et régionales — et de service de secrétariat pour les AME[113]. Peter Haas a également proposé une organisation internationale de l’environnement capable de centraliser des fonctions de soutien, comme la recherche, la constitution de bases de données et la formation pour les différents régimes environnementaux[114].

Daniel C. Esty et Maria H. Ivanova, quant à eux, proposent une définition fonctionnelle d’une organisation internationale de l’environnement. Celle-ci devrait être en mesure de fournir une évaluation scientifique, de faire le lien entre les différentes informations et connaissances et d’élaborer des politiques et des normes. Elle devrait aussi pouvoir mettre en oeuvre les politiques et les normes édictées et en assurer l’application. Elle devrait, par ailleurs, faire de la veille environnementale afin de suivre le caractère évolutif des problèmes environnementaux. Enfin, elle devrait pouvoir résoudre les conflits émanant de l’application de ses règles. La flexibilité, la capacité de répondre rapidement aux changements, la rigueur analytique et une gestion « moderne » sont des qualificatifs que ces auteurs emploient pour désigner les caractéristiques d’une telle organisation[115].

Dans une de ses nombreuses études sur la question, Daniel C. Esty propose un modèle d’organisation qui consoliderait les différentes entités composant l’actuelle gouvernance internationale de l’environnement, soutenue par des experts extérieurs — officiels gouvernementaux, universitaires, représentants du secteur privé, ONG — et gérée par un réseau mondial de politiques (global policy network) moderne se servant avantageusement des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour évoluer rapidement et prendre le leadership dans la mise en place de stratégies globales. Les problèmes internes aux États devraient être laissés à ces derniers — avec l’aide de programmes ou d’organes internationaux comme le PNUD ou la Banque mondiale, les problèmes globaux ou transnationaux devant constituer l’essentiel du travail de l’organisation internationale projetée. Les principes d’action de cette organisation devraient, selon David C. Esty, être le principe du pollueur-payeur et le principe des responsabilités communes mais différenciées[116].

Pour Narito Harada, une telle organisation serait une agence spécialisée de l’ONU : elle aurait un mandat fort lui permettant d’intégrer les actions et les mandats des autres organes environnementaux de l’ONU. Elle serait dotée d’un parlement mondial pour l’environnement, d’un Conseil de direction, de cinq comités conseillant celui-ci et d’une cour mondiale de l’environnement. Trois caractéristiques gouverneraient l’action de cette organisation : l’autorité (mise en oeuvre et contrôle de l’application du droit international de l’environnement), la cohérence (assurer une « verticalisation » des régimes environnementaux, contrairement à leur actuelle « horizontalisation ») ; la démocratie (la représentativité des différentes parties prenantes)[117].

Bien que les propositions sur la structure, les règles de fonctionnement et le mandat d’une future organisation mondiale destinée à la protection de l’environnement varient d’un auteur à l’autre, certains piliers communs peuvent être dégagés, soit l’autorité, la cohérence et la démocratie[118]. Les critères dits « de Bergen » qui ont été proposés par le Canada à la réunion interministérielle de Bergen, en septembre 2000, vont également dans ce sens, tout en étant plus détaillés : la cohérence permettrait que les AME se renforcent mutuellement et que des synergies soient créées entre eux pour atteindre leurs objectifs ; la conformité (compliance) rejoint le critère de l’autorité en permettant d’évaluer le respect des obligations consenties et de renforcer les mécanismes de non-respect ; la coordination correspond à la cohérence en ce qu’elle vise à limiter les chevauchements fonctionnels, d’utiliser un agenda commun et de partager l’information pour économiser des ressources déjà limitées ; le renforcement des compétences rejoint l’idée de démocratie en ce qu’il permet d’évaluer et de rassembler les ressources techniques et financières nécessaires pour les PED[119].

