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Présent depuis des lunes, le crédit immobilier a réellement pris son envol après la Seconde Guerre mondiale, en particulier au début des années 1960. Les banques canadiennes octroyaient alors des prêts à des taux variant entre 5 et 7 p. 100 d’intérêt et les termes de paiement correspondaient à la période d’amortissement, soit environ 25 ans. Les mouvements à la hausse et à la baisse des taux d’intérêt sont conjoncturels et dépendent principalement des cycles économiques et, à la suite d’une longue stabilité des taux d’intérêt depuis 1944, la fin des années 60 a vu émerger une volatilité, notamment lors de la crise de 1980 et de 2008.

Dans cet esprit, et bien qu’il soit d’une nature fidèle à son institution financière[1], le consommateur est parfois attiré par les taux des concurrents afin de profiter d’un écart (ou d’un arbitrage) entre les taux d’intérêt en vue de bénéficier de conditions de paiement plus avantageuses, notamment pour rembourser ou refinancer son emprunt hypothécaire[2]. Au demeurant, il est de commune renommée que la société de consommation nord-américaine encourage constamment le consommateur à utiliser le crédit pour ses achats courants et pour les achats immobiliers. Cet appétit insatiable pour le crédit constitue certes, aux yeux de l’emprunteur, la motivation principale à profiter de cette occasion pour diminuer les frais de son emprunt hypothécaire. Le cas échéant, il devra rembourser ce premier prêt par anticipation et obtenir un nouveau financement. Il n’est pas simple pour un consommateur de rembourser plus rapidement son prêt hypothécaire ou de changer d’institution financière. Les règles de droit applicables proviennent de divers horizons, comme le Code civil du Québec[3], la Loi sur la protection du consommateur (LPC)[4], la Loi sur l’intérêt[5], la Loi sur les banques[6], le Règlement sur le coût d’emprunt[7], le Code de conduite pour les institutions financières sous réglementation fédérale — Information sur le remboursement anticipé des hypothèques[8] et le contrat bancaire. Au grand dam du consommateur, la portée de ces normes n’est pas limpide, surtout lorsque le terme de paiement est égal ou inférieur à cinq ans. Le cas échéant, le consommateur qui désire rembourser par anticipation doit verser une pénalité qui peut se révéler particulièrement lourde.

Une réflexion globale s’impose au sujet de ce problème, le tout dans une perspective de réforme. Nous traçons, dans un premier temps, un portrait du droit positif en vigueur, dans une perspective constitutionnelle, civiliste et bancaire. Les lacunes de l’encadrement juridique émergeront par elles-mêmes (1). Dans un second temps, nous proposons des pistes de réflexion et de solution dans une perspective prospective (2).

1 L’environnement juridique du remboursement par anticipation

La possibilité pour un emprunteur de rembourser par anticipation existe pour les prêts garantis ou non par une hypothèque. D’une manière générale, le cadre législatif dicte les règles à suivre dans de tels cas (1.2). Toutefois, les règles du partage des compétences entre le législateur fédéral et les provinces canadiennes sont primordiales en la matière (1.1). Enfin, le contrat bancaire pallie certaines lacunes législatives lorsque cela est nécessaire, notamment pour le remboursement d’un prêt hypothécaire immobilier octroyé à un consommateur pour une durée inférieure à cinq ans. Ce cas constitue le coeur du problème du remboursement par anticipation, puisque les banques ont pris l’initiative de fixer les modalités de la pénalité à verser dans le cas d’un remboursement avant l’échéance du terme (1.3).

1.1 Le cadre constitutionnel

Au Canada, en vertu du partage des compétences, la Loi constitutionnelle de 1867 octroie au palier fédéral la compétence législative en matière de banque, d’intérêt, de lettres de change et d’émission d’argent[9]. Pour leur part, les provinces sont compétentes en matière de propriété et de droit civil[10], ce qui inclut le droit des contrats, les hypothèques et la protection du consommateur. Dans ces circonstances, comment déterminer la compétence de chacun en matière de remboursement par anticipation d’un prêt hypothécaire, qui a principalement pour objet de réduire le paiement d’intérêt, de surcroît lorsque le créancier est une banque ? La compétence fédérale en matière de banque concerne assurément la constitution, la propriété et la structure de capital, ainsi que l’organisation, le fonctionnement et l’administration (régie interne) des banques. Et la compétence en matière d’intérêt englobe la fixation du taux légal et les grandes règles de gouvernance dans le domaine, comme la fixation du taux directeur. De son côté, le contrat bancaire conclu avec un client relève en principe du droit provincial.

Le Parlement fédéral peut-il régir l’intérêt exigé par une partie privée d’une autre et déterminer la pénalité applicable à un consommateur qui veut mettre fin à un contrat pour compenser l’intérêt perdu ? L’article 10 de la Loi sur l’intérêt[11] prévoit que, en présence d’un prêt hypothécaire dont le terme excède cinq ans, le débiteur peut mettre fin au contrat en remboursant le montant dû et une pénalité de trois mois d’intérêt après un délai de cinq ans depuis la date de l’hypothèque. Pour les prêts dont le terme est inférieur à cinq ans, soit la vaste majorité des cas, le contrat bancaire prévoit plutôt des pénalités plus importantes. Selon une vision favorable au législateur fédéral, la compétence relative au droit bancaire et à l’intérêt est très large. Elle peut viser le contrat bancaire directement et peut-être même l’intérêt entre les individus. En remboursant avant la fin de son terme, le débiteur bouscule la pratique et le système bancaire. L’octroi d’un prêt hypothécaire et l’intérêt y associé seraient intiment liés au caractère véritable (pith and substance) des activités des banques[12]. Par contre, selon une vision favorable aux provinces, le remboursement par anticipation par un consommateur d’un prêt hypothécaire est une simple question de droit civil, même si elle implique une banque et le paiement d’intérêt.

Qu’en pensent les divers intervenants et les tribunaux ? La constitutionnalité de la Loi sur l’intérêt[13] se justifie par la compétence attribuée au gouvernement fédéral sur l’intérêt de l’argent. Cela semble découler d’une volonté générale d’accorder à ce dernier des pouvoirs généraux pour régir le commerce et faciliter les mouvements d’argent et de capitaux pour l’ensemble du Canada[14]. À l’origine, il était considéré que la seule présence d’intérêts impliquait l’application exclusive de la compétence fédérale. Cette interprétation large a cependant été tempérée dès la fin du xixe siècle par la Cour suprême du Canada[15]. Le principal effet de l’article 10 est de donner une possibilité d’éteindre l’obligation, capital et intérêts, par un paiement, et ce, avant même le terme prévu dans le contrat. L’intérêt n’est qu’un aspect parmi d’autres : le moment du paiement, le terme et l’extinction de l’obligation sont de compétence provinciale, celle-ci découlant directement du pouvoir de légiférer en matière de propriété et de droit civil[16].

Des doutes quant à la constitutionnalité de l’article 10 ont surgi avant même son adoption. À l’époque des débats sur le tout premier projet de loi sur l’intérêt en 1880, sa constitutionnalité et plus particulièrement des éléments sur le remboursement anticipé ont été mis en question[17]. Un important projet de modification de la Loi sur l’intérêt[18] en 1976 n’aurait également pas abouti en raison de sa constitutionnalité douteuse[19]. La constitutionnalité de l’article 10 de la cette loi[20] a aussi été examinée à quelques reprises par la jurisprudence peu après son adoption. Sa validité semble admise depuis une affaire rendue en 1903 par la Haute Cour de justice de l’Ontario[21]. En l’espèce, un débiteur invoquait l’article 7 (aujourd’hui l’article 10) de la Loi sur l’intérêt[22] pour forcer son créancier à accepter le remboursement de son prêt hypothécaire après un délai de six ans. Le défendeur et le Procureur général de l’Ontario (intervenant dans la cause) plaident que l’article 7 de la Loi sur l’intérêt[23] est ultra vires des pouvoirs du Parlement fédéral. Le juge Britton décide que l’article 7 est valide. Le droit de percevoir des intérêts conformément à un contrat tombe certainement sous la compétence provinciale. Les provinces peuvent uniquement légiférer sur l’intérêt dans cette limite, et elles ne peuvent contredire la législation fédérale. L’intérêt relève clairement de la compétence du fédéral et ce dernier peut empiéter jusqu’à un certain point sur la compétence provinciale pour compléter son pouvoir en la matière (théorie des pouvoirs accessoires). Rappelant le principe selon lequel une disposition législative est présumée constitutionnellement valide, le juge conclut que le défendeur n’a pas réussi à démontrer le contraire. Suivant cette conclusion, le Parlement fédéral peut intervenir en matière de prêt hypothécaire, car, dans ce type de contrat, l’intérêt est la considération majeure et essentielle. À l’opposé, le Parlement fédéral ne peut légiférer en droit des contrats lorsque l’intérêt n’est qu’une considération accessoire et incidente[24]. Le fondement de cette décision et la constitutionnalité de l’article 10 sont encore contestés de nos jours par la doctrine[25]. Il n’est pas inutile de mentionner que, en reconnaissant la constitutionnalité de la règle fédérale en l’espèce, le juge a protégé le consommateur. L’affaire a finalement été réglée à l’amiable, ce qui a empêché les tribunaux supérieurs de se pencher sur la question. Plusieurs législatures provinciales, dont l’Ontario et le Manitoba, ont adopté des mesures analogues à l’article 10, dans le but de se protéger en cas de déclaration d’inconstitutionnalité de la mesure fédérale[26].

