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L’attractivité est le caractère de ce qui est attrayant, c’est-à-dire qui attire, qui suscite l’engouement, qui ne laisse pas indifférent, voire silencieux.

La question de l’attractivité du groupement d’intérêt économique (GIE) en droit de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA)[1] est intimement liée à la question plus générale de l’attractivité de ce dernier[2]. Celle-ci est elle-même liée au paradigme compétitif qui postule la canalisation du droit par l’arbitrage des opérateurs privés et des facteurs de production. Alors que de façon traditionnelle on considère que le marché est subordonné au droit, on est arrivé au stade où le droit est devenu un produit[3] ; en tant que tel, il doit être attractif. En Afrique, l’attractivité du droit OHADA est une préoccupation importante. La doctrine n’hésite pas à se fonder sur l’engouement que le droit OHADA suscite même auprès des pays anglophones comme le Nigéria et le Ghana[4]. Mais en dépit de son importance, l’attractivité du droit OHADA ne peut pas être analysée dans cette étude en raison de son étendue. Il paraît plutôt nécessaire de cibler des aspects spécifiques du droit OHADA pour en apprécier l’attractivité. Le choix du GIE devient intéressant en raison du fait qu’il constitue un instrument qui contribue à la quête de la compétitivité des acteurs économiques par la mise en commun de moyens[5].

En effet, l’union fait la force, dit l’adage. Dans le domaine des activités économiques, la force est d’autant plus recherchée qu’elle est le gage de la viabilité des différents acteurs qui s’y investissent. En droit, l’union a d’abord été une union de personnes physiques. Il y a l’union de l’homme et de la femme dans le mariage. En dehors de la famille, des individus peuvent aussi décider de mettre en commun leurs biens ou leur savoir-faire au profit d’une activité en vue d’en partager le bénéfice. Dans ce cas, l’union prend le nom de « société[6] ». La mise en commun de moyens peut aussi être réalisée sans avoir pour but un partage de bénéfice. On parle alors d’association[7]. Tout comme les individus, l’association ou la société possède dans l’espace OHADA la personnalité juridique[8]. À la personne physique s’ajoute la personne morale.

Une fois que l’on a admis l’existence des personnes morales, elles se créent selon plusieurs combinaisons. Elles peuvent ne comprendre que des individus ou d’autres personnes morales ou les deux à la fois. C’est le cas notamment du GIE. Il est constitué par la réunion de deux ou plusieurs personnes physiques ou morales exerçant des activités économiques. Il est conçu pour permettre à des entreprises préexistantes de collaborer en vue d’accroître leur activité[9]. Le législateur OHADA tout comme le législateur européen prévoit que deux ou plusieurs personnes physiques ou morales peuvent constituer entre elles des GIE[10]. Cette apparente simplicité cache une difficulté liée aux personnes susceptibles de constituer des GIE. Le fait, pour le législateur, de dire « deux ou trois personnes » ne donne certainement pas le droit à toute personne de faire partie d’un GIE. Il est donc nécessaire de déterminer les personnes susceptibles de créer un GIE.

Mais au préalable, il apparaît indispensable de clarifier la notion d’activité économique. En effet, comme le précise le législateur, le GIE est créé en vue de faciliter, de développer, d’améliorer ou d’accroître l’activité économique de ses membres[11]. Sans définir ce qui constitue une activité économique, le législateur a donné des indications qui permettent d’en cerner les contours. Ainsi, il est précisé que même les personnes exerçant une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé peuvent être membres d’un GIE[12]. L’activité économique va au-delà du domaine commercial et comprend aussi des activités de nature civile. Deux possibilités s’offrent alors pour définir l’activité économique : soit de façon positive par énumération des éléments qui en font partie ; soit de manière négative par exclusion des éléments qui n’en font pas partie. En procédant par énumération, Yves Guyon considère qu’il s’agit de toute activité de production, de distribution et de service, car, estime-t-il, le caractère économique d’une activité doit s’entendre de manière la plus large et couvrir non seulement le commerce et l’industrie, mais aussi l’artisanat, l’agriculture, les professions libérales[13]. En revanche, les activités sportives, culturelles, religieuses ou politiques n’ont pas de caractère économique[14]. On peut, avec cette exclusion, dire que les activités autres que les activités sportives, culturelles, religieuses et politiques sont des activités économiques. Une telle approche n’est pas, à bien des égards, satisfaisante, car, si les activités telles que les activités religieuses et les activités politiques peuvent être exclues du champ des activités économiques, on peut être réservé en ce qui concerne les activités sportives et culturelles ; ces dernières peuvent, ne serait-ce que de façon accessoire, donner lieu à des productions de richesse. L’approche négative élaborée par Yves Guyon ne paraît donc pas adéquate pour déterminer ce qu’est une activité économique. La jurisprudence, dans un arrêt ancien, a déterminé le critère de la richesse comme celui permettant de distinguer une activité économique[15]. Pour la Cour de cassation, l’activité économique désigne toute activité se rapportant à la production, à la répartition, à la circulation, et à la consommation de richesse. Ainsi, seules les personnes entrant dans cette chaîne peuvent créer un GIE. Le peuvent donc deux ou plusieurs personnes physiques ou morales dont l’activité se rapporte à la production, à la répartition, à la circulation ou à la consommation de richesse. Il peut s’agir de commerçants, d’agriculteurs, de membres de professions libérales, d’entreprises publiques[16]. Les membres du GIE peuvent par conséquent être des commerçants et des non-commerçants ; il est bien entendu que le commerçant est celui qui accomplit des actes de commerce et en fait sa profession habituelle[17].

À l’opposé des actes de commerce, il y a les actes civils. La distinction entre acte de commerce et acte civil n’est pas aisée, ce qui ne serait pas sans effet sur la collaboration de commerçants et de non-commerçants dans le GIE. On peut comprendre que l’intérêt pour ces personnes à être membres du GIE réside dans la volonté d’être plus fortes ensemble. Cela est encore plus vital pour les petites et moyennes entreprises[18]. Le GIE traduit l’idée de la mise en commun de moyens en vue d’atteindre une plus grande efficacité. Dans le domaine de l’activité économique, le GIE apparaît comme le meilleur moyen à la disposition des petites entreprises pour réaliser des affaires de grande importance[19]. C’est ce qui ressort de sa définition légale. Le GIE est en effet celui qui a pour but exclusif de mettre en oeuvre, pour une durée déterminée, tous les moyens propres à faciliter ou à développer l’activité économique de ses membres[20]. La création d’un GIE vise à permettre à ses membres d’améliorer leurs résultats[21]. Cela témoigne donc de l’attractivité du GIE. En effet, lorsqu’on prend l’exemple de Cotonou, la capitale économique du Bénin, il y existe à ce jour 78 GIE[22]. Et chaque année, on note encore la création de GIE[23]. Cette attractivité s’apprécie différemment selon qu’il s’agit des membres du GIE ou de ses créanciers.

On considère comme membre du GIE toute personne physique ou morale qui fait partie du GIE. En ce qui concerne l’attractivité du GIE, on peut relever en premier lieu qu’il a un atout qui résulte de sa nature ambiguë[24]. La création du GIE a été une originalité française que l’OHADA a adoptée, à l’instar de l’Union européenne. En règle générale, dans le système juridique OHADA, une personne morale de droit privé est soit une association, soit une société. Or le GIE n’est pas une association, car il peut réaliser des bénéfices partageables entre ses membres. Il n’est pas non plus une société, car il ne peut avoir pour but la réalisation de bénéfices. Bien que n’étant ni une société ni une association, la loi l’a doté de la personnalité morale. Toutefois, la jurisprudence considère qu’il s’agit d’une personnalité moindre en raison du fait qu’il a un caractère auxiliaire[25]. Le GIE ne peut pas avoir un objet propre, et cela rejaillit sur la personnalité. La plupart des auteurs considèrent qu’il est intermédiaire entre la société et l’association[26]. Yves Guyon va plus loin et se demande s’il n’est pas une société à statut particulier[27]. Si on considère, comme le souligne le doyen Carbonnier, que la personnalité morale comporte des degrés[28], on peut dire que le GIE est bien une personne morale. En droit OHADA, ses membres ne sont pas limités par les contraintes liées soit aux associations, soit aux sociétés.

Un autre motif d’attractivité du GIE pour les membres tient au fait qu’il demeure le meilleur instrument de collaboration. La loi l’a doté de tous les attributs d’une personne morale. Il a une dénomination et un siège qui font partie des mentions obligatoires devant figurer dans le contrat constitutif[29]. Outre cela, l’originalité du GIE résulte de la souplesse qui caractérise son organisation[30]. La loi accorde aux membres du GIE beaucoup de liberté. Ceux-ci ont la faculté de déterminer dans le contrat de constitution du GIE l’ensemble des règles relatives à son organisation. Ainsi, les membres déterminent librement le caractère civil ou commercial du GIE dans la fixation de son objet. Ils déterminent aussi si le GIE doit avoir ou non un capital, s’il doit réaliser ou non des bénéfices. Ils organisent librement l’administration du GIE[31]. Contrairement aux sociétés commerciales[32], les règles impératives sont rares en ce qui concerne le GIE. Elles visent à assurer la protection des tiers et la protection des membres minoritaires. On peut observer que ces règles impératives permettent d’assurer un équilibre entre la souplesse des règles relatives à l’organisation du GIE et l’efficacité recherchée par sa création. En dehors des membres, il existe donc des règles protectrices des tiers. Cela témoigne d’une certaine attractivité du GIE pour les tiers, dont le créancier entendu comme toute personne qui détient une créance sur le GIE.

Comme toute personne morale, le GIE a un patrimoine. Le patrimoine d’une personne est une universalité de biens composée de tout ce qui appartient à la personne (qu’on appelle « actif ») et de toutes les dettes de la personne (qu’on appelle « passif »). En principe, le patrimoine de la personne morale est distinct du patrimoine de ses membres. Mais cette distinction n’est pas étanche. Lorsque la personne morale réalise des bénéfices, ces bénéfices, une fois partagés, sortent du patrimoine de la personne morale et augmentent l’actif de ses membres. De même, dans certaines conditions, l’actif des membres sert à payer les dettes de la personne morale.