Comme l’affirment Philippe Le Prestre et Benoît Martimort-Asso, « l’équité, l’efficacité et la légitimité sont des critères classiques du débat sur la gouvernance mondiale[120] ». Le principe des responsabilités communes mais différenciées est le principe clé que les États ont formulé dans la Déclaration de Rio pour donner corps à l’équité intragénérationnelle dans le droit international de l’environnement sur le plan tant substantif que procédural puisqu’il devrait présider également aux décisions concernant l’ordre du jour des négociations. Quant à la légitimité, elle est liée aux modes de négociation et de prise de décision ainsi qu’à la participation des parties prenantes aux processus décisionnels. La participation de parlementaires aux délégations, de même que des ONG et des représentants de la société civile à l’occasion des réunions préparatoires et des négociations, rejoint cette préoccupation[121]. Enfin, l’efficacité tient à la rationalisation des ressources humaines et économiques dans les processus de négociations : elle est au centre des revendications pour une réforme des modes de gouvernance de l’ONU, selon des critères proposés depuis longtemps par les États-Unis[122].

De plus, les politiques environnementales internationales ne seraient-elles pas renforcées par la création d’une organisation internationale de l’environnement qui permettrait de dépasser les conflits d’intérêts entre différents programmes et limiterait les concurrences inutiles, même entre les institutions spécialisées de l’ONU, telles que la FAO, l’Unesco ou l’OMS, qui ont mis en place des programmes environnementaux[123] ? Frank Biermann affirme qu’« une organisation mondiale de l’environnement permettrait aussi d’améliorer la mise en oeuvre de l’ensemble des normes environnementales, en établissant par exemple un mode commun d’évaluation des politiques menées dans les pays, en coordonnant l’expertise d’évaluation requise par les différents traités et développée par des organisations spécialisées comme l’Organisation météorologique mondiale ou l’Organisation maritime internationale[124] ».

Certains détracteurs de l’idée de créer une organisation internationale de l’environnement soulignent que ses partisans n’ont présenté « aucun principe ou concept d’organisation convaincante, ni de plan réaliste » pour sa création, pas plus qu’ils n’ont réussi à expliquer comment les nouvelles institutions fonctionneraient mieux que celles qui existent déjà[125]. Plusieurs auteurs sont même d’avis que, peu importe le modèle d’organisation choisi, la création d’une telle institution ne serait pas une panacée pour répondre aux faiblesses de la gouvernance internationale de l’environnement. La discussion sur l’opportunité d’une telle organisation pose effectivement plusieurs questions, qui, dans la perspective de la Conférence de Rio + 20, ont été rappelées, comme le souligne Sandrine Maljean-Dubois :

En dépit de son intérêt théorique, l’opportunité même d’une telle institution est très discutée : la création de l’OME n’irait-elle pas à l’encontre des objectifs d’intégration, au moment même [où] il y a une prise de conscience de la nécessité de l’intégration ? Ne risque-t-elle pas de casser les dynamiques créées dans le cadre des conventions environnementales dont les succès résultent de leur souplesse et de leur caractère décentralisé[126] ? La nouvelle organisation ne risquerait-elle pas de se superposer aux institutions existantes sans parvenir à les remplacer ni les articuler ? Ne peut-on craindre l’avènement d’une « super-bureaucratie » internationale[127] ?

Calestou Juma, ancien secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique[128], a critiqué l’idée de la création d’une organisation internationale environnementale, soutenant qu’elle serait intrinsèquement bureaucratique et que la centralisation était un « péril » à une époque de décentralisation. Il a également mis en garde les États contre le fait de centrer le débat sur la création d’une nouvelle institution, lequel risque de détourner l’attention de tâches plus urgentes[129]. Konrad von Moltke a exprimé son scepticisme devant une nouvelle organisation et son apport potentiel à la résolution des problèmes environnementaux contemporains. Tout en soulignant la nécessité de réformer la gouvernance internationale de l’environnement, il a affirmé l’impossibilité de constituer une véritable organisation mondiale de l’environnement[130].