D’une manière plus générale, pendant longtemps, les tribunaux ont eu tendance à favoriser le pouvoir du fédéral en matière d’intérêt. Ils étaient plutôt hostiles à toute intervention législative provinciale dont le caractère véritable aurait touché à l’intérêt. Dès qu’il était estimé que le caractère véritable de la loi provinciale était en fait l’intérêt de l’argent, la disposition était invalidée. L’arrêt Attorney General (Ontario) c. Barfried Enterprises[27], rendue en 1963, a renversé cette tendance qui invalidait presque automatiquement toute disposition provinciale concernant l’intérêt. Désormais, il est reconnu que les provinces, par leur compétence sur la propriété et le droit civil, peuvent légiférer de manière à permettre la révision judiciaire d’un contrat abusif. Bien que cette révision puisse avoir une incidence sur l’intérêt ultimement perçu, cet empiétement incident est valide dans le cas de la compétence fédérale en matière d’intérêt. La présence d’intérêt dans un contrat n’est donc plus une barrière étanche à une intervention provinciale. Par exemple, au Québec, les tribunaux peuvent intervenir pour réformer un contrat abusif, en se fondant notamment sur l’ar- ticle 2332 C.c.Q., même si cela touche l’intérêt de manière incidente. En fait, le tribunal n’a pas à se demander si l’intérêt est la seule ou la principale obligation du contrat, mais simplement à évaluer si le contrat est abusif et à intervenir en consequence, le cas échéant, même si cela implique de réduire l’intérêt[28].

En 2014, à la suite d’un recours collectif porté devant la Cour suprême contre des institutions financières, il a été décidé que les législateurs provinciaux avaient le pouvoir constitutionnel d’intervenir contre l’inclusion de frais de conversion de devises dans le calcul des frais de crédit (en matière de cartes de crédit)[29]. L’interprétation restrictive des pouvoirs du gouvernement fédéral est ainsi confirmée. Un auteur y voit même une tendance lourde[30]. Il a été jugé que les théories de l’exclusivité et de la prépondérance étaient inapplicables ; dans le premier cas, l’obligation de mentionner certains frais accessoires par rapport à un type de crédit à la consommation ne porte pas une atteinte importante à l’exercice de la compétence fédérale qui permet de légiférer en matière de prêt bancaire[31] ; dans le second cas, la Cour suprême a mentionné qu’il n’existait aucune incompatibilité entre les articles 16 et 988 de la Loi sur les banques[32] et l’article 272 de la LPC, car « la réparation recherchée par les demandeurs est la réduction de la somme versée aux banques, et non l’annulation de leurs contrats ou même des clauses précises en litige[33] » ; en d’autres termes, ce « n’est pas parce que la Loi sur les banques est muette sur ce point que les recours civils sont incompatibles avec elle, en l’absence de conflit avec les art. 16 et 988[34] ».

Bien que ces décisions ne concernent pas l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[35], il est possible d’en tirer certaines conclusions. Le remboursement anticipé d’un prêt hypothécaire concerne à la fois le capital et le coût de l’intérêt, c’est-à-dire l’ensemble des composantes des frais liés à l’emprunt, et pas seulement l’intérêt per se. Ainsi, toutes les mesures provinciales seraient valides. Il n’est pas contesté que les provinces qui ont adopté des dispositions analogues à l’article 10 soient dans leur droit. Elles pourraient même adopter des mesures différentes, telle la possibilité de purger son hypothèque après deux ans plutôt que cinq moyennant certains frais, pourvu que ces mesures n’entrent pas en conflit avec l’article 10 de la loi fédérale. En cas de conflit avec une norme provinciale, la loi fédérale sera prépondérante. C’est là un principe clair en droit constitutionnel canadien : deux normes provenant de paliers gouvernementaux différents peuvent coexister dans le même domaine, pourvu qu’elles ne soient pas en contradiction, comme dans l’affaire Banque de Montréal c. Marcotte. Dans l’état actuel du droit, il reviendrait au gouvernement fédéral de modifier l’article 10. Toutefois, dans la mesure où ce dernier ne vise que les prêts dont le terme est de plus de cinq ans, et que c’est par une lecture a contrario que la liberté contractuelle prime dans le contexte d’un emprunt hypothécaire de moins de cinq ans, les solutions dégagées dans l’arrêt Marcotte pourraient être applicables et permettre aux provinces d’intervenir pour réglementer les pénalités payables si le débiteur désirait rompre son contrat avant cinq ans. Bien sûr, si l’article 10 était inconstitutionnel, les provinces pourraient intervenir comme bon leur semblerait.

1.2 Le cadre législatif

Le remboursement anticipé d’un prêt hypothécaire est encadré par une série de mesures normatives. D’abord, un prêt hypothécaire est avant toute chose un contrat régi par le droit commun contractuel, en l’occurrence le Code civil du Québec. Ce type de contrat contient un terme suspensif, notion réglementée par le Code civil (1.2.1). Le législateur, tant provincial (1.2.2) que fédéral (1.2.3), est toutefois intervenu au moyen de lois particulières pour modifier en certaines situations les règles du droit commun.

1.2.1 Le droit commun

Selon le Code civil du Québec, un emprunteur peut-il rembourser une dette avant son échéance ? Le cas échéant, le débiteur épargnera les intérêts qui restent à courir sur son prêt. Pour un emprunt standard de 300 000 $, à un taux d’intérêt de 5 p. 100 sur une période d’amortissement de 25 ans, le coût total des intérêts payés se chiffre à environ 225 000 $. Pour déterminer si le débiteur peut rembourser son prêt par anticipation et éviter de payer ces intérêts, la question préalable à se poser est la suivante : au bénéfice de qui le terme a-t-il été convenu ? Le remboursement par anticipation constitue une renonciation au bénéfice du terme. Il existe trois possibilités : au bénéfice du créancier, du débiteur ou des deux parties. Selon l’article 1511 al. 1 C.c.Q., le terme est présumé « profit[er] au débiteur, sauf s’il résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été stipulé en faveur du créancier ou des deux parties[36] ». L’intervenant qui bénéficie du terme peut en tout temps y renoncer, conformément à l’article 1511 al. 2 C.c.Q.

Dans un prêt avec intérêts, le terme profite aux deux parties. Le débiteur bénéficie d’un délai pour payer et le créancier, pendant ce temps, perçoit des intérêts. La renonciation bilatérale (c’est-à-dire par entente entre les parties) est toujours possible. Elle peut être prévue dans le contrat de prêt. Dans l’affaire Couture c. Couturier[37], décision classique en la matière, le débiteur d’un prêt à terme avec intérêts désirait rembourser la totalité de sa dette et se libérer des intérêts futurs. Si le débiteur souhaite payer sa dette en entier et être libéré, il doit verser l’intégralité des intérêts qui restent à courir. La règle peut s’avérer satisfaisante en matière de prêts personnels entre particuliers, le plus souvent accordés pour des sommes relativement modestes : pour l’emprunt d’une somme de 1 000 $ à un proche, à un taux d’intérêt de 10 p. 100 l’an, payable en deux ans, un maximum de 200 $ en pénalité peut être exigé, soit le total des intérêts. La règle du droit commun est toutefois catastrophique en présence d’un prêt personnel important accordé par une institution financière ou un autre créancier ou encore d’un prêt hypothécaire immobilier.

1.2.2 Le droit statutaire provincial

L’article 93 de la LPC prévoit que « [l]e consommateur peut payer en tout ou en partie son obligation avant échéance[38] ». Un consommateur peut donc se libérer d’un prêt d’argent en versant le solde dû en capital et les intérêts accumulés. Les prêts hypothécaires de premier rang sont toutefois exclus de l’application d’une partie de la LPC, ce qui comprend l’article 93[39]. Les provinces anglophones ont adopté des règles similaires[40]. Comme nous l’avons vu, et contrairement au Québec, quelques provinces canadiennes-anglaises prévoient également des mesures semblables à l’article 10 de la loi fédérale[41]. Le droit statutaire provincial ne vient pas en aide au consommateur désirant rembourser par anticipation son prêt hypothécaire d’une durée inférieure à cinq ans.

Par ailleurs, ni la Loi sur les coopératives de crédit[42] ni l’Autorité des marchés financiers ne prévoient de mesures relatives au remboursement d’un prêt hypothécaire par anticipation.

1.2.3 Le droit fédéral

Les mesures juridiques qui encadrent le remboursement d’un prêt hypothécaire ont leur origine dans la Loi sur les banques[43], dans le Règlement sur le coût d’emprunt[44] et dans deux récentes lignes directrices[45]. Le coeur de la problématique se trouve toutefois dans la Loi sur l’intérêt[46], que nous analysons ci-dessous (1.2.3.1). Nous présentons par la suite l’encadrement du devoir d’information des banques (1.2.3.2).

1.2.3.1 L’article 10 de la Loi sur l’intérêt

La Loi sur l’intérêt[47] a subi peu de modifications depuis son adoption en 1880, et quelques tentatives à cet égard ont avorté. D’une manière générale, la question de la protection d’un consommateur demeure au coeur des débats concernant les modifications législatives. Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons l’évolution historique de cette loi.

Vers la fin du xviiie siècle, le législateur a démontré une certaine ouverture à l’endroit de l’encadrement du prêt à usure[48], en dépit de l’attitude encore réfractaire du clergé[49]. Cette approche s’est accélérée vers le milieu du xixe siècle, où ont eu lieu les premières démarches législatives sérieuses destinées à enrayer l’usure qui régnait à cette époque. En 1853 était adoptée l’Acte pour modifier les Lois d’Usure, destinée à abolir les pénalités pour usure et à fixer un taux d’intérêt à 6 p. 100, dont les banques et les compagnies d’assurances, notamment, étaient exemptées[50]. Cependant, cette disposition a été modifiée en 1858 pour y assujettir les institutions financières et pour déclarer que le taux de 6 p. 100 s’appliquait, à défaut d’un taux convenu entre les parties[51]. À la suite de la révision des lois par le Parlement du Canada en 1859[52], les principes de l’Acte de 1853 sont devenus applicables, respectivement au Nouveau-Brunswick en 1859[53], à l’Île-du-Prince-Édouard en 1868[54] et en Nouvelle-Écosse en 1873[55]. Enfin, en 1875, l’Acte concernant l’intérêt et l’usure dans la province du Nouveau-Brunswick est adopté par le Parlement canadien : il est prévu que « chacun pourra stipuler, consentir ou exiger sur tout contrat ou convention quelconque, fait ou à faire dans la province du Nouveau-Brunswick, tout taux d’intérêt ou d’escompte qui pourra être convenu[56] ».