Le législateur OHADA retient que tous les membres du GIE sont indéfiniment et solidairement responsables de ses dettes, et ce, sans distinction de l’objet civil ou commercial du GIE. On comprend alors que le GIE peut être créé sans capital et, en cela, il se rapproche beaucoup de la société en nom collectif (SNC)[33]. Comme le définit d’ailleurs le législateur OHADA, la SNC est celle dans laquelle tous les associés sont commerçants et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales[34]. La SNC est ainsi composée de commerçants associés. Ces derniers sont tenus pour responsables indéfiniment mais aussi solidairement des dettes sociales. Comme le soulignent Georges Ripert et René Roblot, il s’agit d’une solidarité parfaite de sorte que l’associé poursuivi n’a ni le bénéfice de discussion[35] ni le bénéfice de division[36]. On peut noter que la SNC présente certaines caractéristiques qui assurent l’efficacité de l’obligation indéfinie et solidaire des membres par rapport aux dettes sociales. En effet, la SNC est commerciale par la forme, quel que soit son objet, et tous les associés sont des commerçants. Il en découle une unité des règles applicables au paiement des dettes sociales. S’agissant du GIE, une telle unité de règles est difficile à réaliser pleinement. D’abord, le GIE n’est pas commercial par la forme. Il peut être civil ou commercial selon son objet. Il n’est commercial que s’il fait des actes de commerce à titre de profession habituelle[37]. Dans le cas contraire, il est civil. En réalité, la détermination de la nature civile ou commerciale du GIE n’est pas aisée, car la détermination des actes de commerce est elle-même difficile[38]. Ensuite, les membres n’ont pas tous la qualité de commerçant. En effet, l’appartenance au GIE ne confère pas aux membres la qualité de commerçant. En vue de prendre en compte cette diversité tout en soumettant le paiement des dettes du GIE à un régime unique, le législateur OHADA a retenu la responsabilité indéfinie et solidaire des membres par rapport à ses dettes, mais a prévu des aménagements contractuels légaux à cette obligation. Ces aménagements, vu leur ampleur, sont de nature à exclure la responsabilité indéfinie et solidaire des membres par rapport aux dettes du GIE. Cela nous conduit à rechercher s’il existe réellement alors une attractivité du GIE. Cette préoccupation générale soulève des questions spécifiques. Le législateur OHADA suscite-t-il un engouement des membres et des créanciers pour le GIE ? La grande liberté dont disposent les membres du GIE quant à son organisation et à son fonctionnement ne menace-t-elle pas l’intérêt des créanciers du GIE ? L’obligation indéfinie et solidaire des membres du GIE par rapport à ses dettes est-elle effectivement une mesure de protection des créanciers ? Pourquoi a-t-on prévu des aménagements à cette obligation ?

L’utilité de ces questions est justifiée surtout au regard du sentiment que l’on observe chez les opérateurs qui animent un GIE. Selon des entretiens que nous avons eus avec quelques opérateurs, parmi les plus solvables, membres d’un GIE[39], il y a une crainte chez ces derniers d’être les seuls à répondre auprès des créanciers du passif social. Malgré cette crainte légitime, l’appartenance à un GIE est cependant, pour eux, préférable à la création d’une nouvelle société à responsabilité limitée qui engendrerait de nouvelles charges plus lourdes.

Par hypothèse, on peut donc avancer que le GIE a une attractivité qui est variable selon qu’il s’agit des membres ou des créanciers. Le législateur veut rendre le GIE attractif aussi bien pour les membres que pour les créanciers. Des conventions entre les membres ou avec les tiers peuvent, selon les cas, affaiblir ou renforcer cette attractivité. D’une part, il y a une attractivité voulue par la loi, mais fortement compromise et, d’autre part, cette attractivité reste possible par le recours aux conventions spécifiques.

1 L’attractivité voulue, mais fortement compromise

Le législateur OHADA a voulu que le GIE soit attractif en lui assignant pour but de permettre aux entreprises ou à toute personne exerçant une activité économique de mettre en commun leurs moyens pour être plus compétitives. À ce titre, il laisse une grande part à la liberté contractuelle des membres du GIE. Les règles relatives à la constitution et au fonctionnement du GIE sont alors très souples. En contrepartie, il impose quelques règles impératives tournées vers la protection des tiers, notamment la responsabilité indéfinie et solidaire des membres par rapport aux dettes du GIE. Cette responsabilité s’avère en définitive incohérente.

1.1 La souplesse des règles de constitution et de fonctionnement du GIE

Les membres du GIE sont les personnes qui le créent et l’utilisent pour améliorer la rentabilité de leurs activités. Le législateur OHADA rend le GIE très attractif à leur égard en leur accordant beaucoup de liberté. Il a fait du GIE un instrument de collaboration que les membres réalisent par contrat et qu’ils ont la latitude d’adapter à leurs besoins. La souplesse des règles de constitution et de fonctionnement du GIE réside, d’une part, dans la constitution du GIE par contrat et, d’autre part, dans l’adaptabilité de ce contrat constitutif aux besoins des membres.

1.1.1 La constitution du GIE par contrat

L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSC) dispose que « le contrat détermine l’organisation du GIE ». On peut dégager de cette disposition que l’acte créateur du GIE est un contrat et que l’organisation du GIE est déterminée par contrat. En précisant que le contrat détermine l’organisation du GIE, le droit OHADA laisse une très grande marge de manoeuvre aux membres du GIE pour fixer librement son organisation. Cela constitue une mesure incitative pour recourir à l’utilisation du GIE. La constitution du GIE, tout comme celle des sociétés, résulte d’un contrat. Pour la forme du contrat, il est prévu expressément qu’il s’agit d’un contrat écrit soumis aux mêmes conditions de publicité que les sociétés visées par le droit uniforme OHADA[40]. Il n’est pas exigé un acte authentique. Les parties au contrat peuvent recourir selon leur bon vouloir à un écrit sous seing privé ou à un acte authentique[41]. La constitution du GIE s’inscrit ainsi dans l’ancienne tradition romaine qui fait de la société un contrat. On trouve les traces de cette approche dans la définition de la société en droit OHADA selon laquelle « [l]a société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d’affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter[42] ». Cette approche est aussi celle qui résulte du Code civil français avant la réforme de 1985. Comme l’expliquent Georges Rippert et René Roblot, cette conception de la société a été défendue au xixe siècle, car elle cadrait merveilleusement avec la théorie de l’autonomie de la volonté et aussi elle autorisait, au nom de la liberté contractuelle, toutes les combinaisons et toutes les modifications des règles légales[43]. C’est cette liberté que les membres du GIE redécouvrent, car, de nos jours, la société est perçue beaucoup plus comme une institution que comme un contrat[44]. En effet, dans la suite de la définition légale des sociétés commerciales en droit OHADA, il est indiqué que « [l]es associés s’engagent à contribuer aux pertes dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme[45] ». À partir de là, on voit que ce ne sont pas les parties au contrat de société qui déterminent entièrement l’organisation de la société commerciale. La loi précise encore que « [l]a société commerciale peut être également créée, dans les cas prévus par le présent Acte uniforme, par une seule personne, dénommée “associé unique”, par un acte écrit[46] ». La société peut être unipersonnelle, et dans ce cas, elle ne naît plus d’un contrat[47]. Outre cela, la loi réglemente méticuleusement toutes les sociétés commerciales, à telle enseigne que l’on se demande si le contrat de société existe encore[48]. Pratiquement, les associés apportent leur capital dans la société sans vraiment avoir la possibilité de discuter des clauses du contrat de société. Il n’en est pas ainsi avec le GIE où ce sont les membres qui déterminent, par les clauses du contrat, l’organisation du GIE.

Mais cette opposition entre contrat et institution en droit des sociétés doit être relativisée, car il y a un renouveau de la contractualisation du droit des sociétés[49]. Aussi, le GIE n’acquiert la personnalité morale qu’à la suite de l’accomplissement de la formalité de l’immatriculation. Le contrat à lui seul ne suffit donc pas pour créer le GIE ; de plus, il existe des règles impératives, mais elles sont limitées. On peut constater simplement que, en ce qui concerne le GIE, l’aspect contractuel est beaucoup plus prononcé que dans les sociétés. Cela permet aux membres du GIE de concevoir les meilleurs moyens qui leur permettent, à travers le GIE, d’améliorer leur activité économique. Toutefois, si le GIE naît d’un contrat un peu comme les sociétés, on peut se demander si son contrat comprend les mêmes éléments que le contrat constitutif des sociétés, notamment l’apport, le partage du bénéfice ou la contribution aux pertes et l’affectio societatis. L’attractivité du GIE par rapport aux membres peut être aussi appréciée à partir de ces éléments. En effet, il n’a pas pour but la réalisation de bénéfices partageables entre les membres. En cela, il se distingue de la société et se rapproche de l’association. La création du GIE doit permettre à ses membres d’améliorer leur activité par la mise en commun de leurs moyens. Or cette mise en commun de moyens peut permettre aux membres du GIE de réaliser des économies, et donc de faire des bénéfices, fût-ce de façon indirecte. Dans cette approche, le bénéfice ne désigne plus simplement « tout gain pécuniaire ou gain matériel qui ajouterait à la fortune des associés » au sens de l’arrêt de la Cour de cassation française en 1914, mais aussi toute diminution de charges[50]. Outre cela, le GIE peut réaliser accessoirement des bénéfices en termes de gain au même titre que la société. Dans ce cas, Yves Guyon propose de distinguer la société du GIE à partir de leur but. Selon cette approche qu’il convient de retenir, la société a pour but de permettre à ses membres de réaliser des bénéfices soit pour les conserver, soit pour les répartir entre ses membres, alors que le GIE a pour but de permettre à ses membres de réaliser plus de bénéfices ou de faire des économies. Avec le GIE, le législateur veut attirer les petites et moyennes entreprises pour qu’elles mettent ensemble leurs moyens au service de l’amélioration de leurs activités. Le GIE leur donne des occasions de réaliser des performances qu’elles ne peuvent réaliser toutes seules.