Ceux qui s’opposent à la création d’une organisation internationale de l’environnement soutiennent généralement qu’elle manquerait de souplesse, serait techniquement problématique, politiquement injuste et difficile à mettre en oeuvre et que le PNUE est suffisamment efficace pour assurer la prise en considération de toutes les problématiques environnementales, qu’elles soient locales ou mondiales[131]. De nombreux États ont, dans le passé, manifesté leurs doutes ou leur opposition à la création d’une telle organisation, notamment le Canada, la Russie, l’Inde, la Chine, le Brésil, les États-Unis et les pays du G77, qui ont exprimé leur satisfaction relativement à l’actuelle gouvernance internationale de l’environnement ou leur crainte de voir s’affermir des normes environnementales déjà souvent perçues comme un obstacle au développement[132]. Le PNUE, favorable au renforcement de son mandat et de son budget, a souligné que la prudence était de mise lorsqu’il s’agissait de la création de nouvelles structures venant bouleverser l’environnement institutionnel en place[133]. Quant aux ONG internationales environnementales, qui sont partagées sur cet aspect, la question qui leur semble déterminante est celle de l’espace de participation qu’une telle organisation leur offrirait[134].

Les opposants à la création d’une organisation internationale de l’environnement suggèrent en outre que ses partisans négligent le fait que la crise est systémique et qu’elle manifeste un manque criant de volonté politique de protéger l’environnement avec efficacité. Selon eux, un investissement politique significatif doit être consacré au moins concernant quatre aspects d’une réforme « institutionnelle » plus souple : a) le renforcement du PNUE dans son mandat ; b) la gestion de la prolifération des AME ; c) la coordination plutôt que la centralisation ; et d) la démocratisation de la gouvernance internationale de l’environnement.

À ceux qui croient qu’une organisation internationale de l’environnement bien constituée pourrait agir comme un contrepoids au pouvoir de l’OMC[135], et forcerait cette dernière à tenir davantage compte des conséquences environnementales des décisions commerciales, certains répondent que cette idée est naïve. Tout aussi naïve leur semble la proposition de Renato Ruggiero qui, lorsqu’il était directeur de l’OMC, a, dans un étonnant discours prononcé en 1998, commenté la décision Crevette-Tortue de l’Organe d’appel en soulignant qu’elle faisait voir « la nécessité de renforcer les ponts existants entre les politiques commerciales et environnementales, une tâche qui serait infiniment plus facile à réaliser si nous pouvions créer une maison de l’environnement pour aider à cibler et coordonner nos efforts[136] ». Les commentateurs insistent sur l’absence de justification des propos de Renato Ruggerio, soulignant qu’il n’a d’ailleurs pas expliqué davantage pourquoi l’OMC aurait été plus disposée à prendre en considération les exigences environnementales si une organisation internationale de l’environnement, plutôt que le PNUE, avait collaboré avec elle. Que les efforts de coopération du PNUE auprès de l’OMC aient eu peu d’effets jusqu’à maintenant n’est-il pas davantage dû à l’ampleur du défi qu’au statut du PNUE qui n’est pas une institution spécialisée de l’ONU ? L’OMC coopère-t-elle vraiment mieux avec d’autres organisations internationales, telles que l’OMS ou l’OIT, qu’avec le PNUE ? L’établissement d’une organisation internationale de l’environnement changerait-il la donne dans le contexte où l’OMC semble insulaire et fermée, d’une manière générale, aux valeurs qui transcendent la réciprocité commerciale ?[137]

C’est un lieu commun de dire que la volonté politique se révèle centrale et que seule une organisation internationale plus centralisée et mieux financée faciliterait la mise en oeuvre d’une politique environnementale plus efficace. Dans ce cas de figure, une organisation serait plus forte que le PNUE. Le risque existerait toutefois que les gouvernements créent une organisation internationale de l’environnement de façade, pour se donner bonne conscience, sans lui donner plus d’autorité ou de financement que le PNUE n’en a actuellement.