Ces initiatives ont mené le député de Wellington-Centre, le docteur George Turner Orton, à proposer l’adoption d’un projet de loi, qui a conduit à la sanction de l’Acte concernant l’intérêt sur les deniers garantis par hypothèque sur propriété foncière en 1880[57], ancêtre de la Loi sur l’intérêt actuelle[58]. Le contexte de l’époque favorisait les prêteurs d’argent sans scrupules. Particulièrement visés dans leurs transactions hypothécaires, les agriculteurs devaient souvent payer des taux d’intérêt plus élevés que ce qui avait été convenu au départ. Les débats parlementaires précédant l’adoption de la loi illustrent plusieurs cas provenant d’électeurs embourbés dans la spirale du crédit, ne pouvant rembourser leurs dettes hypothécaires et dont les modalités du contrat sont pour le moins douteuses[59]. L’encadrement législatif du taux d’intérêt ne faisait pas l’unanimité, car certains députés alléguaient les dangers pour les emprunts et la fuite de capitaux ; en définitive, ils craignaient que des taux plus élevés n’apparaissent sur le marché[60]. Il a été mentionné que l’abolition de la loi contre l’usure a été favorable en permettant plus de capital au Canada, et une baisse conséquente des taux d’intérêt[61]. Bien qu’il favorise ce point de vue, le député Blake souligne que « certaines questions […] pourraient faire l’objet d’une législation […] dans le but de remédier à certains maux qui ont été causés par les sociétés de prêt ou de construction[62] ». Le député souligne trois maux, soit la fraude, en particulier dans le calcul de l’intérêt composé, le défaut de préciser le véritable taux lorsque le capital et l’intérêt sont confondus, ainsi que les emprunts à long terme[63]. Le projet de loi avait notamment pour objet de déterminer le taux d’intérêt et sa divulgation, mais non de limiter le taux, ce qui ne pouvait que partiellement prétendre à combattre l’usure, surtout depuis l’abrogation de la loi interdisant cette pratique.

Au-delà du taux d’intérêt per se, d’autres problèmes intrinsèques aux emprunts à long terme sont soulevés par un député lors des débats[64]. Celui-ci précise que la situation financière d’un emprunteur est susceptible d’être modifiée avant la fin du terme de paiement. Outre les motifs mentionnés ci-dessus, il faut se rappeler qu’à cette époque-là, les agents et les courtiers de prêts exigeaient des commissions très élevées pour l’aiguillage de clients vers de nouveaux créanciers. Cette pratique, devenue usuelle en raison de sa rentabilité, forçait les créanciers à refiler les frais de courtage aux emprunteurs. Ainsi, le montant que devait verser l’emprunteur qui désirait renouveler son prêt hypothécaire, ou le rembourser avant le terme, devenait très substantiel, ce qui n’était d’ailleurs pas prévu dans l’entente hypothécaire initiale.

Avant l’adoption de la Loi de 1880, et durant les décennies qui ont suivi, les contrats de prêt hypothécaires accordés par des banques prévoyaient un terme de paiement équivalant à l’amortissement du prêt, à un taux fixe d’environ 6 ou 7 p. 100, ce taux pouvant toutefois varier légèrement dans le temps[65]. La pratique des prêteurs de prévoir des termes de paiement de cinq ans, renouvelable jusqu’à la fin de l’amortissement du prêt, est principalement apparue au cours des années 1970[66]. Bien qu’elle ait existé avant l’adoption de la Loi de 1880, la possibilité pour un débiteur de se prévaloir d’un droit de remboursement avant l’échéance a fait l’objet d’un débat parlementaire. Alors que la forme originale de l’article 5 du projet de loi proposait un « droit statutaire de rédemption » après un an, avec un avis de trois mois d’intérêt[67], il avait été proposé par les députés Blake et White qu’un délai de cinq à sept ans soit requis, « en donnant six mois d’avis, ou en payant l’intérêt de six mois sans autre charge[68] ». Le législateur a finalement opté pour la règle encore en vigueur aujourd’hui.

La première modification importante à la loi a été adoptée en 1890 par l’Acte ayant pour objet de modifier le chapitre cent vingt-sept des Statuts révisés du Canada, intitulé Acte concernant l’intérêt[69]. La principale caractéristique de cette modification concerne l’ajout de la deuxième partie de l’article 7 exemptant les hypothèques par des compagnies et les personnes morales de l’application de cette disposition, ajout qui deviendra par la suite le sous-paragraphe 2 de l’article 10[70]. Le député John Thompson, futur premier ministre, qui a présenté la modification, invoquait alors que la possibilité pour les compagnies de purger l’hypothèque après un délai de cinq ans en raison d’un taux d’intérêt plus faible causait un obstacle de taille pour lesdites compagnies (dont les compagnies de chemin de fer), car il devenait alors plus difficile de se financer à long terme[71]. L’article 10 de la Loi sur l’intérêt[72] n’a subi aucune modification majeure depuis 1890, à l’exception d’une loi destinée à l’harmonisation des lois fédérales et du droit civil dans un esprit de bijuridisme, qui a mené à plusieurs modifications de la Loi sur l’intérêt[73], dont l’article 10[74].

L’article 10 (1) de la Loi sur l’intérêt[75] prévoit donc une prérogative pour le débiteur d’un prêt garanti par une hypothèque immobilière. Si le terme est de plus de cinq ans, le débiteur hypothécaire peut purger son hypothèque en remboursant le capital dû et en y ajoutant trois mois d’intérêt, tenant lieu de pénalité, après un délai de cinq ans depuis la date de l’hypothèque. Une stipulation au contrat alléguant que le débiteur ne peut se prévaloir de ce droit ne pourrait être soulevée par le créancier. Il s’agit d’une disposition d’ordre public[76]. Le paragraphe 2 de l’article 10 exclut les hypothèques consenties par les « compagnies par actions », les personnes morales et, depuis 2008, les sociétés de personnes et les « fiducies établies pour affaires[77] ». En d’autres termes, le législateur ne permet qu’aux personnes physiques, et aux fondations, d’obtenir le droit de rembourser par anticipation un prêt en totalité ou en partie sans frais ni pénalité, sous réserve de ce qui est prévu par le premier paragraphe de cette disposition. La Cour d’appel a décidé que l’exception s’applique même lorsqu’un particulier assume ou prend en charge par délégation de paiement une hypothèque consentie à l’origine par une compagnie[78]. De même, une personne physique qui a souscrit une hypothèque avec une personne morale peut se prévaloir du droit de rembourser par anticipation en vertu de l’article 10 (1)[79].

L’article 10 impose des frais équivalant à trois mois d’intérêt pour le remboursement anticipé d’un prêt de plus de cinq ans. Toutefois, rien n’est prévu pour les emprunts de cinq ans ou moins, et une lecture attentive du libellé de cette disposition n’interdit pas aux banques de permettre le remboursement par anticipation dans ce cas. Ainsi, les banques se sont adaptées aux nouvelles exigences du marché immobilier canadien. Les prêts sont maintenant offerts pour un délai d’amortissement de 25 ans, mais ils sont fractionnés par tranches de cinq ans ou moins. Cela permet aux banques d’exiger autre chose d’un emprunteur qui rompt de manière prématurée son emprunt. Les banques permettent ainsi aux emprunteurs de rembourser leur prêt par anticipation, mais elles ont imposé leurs conditions, plus rigoureuses que les trois mois d’intérêt de l’article 10.

Une pratique bancaire bien établie fixe d’ailleurs habituellement la limite maximale du terme hypothécaire à cinq ans[80]. La généralisation des termes de moins de cinq ans découle de l’article 10 (1) de la Loi sur l’intérêt[81]. La protection de cette disposition est donc peu appliquée dans la pratique bancaire contemporaine. A contrario, la disposition législative a confirmé la validité des pénalités dépassant les trois mois d’intérêt imposées durant les cinq premières années. Elle empêche également le législateur québécois d’étendre la portée de l’article 93 de la LPC au prêt hypothécaire immobilier de plus de cinq ans. Qui plus est, l’article 458 (1) et (3) de la Loi sur les banques[82] défend à une banque d’interdire le paiement fait par anticipation pour les prêts remboursables au Canada à des personnes physiques[83]. Indirectement, les institutions financières peuvent donc imposer des pénalités en cas de paiement par anticipation.

Concrètement, la détermination de la « date de l’hypothèque », qui doit servir de point de départ du délai de cinq ans en vue de se prévaloir de l’article 10, pose problème, en particulier lorsque le contrat hypothécaire prévoit une convention de renouvellement. En effet, lorsque les banquiers ont diminué le terme de l’hypothèque à cinq ans, ils ont éventuellement prévu des clauses qui permettaient de renouveler le prêt à l’expiration de ce terme, que ce soit pour une nouvelle période de cinq ans ou pour un terme différent. Illustrons ce point comme suit. Si un emprunteur a signé un prêt hypothécaire le 1er juillet 2000 pour un délai de cinq ans, ce terme expire le 30 juin 2005. Si une clause de renouvellement de cinq ans est prévue dans le contrat (et à chaque date anniversaire quinquennale du contrat), le terme expire alors le 30 juin 2010. L’emprunteur pourrait-il se prévaloir de l’article 10 en date du 15 août 2006, soit six ans après la signature du prêt hypothécaire mais seulement un an après son renouvellement ? En d’autres termes, quelle est la conséquence du renouvellement : le second délai de cinq ans (1er juillet 2005) s’ajoute-t-il au délai initial (1er juillet 2000), pour permettre à l’emprunteur de se prévaloir de la pénalité de trois mois d’intérêt prévue par l’article 10, ou recommence-t-il à zéro ?

Cette question a mobilisé les tribunaux à plusieurs occasions. D’une manière générale, ces derniers sont relativement sévères quant à la détermination, après la cinquième année, d’une nouvelle date initiale d’hypothèque ou d’un simple renouvellement. La juge Wilson de la Cour suprême du Canada n’a pas contesté la conclusion du juge Van Camp dans l’affaire Deeth v. Standard Trust Co.[84], pour autant qu’il n’y ait eu « aucune tentative de fixer une nouvelle date d’hypothèque à partir de laquelle commencerait à courir une nouvelle période de cinq ans », car, dans l’affaire Deeth, les parties avaient simplement prorogé la période initiale[85]. Cependant, la juge Wilson ajoute que « la Cour n’est pas appelée à faire un choix entre deux interprétations ou politiques dont une seule traduit l’intention du législateur. L’une et l’autre sont également compatibles avec l’intention du Parlement et, à ce qu’il me semble, on ne peut choisir entre les deux qu’en se demandant laquelle correspond davantage à la pratique courante en matière commerciale[86] ». Dans l’arrêt Royal Trust co. c. Potash, la juge Wilson a clairement exprimé le caractère d’ordre public du droit conféré par l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[87] de pouvoir purger une hypothèque après un délai de cinq ans de la date de l’hypothèque, que ce délai ait été initialement supérieur à cinq ans ou encore inférieur et prorogé par une convention de renouvellement[88].