Mais pour améliorer ainsi leurs résultats, les membres du GIE doivent mettre en commun leurs moyens ; cela soulève la question des apports nécessaires à la constitution du GIE[51]. En ce sens, la loi prévoit que le GIE peut être constitué sans capital[52]. Il y a là un double avantage. Les membres du GIE peuvent choisir de constituer un GIE sans capital. Une telle liberté est très exceptionnelle et constitue une véritable incitation aux entreprises pour qu’elles recourent au GIE. L’autre avantage tient au fait que, lorsque les membres du GIE choisissent d’avoir un capital, aucune règle contraignante ne s’impose à eux. Aucun montant minimal n’est exigé, aucun délai n’est fixé pour la libération des apports. Sur ce point, le GIE se rapproche de la SNC pour laquelle la loi prévoit seulement que « [l]e capital social est divisé en parts sociales de même valeur nominale[53] ». Le GIE se distingue à ce sujet de la société à responsabilité limitée (SARL) et de la société anonyme (SA). Pour la constitution de la SARL, il faut un capital social d’un million de francs au minimum divisé en valeurs nominales dont le montant ne peut être inférieur à 5 000 francs[54]. En plus, les apports doivent être intégralement libérés pour que la SARL soit définitivement constituée. De même pour la SA, le capital social est de dix millions de francs divisé en actions dont le montant nominal ne peut être inférieur à 10 000 francs. Tous les apports doivent être libérés dans un délai impératif[55]. En ce qui concerne le capital, les membres du GIE ont plus de facilités que les associés de la SARL ou les actionnaires de la SA. Ils ont aussi beaucoup de facilités par rapport aux différents types d’apports. En effet, la loi ne fixe aucune limite aux membres du GIE[56]. Ils peuvent convenir de faire des apports en numéraire, des apports en nature[57] ou des apports en industrie. Cela n’est pas le cas pour les associés de la SARL ou les actionnaires de la SA pour qui les apports en industrie sont en principe interdits. Une telle interdiction est justifiée par le fait que les apports en industrie ne peuvent être libérés immédiatement, car ils constituent une prestation qui s’échelonne dans le temps. En plus de cela, l’apport en industrie n’est pas saisissable[58]. Étant donné que, dans les SARL et dans les SA, les membres ne sont responsables des dettes que dans la limite de leurs apports, l’apporteur en industrie serait en quelque sorte exonéré de contribuer au paiement des dettes de la société. De telles limitations n’existent pas à l’égard des membres du GIE qui peuvent recourir à tous les moyens susceptibles de contribuer à l’amélioration de leurs activités.

En dehors des apports, l’attractivité du GIE à l’égard des membres s’apprécie également par rapport à l’affectio societatis. En effet, l’affectio societatis est aussi un des éléments constitutifs du contrat de société. Il est l’élément intentionnel dans la société. Il se traduit par la volonté de s’associer, de former une société. Mais étant donné que le GIE n’est pas une société, la question se pose d’abord de savoir si l’affectio societatis est indispensable à sa constitution. La loi n’a pas expressément subordonné la constitution du GIE à l’existence de l’affectio societatis. Mais la doctrine a dégagé ses éléments constitutifs à partir desquels on peut considérer que l’affectio societatis est requis également pour le GIE. Il s’agit notamment du caractère volontaire de la collaboration, de la participation à la gestion, de la convergence des intérêts et de l’absence de liens de subordination[59]. Chacun de ces éléments existe dans le GIE. Parmi eux, on peut noter que, en ce qui concerne la participation à la gestion, une grande liberté est laissée aux membres d’organiser, par contrat, la gestion du GIE. Cela leur permet d’adapter le contrat constitutif du GIE à leurs besoins. L’adaptabilité du contrat constitutif rend le GIE attractif.

1.1.2 L’adaptabilité du contrat constitutif du GIE

La forte attractivité du GIE à l’égard des membres résulte de l’adaptabilité du contrat constitutif du GIE à leurs. Aux termes de l’article 876 de l’AUSC, les membres organisent librement le GIE. Cette liberté concerne aussi bien les membres que la gestion du GIE. On note que l’adaptabilité du contrat constitutif est due à la souplesse du législateur OHADA à l’égard des droits des membres et en ce qui concerne la gestion du GIE.

1.1.2.1 La souplesse à l’égard des droits des membres

En ce qui concerne les membres, deux aspects méritent d’être soulignés, le droit de retrait des anciens membres et l’acceptation de nouveaux membres. On peut observer au préalable que le GIE est très proche de la SNC. En raison du caractère personnel des parts sociales de la SNC, les voies de sortie des membres ne sont pas aisées. La mort de l’un des associés entraîne la dissolution de la SNC. De même, les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers ou à des associés qu’avec le consentement de tous les associés[60]. Pour cela, la SNC est très liée au changement d’état de l’un des associés. De même, le principe de la fixité du capital s’oppose à l’exercice du droit de retrait des membres dans les sociétés dont le capital n’est pas variable. En conséquence, le droit de sortie de certaines sociétés est presque nul. L’adoption de telles règles pour le GIE qui se veut un instrument de collaboration entre entreprises ne serait pas très attractive. Le législateur a alors emprunté aux sociétés à capital variable et aux coopératives la possibilité pour les membres de se retirer sans entraîner la dissolution du GIE. Le contrat constitutif fixe les conditions du retrait. Ce sont donc les membres qui déterminent ces conditions dans le contrat. Ils ne sont soumis à aucune contrainte dans ce sens. Toutefois, le membre qui désire se retirer doit exécuter ses obligations au terme du temps qu’il a passé dans le GIE. L’intérêt de ce droit de retrait est de permettre à une personne qui n’est pas satisfaite de sa participation au GIE de ne pas être contrainte d’en faire partie[61]. De même, un membre qui se sent attiré par un GIE peut y être admis. À ce sujet, ce sont les membres qui fixent dans le contrat les conditions en vertu desquelles un nouveau peut être admis dans le GIE.

Il y a dans ces règles assez de souplesse du législateur pour encourager la constitution de GIE. On trouve la même souplesse en ce qui concerne la gestion du GIE.

1.1.2.2 La souplesse par rapport à la gestion du GIE

La souplesse du GIE par rapport à sa gestion peut s’apprécier tant en ce qui concerne ses organes de gestion que le contrôle de sa gestion.

En ce qui concerne les organes de gestion du GIE, ils sont chargés de l’administration de ce dernier. Ces organes sont notamment l’assemblée générale et l’administrateur ou les administrateurs. Au terme de l’article 877 de l’AUSC, « l’assemblée générale des membres du groupement d’intérêt économique est habilitée à prendre toute décision, y compris de dissolution anticipée ou de prorogation dans les conditions déterminées par le contrat ». L’assemblée générale est un organe clé du GIE[62]. Comme le précise la loi, elle exerce ses attributions dans les conditions déterminées par le contrat. À ce niveau aussi, c’est la souplesse qui caractérise l’attractivité. Les membres ont toute liberté pour organiser les conditions de tenue des organes de délibération. Ce sont eux qui déterminent les modalités de convocation, le droit de communication, l’ordre du jour qui peut porter sur la dissolution ou la prorogation du GIE. Ce sont eux, les membres, qui établissent les procès-verbaux. Ils déterminent eux-mêmes si une décision sera prise à la majorité ou à l’unanimité. Pour les décisions qui doivent être prises à la majorité, ils fixent eux-mêmes la majorité. Ce n’est qu’en cas de silence du contrat qu’il est prévu que les décisions seront prises à l’unanimité. En ce qui concerne le droit de vote, le contrat peut attribuer à un membre un nombre de voix différent de celui des autres membres ou décider que chaque membre a une voix. En cas de silence du contrat, il est prévu également que chaque membre dispose d’une voix. Toujours en cas de silence du contrat, l’assemblée générale organise l’administration du GIE et nomme l’administrateur ou les administrateurs. Elle fixe à ce titre les conditions de recrutement et de révocation des administrateurs et déterminent l’étendue de leurs pouvoirs. Elle nomme les contrôleurs de gestion et les contrôleurs des états financiers. L’assemblée générale apparaît ainsi comme l’organe souverain du GIE, mais ce sont les administrateurs qui l’administrent. Ces derniers peuvent être choisis ou non parmi les membres. Le GIE peut être administré par une personne morale qui se chargera de désigner un représentant permanent. L’administrateur du GIE est tenu de respecter le mandat qui lui est donné. Il engage sa responsabilité à l’égard des membres pour tous les actes qui outrepassent le mandat qui lui a été donné[63]. De même, un administrateur engage sa responsabilité pénale pour les infractions de droit commun ou celles relatives à l’administration du GIE, par exemple lorsqu’il émet des documents à l’endroit des tiers qui n’indiquent pas la dénomination du GIE.

Avec une telle souplesse, le législateur attire les entreprises pour qu’elles constituent des GIE dont elles fixent elles-mêmes les règles de gestion. Une si grande liberté leur impose en réalité d’être vigilantes et prévoyantes. Elles doivent pouvoir anticiper les règles qui seront à même de leur permettre l’amélioration de leurs activités. Outre les organes de gestion, il y a aussi les organes chargés du contrôle de la gestion du GIE, jouissant, eux aussi, d’une grande souplesse. En effet, aux termes de l’article 880 de l’AUSC, le contrôle de la gestion du GIE est exercé selon les conditions prévues dans le contrat constitutif du GIE. La loi laisse aux parties la possibilité de choisir les contrôleurs de gestion ainsi que le contenu et les limites de leur pouvoir. Il existe aussi un contrôle des états financiers qui doit être exercé par un ou plusieurs commissaires aux comptes[64]. Ils sont choisis sur la liste officielle des commissaires aux comptes et nommés par l’assemblée générale pour une durée de six exercices.

En définitive, le législateur OHADA a voulu une très forte attractivité du GIE à travers des règles très souples. Le fonctionnement du GIE se fonde sur la liberté des membres de prévoir les règles qu’ils jugent les meilleures pour améliorer leurs activités. On note toutefois quelques règles impératives qui rendent l’attractivité plutôt moyenne du GIE à l’égard des tiers, les créanciers notamment.