2.2 Le renforcement du Programme des Nations Unies pour l’environnement et les autres réformes institutionnelles adoptées dans le sillage de la Conférence de Rio + 20

En janvier 2012, l’ONU a rédigé un draft zéro[138] de 19 pages, en tenant compte des suggestions de différentes parties prenantes. Ce draft devait servir de cadre de discussion pour les négociations du texte définitif de la déclaration intitulé L’avenir que nous voulons, clôturant la Conférence de Rio + 20. En termes de « cadre institutionnel du développement durable », cet avant-projet invitait les États membres à renforcer, à réformer et à mieux intégrer les trois piliers du développement durable. Il comprenait une section suggérant de renforcer la CDD ou de la transformer en un conseil du développement durable qui servirait d’organe de haut niveau faisant autorité pour l’examen des questions relatives à l’intégration des trois piliers du développement durable. De même, il proposait de renforcer le PNUE dans sa forme actuelle ou de le transformer en une agence spécialisée de l’ONU pour l’environnement ayant un mandat révisé et renforcé. Ce draft zéro invitait enfin les États membres à envisager la création d’un médiateur ou la création d’un Haut-Commissariat pour les générations futures[139].

Bien que certains pays, tels que la France, suivie en cela par plus d’une centaine de pays (les 27 États membres de l’Union européenne, les 54 pays de l’Union africaine ainsi que des pays asiatiques et latino-américains, notamment le Népal, la Malaisie, le Chili et l’Uruguay), aient proposé que la création d’une organisation internationale de l’environnement soit à l’ordre du jour de la Conférence Rio + 20 sur le développement durable de 2012, les États ont choisi de ne pas retenir cette proposition mais de se donner pour objectif de renforcer le mandat du PNUE. Le texte de la Déclaration de Rio + 20, au paragraphe 88, appelle l’Assemblée générale des Nations Unies à ajouter des pouvoirs et moyens au PNUE, de différentes manières. Il est d’abord question d’instaurer le principe de l’adhésion universelle à son CA et de le doter de ressources financières stables et accrues provenant du budget ordinaire de l’ONU et de contributions volontaires, et ce, afin de lui assurer un financement convenable pour qu’il s’acquitte de son mandat. Par la résolution 67/213 de 2012, l’Assemblée générale a établi la participation universelle au CA du PNUE portant dorénavant le nom d’« Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA) du PNUE ». Cette Assemblée a tenu sa première session du 23 au 27 juin 2014, à Nairobi[140].

Étant, comme nous l’avons mentionné, un organe subsidiaire du Conseil économique et social de l’ONU dont il reçoit son budget, le PNUE voit le financement de son fonctionnement dépendre du budget général de l’ONU, tandis que le financement de certaines de ses actions plus ciblées, notamment pour des actions de renforcement des capacités, dépend d’un fonds pour l’environnement, qui a été créé par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies[141], et qui est devenu effectif en 1973. Ce fonds est financé par des contributions volontaires. C’est dire que le nombre et le montant de ces contributions ont varié d’une année à l’autre, et que le PNUE a fait face à des problèmes de prévisibilité de son financement. En 2002, une réforme a permis d’adopter une échelle indicative de contributions, mais la pratique a démontré que la moitié de son financement, d’environ 100 à 120 millions de dollars, dépendait toujours de quatre pays, soit les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et l’Allemagne[142]. Une des réformes de la gouvernance internationale de l’environnement découlant de la Déclaration de Rio + 20 consiste à doter le PNUE d’un financement provenant de sources sûres, stables et suffisantes, venant elles-mêmes de contributions obligatoires. La présence du PNUE dans les principaux organes de coordination de l’ONU sera également renforcée, et, enfin, les fonctions de son siège à Nairobi seront rationalisées afin d’augmenter sa présence régionale dans le but d’accroître les capacités des PED dans la mise en oeuvre de leurs politiques environnementales nationales, avec l’aide d’autres organes et institutions spécialisées de l’ONU, tels que le PNUD et le FEM. Ces moyens de renforcer le PNUE correspondent, en réalité, à la proposition de réforme de la gouvernance internationale de l’environnement la moins exigeante, avec le regroupement (clustering). Il faut y voir non pas une révolution, mais bien une évolution qui conduira peut-être un jour le PNUE à devenir une agence spécialisée de l’ONU, mais dans un horizon de temps plus lointain.

