Chronique bibliographique

Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman (dir.), La loi et le genre. Études critiques de droit français, Paris, C.N.R.S. Éditions, 2014, 799 p., ISBN 978-2-271-08207-7[Record]

  • Louise Langevin

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  • Louise Langevin
    Université Laval

Les membres du programme de recherche Régine (Recherches et études sur le genre et les inégalités dans les normes en Europe) proposent ici leur second ouvrage analysant le droit français à partir d’un cadre théorique féministe. Ce programme joue un rôle de pionnier en France puisqu’il est le premier à revoir le droit français à l’aune d’une grille féministe. Le précédent ouvrage de l’équipe de Régine avait entrepris un débroussaillage en abordant des questions épistémologiques et des méthodes propres à l’analyse féministe du droit. Celui-ci présente une analyse féministe plus en profondeur de plusieurs domaines du droit. Il faut le dire : le travail réalisé est titanesque. À notre avis, l’ouvrage deviendra un classique en théorie féministe du droit en France et dans la Francophonie. L’ouvrage regroupe 35 auteures et auteurs, autant de textes, organisés autour de cinq thèmes : 1) le corps ; 2) les ressources et les richesses ; 3) la parité et la mixité ; 4) les dignités ; et 5) l’intersectionnalité et discriminations multiples. Ce découpage se révèle intéressant. En effet, les catégories juridiques classiques (droit de la famille et des personnes, droits fondamentaux, droits des obligations), souvent trop étanches, ont fait place à des sujets transversaux qui touchent les femmes et qui permettent de mieux circonscrire les stéréotypes à l’oeuvre. Les textes abordent autant le droit public (droit du travail, droit criminel, libertés fondamentales, droit fiscal, droit de l’immigration) que le droit civil (inscription de la personne au registre de l’état civil, successions, régimes matrimoniaux, responsabilité civile). Ils analysent et les dispositions législatives et la jurisprudence. Les textes sont écrits par des juristes de formation, professeures ou professeurs, maîtres de conférences en droit et doctorantes ou doctorants en droit. À noter que l’équipe de Régine a fait un effort pour intégrer cette dernière catégorie, et ce, afin d’assurer une relève. Un seul texte est proposé par une femme qui possède une expérience sur le terrain au sein d’organisations non gouvernementales (ONG) qui travaillent pour l’avancement des droits des femmes. Notons que le langage de l’ouvrage est « féminisé » (professeure, présidente, magistrate, cheffe), ce qui constitue un fait rare dans la littérature juridique française. On connaît la position hostile de l’Académie de la langue française à l’égard de la féminisation de la langue. En France, les juristes, tout comme les militantes féministes, se sont très peu intéressées à l’analyse de genre en droit, bien que d’autres domaines du savoir aient été scrutés à partir de ce cadre dans l’Hexagone. Les féministes françaises n’ont pas utilisé le droit dans leurs revendications, le jugeant trop patriarcal et trop imprévisible. D’autres formes d’actions ont été privilégiées, comme l’action politique et l’intégration des femmes au marché du travail. Les théories féministes anglo-américaines sur le droit (feminist legal theories) ont pourtant utilisé les écrits des féministes françaises. Voilà un joli paradoxe ! Pour sa part, l’équipe de Régine se donne comme objectif de combler ce vide en droit français. Ses membres veulent démontrer que le concept de genre est utile en droit, ce que le monde universitaire anglo-saxon sait déjà. Ultimement, leurs réflexions portent sur l’égalité : comment le droit peut-il (ou non) permettre l’atteinte de l’égalité pour les femmes ? Bien que les directrices et le directeur se défendent de développer une « théorie du genre », le genre étant pour eux plutôt un concept utile d’analyse, la notion de genre se trouve au coeur de l’ouvrage. Elles définissent le genre, dans une acception plus classique, comme dénonçant la construction sociale de la masculinité et de la féminité (le sexe biologique se …

Appendices