1.2 L’incohérence de la responsabilité des membres par rapport aux dettes du GIE

Le législateur OHADA s’est efforcé de tempérer la grande liberté des membres du GIE par quelques dispositions impératives, à savoir la responsabilité indéfinie et solidaire des membres par rapport aux dettes du GIE[65] et l’inopposabilité des clauses limitatives des pouvoirs des administrateurs à l’égard des tiers[66]. Ces dispositions tendent à protéger les tiers[67] et rendent le GIE attractif pour les créanciers. Toutefois, la responsabilité indéfinie et solidaire des membres relativement aux dettes du GIE comporte des risques d’ineffectivité. Ces risques conduisent à considérer que l’attractivité du GIE est inexistante. On peut apprécier ces risques d’abord par rapport à la responsabilité des membres quant aux dettes du GIE et ensuite par rapport au caractère indéfini et solidaire de la responsabilité.

1.2.1 L’incohérence du principe de la responsabilité des membres du GIE par rapport aux dettes de ce dernier

L’affirmation de la responsabilité des membres du GIE par rapport aux dettes de ce dernier signifie que dans les situations où il n’arrive pas à payer ses créanciers, ceux-ci peuvent se faire payer par ses membres. Cette responsabilité est donc à l’égard des dettes du GIE et non à l’égard des dettes personnelles de ses membres. Il peut s’agir des dettes résultant des engagements pris par le GIE vis-à-vis des créanciers, mais aussi des dettes qui naissant sans convention[68]. Cette dernière situation ne pose pas de problème particulier. En revanche, le cas des dettes qui résultent des engagements pris par le GIE est préoccupant. En effet, le législateur OHADA prévoit que le GIE est administré par une ou plusieurs personnes physiques ou morales et que, dans les rapports avec les tiers, un administrateur engage le GIE pour tout acte entrant dans l’objet de celui-ci[69]. L’objet social apparaît ainsi comme le critère de détermination du passif social (1.2.1.1) ; aussi seuls les actes d’un administrateur engagent-ils le GIE. Sont donc prohibés les actes de gestion externe des membres (1.2.1.2). Ces deux éléments semblent limiter l’attractivité du point de vue de la responsabilité des membres par rapport aux dettes du GIE.

1.2.1.1 L’objet social comme critère de détermination de la dette du GIE

Au regard du Code civil, l’objet forme dans un contrat la matière de l’engagement[70]. Cette formule du législateur OHADA peut conduire à limiter l’objet du contrat à un bien, à un objet, à quelque chose de matériel. Le doyen Carbonnier le relève et écrit que le fait pour le législateur OHADA de considérer dans un contrat l’objet comme la matière de l’engagement peut faire croire à tort qu’il ne pouvait avoir d’objet immatériel[71]. Pour éviter une telle erreur, il désigne l’objet du contrat comme son contenu[72]. Le contrat peut avoir un objet matériel ou un objet immatériel selon les cas. D’une manière plus explicite, certains auteurs désignent l’objet du contrat comme l’opération juridique réalisée par les parties[73]. L’objet d’un contrat peut ainsi désigner ce sur quoi porte le contrat. Que le contrat soit un contrat civil ou commercial, il a toujours un objet. Le législateur OHADA affirme dans ce sens que toute société a un objet qui est constitué par l’activité qu’elle entreprend et qui doit être déterminée et décrite dans ses statuts[74].

Comme on peut le remarquer, l’objet revêt une grande importance dans la constitution des sociétés commerciales. Une société peut être commerciale par son objet[75] et, en ce sens, le GIE ayant un objet civil est civil ; si son objet est commercial, il sera commercial. Outre le fait de conférer à une société la dénomination civile ou commerciale, l’objet est le programme d’activité de la société. C’est pourquoi la loi exige qu’il soit déterminé dans les statuts. En règle générale, la société ne peut agir que dans la limite de son objet librement déterminé par les associés dans les statuts. Très souvent, les statuts évitent de fixer à la société un objet unique, mais prévoient que la société peut, outre son objet principal, accomplir tous les actes qui se rattachent directement ou indirectement à celui-ci[76]. Une telle souplesse dans la détermination de l’objet, si elle a le mérite de ne pas trop restreindre la capacité de la société, n’est pas sans poser des difficultés quant à l’étendue des pouvoirs des dirigeants sociaux.

En effet, selon l’article 879 de l’AUSC, un administrateur n’engage le GIE dans ses rapports avec les tiers que pour les actes entrant dans l’objet du GIE. Comme les statuts sont souvent souples dans la détermination de l’objet, des divergences peuvent survenir entre l’administrateur ou les administrateurs du GIE et ses membres quant à l’appréciation de l’acte qui, directement ou indirectement, se rattache à l’objet social. Mais en dehors de cette difficulté d’appréciation, se trouve posée la question de savoir si l’administrateur ou les administrateurs ne peuvent pas engager le GIE lorsqu’ils agissent en dehors de l’objet social.

On peut observer que le législateur OHADA a prévu cette possibilité pour certaines sociétés. Selon l’article 121 de l’AUSC, les dirigeants sociaux ont tout pouvoir pour engager la société à l’égard des tiers. L’article 122 va plus loin et précise que la société est engagée par les actes des organes de gestion, de direction et d’administration qui ne relèvent pas de l’objet social. Ces dispositions d’ordre général ne semblent pas inclure le GIE, car la loi précise bien qu’il s’agit des sociétés, alors que le GIE n’est pas une société. Ce qui renforce l’hypothèse que cette possibilité ne s’applique pas au GIE peut venir du fait que, en plus des dispositions générales des articles 121 et 122 de l’AUSC, le législateur prévoit la même possibilité de manière spécifique pour certaines sociétés. Ainsi, pour les sociétés à responsabilité limitée, l’article 329 de l’AUSC précise que la société est engagée, même par les actes de gérant qui ne relèvent pas de l’objet social. Il en est de même pour les sociétés anonymes[77].

Au regard de cela, on peut admettre que, si le législateur OHADA a gardé le silence en ce qui concerne la possibilité pour les dirigeants d’un GIE d’engager ce dernier pour les actes accomplis en dehors de l’objet social, il n’a pas voulu leur conférer ce pouvoir. L’objet social devient ainsi le seul critère qui permet de déterminer les actes par lesquels le GIE peut être financièrement engagé. Lorsque le gérant d’une SARL ou d’une SA, membre d’un GIE, se trouve investi administrateur du GIE, il va se retrouver dans une situation ambivalente. La loi lui permet d’engager la société dont il est le responsable, même s’il agit en dehors de l’objet social ; par contre, il ne peut engager le GIE que pour les actes entrant dans l’objet social.

Cette dualité sera d’abord difficile à assumer et ensuite elle affaiblira la protection des créanciers. La protection de l’intérêt des créanciers commande que le GIE, du moins celui qui a un objet commercial, puisse être engagé par les actes des administrateurs qui ne relèvent pas de l’objet social. Il est vrai que le fait de circonscrire les actes de l’administrateur dans le cadre de l’objet social est bien conforme au principe de la spécialité selon lequel, en dehors de l’objet social, il n’y a plus rien. Mais pour rendre le GIE vraiment attractif pour le créancier, il faudrait admettre que les actes de l’administrateur ou des administrateurs puissent engager le GIE quand bien même ces actes ne relèveraient pas de l’objet social. Comme le relève la doctrine, l’objet social a perdu une partie de son importance[78]. Il serait souhaitable que les juges interprètent l’article 879 de l’AUSC dans un sens favorable à l’engagement du GIE ayant un objet commercial pour les actes des administrateurs, même ceux qui se situent en dehors de l’objet social. Cela permettra de renforcer la règle de l’inopposabilité des clauses limitatives des pouvoirs aux tiers[79]. De même, la prohibition des actes de gestion externes des membres mériterait d’être revue pour une meilleure attractivité du GIE.

1.2.1.2 La prohibition des actes de gestion externes des membres

Au regard de l’article 879 de l’AUSC, le GIE est administré par une ou plusieurs personnes physiques ou morales. Lorsqu’une personne morale est désignée administrateur du GIE, elle nomme un représentant permanent. Il peut s’agir d’un ou de plusieurs administrateurs, personne physique ou personne morale. La loi ne précise pas si l’administrateur est choisi uniquement parmi les membres ou parmi les tiers. La liberté est laissée aux membres de fixer à leur guise les organes de gestion du GIE. Ces derniers ont alors la possibilité de choisir les administrateurs en leur sein ou de recourir à des tiers[80]. Pour Yves Guyon, le choix des administrateurs du GIE parmi des tiers est plus conforme à l’égalité des membres[81]. Mais la question du choix de l’administrateur est très délicate en ce sens que seul l’administrateur peut engager financièrement le GIE. Les actes de gestion externe par les membres non gérants sont prohibés. Une telle prohibition frappe les associés commanditaires d’une société en commandite simple[82]. Cela est normal, car ces derniers ne sont responsables des dettes de la société que dans la limite de leurs apports. Ainsi, quand ils violent cette prohibition, la sanction n’est pas la nullité des actes qu’ils ont posés, mais leur responsabilité indéfinie et solidaire relativement aux dettes qui dérivent des actes de gestion qu’ils ont faits[83]. Il en est ainsi parce que la prohibition de l’immixtion n’a pas pour but de protéger les commandités. Ces derniers sont toujours tenus pour responsables indéfiniment et solidairement. Cette obligation indéfinie et solidaire s’étend à l’associé commanditaire qui pose des actes de gestion qui lui sont interdits. Il en est de même en France pour les sociétés en commandite par actions[84]. Dans ces sociétés en effet, il existe aussi des associés commandités qui ont la qualité de commerçant et qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ainsi que des associés commanditaires qui ont la qualité d’actionnaire et qui répondent aux dettes de la société dans la limite de leurs apports. Or s’agissant du GIE, tous les membres répondent indéfiniment et solidairement des dettes du groupement. Il n’y a donc pas en principe de raison de leur interdire des actes de gestion externe. Ce régime n’encourage pas beaucoup l’engagement personnel des membres. Le GIE a pour vocation de promouvoir l’activité économique de ses membres. Cela appelle de la part de ces derniers un engagement actif, comme c’est le cas pour les associés en nom collectif. Étant donné que le membre non administrateur ne peut pas engager financièrement le GIE, il aura du mal à s’engager personnellement dans la bonne marche du GIE.