Une instance de haut niveau remplacera progressivement la CDD qui avait connu des difficultés de réalisation de son mandat. Déjà lors d’une réunion d’experts ayant eu lieu à Cambridge en mai 2001, un consensus s’était dégagé autour de la faiblesse de la CDD qui ajoutait peu au débat sur le développement durable et au sein de laquelle le niveau de représentation des pays est demeuré généralement faible[143]. En 2012, à Rio, il a été décidé que le FPHN remplacerait progressivement la CDD. Ledit forum ne sera pas vraiment différent de la CDD dont la mission était d’assurer le suivi de l’atteinte des objectifs de l’Agenda 21 grâce aux rapports nationaux qui lui étaient communiqués. Ce forum a été mis en place par l’Assemblée générale des Nations Unies, et sa structure et son fonctionnement ont été détaillés par résolution le 9 juillet 2013[144]. La première réunion de cet organe intergouvernemental s’est ouverte sous les auspices de l’Assemblée générale, le 24 septembre 2013. Les chefs d’État et de gouvernement, les ministres et d’autres dirigeants ont formulé des propositions concernant son rôle, en soulignant leur voeu qu’il inclut les parties prenantes et qu’il examine le programme de développement envisagé pour l’après-2015 et la mise en oeuvre des Objectifs de développement durable (ODD)[145].

De plus, il a été décidé que le mandat de l’ECOSOC serait renforcé pour assurer un suivi intégré et coordonné des conclusions de l’ensemble des principaux sommets et conférences de l’ONU consacrés aux questions économiques, sociales et environnementales, conformément au principe d’intégration du développement durable[146]. Il n’a pas été nécessaire de modifier la Charte des Nations Unies pour en changer le mandat ni l’intitulé, lequel aurait potentiellement pu représenter davantage son mandat relatif au développement durable et son volet environnemental, comme l’avaient envisagé les rédacteurs du draft zéro du texte de la déclaration finale intitulée, L’avenir que nous voulons[147].

Enfin, sur le chapitre de l’assistance financière et du financement du développement durable, véritable « nerf de la guerre », aucun mécanisme financier novateur n’a été mis en place à la Conférence de Rio + 20. Cela fait croire que l’affirmation des premiers paragraphes de la Déclaration de Rio + 20, selon laquelle « les peuples sont au centre du développement durable et, en conséquence, nous oeuvrons en faveur d’un monde juste et équitable pour tous et nous engageons à travailler ensemble en faveur d’une croissance économique durable qui profite à tous[148] » est une véritable incantation. Si l’on considère que la population mondiale est actuellement de 7 milliards d’humains, qu’elle sera de plus de 9 milliards dans 40 ans, il est pressant d’investir dans la lutte contre la pauvreté. Un habitant sur cinq, soit au-delà d’un milliard de personnes, vit toujours dans l’extrême pauvreté et un sur sept — soit 14 p. 100 de la population mondiale — est mal nourri. Affamer des milliards de personnes sur la planète représente-t-il vraiment « l’avenir que nous voulons » ?

La Conférence de Rio + 12 ne pallie pas le défaut d’autorité de la gouvernance internationale de l’environnement puisque le PNUE ne dispose pas d’une autorité sur les États. Ce dernier voit toutefois ses moyens financiers renforcés et ses moyens d’agir au sein d’autres instances onusiennes, reconnus. Cette réforme ne constitue peut-être pas le cadre le plus propice pour reconnaître les priorités de développement légitimes des PED, mais une représentation universelle au CA du PNUE devrait au moins faciliter leur représentation en son sein. Des difficultés demeurent, toutefois sur le plan de la coordination entre les différents AME, et entre les institutions qu’elles mettent en place et les accords et institutions dans d’autres secteurs. La représentation du PNUE dans les réunions des agences spécialisées de l’ONU ne pourra malheureusement pas permettre, à elle seule, de remédier à l’échec relativement criant du projet de développement durable dans tous les secteurs de l’activité économique.