Pour cette raison, les contrats stipulent généralement que la date initiale de l’hypothèque est celle de la signature du nouveau contrat (aussi appelée « convention de renouvellement »), écartant ainsi la prorogation et évitant que l’emprunteur puisse se prévaloir du délai de cinq ans et d’une indemnité qui se limite à trois mois d’intérêt. L’emprunteur doit donc attendre une fois de plus l’expiration d’un délai de cinq ans à partir de la date de la signature de cette convention de renouvellement pour pouvoir rembourser son prêt par anticipation ou le renouveler à des conditions jugées plus avantageuses. Cela permet au prêteur d’offrir un nouveau contrat de cinq ans ou moins au moment du renouvellement hypothécaire, et non une prolongation du contrat existant. Cette nuance fondamentale est au coeur du problème posé par l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[89]. En vertu du libellé de l’article 10, le prêteur ne peut exiger que trois mois d’intérêt pour une hypothèque de plus de cinq ans. En ce qui concerne les hypothèques de cinq ans et moins, rien n’est prévu, mais rien n’est interdit. Le prêteur devient donc le libre arbitre des frais imposés, au détriment de l’emprunteur.

1.2.3.2 Le devoir d’information

En complément de la règle prévue à l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[90], quelques dispositions encadrent l’obligation d’information des banques envers les consommateurs, notamment en ce qui concerne les frais. L’approche préconisée par la Loi sur les banques, essentiellement de nature informationnelle, s’attache à obliger les banques à informer leur client de la possibilité de rembourser par anticipation un prêt qui leur est consenti[91]. Le Règlement sur le coût d’emprunt oblige également les banques à divulguer les frais et les modalités à l’occasion d’un remboursement anticipé[92].

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la question des frais de remboursement pose de sérieux soucis aux consommateurs. Il est légitime de s’interroger sur l’adéquation des clauses de remboursement anticipé stipulées dans les contrats bancaires au regard des articles 1436 et 1437 C.c.Q., concernant l’interdiction des clauses incompréhensibles et abusives dans les contrats de consommation, qui sont par ailleurs des contrats d’adhésion. Bien que ces dispositions n’aient pas été soulevées devant les tribunaux québécois à ce jour en rapport avec le présent contexte, le ministère des Finances du Canada a entendu les revendications des consommateurs qui ne saisissaient pas la portée des règles au sujet du remboursement par anticipation et, surtout, les modalités du calcul. Sa démarche contribuera certainement à éclaircir la compréhension des clauses et à répondre aux inquiétudes que pourrait soulever l’article 1436 C.c.Q.[93].

Ainsi, à la suite de plusieurs plaintes au sujet de frais trop onéreux, et de clauses sibyllines[94], tant en ce qui concerne la divulgation que le calcul, le ministre des Finances du Canada est intervenu en mars 2012[95] et a produit le Code de conduite pour les institutions financières sous réglementation fédérale — Information sur le remboursement anticipé des hypothèques (sous la surveillance de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC))[96]. Ce code est destiné à l’industrie pour tenter de répondre à ce problème et compléter la ligne directrice DC-9 : Divulgation de la pénalité pour remboursement anticipé des hypothèques[97], publiée par l’ACFC en mars 2012, et les dispositions du Règlement sur le coût d’emprunt[98].

Le Code de conduite, non coercitif, se base sur l’importance pour les institutions financières de divulguer de manière appropriée, périodique, claire et honnête les informations sur le remboursement anticipé pour éviter d’induire le consommateur en erreur. On y prévoit que des informations annuelles doivent être fournies à ce sujet, ainsi que des renseignements au moment du remboursement anticipé[99]. On y traite d’abord des privilèges attachés au remboursement par anticipation, comme les versements forfaitaires, la hausse du montant des versements réguliers ou leur fréquence. Par la suite, le Code de conduite prévoit le montant maximal annuel qu’un emprunteur peut rembourser sans pénalité et, surtout, la manière de calculer les frais en cas de remboursement d’un capital supérieur au montant autorisé gratuitement (en faisant référence notamment à une calculatrice financière du prêteur, habituellement incluse dans son site Web), en tenant compte du nombre de mois d’intérêt ou du différentiel de taux d’intérêt[100]. Lorsqu’une telle pénalité est imposée, le prêteur doit divulguer le montant impayé, le type de taux d’intérêt, la période et la durée restante de l’hypothèque. Le prêteur doit également mettre à la disposition des emprunteurs, sur son site Web, des informations sur les conséquences d’un remboursement anticipé, tout en expliquant les différences entre les types d’hypothèques (fixes ou variables, ouvertes ou fermées ou encore à long ou à court terme), et des façons pour l’emprunteur de rembourser son hypothèque plus rapidement sans effectuer de remboursement anticipé.

Cette obligation permet de compléter l’information qui doit être fournie en vertu du Règlement sur le coût d’emprunt[101], adopté par le gouvernement fédéral. Celui-ci prévoit que le prêteur doit divulguer la convention de prêt dans un délai de deux jours ouvrables francs de l’ouverture de la convention de crédit (7 1 a), que ce soit pour un prêt d’un montant fixe à durée fixe ou variable ou à l’occasion du renouvellement d’un prêt hypothécaire[102]. En particulier, l’article 17 du Règlement indique sommairement les modalités de remboursement du solde impayé.

Bien que le Code de conduite ne soit pas contraignant, il faut noter qu’en pratique les sites Web se sont clarifiés depuis leur création, à la fois par un style de rédaction plus clair et simple ainsi que par l’utilisation de calculatrices financières.

1.3 La pratique bancaire

En matière de prêts assortis d’une hypothèque, la distinction entre la période d’amortissement et le terme s’avère importante. Durant de nombreuses années, un seul terme de paiement existait : il équivalait à la période d’amortissement[103]. Les taux d’intérêt ne variaient guère, se situant autour de 5 à 7 p. 100. De nos jours, les prêts sont généralement offerts pour un délai d’amortissement de 25 ans, mais ils sont fractionnés par tranches de cinq ans[104]. Cette nouvelle dynamique a influé notamment sur les modalités de financement des prêteurs hypothécaires.

Le profit d’une banque qui s’engage dans une opération de prêt hypothécaire découle de la différence entre le taux auquel elle emprunte, tant pour les intérêts payés aux déposants que pour ses emprunts sur les marchés monétaires, et le taux auquel elle prête à ses emprunteurs. Concrètement, la banque peut se prévaloir de trois sources de financement pour octroyer des prêts hypothécaires : les dépôts des particuliers, l’émission d’obligations sécurisées et la titrisation de créances[105]. Les dépôts ont été jadis prisés par les banques pour les opérations de prêts hypothécaires, mais cette situation a évolué depuis plusieurs années. Les dépôts bancaires présentent l’avantage d’être habituellement une source de financement stable et économique, comme des certificats de placement garanti, car ils sont assurés par la Société d’assurance-dépôts du Canada[106]. Bien qu’elles soient peu utilisées de nos jours, les obligations sécurisées sont requises comme source supplémentaire de financement pour les prêts non garantis par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL)[107]. Enfin, la titrisation de créances a pris de l’importance au fil des dernières années, en raison de programmes de titrisation de la SCHL, ce qui a permis de diminuer ainsi le risque des institutions financières[108].

À la suite des termes de 25 ans (ou autres longues périodes supérieures à cinq ans) qui existaient jusqu’à la fin des années 1960, le choix d’un délai de cinq ans n’est pas anodin, car l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[109] ne s’applique qu’aux prêts hypothécaires de plus de cinq ans, comme nous l’avons expliqué plus haut, et n’interdit pas le remboursement anticipé pour un prêt non assujetti à cette disposition. En l’espèce, quelles sont les modalités de remboursement ? Plusieurs options s’offrent à l’emprunteur. Lorsque le terme est échu et que le consommateur renouvelle son hypothèque, il lui est possible de rembourser son prêt en totalité sans aucune pénalité. Le problème se pose plutôt lorsque le consommateur désire rembourser avant la fin de son terme. Les conventions de prêts hypothécaires prévoient habituellement la possibilité de rembourser par anticipation à l’initiative du débiteur, à certaines conditions (pénalité et intérêt) ou pour une partie seulement de la dette (de 10 à 20 p. 100 de l’emprunt, variable selon les institutions financières).

Si un emprunteur désire rembourser son prêt au-delà de la limite permise, ou même en totalité, il doit verser les pénalités prévues par le contrat hypothécaire. Celles-ci peuvent se révéler imposantes, selon le nombre de mois qui reste à courir avant la fin du terme. Les prêteurs exigent des frais parfois très importants pour les remboursements anticipés. En général, pour les prêts de moins de cinq ans, les banques exigent le plus élevé de trois mois d’intérêt ou de l’indemnité de sortie de l’engagement. Cette indemnité comprend les frais suivants : les frais d’administration, les frais d’enregistrement, les honoraires du notaire et, surtout, le remboursement du différentiel de taux d’intérêt. Ce dernier élément constitue la pierre d’achoppement des emprunteurs, car il peut représenter un montant non négligeable. L’ACFC définit ce différentiel comme le « montant fondé sur la différence entre deux taux d’intérêt » :

Le premier est le taux d’intérêt appliqué à [l’]hypothèque en cours et le deuxième est le taux d’intérêt en vigueur pour un terme d’une durée semblable à la période qui reste à courir sur [le] terme. Par exemple, s’il […] reste trois ans sur un terme de cinq ans, [le] prêteur utiliserait le taux d’intérêt qu’il offre pour un terme de trois ans afin de déterminer le deuxième taux à des fins de comparaison dans le calcul[110].