Pour les SNC, cette difficulté est résolue par la loi qui confère à tous les associés en nom collectif la qualité de gérant, sauf dispositions statutaires contraires[85]. Dans ces conditions, chaque membre pourra accomplir les actes nécessaires à l’administration de la société. Étant tenus pour responsables indéfiniment et solidairement du passif social, les membres sont plus conscients de leur engagement. Il aurait été souhaitable que la loi répute administrateur tout membre du GIE, comme c’est le cas pour les SNC, quitte à laisser aux membres du GIE le choix d’en décider autrement dans les statuts. À défaut de cela, on pourrait, par analogie avec les sociétés en commandite, faire la distinction entre les membres commerçants et les membres non commerçants du GIE et réputer administrateur tout membre commerçant du GIE, sauf si les statuts en décident autrement. Quant aux membres non commerçants, les actes de gestion externes pourraient leur être interdits. Dans ce cas, les créanciers qui traitent avec un membre commerçant du GIE traiteraient avec un administrateur qui engage le GIE. Cette solution présente, à bien des égards, plus d’attractivité pour le créancier, car elle élargit le nombre de personnes membres du GIE dont les actes sont garantis par la responsabilité indéfinie et solidaire de tous ses membres.

1.2.2 L’incohérence par rapport au caractère indéfini et solidaire de la responsabilité

Le législateur OHADA a prévu que l’obligation des membres du GIE par rapport à ses dettes est une obligation indéfinie et solidaire. Cette responsabilité s’apprécie du point de vue de l’obligation relativement à la dette et du point de vue de la contribution à la dette. Du point de vue de l’obligation quant à la dette, chaque membre peut être poursuivi pour le paiement de la totalité de la dette du GIE sur son patrimoine propre. Du point de vue de la contribution à la dette, le membre qui a payé la totalité de la dette peut se faire rembourser soit par le GIE, soit par les autres membres. Cela traduit l’existence d’une communauté d’intérêts au sein du GIE[86]. Mais cette affirmation est confrontée à des obstacles qui limitent l’attractivité du GIE pour les créanciers. Ces obstacles résultent de l’impact de la diversité des statuts des membres sur la responsabilité.

Les membres du GIE, comme cela a été souligné, peuvent être composés de commerçants, d’agriculteurs, de membres de professions libérales, d’entreprises publiques ou privées. Des non-commerçants peuvent donc participer au GIE ; de même, les personnes physiques tout comme les personnes morales peuvent y participer. Il se compose donc d’une diversité de membres. Mais cette diversité[87] sera source de difficultés pour les créanciers qui voudront poursuivre les membres, surtout les membres personnes morales.

Au regard de la loi en effet, des personnes physiques et des personnes morales peuvent participer au GIE. Dans une approche large, les auteurs considèrent que peuvent participer à un GIE, des commerçants, des agriculteurs, des membres de professions libérales, des entreprises publiques, et même d’autres GIE[88]. Cette liste n’est certes pas exhaustive. Le critère qui peut fonder l’aptitude d’une personne morale à participer à un GIE doit résider dans le caractère auxiliaire de l’activité de ce dernier par rapport à l’activité de ses membres[89]. Toute personne physique ou morale susceptible de mener une activité économique peut participer à un GIE.

Comme on l’aura remarqué, sous le vocable unique de « personne morale », on entend une variété de statuts. On peut distinguer les associations, les sociétés civiles, les sociétés commerciales, les entreprises publiques. Chacune d’entre elles pose des problèmes propres à l’effectivité de l’obligation solidaire des membres relativement aux dettes du GIE. Le problème central résulte dans la nécessité de savoir si les poursuites engagées contre les personnes morales membres du GIE dans le cadre de la solidarité entre codébiteurs se limitent à elles seules ou peuvent s’étendre à leurs membres. En fait, la personne morale dont le but est de défendre l’intérêt collectif de ses membres est une entité ayant une existence propre distincte de celle de ses membres. Comme le précise le doyen Carbonnier, ce qui caractérise la personne morale est qu’elle a un patrimoine propre, un patrimoine qui n’est qu’à elle et qui ne se confond pas avec le patrimoine personnel pouvant appartenir à chacun des individus dont elle est composée[90]. En raison de cette séparation entre le patrimoine de la personne morale et le patrimoine personnel de ses membres, les créanciers des individus appartenant à une personne morale ne peuvent pas poursuivre le paiement de leur dette sur le patrimoine de la personne morale. Mais à l’inverse, le patrimoine des membres peut servir à payer les créanciers de la personne morale.

Il en est ainsi surtout dans les sociétés civiles[91]. Dans ces sociétés, le créancier qui n’est pas payé par la société peut se retourner contre les associés et saisir leurs biens personnels. Cette règle permet aux créanciers, en cas de défaillance de la société, de poursuivre les associés. Comme le précise la loi, chaque associé est tenu de payer les dettes de la société dans la limite de la proportion des parts qu’il détient dans le capital social[92]. Les associés sont tenus pour responsables indéfiniment des dettes sociales ; mais cette obligation quant à la dette est proportionnelle aux parts sociales de chaque associé. Il s’agit alors d’une obligation conjointe au passif social. Dans ces conditions, les créanciers d’un GIE, qui décide de poursuivre une société civile, obligée solidairement et indéfiniment par rapport aux dettes du GIE, se trouveront confrontés à la réalité de l’obligation conjointe et non solidaire relativement aux dettes de ses associés. Les créanciers qui décident de poursuivre une société civile membre d’un GIE peuvent se trouver dans l’obligation de fractionner leur poursuite contre les membres de cette société civile, néanmoins obligée solidairement pour ce qui est des dettes du GIE. Cette situation pose des problèmes en ce qui concerne la solidarité au sein des membres du GIE. Elle se rencontre aussi dans les sociétés commerciales.

Une société peut être commerciale soit par son objet, soit par sa forme. En raison de sa forme, la société commerciale dans l’espace OHADA[93] peut être soit une SARL, soit une SA, ou encore une SNC ou une société en commandite simple[94]. On peut regrouper ces différentes sociétés en deux ensembles principaux, à savoir les sociétés dans lesquelles les membres ne sont pas tenus pour responsables au-delà de la limite de leurs apports et celles dans lesquelles les associés sont tenus pour responsables indéfiniment et solidairement du passif social. Dans cette dernière catégorie figure la SNC[95]. Dans la société en commandite simple, certains associés sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales. Ce sont les associés commandités. Les autres associés, appelés « associés commanditaires » ou « associés en commandite », sont responsables des dettes sociales dans la limite de leurs apports. Tout comme les associés en commandite, les membres des SARL et des SA sont responsables des dettes sociales dans la limite de leurs apports. On peut alors en déduire que la responsabilité indéfinie et solidaire qui pèserait sur une SARL ou une SA membre d’un GIE ne se transmet pas à ses membres. Toutefois, selon l’article 183 de l’AUPC, les dirigeants de ces sociétés peuvent être tenus solidairement des dettes de la société par le biais de l’action en comblement du passif[96]. Mais cela ne permet pas de retenir une véritable responsabilité indéfinie et solidaire de ces sociétés qui participeraient à un GIE. Il en va de même en ce qui concerne les entreprises publiques.

Les entreprises publiques sont les personnes morales qui posent le plus de problèmes en ce qui a trait à l’obligation indéfinie et solidaire du GIE. Elles appartiennent à la famille plus grande des services publics à caractère industriel et commercial (SPIC) et traduisent l’intervention de la personne publique dans l’activité économique. La notion de SPIC a été une création du Conseil d’État français[97] à la suite du célèbre arrêt du Bac d’Eloka[98] rendu par le Tribunal des conflits. Ce sont des services exploités par l’administration dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire[99]. Ces conditions tiennent à l’objet du service, à l’origine de ses ressources et aux modalités de son fonctionnement[100]. Le service public qui, du point de vue de ces trois conditions, ressemble à une entreprise privée sera alors considéré comme SPIC[101]. L’intervention de la personne publique dans l’activité économique a pour conséquence la soumission des SPIC à un régime juridique mixte où cohabitent des règles du droit des affaires et les règles du droit administratif. Comme le soulignent la plupart des auteurs, le régime juridique des SPIC est largement un régime de droit privé[102]. Mais comme toute personne publique, le SPIC dispose de prérogatives de puissance publique qui font obstacle à l’exercice des voies d’exécution contre lui. Dans un arrêt historique du 9 décembre 1899, le Tribunal des conflits énonce le principe selon lequel les voies d’exécution instituées pour le recouvrement des créances dans le cas des particuliers ne peuvent être suivies contre les établissements publics industriels et commerciaux[103]. Cette règle a été aussi confirmée en 1987 en France par la Cour de cassation qui réaffirme que les biens des personnes publiques sont insaisissables[104]. Cette disposition a été reprise par l’article 30 de l’AUVE qui l’a assortie d’un tempérament. Ainsi, après avoir posé au premier alinéa de l’article 30 que l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution, le second alinéa prévoit la possibilité de compensation des dettes certaines, liquides, et exigibles entre les entreprises et quiconque[105]. Pour la Cour commune de justice et d’arbitrage, cette possibilité d’opposer la compensation aux entreprises publiques est un tempérament au principe général de l’interdiction des voies d’exécution et des mesures conservatoires contre les personnes qui bénéficient de l’immunité d’exécution[106]. Il convient de noter que cette possibilité de compensation est très limitée, car, pour être certaine, la dette doit avoir fait l’objet de reconnaissance ou résulter d’un titre exécutoire à l’encontre de l’État. Il s’agit là d’une condition très difficile à remplir[107]. En conséquence, une entreprise publique membre d’un GIE ne peut pas être considérée comme tenue à l’obligation solidaire et indéfinie par rapport aux dettes de ce dernier. La diversité des statuts des membres du GIE limite donc considérablement l’obligation indéfinie et solidaire.

On peut retenir que, formellement, il y a une attractivité certaine du GIE à l’égard des membres. Cette attractivité résulte du caractère contractuel très affirmé du GIE et des nombreuses possibilités laissées aux membres d’adapter le GIE à leurs besoins. En revanche, elle est très relative en ce qui concerne les créanciers. Ces derniers, certes, bénéficient de l’inopposabilité des clauses limitatives des pouvoirs des administrateurs du GIE et de la responsabilité indéfinie et solidaires des membres quant à ses dettes. Mais il existe des risques d’ineffectivité de la responsabilité indéfinie et solidaire qui limitent considérablement l’attractivité recherchée par la loi, mais celle-ci peut néanmoins être réajustée par convention.