Conclusion

Toute réflexion sur la gouvernance internationale de l’environnement et sur l’opportunité de créer une organisation internationale de l’environnement ne peut pas se résumer à un débat sur l’institution en tant que telle. Ce serait oublier les enjeux les plus déterminants du débat, lesquels portent davantage sur la façon d’assurer l’efficacité des accords et de renforcer leur légitimité et leur prise en considération dans les autres compétences de l’ONU, ainsi que dans l’ensemble du système économique mondial. Quelles sont les réformes institutionnelles les mieux à même d’assurer l’efficacité de l’action collective dans la résolution des problèmes environnementaux globaux ? On sait que le passage du GATT à l’OMC a permis de réformer l’organe de règlement des différends, ce qui a eu un effet déterminant sur l’efficacité et le respect des accords commerciaux. Peut-on réfléchir de la même manière pour ce qui est de la création d’une organisation internationale de l’environnement ? Dans quelle mesure pourrait-elle renforcer les AME ? Concernant l’évolution du débat à ce sujet, Philippe Le Prestre explique :

Le dialogue a largement repris les diagnostics préexistants tout en les circonscrivant. On insiste moins sur la nécessité d’un contre-pouvoir à l’OMC, mais plutôt sur la notion d’un interlocuteur unique. Les discussions ont permis aux partisans d’une réforme substantielle de la gouvernance de l’environnement de s’entendre sur un diagnostic minimal et donc sur les priorités auxquelles cette ONUE devrait répondre. Cependant, la fragilité des fondements empiriques des problèmes demeure. Peut-on, par exemple, postuler que le défaut de mise en oeuvre des Accords multilatéraux est dû à leur fragmentation ou à la faiblesse du PNUE ? Que fait-on de la volonté politique ? Il convient, certes, de nuancer la question de l’adhésion à un traité par les États signataires. Généralement, ces derniers tendent à ne vouloir concéder que le minimum possible de leur souveraineté. Les exemples d’acceptation quasi-totale de transfert de compétences à des organes internationaux s’avèrent rares, le cas de l’Union européenne (UE) se présentant comme le modèle le plus abouti mais étant également un cas isolé[149].

De nombreuses interrogations restent en suspens concernant la gouvernance internationale de l’environnement. Parmi celles-ci, se pose la question de savoir quel traitement doit être accordé aux demandes légitimes des PED en faveur du transfert des technologies, du renforcement des capacités ou de l’accroissement de l’assistance financière, lesquels sont déjà des mesures que prévoient tous les AME mais d’une manière souvent très insuffisante. De plus, en lieu et place de la création d’une organisation internationale de l’environnement, doit-on « préférer d’autres formes d’engagements telles que la régionalisation des actions, les engagements volontaires des acteurs, la définitions de normes privées[150] », comme la définition d’un crime pénal international… ? Le débat à ce sujet reste inachevé.

Il faut bien le dire, le changement institutionnel est rarement populaire et nécessite souvent de longues et difficiles négociations. Le « changement radical dans la nature de la gouvernance mondiale exige un changement du point de vue du XIXe siècle à une vision pour le XXIe siècle[151] ». Ce changement de point de vue nécessite de surmonter certains nationalismes, mais également les valeurs de la société de consommation dans laquelle nous vivons. La création d’une organisation internationale de l’environnement est-elle compatible avec ce modèle sociétal ? La réforme de la gouvernance internationale de l’environnement interpelle certes les hommes politiques et les juristes qui ont à se dépasser en imaginant des principes et des structures novatrices, mais elle ne peut se passer d’une volonté politique qui ne peut qu’évoluer grâce à une large mobilisation publique, laquelle dépend de chacun de nous.

D’ici l’avènement de cette nouvelle ère, les réflexions sur la gouvernance internationale de l’environnement continueront d’être alimentées par les constats qui ressortiront de la mise ne oeuvre des réformes institutionnelles, somme toute assez légères, issues de la Conférence de Rio + 20, que nous aurons tous l’occasion d’observer… d’ici à la Conférence de Rio + 30.