Habituellement, le taux accordé à l’emprunteur pour l’« hypothèque en cours » aura fait l’objet d’un rabais accordé par l’emprunteur, ce qui explique le souhait du banquier d’être remboursé pour sa perte[111]. Le remboursement peut être économique en cas d’une diminution des taux d’intérêt, mais l’emprunteur doit soupeser les deux options.

Malgré les outils offerts par les institutions financières pour faciliter le calcul de la pénalité, les emprunteurs se plaignent du montant substantiel de la pénalité et de la difficulté à comprendre la justification de la banque[112]. L’ACFC a tenté de répondre à ces doléances par un exemple éloquent qui permet de visualiser l’importance de la pénalité[113].

En définitive, le consommateur qui désire rembourser un prêt hypothécaire par anticipation se trouve aux prises avec le problème suivant. D’abord, la Loi sur l’intérêt[114] est inappropriée pour contrer les pratiques bancaires modernes et ouvre la voie à plusieurs abus en ce qui concerne les frais imposés par le créancier hypothécaire, malgré l’encadrement normatif proposé par le Code de conduite pour les institutions financières sous réglementation fédérale — Information sur le remboursement anticipé des hypothèques[115] et par la ligne directrice DC-9 : Divulgation de la pénalité pour remboursement anticipé des hypothèques[116]. L’approche normative du législateur fédéral qui ne balise pas les frais au moment de la rupture d’un engagement n’est pas, sauf dans le cas du Règlement sur le coût d’emprunt[117] qui est particulièrement laconique, contraignante à l’égard du prêteur qui ne respecte pas ces obligations normatives. Nous regrettons le silence du Groupe de travail sur la Loi sur l’intérêt[118] de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada qui n’a pas jugé nécessaire d’actualiser l’article 10[119]. Ensuite, la LPC exclut le prêt garanti par hypothèque et le droit civil ne lui est d’aucun secours.

Les lacunes exposées ci-dessus nécessitent une réflexion sur les approches que peut entreprendre le législateur pour y remédier.

2 Les perspectives de réforme

L’étude de l’environnement juridique canadien du remboursement anticipé démontre certaines lacunes préjudiciables pour le consommateur, notamment lorsqu’il désire rembourser avant le terme convenu un prêt hypothécaire dont le terme est inférieur à cinq ans, bien que la période d’amortissement puisse être de 25 ans. Le consommateur peut alors devoir débourser une indemnité substantielle que ce soit pour mettre fin à son contrat, rembourser intégralement le capital, ou le refinancer auprès d’un autre prêteur à des conditions plus avantageuses. À notre avis, une réforme, mais avant tout une réflexion, s’impose. Pour ce faire, dans un premier temps, nous analysons une série de situations qui auraient pu permettre de modifier le droit positif, mais qui n’y ont pas réussi (2.1). Dans un deuxième temps, nous examinons de quelle manière l’apport du droit étranger pourrait alimenter notre réflexion (2.2). Dans un troisième et dernier temps, nous proposons quelques pistes de réflexion (2.3).

2.1 Des occasions manquées

En raison de la volatilité des taux d’intérêt qui est apparue à la fin des années 60 et au début des années 70, la pertinence du principe du remboursement anticipé d’un prêt hypothécaire, et les modalités de calcul de la pénalité se sont retrouvées dans la réflexion du législateur et des juristes, que ce soit en droit commun conformément au Code civil du Québec (2.1.1), en droit statutaire provincial au moyen principalement de la LPC (2.1.2) ou encore à Ottawa, où le gouvernement fédéral a tenté à plusieurs reprises de modifier l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[120], mais sans succès (2.1.3).

2.1.1 En droit commun

Le droit commun aurait pu venir en aide aux emprunteurs de deux façons différentes. Tout d’abord, des avocats et des juges québécois ont sorti des limbes civilistes la subrogation consentie par le débiteur au début des années 90. Celle-ci a permis à certains débiteurs de rembourser leur prêt hypothécaire sans aucune pénalité. La stratégie, qui ne respectait pas la notion de terme, a finalement été rejetée par la jurisprudence ultérieure (2.1.1.1). Un retour aux sources de la notion civiliste de terme n’a également pas porté ses fruits (2.1.1.2).

2.1.1.1 La subrogation consentie par le débiteur

Comme nous l’avons déjà souligné, le droit positif en vigueur est déficient. La tentative (ratée) d’utiliser le concept civiliste de subrogation consentie par le débiteur en est une autre preuve éclatante. L’utilité première de ce concept, prévu par les articles 1651 à 1659 C.c.Q., est d’aider une personne qui paie une dette qui n’est pas la sienne à être remboursée par le véritable débiteur de l’obligation. Si le paiement est accompagné de la subrogation, l’obligation ne s’éteint pas par le paiement : elle est plutôt transférée au payeur (subrogé). Ce dernier acquiert un droit d’action direct contre le véritable débiteur et il bénéficie des garanties que le créancier original possédait. La subrogation peut être octroyée par contrat par le créancier original à l’occasion du paiement. Il s’agit alors de la subrogation conventionnelle consentie par le créancier. Elle peut également être accordée par la loi, de plein droit au moment du paiement, sans aucune intervention des parties. Par exemple, l’assureur de dommages est subrogé de plein droit dans les droits de son assuré contre le responsable de la perte subie lors du paiement de l’indemnité d’assurance (art. 2474 C.c.Q.).

La subrogation consentie par le débiteur (subrogation ex parte debitoris) s’insère difficilement dans ce schéma. Le débiteur hypothécaire déniche un nouveau créancier qui est disposé à lui prêter de l’argent à un taux inférieur. Le nouveau créancier paie l’ancien, qui n’aura plus aucun droit sur le débiteur. Le nouveau créancier sera subrogé dans les droits de l’ancien. Il va acquérir toutes les garanties. La subrogation consentie par le débiteur se réalise par la volonté du débiteur, en l’absence même du consentement du créancier et malgré, a priori, son opposition. La subrogation ex parte debitoris tire ses origines d’un édit de 1609 du roi Henri IV[121]. En période de stabilité militaire, avec la fin des guerres de religion, les débiteurs avaient déniché des prêteurs désireux de leur avancer des sommes d’argent à des taux moins élevés. L’édit avait pour objet de faciliter le changement de créancier, en permettant le transfert des garanties vers les nouveaux prêteurs sans le consentement des anciens. La subrogation consentie par le débiteur a été reprise par Pothier. Elle a été introduite dans le Code français et reprise dans les codes civils québécois.

Comme nous l’avons déjà vu, les taux d’intérêt sont demeurés peu élevés au Canada avant 1970. Il n’existait pas alors de culture bancaire de maraudage entre les institutions financières et les consommateurs étaient fidèles à leur prêteur hypothécaire. Qui plus est, les institutions avaient introduit une clause de style dans tous les actes d’hypothèques : le débiteur renonçait à l’utilisation de la subrogation ex parte debitoris. La hausse des taux d’intérêt et le début de la compétition bancaire ont amené la Cour supérieure à rendre un jugement de principe en 1992, dans l’affaire Banque Royale du Canada c. Caisse populaire Rock Forest[122]. Le titulaire d’un prêt hypothécaire à la Caisse populaire Rock Forest désire transférer son prêt à la Banque Royale. Cette dernière, soucieuse de conserver les garanties dont la Caisse populaire bénéficie, exige alors une subrogation consentie par le débiteur. La Caisse refuse et invoque la renonciation écrite. Pendant de nombreuses années, les notaires québécois ont implicitement approuvé ces clauses. En 1992, la Banque Royale demande à la Cour supérieure, au moyen d’une requête pour jugement déclaratoire, de se prononcer sur la validité de ces renonciations de masse. La juge Hélène LeBel, dans un jugement bien motivé, a statué que le mécanisme était d’ordre public. Selon elle, la renonciation préalable est interdite. Son analyse historique est convaincante : l’institution ayant été créée pour aider les débiteurs à transférer leurs dettes vers des créanciers qui imposaient de plus petits taux d’intérêt, il existe une logique consumériste dans la disposition. Le caractère d’ordre public de la disposition a été confirmé par d’autres décisions subséquentes[123].

Dans l’affaire Caisse populaire Rock Forest, comme le terme était échu, la juge LeBel n’a pas eu à se prononcer sur le paiement par anticipation. Toutefois, la question suivante était légitime : le droit de subroger conventionnellement son nouveau créancier dans les droits de l’ancien implique-t-il le droit de payer par anticipation ? Répondre par la négative rendrait illusoire le nouveau droit d’ordre public reconnu par la jurisprudence. En 1993, le juge Durand de la Cour supérieure a rendu une décision controversée en se basant sur les principes introduits dans l’affaire Caisse populaire Rock Forest[124]. Selon ce magistrat, le principe suppose que le débiteur puisse acquitter en tout temps avant échéance le reliquat de sa dette, sans intérêt ni pénalité en cas de subrogation consentie par le débiteur. La clause prévoyant que l’emprunt ne peut être remboursé par anticipation impliquerait une renonciation prématurée au droit d’ordre public accordé par le Code civil. Le raisonnement du juge Durand a été admis par quelques décisions[125]. La jurisprudence et la doctrine majoritaires, québécoises, mais aussi françaises, ont toutefois rejeté sa solution[126]. Le caractère impératif accordé à l’article 1655 C.c.Q. n’implique pas que le débiteur soit en mesure d’acquitter sa dette par anticipation. Il est admis que la subrogation est un accessoire par rapport au paiement : elle ne sera admise que si un paiement peut être valablement fait compte tenu des règles propres au terme. Dans l’affaire Entreprise Gexpharm inc. c. Services de santé du Québec, la Cour supérieure répond au principal argument du juge Durand, à savoir quel est l’intérêt de la subrogation si le débiteur doit payer les pénalités. La subrogation consentie par le débiteur, même si l’institution financière impose les pénalités pour paiement par anticipation au débiteur, peut s’avérer utile sous deux aspects : le nouveau créancier évite la création d’une nouvelle hypothèque et, surtout, il prend le rang hypothécaire du premier créancier[127]. Malgré un certain renouveau dans l’application de la subrogation consentie par le débiteur durant les années 90 à la suite de ces développements, l’utilisation de l’institution est maintenant en chute libre depuis le milieu des années 2000[128].