2 L’attractivité ajustable par convention

Les membres du GIE, après la constitution de ce dernier, peuvent conclure des conventions susceptibles de modifier l’attractivité voulue par la loi, que ce soit en la renforçant et même parfois en l’affaiblissant. Ces conventions peuvent porter sur l’octroi d’avantages particuliers aux nouveaux membres par contrat ou par l’exclusion de la solidarité par convention avec le tiers contractant.

2.1 L’exclusion de la solidarité par des conventions avec les tiers contractants

L’article 873 de l’AUSC souligne que les membres du GIE sont solidaires du paiement des dettes du groupement, sauf convention contraire avec les tiers contractants. Un tel aménagement peut gêner, à bien des égards, le principe d’égalité des créanciers[108]. C’est pourquoi il est nécessaire de mesurer l’impact de ces conventions sur l’attractivité du GIE. En ce sens, il convient de rechercher quel est le contenu de la notion de convention contraire et comment s’apprécie la qualité de tiers contractant.

2.1.1 La notion de convention contraire

La loi ne se réfère pas directement à la notion de convention exclusive de solidarité, mais évoque plutôt la notion de convention contraire. À partir de l’article 873 de l’AUSC, on peut dire que la convention contraire avec le tiers contractant est donc une convention de nature à faire disparaître l’obligation solidaire des membres par rapport aux dettes du GIE. Il s’agit donc d’une convention susceptible de mettre fin à la solidarité. En principe, la solidarité prend fin par l’exécution intégrale de l’obligation garantie et par le renoncement[109]. En dehors de l’hypothèse du renoncement à la solidarité, il convient de rechercher parmi les causes d’extinction des obligations celle qui caractérise la convention contraire au sens de l’article 873.

Selon l’article 1234 du Code civil[110], les obligations s’éteignent par le paiement, la novation, la remise volontaire, la compensation, la confusion, la perte de la chose, la nullité ou la rescision, la condition résolutoire, la prescription. Cette liste assez étendue ne sera pas sans effet sur l’attractivité. D’ailleurs, la plupart de ces causes n’appellent pas une convention particulière. C’est le cas notamment du paiement, mode normal d’extinction des obligations, mais aussi de la perte de la chose, de la prescription, de la nullité ou de la rescision, de la confusion. Certaines en revanche appellent une convention ; c’est le cas de la novation, de la compensation, de la remise de dette.

Aux termes de l’article 1289 du Code civil, la compensation est un mécanisme par lequel les obligations réciproques entre deux personnes débitrices l’une de l’autre s’éteignent. La compensation peut être totale lorsque les deux obligations sont d’un même montant et partielle lorsque l’une des obligations est d’un montant supérieur à l’autre. Dans ce cas, le débiteur de l’obligation d’un montant supérieur paie à l’autre le solde des deux montants. L’intérêt d’un tel mécanisme est d’éviter le double paiement[111]. La compensation peut être légale, judiciaire ou conventionnelle. Les débiteurs peuvent renoncer, même tacitement, à la compensation légale. Aux termes de l’article 1299 du Code civil, la renonciation à la compensation fait revivre l’obligation, mais les garanties qui l’accompagnent ne subsistent plus. Ainsi, en cas de renonciation à la compensation, l’obligation solidaire qui garantissait la dette s’éteint en principe. En revanche, en cas de remise de dette, le débiteur est déchargé de ses dettes sans les payer[112]. Il s’agit d’un mécanisme par lequel le créancier accepte de libérer le débiteur pour tout ou partie de la dette. Elle met fin à la solidarité. Il en est de même pour la novation : c’est un mécanisme par lequel une obligation nouvelle remplace une obligation ancienne qui est dès lors éteinte. La novation peut s’opérer par changement de la dette ou par changement du créancier ou encore par changement de créanciers. Dans l’un ou l’autre des cas, l’extinction de l’obligation ancienne entraîne l’extinction de la solidarité vis-à-vis de cette dette. Toutefois, la nouvelle dette peut être garantie par une nouvelle solidarité.

Dans la plupart de ces hypothèses, la solidarité prend fin par l’extinction de l’obligation garantie. L’obligation principale ayant été effacée, il n’y a pas de raison que la solidarité prenne fin. Pour le créancier, ces conventions sont d’un grand intérêt.

En revanche, la situation dans laquelle la solidarité prend fin alors que la dette garantie subsiste pose des problèmes pour l’attractivité, car nous sommes là dans l’hypothèse où la dette existe, mais n’est plus garantie par la solidarité. Le créancier, par convention, renonce alors au bénéfice de la solidarité. La dette devient ainsi une dette conjointe et le créancier renonçant perd la faculté de poursuivre l’un quelconque des membres du GIE pour le paiement de la totalité, du moins si la renonciation est faite au profit de tous les membres ; cela amène à s’interroger sur la personne qui peut bénéficier de la renonciation. Plus précisément, il convient de savoir si le renoncement à la solidarité fait par le créancier peut être fait au profit d’un ou de plusieurs membres du GIE ou doit être fait au profit de tous ses membres et sous quelle forme.

Selon l’article 1210 du Code civil, le créancier qui consent à la division de la dette à l’égard de l’un des codébiteurs conserve son action solidaire contre les autres, mais sous déduction de la part du débiteur qu’il a déchargé de la solidarité. Au regard de cet article, la renonciation peut être faite, au choix du créancier, au profit d’un seul membre du GIE, à quelques membres ou à l’ensemble de ceux-ci. Dans ce cas, la forme que peut revêtir cette renonciation mérite d’être précisée. Le Code civil tout comme le Code de commerce ou même les actes uniformes n’ont pas fourni de telles précisions ; le Code civil induit la renonciation de certaines circonstances qui tiennent au comportement du créancier[113]. Dans ce sens, la Cour de cassation française, dans un arrêt du 23 mai 1973, dit que, pour sa part, le créancier qui forme une demande contre l’un des codébiteurs est censé lui remettre sa solidarité s’il est intervenu un jugement de condamnation[114]. Un écrit est donc nécessaire, mais le juge peut relever qu’il y a renonciation à la solidarité à partir de certains comportements du créancier. Dans tous les cas, la volonté de renoncer doit être certaine de la part du créancier[115]. On peut relever que ces règles, courantes en droit civil, bousculent quelques fondements du droit commercial en ce qui concerne la solidarité.

En effet, il existe un usage commercial selon lequel la solidarité se présume pour les obligations contractuelles[116]. Il s’agit d’un vieil usage commercial qui était initialement restreint aux sociétés et qui, par la suite, a été étendu à toutes les dettes commerciales, même si le débiteur n’est pas associé. Il a reçu une consécration jurisprudentielle dès 1946 par un arrêt de la Cour de cassation[117]. Comme l’expliquent Planiol et Ripert, cette présomption de solidarité se justifie par l’intérêt général du crédit commercial. Elle incite le créancier à contracter et renforce le crédit des débiteurs[118]. C’est sur ce dernier aspect que la possibilité de renonciation à la solidarité au profit des membres du GIE est gênante. Comme on l’a évoqué plus haut, le GIE peut se constituer sans capital : l’obligation indéfinie et solidaire par rapport à ses dettes est alors une garantie sérieuse pour ses créanciers. On comprend mal que ces derniers acceptent de renoncer à une telle garantie. Si cela se justifie éventuellement en matière civile, la renonciation peut porter atteinte à l’intérêt général en ce qui concerne les dettes des GIE ayant un objet commercial.

À moins de procéder à une distinction tenant compte de l’objet civil ou commercial du GIE pour fixer le renoncement contractuel à la solidarité, il est souhaitable, en l’état actuel des textes, que le juge fasse une application rigoureuse de cet aménagement en vérifiant scrupuleusement que la renonciation à la solidarité a été consentie de manière libre et éclairée par le tiers contractant. Il peut veiller à ce que le renoncement contractuel à la solidarité soit compensé par le recours aux garanties.

2.1.2 L’appréciation de la qualité de tiers contractant

Les conventions avec le tiers contractant constituent un aménagement contractuel prévu par l’article 873 de l’AUSC. Si la convention peut être entendue comme une manifestation de volonté susceptible de créer un effet de droit, la notion de tiers est complexe. Cette notion n’a pas de définition légale, ce qui peut être nuisible au créancier. La doctrine a essayé de parer à cette carence en précisant quels en sont les contours. Ainsi, pour Planiol et Ripert, la liste des personnes qui sont des tiers est établie sur des bases différentes[119]. En se fondant sur le principe de l’effet relatif[120] des contrats posé par l’article 1165 du Code civil, selon lequel « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties ; elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne leur profitent que dans le cas prévu », certains auteurs définissent les tiers négativement. Les tiers sont à l’opposé des parties. Dans cette perspective, les parties s’identifient à ceux qui ont conclu le contrat et les tiers, à tous les autres[121]. Comme le dit le doyen Carbonnier, ce sont des individus entièrement étrangers à la conclusion du contrat, ceux qui n’y ont figuré ni par eux-mêmes, ni par représentant et qui ne sont pas des ayants cause des parties[122]. On parle dans ce cas de tiers penitus extranei, c’est-à-dire profondément extérieurs. L’extériorité des tiers est donc déterminée par rapport à un contrat. S’agissant du GIE, l’extériorité des tiers s’appréciera par rapport à son contrat de constitution. Mais dans ce cas, les tiers penitus extranei ne sont pas les seules personnes étrangères au contrat de constitution du GIE. Il y a aussi les ayants cause, c’est-à-dire ceux qui tiennent un droit de quelqu’un, en l’espèce le GIE : lorsque que le droit que l’ayant cause tient de son auteur se rapporte à un élément du patrimoine, on parle d’ayant cause « particulier » ou « à titre particulier ». Par contre, si les droits de l’ayant cause portent sur tout le patrimoine de son auteur, il est appelé « ayant cause universel ». Ce dernier est parfois assimilé aux créanciers chirographaires. Ceux-ci sont des créanciers qui ne disposent d’aucune sûreté particulière et qui n’ont qu’un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur[123]. À l’opposé des créanciers universels, les créanciers chirographaires peuvent, selon les mots de Planiol et Ripert, « critiquer les actes du débiteur, s’emparer de ses biens, exercer ses droits malgré lui… ils se posent en face de lui et contre lui[124] ». En effet, aux termes des articles 1166 et 1167 du Code civil, les créanciers chirographaires disposent de certaines actions spéciales contre le débiteur par la voie de l’action oblique et de l’action paulienne. Par la voie de l’action oblique, les créanciers chirographaires peuvent exercer tous les droits et actions de leurs débiteurs, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. Dans cette hypothèse, le créancier se substitue au débiteur négligent. Par l’action paulienne, les créanciers chirographaires, en leur nom personnel, peuvent attaquer les actes faits par leurs débiteurs en fraude de leurs droits. Ils attaquent directement les actes frauduleux faits par le débiteur pour diminuer leur gage général. En parlant de tiers contractants, le législateur OHADA semble viser les créanciers plutôt que les tiers penitus extranei. Il s’agit de personnes qui détiennent une créance sur le GIE à partir d’un contrat. Cela revient à refuser la qualité de tiers contractants à des personnes qui détiennent sur le GIE une créance résultant d’un fait juridique. Le fait juridique est tout événement auquel la loi attache un effet de droit indépendamment de la volonté de son auteur. Alors que, dans le contrat, les parties manifestent la volonté de s’obliger les unes envers les autres, dans les faits juridiques, il n’y a aucune manifestation de volonté. Le fait juridique produit des effets juridiques du seul fait de la loi. C’est le cas de l’obligation de réparer les préjudices causés à autrui[125].

Ainsi, contrairement aux usages commerciaux, les membres d’un GIE à objet commercial peuvent faire des aménagements contractuels à la solidarité quant aux dettes du GIE. Il s’agit d’une grande largesse qui menace la sécurité du crédit commercial, ce qui n’est pas très attractif. Pour éviter cela, il conviendrait également de faire une distinction entre l’objet civil ou commercial du GIE dans les aménagements contractuels légaux. Si le GIE est à objet civil, on peut admettre les aménagements contractuels légaux. En revanche, si le GIE est à objet commercial, il faudrait refuser les aménagements contractuels à la solidarité.

Aussi la subsidiarité de l’engagement des membres du GIE permet-elle de faire des réajustements tacites de son attractivité. En effet, les membres du GIE n’en sont pas des débiteurs conjoints. Comme le précise la loi, ils ne sont que tenus au passif. À ce titre, ils disposent comme d’un parapluie qui les protège contre les assauts des créanciers. Ces derniers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure le GIE par acte extrajudiciaire[126]. Ainsi comprise, la mise en demeure, en tant qu’acte par lequel un créancier demande à son débiteur d’exécuter son obligation, sert à prouver que ce dernier ne l’a pas encore fait. Dans le domaine des sûretés personnelles, la mise en demeure ouvre au créancier la possibilité de poursuivre les personnes qui garantissent le paiement de la dette du débiteur principal[127]. La jurisprudence française précise qu’il s’agit d’une condition nécessaire et suffisante[128]. Avant donc de poursuivre les membres du GIE, les créanciers de ce dernier doivent au préalable le mettre en demeure. Ce n’est qu’après l’avoir vainement mis en demeure que les créanciers peuvent en poursuivre les membres. Toutefois, cette exigence de la mise en demeure préalable, telle qu’elle est organisée, pose un certain nombre de problèmes que l’on peut regrouper en deux catégories : d’abord, le texte de l’article 874 de l’AUSC ne donne pas de précision sur le délai à partir duquel les créanciers peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales ; ensuite, on n’a pas beaucoup d’éléments pour apprécier le contenu qu’il convient de donner à l’adverbe « vainement » utilisé par le législateur communautaire.

En ce qui concerne le premier problème relatif au délai, le silence du législateur OHADA est un peu surprenant et compromet en conséquence l’attractivité. En effet, s’agissant des SNC, il est bien précisé que les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé que 60 jours au moins après avoir vainement mis en demeure la SNC de payer. Ce délai légal de 60 jours peut encore être prorogé de 30 jours[129], ce qui donne en tout 90 jours aux associés pour réagir. On se demande si, par son silence, le législateur OHADA veut simplement éviter la répétition en invitant tacitement à appliquer les mêmes règles aux GIE. On aura du mal à soutenir cela. On doit plutôt penser que, en gardant le silence, le législateur OHADA a de bonnes raisons de ne pas enfermer les créanciers du GIE dans des délais aussi longs qui pourraient permettre aux débiteurs solidaires d’organiser leur insolvabilité[130]. Dans le même temps, on ne peut pas soutenir qu’un délai n’est pas nécessaire. La mise en demeure assure la double fonction de rappel en ce qui concerne l’existence de la dette et la preuve que son paiement n’a pas encore été fait[131] ; il faudrait nécessairement un délai pour cela. De son côté, le législateur français a été précis en prévoyant un délai de huit jours à l’issue duquel l’on peut engager la poursuite en paiement[132]. Compte tenu de l’état des communications dans les États membres de l’OHADA, ce délai paraît trop court. Il convient que la jurisprudence fixe un délai raisonnable qui tienne compte de la sécurité du crédit.

Pour le deuxième problème relatif au sens de l’adverbe « vainement », deux interprétations sont possibles. Soit la mise en demeure est vaine si le GIE n’a pas les moyens de payer la dette, soit elle est vaine lorsque le GIE n’a pas la volonté de payer la dette. Si l’on considère que la mise en demeure est vaine seulement lorsque le GIE n’a pas les moyens de payer, les créanciers du GIE ne pourront poursuivre ses membres que lorsque celui-ci sera dans l’impossibilité de payer la dette ou si son actif est insuffisant pour payer la totalité de la dette. Cela reviendrait à accorder aux membres du GIE le bénéfice de la discussion. Il en est ainsi pour les sociétés civiles. Pour ces dernières, les créanciers sociaux ne peuvent poursuivre les associés que lorsque la société, après mise en demeure, est dans l’impossibilité de payer[133]. En revanche, pour le commentateur de l’article 871 de l’AUSC, les membres du GIE, quel que soit l’objet civil ou commercial de ce dernier, n’ont pas le bénéfice de la discussion. Une telle généralisation nous paraît trop sévère pour les membres du GIE à objet civil. Il conviendrait mieux de prendre en compte l’objet civil ou commercial du GIE pour retenir que, si ce dernier est à objet civil, la mise en demeure est considérée comme vaine lorsqu’il est dans l’impossibilité de payer. En revanche, si le GIE est à objet commercial, la mise en demeure est considérée comme vaine s’il n’a pas payé. Cette solution, plus attractive, permet d’éviter de soumettre les sociétés civiles à la rigueur du droit commercial. Cela permet de mieux ajuster l’attractivité du GIE. Il en est de même avec les avantages particuliers qui peuvent être octroyés aux nouveaux membres par contrat.

2.2 L’octroi d’avantages particuliers aux nouveaux membres par contrat

Les membres du GIE sont tenus au paiement de ses dettes sur leur patrimoine propre, mais si le contrat le permet, un nouveau membre peut être exonéré des dettes nées antérieurement à son entrée dans le GIE[134]. L’exonération peut être considérée comme un avantage accordé aux nouveaux membres. En effet, il est courant que, lors de la constitution des sociétés, des avantages particuliers soient accordés à certaines personnes. Ce sont souvent des faveurs qui sont attribuées à un actionnaire ou à un tiers, ou à une catégorie déterminée de personnes[135]. Ces faveurs sont accordées en considération de la personne de son bénéficiaire qui peut être soit un membre de la société, soit une tierce personne[136]. Mais l’identité du bénéficiaire de l’avantage ainsi que la nature dudit avantage doivent être indiquées dans les statuts[137]. C’est donc à l’instar des sociétés que le droit OHADA a prévu, tout comme le droit français, des avantages particuliers dans le cadre du GIE. Ils accroissent l’attractivité à l’égard des membres. Mais ils risquent de priver d’effectivité l’attractivité du GIE pour le créancier. Ils doivent faire l’objet d’une autorisation préalable. Leur bénéfice appelle des clarifications.

2.2.1 L’autorisation préalable des avantages particuliers

L’autorisation préalable du contrat signifie que l’exonération des nouveaux membres de l’obligation aux dettes nées antérieurement à leur entrée dans le GIE doit être permise au préalable par contrat. En principe, la prise en compte des opportunités d’affaires pourrait commander de ne pas exiger cette autorisation préalable. Mais il s’agit d’un des avantages particuliers ; or ces derniers, comme on l’a indiqué précédemment, doivent être indiqués dans les statuts. L’exigence de l’autorisation préalable se justifie de ce fait, car elle participe de l’attractivité du GIE pour les créanciers. En effet, la loi n’a pas seulement doté le GIE de la personnalité morale. Comme cela a été souligné précédemment, elle a aussi soumis sa création à la conclusion, par les membres, d’un contrat. Le GIE naît donc d’un contrat. En cela, il se rapproche beaucoup de la société[138]. En effet, selon l’article 1832 du Code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. De même, l’AUSC prévoit que la société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par contrat, d’affecter à une activité des biens, en numéraire ou en nature, dans le but d’en partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourrait en résulter. On peut noter que, entre la définition de la société que donne le Code civil et celle de l’AUSC, il y a une nuance qui tient au fait que, dans la définition du Code civil, la société est instituée par contrat. Une telle nuance traduit l’évolution actuelle du droit des sociétés qui se caractérisent par une prédominance de l’aspect institutionnel sur l’aspect contractuel. Il en est ainsi surtout avec les sociétés de capitaux, la SA notamment. Comme le note le doyen Ripert, la SA est un merveilleux instrument du capitalisme moderne[139] ; en ce sens, le droit OHADA en a fait la seule technique de concentration des capitaux[140]. Selon l’AUSC, la SA est une société dans laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et dont les droits des actionnaires sont représentés par des actions[141]. Elle est donc une société à risque limité ; il en est de même pour la SARL qui est une société dans laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports. Mais dans une SARL, les droits sociaux sont représentés par des parts sociales[142]. Ce type de société se caractérise par des mécanismes juridiques très perfectionnés où les règles impératives prédominent. Le GIE est une occasion pour une SARL de renouer avec son origine contractuelle. Certes, le GIE n’est pas une société, mais il est constitué par contrat. En principe, le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose[143]. Les parties à un contrat sont libres de déterminer le contenu de leur convention[144]. Mais dans le GIE, le contenu du contrat de constitution doit être en relation avec l’activité économique des membres, car le GIE a pour objet l’amélioration de l’activité économique de ses membres. C’est donc dans le cadre de cet objet que les parties peuvent organiser librement leur entente. Elles peuvent convenir dans le contrat d’octroyer des avantages à certains membres pour encourager leur adhésion au GIE. Mais la question que l’on peut se poser serait de savoir dans quel contrat les membres doivent prévoir les avantages qu’ils souhaitent accorder à certains membres. Le texte de l’article 873 de l’AUSC évoque la possibilité d’accorder des avantages à certains membres si le contrat le permet. Faudrait-il retenir que l’autorisation préalable à l’octroi d’avantages à un membre doit être mentionnée dans le contrat de constitution du GIE, ou bien qu’elle peut y être introduite à tout moment par une clause modifiant le contrat ?