2.1.1.2 Une relecture du terme civiliste

Nos recherches préliminaires sur le terme nous ont menés à l’hypothèse suivante : le terme a été créé pour les débiteurs et il a été déformé pour mieux servir les prêteurs. Pourquoi prévoir un terme ? Pour permettre au débiteur de bénéficier immédiatement d’un crédit et de payer par la suite périodiquement sa dette. Logiquement, si le débiteur désire payer par anticipation, s’il n’a plus besoin de l’avantage que lui procure le terme, l’opération devrait être permise. Par contre, si le débiteur rembourse son prêt, le prêteur ne pourra plus profiter du paiement des intérêts. Pour ne pas perdre cet avantage, les prêteurs ont transformé l’objet et le fondement du terme et empêché le paiement par anticipation. Pour valider notre hypothèse, nous avons fait une étude historique sur le terme. Nous avons analysé les ouvrages généraux relatifs au droit des obligations dans la province de Québec, de même que les divers projets de code civil et les commentaires, pour terminer par l’analyse du droit romain et du droit français.

La plupart des ouvrages en droit québécois ne font qu’expliquer la règle de l’article 1511 C.c.Q. Aucune notion historique n’y est sérieusement présentée. La notion de bénéfice du terme est ainsi ancrée et constante en jurisprudence et en doctrine. Il est établi que le prêt à intérêt est à l’avantage du créancier autant qu’à l’avantage du débiteur et que le remboursement par anticipation n’est pas possible[129]. Seuls les professeurs Maurice Tancelin et Daniel Gardner tentent une argumentation en faveur du débiteur[130]. Ils font état de la différence de formulation entre la règle du Code civil du Québec et celle du Code civil du Bas Canada. L’article 1091 C.c.B.C. prévoyait que le « terme est toujours présumé stipulé en faveur du débiteur, à moins qu’il ne résulte de la stipulation ou des circonstances qu’il a été aussi convenu en faveur du créancier[131] ». L’article 1511 C.c.Q. prévoit maintenant que le « terme profite au débiteur, sauf s’il résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été stipulé en faveur du créancier ou des deux parties[132] ». Malgré la formulation de l’ancien Code, la jurisprudence et la doctrine ont eu tôt fait de reconnaître qu’un terme pouvait être accordé en faveur uniquement du créancier, par exemple le contrat de dépôt[133]. Tous les auteurs présentent la modification législative comme une consolidation de cette jurisprudence sans effet modificateur[134]. Les professeurs Tancelin et Gardner énoncent plutôt que les termes en faveur uniquement du créancier n’auraient pas dû être permis en vertu du Code civil du Bas Canada : ce glissement serait responsable de l’interdiction du remboursement par anticipation d’un prêt à intérêt[135]. Dans la mesure où il est clairement établi que le terme dans le cas d’un prêt à intérêt profite aux deux parties et que le débiteur ne peut rembourser par anticipation, il apparaît difficile de concevoir comment un terme établi uniquement en faveur du créancier modifierait la situation, tout comme le fait d’interdire les termes qui profiteraient uniquement au créancier. Néanmoins, la formulation employée dans le Code civil du Bas Canada est peut-être une première indication du bien-fondé de notre hypothèse.

Lors de la révision du Code québécois pendant la période 1970-1990, la nouvelle formulation maintenant prévue à l’article 1511 C.c.Q. est proposée sans commentaire particulier. Il est mentionné que la règle est admise en doctrine et en jurisprudence sans difficulté[136] et que la modification apportée ne change pas l’interprétation de la règle du bénéfice du terme[137]. La plupart des rapports n’abordent même pas la nouveauté tellement elle est acquise et non discutée[138]. Néanmoins, même si nous ne pouvons pas tirer de grandes conclusions de ce court extrait, l’Office de révision du Code civil mentionne que « [l]e terme suspensif est en principe stipulé en faveur du débiteur puisqu’en règle générale, il a pour but de permettre à ce dernier de retarder l’exécution de son obligation[139] ».

Lors de l’adoption du Code civil du Bas Canada, les commentaires relatifs à l’adoption de l’article 1091 font uniquement état du fait que cet article est conforme aux dispositions du droit français[140]. La règle concernant le bénéfice du terme s’inspire de l’article 1187 du Code civil français. Selon ce dernier texte, le terme profite en principe au débiteur, et cela constitue une présomption simple et est conforme à la règle de l’article 1162 du Code civil français selon lequel la convention s’interprète en faveur du débiteur. Cette présomption peut être renversée par la preuve que le terme profite également ou entièrement au créancier[141]. En doctrine française, le prêt à intérêt est constamment invoqué pour illustrer un terme qui profite à la fois au débiteur et au créancier.

L’analyse des rapports français de 1804 sur l’adoption du Code civil révèle quelques discussions par rapport au terme. Cependant, elles sont peu nombreuses. Dans son ouvrage intitule Motifs et discours prononcés lors de la présentation du Code civil par les orateurs du Conseil d’État et du tribunat, François Frédéric Poncelet explique alors la règle de la même manière qu’elle l’est aujourd’hui. La justification de l’adoption de l’article 1187 dans le Code civil français repose sur le principe qu’il a souvent été appliqué et que cette règle est consacrée dans le droit romain[142]. Dans les discussions, non seulement il n’a jamais été question d’écarter l’intérêt du créancier dans les prêts à terme, mais il a même été proposé d’inscrire que le terme est autant à l’avantage du créancier que du débiteur[143]. Évidemment, cette proposition n’a pas été retenue. Toujours durant les discussions sur l’adoption du Code civil français, certains proposaient que le terme soit uniquement à l’avantage du débiteur, sauf stipulation dans le contrat. Cela n’aurait pas permis de déduire que le terme est à l’avantage du créancier en raison des circonstances[144]. Outre ces quelques discussions à propos de l’article 1187, cet article a été adopté sans opposition.

En revenant à la source même du droit civil, c’est-à-dire au droit romain, nous pouvons constater que la règle est la même : le débiteur peut se libérer avant l’arrivée du terme, c’est-à-dire que celui-ci est à l’avantage du débiteur, exception faite du cas où le terme est en faveur du créancier[145]. Un semblant de présomption à l’avantage du débiteur existait également au temps du droit romain : « si le créancier poursuit son débiteur avant l’échéance du terme, il se rend coupable d’une plus petitio tempore et se voit débouté […] Il n’en serait autrement que s’il pouvait être prouvé que le terme avait été convenu dans son intérêt à lui créancier[146]. » De plus, cette règle était consacrée dans l’édition florentine du Digeste de Justinien, au livre 17[147]. La règle a donc débuté à l’époque du droit romain, pour se poursuivre en droit français et parvenir au droit québécois. Le prêt à intérêt semble ainsi toujours avoir été interprété en faveur du créancier également, et non à l’avantage exclusif du débiteur. Le débiteur a constamment bénéficié d’une présomption à son avantage. Par contre, cette présomption a toujours été facilement écartée dans chaque cas aussitôt que le terme était assorti d’un prêt à intérêt. Bref, l’histoire du droit civil ne peut être très utile aux débiteurs qui désirent rembourser leur prêt hypothécaire par anticipation en 2016.

2.1.2 En droit statutaire provincial

En 1971, le législateur a adopté la première mouture de la Loi de la protection du consommateur[148]. Dès lors, cette loi prévoyait des mesures pour encadrer les opérations de crédit à la consommation. Parmi celles-ci, il faut noter l’article 14, qui permettait au consommateur de rembourser en tout temps le solde de son obligation totale avant l’échéance du terme, ce qui était novateur et à contre-courant des règles civilistes alors en vigueur[149]. Il devait tout de même verser une légère pénalité. En vertu de l’article 10 al. 2, de la Loi de 1971[150], le crédit hypothécaire de premier rang était toutefois exclu. Lors des débats à l’Assemblée nationale, la justification reposait sur le fondement suivant : « Notre code civil, notre code de procédure civile et notre Loi du courtage immobilier contiennent des dispositions à cet égard[151]. » Reprenant le principe de l’article 14 de la Loi de 1971[152], l’article 93 al. 1 de la LPC de 1978[153] a été adopté sans discussion, sous réserve de quelques modifications de forme[154]. Il est donc permis au consommateur de rembourser son obligation non hypothécaire, partiellement ou totalement, avant l’échéance. Cela diffère de l’ancien article 14 de la Loi de 1971[155], qui ne prévoyait que le paiement par anticipation de l’obligation totale.

Dans la même veine que la Loi de 1971[156], le crédit hypothécaire n’est pas assujetti à la LPC[157]. L’approche législative et la portée diffèrent à certains égards. Le législateur a adopté, sans contestation, l’article 6 c) de la LPC, lequel prévoit l’exclusion du crédit hypothécaire de l’assujettissement à la loi, mais cette disposition n’est jamais entrée en vigueur[158]. En vertu de l’article 363, qui prévoit la mise en vigueur de la LPC par proclamation, celle-ci s’est produite en trois volets principaux, soit en 1979, en 1980 et en 1982[159]. Toutefois, par l’entremise de l’article 21 du règlement d’application, les hypothèques de premier rang sont exclues de la majorité du titre I de la LPC, soit notamment l’article 93, mais elles sont assujetties au titre II, soit les pratiques déloyales de commerce[160]. Il est fort à propos de rappeler l’opinion du regretté professeur Claude Masse : « L’absence de mise en vigueur de l’article 6 c) L.P.C., qui ne devait être que temporaire dans l’attente d’une législation spéciale visant la protection du consommateur dans le secteur de l’immobilier et du crédit rattaché, est maintenant permanente après 19 ans d’application de la loi[161]. » En d’autres termes, si le législateur québécois a délibérément exclu le prêt hypothécaire de la Loi de 1971[162], argumentant que d’autres mesures législatives permettent d’encadrer ce type de contrat, il avait l’intention d’intervenir en 1978. Il semble bien que la réforme projetée a été abandonnée ou égarée par la suite.

2.1.3 En droit fédéral

Outre les modifications parcimonieuses apportées par le législateur, il est intéressant de souligner quelques tentatives infructueuses de modifier l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[163] dont la pertinence mérite d’être discutée.