Selon l’article 873 de l’AUSC, toutes les modifications du contrat sont établies et publiées dans les mêmes conditions que le contrat lui-même. Le contrat de constitution du groupement peut donc être modifié ; en conséquence, on peut soutenir que l’autorisation préalable peut faire l’objet d’une clause modifiant à tout moment le contrat du groupement. Ce qui est exigé, c’est le respect de certaines règles d’établissement et de publicité de toutes les modifications du contrat. Mais une telle approche comporte le risque que des autorisations de complaisance soient accordées. De même, si l’on admet que l’autorisation préalable peut être prévue à tout moment dans le contrat, on doit aussi admettre que, par une clause modificative, l’on puisse supprimer, à la suite de la modification du contrat, une clause antérieure autorisant l’octroi d’avantages à certains membres. Cela posera le problème du sort qui sera réservé au membre qui avait bénéficié de l’avantage supprimé. On pourrait évoquer l’idée de droits acquis, mais cela n’est pas aussi simple en l’espèce.

Pour éviter ce genre de situations, il conviendrait de considérer que l’autorisation préalable de tout avantage doit être prévue dans le contrat de constitution du GIE. Ainsi, lorsque les membres du GIE font l’option d’accorder une exonération aux nouveaux membres, ils doivent le prévoir dans le contrat constitutif. Cet encadrement contribuerait à faire des avantages particuliers accordés aux nouveaux membres une mesure attractive aussi bien pour les membres que pour les créanciers. En dépit de cela, on peut être réservé par rapport au bénéfice des avantages particuliers.

2.2.2 La réserve quant au bénéfice des avantages particuliers

Les membres du GIE ont donc la latitude de prévoir dans tout contrat de constitution d’octroyer des exonérations au profit des nouveaux membres. Le GIE suscite ainsi l’intérêt d’une nouvelle personne à en être membre. Les raisons d’une telle motivation sont nombreuses et variées[145]. Cela signifie que, si le contrat le permet, les nouveaux membres ne seront tenus pour responsables des dettes du GIE sur leur patrimoine propre que lorsqu’il s’agit des dettes nées après leur entrée dans le GIE. Avant de se prononcer sur la pertinence d’une telle exonération, il convient de se demander si l’exonération commence à courir dès la signature du contrat ou à partir de la publication de la décision d’exonération.

Compte tenu de la fonction d’information[146] attachée à la publication des actes juridiques, on peut être tenté de retarder la date de la prise d’effet de l’exonération à partir de la publicité de cette exonération[147]. En effet, on peut soutenir que c’est à partir de ce moment que les tiers sont informés de la décision d’exonération. Mais une telle approche pourrait s’écarter de l’esprit de l’article 873 de l’AUSC qui met l’accent sur les dettes nées antérieurement à l’entrée du nouveau membre dans le GIE. Le moment qui est pris en compte, c’est le moment de l’entrée dans le GIE. Quand bien même on aurait admis que l’exonération court dès l’entrée dans le GIE et non au moment de la publication de la décision d’exonération, on peut s’interroger sur le bien-fondé de la décision d’accorder au nouveau membre une exonération par rapport à l’obligation indéfinie relativement aux dettes du GIE. En effet, ce dernier, à l’instar des sociétés civiles, peut se constituer sans capital[148]. Or celui-ci assure, entre autres, le rôle de garantie des créanciers sociaux. Il représente en quelque sorte le gage général des créanciers[149]. Comme le souligne la doctrine, c’est l’actif social qui est davantage le gage des créanciers[150]. En l’absence de capital, le patrimoine propre des membres doit jouer le rôle de garantie qui lui est dévolu. Ainsi, les créanciers qui n’ont pas été payés par le GIE doivent pouvoir se retourner contre ses membres pour se faire payer sur leurs biens[151]. On peut avancer que les nouveaux membres ayant adhéré au GIE à un moment donné n’ont pas tiré profit des dettes nées antérieurement à leur entrée. Mais c’est perdre de vue que le GIE est doté de la personnalité morale et, pour cela, il est une personne morale qui, en raison de sa durée de vie passée, a acquis dans la sphère économique une certaine notoriété dont les membres anciens comme nouveaux peuvent tirer profit. Par exemple, la clientèle qu’un GIE a réussi à se forger par le passé peut permettre à un nouveau membre qui y adhère d’écouler plus rapidement ses produits. On a alors du mal à justifier qu’un nouveau membre soit habilité à tirer profit de tous les avantages liés à l’appartenance au GIE et être exonéré de l’obligation indéfinie par rapport aux dettes du groupement nées antérieurement à son entrée dans celui-ci. Une telle pratique peut être considérée comme contraire à l’équité. De plus, dans les sociétés civiles, l’obligation des associés indéfinie à l’égard des dettes sociales est d’ordre public et ne saurait faire l’objet d’aucune limitation contractuelle[152]. Aussi, dans les SNC dont se rapproche le GIE, aucun membre ne peut bénéficier d’une telle exonération. Selon la Cour de cassation française, le nouvel associé répond du passif qui existait au moment de son entrée et pas seulement du passif né ultérieurement[153]. Le refus d’une telle exonération s’explique par le fait que le nouveau est informé de la situation de la société avant son entrée et peut bien mesurer la conséquence qu’implique son adhésion par rapport aux dettes sociales. On peut adopter la même solution pour le GIE. Cela évitera d’y avoir des membres inégaux dont certains bénéficient d’exonération, alors que d’autres n’en bénéficient pas. Une telle solution serait plus attractive pour le créancier. Avec les solutions actuelles, certaines personnes physiques ou morales, au moment de leur adhésion, pourront faire pression pour obtenir une exonération, créant ainsi, de fait, une inégalité au sein des membres. Ces risques peuvent bien être compensés par l’avantage que le GIE retire de leur adhésion.

Il apparaît alors que l’exonération des nouveaux membres des dettes nées antérieurement à leur entrée dans le GIE et les conventions avec le tiers contractant pour mettre fin à la solidarité sont deux aménagements contractuels qui, si l’on n’y prend garde, vont affaiblir l’attractivité du GIE, surtout au regard des créanciers. Mais on ne doit pas perdre de vue qu’ils ne privent pas totalement le GIE d’attractivité.

Conclusion

Le législateur OHADA a créé, à côté des sociétés commerciales, principaux acteurs des relations commerciales, le GIE pour en faire un instrument de collaboration des entreprises. Des difficultés existent certes quant à la détermination de sa nature juridique et tiennent à ce que le GIE n’est ni une association ni une société. En dépit de cela, le législateur OHADA l’a doté de la personnalité morale qui lui confère une certaine efficacité. Le GIE dispose de la personnalité morale et de la pleine capacité juridique qui lui permettent de développer l’activité économique de ses membres. Ces derniers jouissent d’une grande liberté pour élaborer les règles susceptibles de leur donner les moyens d’améliorer leur activité. Cela constitue un motif d’attractivité du GIE à leur égard.

Pour rendre également le GIE attractif pour le créancier, le législateur OHADA a prévu quelques rares règles impératives qui apparaissent comme des tempéraments nécessaires permettant d’assurer la protection des tiers. Ainsi, il est prévu que les membres du GIE sont tenus pour responsables indéfiniment et solidairement de ses dettes. Dans la réalité concrète, cette affirmation comporte des risques, et ce, pour deux raisons principales. Il s’agit de l’approche restrictive du passif social et de l’existence de difficultés sérieuses de poursuivre les membres. Ces difficultés limitent considérablement l’attractivité du GIE pour le créancier. Ces limites sont encore accentuées par des aménagements contractuels quant à la responsabilité des membres relativement aux dettes du GIE.

En effet, les règles susceptibles de rendre le GIE attractif pour le créancier sont fixées sans distinction de l’objet civil ou commercial du GIE. Ainsi, comme pour les sociétés en nom collectif, les membres du GIE sont tenus pour responsables indéfiniment et solidairement du passif social, peu importe si l’objet du GIE est civil ou commercial, peu importe s’ils sont commerçants ou non. Le législateur OHADA, certainement conscient de la rigueur de ces règles pour les GIE ayant un objet civil, a prévu des aménagements contractuels tels que l’exonération des nouveaux membres aux dettes nées antérieurement à leur entrée dans le GIE. De même, les tiers cocontractants peuvent renoncer à la solidarité. Ces aménagements contractuels légaux, s’ils sont acceptables pour les GIE ayant un objet civil, pourraient vider la solidarité de son contenu si on les applique aux GIE ayant un objet commercial. Cette situation pourrait susciter des inquiétudes par rapport à la sécurité du crédit. Pour éviter cela, il conviendrait, pour la mise en oeuvre de l’obligation des membres du GIE quant à ses dettes, de distinguer selon l’objet civil ou commercial de ce dernier.

Le législateur français, par exemple, a organisé une telle distinction en ce qui concerne la société en participation[154]. En effet, aux termes de l’article 1872-1 du Code civil, si les membres d’une société en participation agissent au vu et au su des tiers, chacun d’eux est tenu pour responsable solidairement des dettes de la société à l’égard de ceux-ci si la société est commerciale. Ils sont tenus sans solidarité dans tous les autres cas[155]. Cette distinction a le mérite de tenir compte des principes de solidarité en matière commerciale et de ne pas soumettre des sociétés civiles à la rigueur du droit commercial. Sa prise en compte permettrait de mieux assurer la protection du crédit et rendrait le GIE vraiment attractif pour le créancier tout autant que pour ses membres.