Premièrement, soulignons l’ambitieux projet de loi no C-16 de 1976, intitulé Loi sur la protection des emprunteurs et déposants[164]. Qualifiant la loi de désuète, ce projet avait pour objet le remplacement de l’actuelle Loi sur l’intérêt[165] et, en particulier, la protection du consommateur en matière d’emprunts. Plus précisément, les objectifs étaient de museler le crime d’usure, d’uniformiser le calcul des taux d’intérêt effectifs, de favoriser la concurrence entre les prêteurs, de faciliter les recours des emprunteurs, d’encadrer le prêt à taux variables et les hausses de taux d’intérêt, ainsi que de prévoir de nouvelles règles substantielles pour le remboursement anticipé. Lors de la présentation de ce projet de loi, le ministre avait soumis qu’il fallait améliorer l’accès aux prêts pour les consommateurs tout en favorisant la concurrence. Ainsi, la possibilité pour le consommateur de purger son hypothèque dans un délai plus court que cinq ans, en ne payant qu’un maximum de trois mois d’intérêt tenant lieu de pénalité, devenait alors séduisante[166]. En réponse à cet argument, le projet permettait le remboursement d’un prêt hypothécaire en tout temps, mais nuançait entre un remboursement survenant avant et après une période de douze mois[167]. Comme cela a été le cas dès 1880, la question des pénalités élevées, sinon exagérées, de même que la possibilité d’augmenter la concurrence entre les prêteurs ont été soulevées. L’opposition à ce projet soutenait qu’un délai de remboursement de trois ans risquait de raccourcir la durée standard des prêts hypothécaires à trois ans, au lieu de cinq[168]. La difficulté des institutions financières d’obtenir le financement, notamment par des placements garantis, allait créer un contexte d’incertitude quant au renouvellement plus rapide d’un prêt. Enfin, d’autres députés ont appuyé le principe du projet de loi, mais ils considéraient qu’une baisse du taux d’intérêt serait préférable pour le consommateur[169]. Au bout du compte, ce projet n’a pas été adopté vu l’absence de consensus[170].

Deuxièmement, il faut se remémorer le contexte de la hausse fulgurante des taux d’intérêt du début des années 1980[171], et le retour à un taux légèrement supérieur à ceux de 1976, soit autour de 9,4 à 10 p. 100 pour le taux d’escompte et de 13 à 14 p. 100 pour le taux hypothécaire fixe de cinq ans. C’est dans ce contexte que la situation financière très défavorable des emprunteurs hypothécaires a mené un député de l’opposition à présenter en janvier 1984 un projet de loi qui concernait essentiellement la modification des règles d’un remboursement anticipé d’un prêt hypothécaire[172]. Outre les arguments connus, le député avance que, lors de l’adoption de la Loi de 1880, le terme de paiement d’un prêt hypothécaire était de 25 ans, nonobstant la possibilité de rembourser avant échéance après un délai de cinq ans, soit 20 p. 100 du terme. Considérant les prêts hypothécaires d’un terme de cinq ans, amortis sur 25 ans, il propose simplement de conserver le même ratio et que le consommateur puisse purger son prêt un an après la date de signature de l’hypothèque[173]. Il souligne enfin que plusieurs États américains et le Royaume-Uni permettent un remboursement hypothécaire à tout moment, avec une pénalité de trois ans et que certains États n’autorisent aucune pénalité[174]. Dans le but de pondérer les intérêts des prêteurs et des emprunteurs, les députés du gouvernement, opposés au projet, affirment qu’un des motifs justifiant l’atténuation des termes des paiements hypothécaires repose sur la possibilité d’un remboursement anticipé, et qu’une trop grande libéralisation du droit de rembourser avant le terme serait une réponse trop draconienne à un problème précis, qui pourrait être dommageable pour les banques. Ils ajoutent que les programmes d’aide directe aux propriétaires ayant des problèmes avec leurs hypothèques (Programme canadien de renouvellement hypothécaire) seraient une solution plus appropriée et permettraient d’éviter de « bouleverser le système[175] ».

Troisièmement, le gouvernement a rapidement répliqué au projet de loi no C-212 par un autre projet de loi déposé en mai 1984 et ayant également pour objet de libéraliser le remboursement anticipé d’un prêt hypothécaire[176]. Tout en considérant les intérêts des prêteurs, les objectifs de ce projet consistent à renforcer les droits des emprunteurs pour qu’ils soient plus informés, à accroître la souplesse du marché hypothécaire et à fournir un plus grand éventail de mécanismes hypothécaires. Ce projet prévoit alors l’abrogation de l’article 10 de la Loi, qui permet un remboursement anticipé en tout temps. La question des pénalités est, une fois encore, soulevée lors des débats. D’une part, le ministre opine que le délai de cinq ans représente un obstacle à l’offre d’hypothèques à long terme. Il ajoute que le droit au remboursement se trouve garanti, c’est-à-dire que le débiteur est protégé contre un prêteur intransigeant qui refuserait le remboursement anticipé, peu importe les conditions. D’autre part, le ministre considère comme trop simpliste et non réaliste une pénalité de trois mois, qui n’équilibre pas convenablement le partage des risques entre l’emprunteur et le prêteur. Ce projet de loi veut remplacer le délai de trois mois par une pénalité qui équivaut à la perte subie par le prêteur, comportant un montant maximal calculé selon une formule déterminée par un règlement, ce qui aurait permis à l’emprunteur de connaître les conséquences[177]. Le projet a été vivement critiqué à la fois à propos des principes, soit l’abrogation du délai de cinq ans, et des moyens retenus, c’est-à-dire le remplacement du délai de trois mois par un calcul prévu par règlement, formule jugée trop complexe.

Soulignons enfin une dernière tentative de modification législative, celle-ci ayant été tentée au milieu des années 1990, soit le projet de loi no C-273[178]. Cette initiative parlementaire propose de modifier l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[179] pour permettre le remboursement anticipé après une année au lieu de cinq. Le projet de loi en question n’a jamais abouti. Les problèmes débattus par les députés sont essentiellement les mêmes que par le passé, soit la protection des consommateurs qui subissent les contrecoups de la volatilité des taux d’intérêt, tout en tenant compte des prêteurs qui doivent balancer leurs prêts avec leurs propres emprunts.

2.2 L’apport du droit étranger

Les approches législatives encadrant le remboursement anticipé varient sensiblement selon les États. Dans une étude sur la stabilité financière mondiale publiée en 2011, le Fonds monétaire international a passé en revue les mécanismes de crédit hypothécaire, y compris les modalités de remboursement anticipé, de plusieurs États occidentaux[180]. Si certains n’encadrent pas les pénalités imposées par les prêteurs, d’autres fixent des limites et d’autres, enfin, ne prévoient aucune pénalité ni indemnité de sortie. Il serait fastidieux et inutile de présenter la situation de chacun de ces États, mais une analyse des systèmes français et danois nous semble pertinente. Dans le premier cas, il est intéressant de constater, outre les liens naturels entre les systèmes civilistes québécois et français, que le crédit immobilier est présent dans une loi française consumériste d’ordre général et que le régime de sanctions pour le remboursement anticipé présente un aspect intéressant dont pourrait s’inspirer le législateur canadien (2.2.1). Dans le second cas, la législation danoise, fort différente de la législation au Canada, ne prévoit aucune indemnité ni pénalité pour un remboursement anticipé, ce qui tient à la structure organisationnelle particulière du système de prêt hypothécaire du Danemark, supporté par une législation appropriée. Cette illustration pourrait encourager la réflexion parmi les intervenants du système financier canadien, qu’il s’agisse des prêteurs, des investisseurs ou du régulateur (2.2.2).

2.2.1 Les approches française et européenne

Le droit français encadre le crédit à la consommation (mobilier) et le crédit immobilier dans le même outil législatif, soit le Code de la consommation. Cette approche diffère sensiblement de l’encadrement plutôt éclaté du crédit à la consommation et immobilier au Canada. Dans les deux cas, les dispositions sont dérogatoires du droit commun[181]. Bien que la structure de financement des banques françaises diffère à plusieurs égards de celle qui règne au Canada, de grands pans sont similaires, soit le financement des banques par l’entreprise des dépôts des particuliers et par le financement sur les marchés financiers. Cependant, une différence notoire concerne l’aversion des Français à l’égard de l’endettement, c’est-à-dire que les consommateurs sont moins portés à emprunter et, lorsqu’ils le font, les montants empruntés sont moindres que ceux des Canadiens ; parallèlement, les banquiers sont plus rigides que leurs homologues canadiens dans la gestion des prêts.

Afin de se prévaloir des dispositions du crédit immobilier, l’article L312-2 du Code prévoit que le consommateur doit être une personne physique ou morale qui désire financer l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, ou encore l’achat d’un terrain destiné à la construction d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation. En vertu de l’article L312-3, les prêts consentis à des personnes morales de droit public, ou destinés à des fins d’activités professionnelles, sont exclus de l’application du chapitre sur le crédit immobilier.

L’article L312.21 du Code permet au consommateur de rembourser par anticipation un crédit immobilier sous certaines conditions. D’abord, le prêteur peut s’opposer à un remboursement égal ou inférieur à 10 p. 100 du montant initial du prêt, sauf s’il s’agit du solde du prêt. Ensuite, le prêteur peut exiger une indemnité au titre des intérêts non encore échus, lesquels ne peuvent excéder un barème fixé par décret, c’est-à-dire le moindre d’un semestre d’intérêt ou un maximum de 3 p. 100 du capital restant avant le remboursement[182], sans préjudice de l’article 1152 du Code civil. Pour les contrats de crédit immobilier conclus après le 25 juin 1999, aucune indemnité n’est due par l’emprunteur si le remboursement anticipé est motivé par la vente du bien immobilier survenu à la suite d’un changement du lieu d’activité professionnelle de l’emprunteur ou de son conjoint ou bien par le décès ou par la cessation forcée de l’activité professionnelle de ces derniers.

Enfin, la nouvelle directive européenne de 2014 sur le crédit hypothécaire résidentiel veut établir un marché intérieur plus efficace, transparent et compétitif[183]. Elle prévoit notamment l’encadrement de communication précontractuelle par le format normalisé de fiche d’information standardisée européenne, le calcul du taux annuel effectif global (TAEG), l’instauration de normes de qualité pour la fourniture de contrat de crédit (admission, surveillance et exigence prudentielle) et une disposition concernant le remboursement anticipé d’un crédit hypothécaire. Sur ce point, le considérant no 66 mentionne que le remboursement avant l’échéance d’un contrat de crédit hypothécaire renforce la concurrence, et ce, « et en y favorisant la libre circulation des personnes ainsi qu’en contribuant à apporter pendant la durée du contrat de crédit la souplesse requise pour promouvoir la stabilité financière conformément aux recommandations du Conseil de stabilité financière[184] ».

Le premier paragraphe de l’article 25 de la Directive 2014/17/UE confirme le droit pour l’emprunteur « de s’acquitter, intégralement ou partiellement, des obligations qui lui incombent » en vertu du contrat de crédit et, le cas échéant, d’obtenir une réduction du coût total du crédit « correspondant aux intérêts et frais dus pour la durée résiduelle du contrat[185] ». Les quatre autres paragraphes établissent les modalités de remboursement, soit les frais, les informations et l’intérêt légitime du consommateur. Globalement, ces dispositions établissent des principes dont les États membres pourront adapter le contenu[186]. Le deuxième paragraphe de l’article 25 prévoit le droit pour les États membres d’établir des conditions quant au temps, au type de taux débiteur ou au moment et à la manière pour le consommateur d’exercer son droit. Le corollaire de ce droit, présenté au troisième paragraphe de l’article 25, consiste à accorder au prêteur le « droit à une indemnisation équitable et objective, lorsque cela s’avère justifié, pour les éventuels coûts directement supportés du fait du remboursement anticipé du crédit, mais n’impose pas de pénalité au consommateur[187] ». L’indemnisation financière ne doit donc pas dépasser la perte financière du prêteur et les États membres peuvent imposer un plafond financier. Sur ce point, le maximum d’un semestre ou de 3 p. 100 du capital qui existe avant le remboursement illustre ce principe[188]. Le quatrième paragraphe de l’article 25 indique simplement les exigences quant à la divulgation des informations qui doivent être transmises à l’emprunteur. Vu la complexité du calcul des frais d’un remboursement anticipé, l’importance de cette disposition se trouve amplement justifiée. Enfin, le cinquième et dernier paragraphe de l’article 25 permet aux États membres de prévoir, si le « remboursement anticipé intervient dans une période durant laquelle le taux débiteur est fixe[189] », que l’exercice de ce droit soit « subordonné à l’existence d’un intérêt légitime chez le consommateur[190] », comme un cas de divorce ou de chômage.

À la suite de l’entrée en vigueur de la Directive 2014/17/UE, le législateur français a adopté une loi habilitante qui confère au gouvernement le pouvoir de transposer cette directive[191] en droit français[192]. Cependant, une lecture attentive de cette dernière permet de constater que plusieurs de ses éléments se trouvent déjà dans le corpus législatif français, dont les mesures concernant le remboursement anticipé. Pour cette raison, le projet de loi à l’origine de la loi habilitante mentionnait que seules quelques adaptations étaient nécessaires dans ce cas-là[193].

2.2.2 L’approche danoise

Le marché hypothécaire danois peut enorgueillir d’être un des plus solides au monde, car il n’a connu aucun défaut au cours des 200 dernières années[194]. Bien que le contexte ait évolué au fil des ans, en raison notamment de la crise financière de 2008 et de la baisse constante des taux d’intérêt depuis de nombreuses années, l’analyse de cas du Danemark demeure d’autant plus pertinente en l’espèce puisqu’il s’agit d’un pays de faible taille par rapport à plusieurs de ses voisins européens[195].

Traditionnellement, le système danois de prêt hypothécaire était conçu comme un système coopératif où les ménages empruntaient à un taux unique pour la durée de leur prêt sur une longue période, ce qui comprenait la possibilité d’être remboursé par anticipation sans indemnité de sortie. La Loi danoise sur le crédit immobilier (Danish Mortgage Credit Act) impose le principe d’équilibre (balance principle) qui prévoit que les établissements de crédit hypothécaire (mortgage-credit institutes) financent leurs prêts à taux fixes en émettant des obligations (bonds) qui comportent des flux de trésorerie identiques à ceux des prêts qui sont effectués aux emprunteurs (consommateurs)[196]. En d’autres termes, alors que les institutions financières se financent habituellement à court terme sur les marchés monétaires pour prêter à long terme aux emprunteurs, les établissements de crédit hypothécaire du Danemark émettent des « obligations hypothécaires danoises » (Danish mortgage bonds) sur les marchés financiers dont la maturité correspond exactement à celle des prêts hypothécaires effectués à taux fixe, soit jusqu’à 30 ans. Prévalant depuis plus de 200 ans[197], cette approche est strictement encadrée par le législateur pour limiter ainsi les risques de liquidité et de crédit de ces institutions, ceux-ci étant transférés aux investisseurs (fonds de pension, banques commerciales, assureurs, etc.).

Après la déréglementation des institutions financières, le panorama financier danois s’est légèrement métamorphosé pour admettre les banques européennes depuis 2007. À la suite d’un jeu de fusions et d’acquisitions, il en résulte une domination du marché par quelques établissements de crédit hypothécaire et, surtout, un attrait de plus en plus marqué de ces institutions à l’égard du financement à court terme. D’autres changements doivent être notés, comme l’arrivée des nouvelles technologies, la diminution des taux d’intérêt depuis les années 2000 et la crise financière de 2008. La conséquence de ces changements concerne l’arrivée, notamment depuis 1996, de taux d’intérêt variable dont la maturité peut être à long terme (30 ans, mais dont le taux d’intérêt est revu annuellement) ou à court terme (parfois une année). Certaines obligations hypothécaires émises peuvent porter un terme ne dépassant pas 11 ans, mais, en vertu du principe d’équilibre, le financement de la majorité des prêts hypothécaires provient de l’émission d’obligations hypothécaires de montant, de durée et de caractéristiques qui s’équivalent. Le lien entre l’emprunteur et l’investisseur obligataire demeure ainsi présent, car le produit de l’émission est versé à l’emprunteur, et les versements périodiques (capital et intérêts) de l’emprunteur vont à l’investisseur. Les conditions du marché influent donc directement sur les conditions accordées à l’emprunteur. Enfin, celui-ci rémunère son institution de crédit pour les services fournis[198].

Si le principe d’équilibre est parfois difficile à respecter en raison de l’écart de maturité entre le prêt hypothécaire et le titre de financement de l’établissement de crédit, le marché hypothécaire danois demeure tout de même très solide et présente une forte base d’investisseurs pour les obligations hypothécaires (mortgage bonds), qui constituent des obligations sécurisées (covered bonds), ce qui en fait un marché extrêmement liquide[199]. L’impact des taux variables, qui équivalaient à environ 75 p. 100 du marché en 2013[200], risque d’influer sur la solidité de ce modèle[201]. Une nouvelle législation a été adoptée en 2007 pour prévoir les types d’obligations hypothécaires qui peuvent être émises par des établissements de crédit hypothécaire ou par des banques commerciales[202]. Au demeurant, il faut noter les conditions strictes d’évaluation du crédit, particulièrement caractérisées par un ratio prêt-valeur (loan-to-value ou LTV) de 80 p. 100 (ce qui suppose une mise de fonds de 20 p. 100) pour les prêts résidentiels[203]. Dans ces conditions, le rationnement constitue la méthode privilégiée de sélection, aux dépens d’une tarification fondée sur le risque de l’emprunteur. Notons également que le taux de change de la monnaie nationale, la couronne danoise, est au pair avec l’euro. Dans ces circonstances, les obligations hypothécaires danoises ne soulèvent donc que peu de doutes quant à leurs qualités[204].

Contrairement aux approches européenne, française et canadienne, l’approche danoise se distingue par l’absence d’indemnité de sortie en cas de remboursement anticipé par l’emprunteur et la possibilité de rembourser son prêt par anticipation en tout temps. Le fondement tient à l’ingéniosité du système lui-même, couplé par une législation rigoureuse[205]. Plus précisément, l’emprunteur a le choix de rembourser son prêt par anticipation au pair ou au prix du marché[206]. Puisque dans la plupart des cas, il est question de refinancement hypothécaire, l’emprunteur qui rembourse son prêt avant terme rachète, en quelque sorte, l’emprunt de la banque auprès d’un investisseur. Le principe est simple, mais la stratégie est directement dépendante de la volatilité des taux d’intérêt. En cas de hausse des taux, l’emprunteur rachète le prêt en acquérant des obligations hypothécaires remboursables par anticipation sur un marché secondaire (appelé « auction (for refinancing) ») pour le revendre à l’établissement de crédit afin de le rétrocéder au nouveau propriétaire. Les emprunteurs sont incités à procéder ainsi lorsque les taux sont à la hausse, réalisant de ce fait une plus-value. Cependant, lorsque les taux sont en baisse, le rachat se fait à une valeur inférieure à celle du marché (valeur nominale)[207].

Les prêts à taux fixe peuvent être remboursés à tout moment et les prêts à taux variables ne le sont qu’à des dates prédéterminées, soit quelques fois par année ; le cas échéant, si l’emprunteur rembourse avant la date, il doit verser l’intérêt à la banque avant cette date. La tendance est de refinancer avec des prêts à court terme. Toujours selon le principe d’équilibre, les obligations hypothécaires remboursables par anticipation sont considérées comme des titres adossés à des créances sans transformation de flux de trésorerie[208]. Des modèles de prévisions statistiques de remboursement par anticipation permettent de mieux cibler le juste prix de ce genre d’obligations[209].

Enfin, les obligations hypothécaires remboursables par anticipation comportent un prix pour l’emprunteur danois, c’est-à-dire une sorte de prime qu’il doit payer pour obtenir ce droit au remboursement par anticipation sans frais. Cette prime représente la différence entre le rendement strict et la valeur de l’option de remboursement par anticipation. En réalité, cette prime, qui correspond à la valeur moyenne des obligations hypothécaires danoises et américaines, elles-mêmes supérieures aux obligations d’État, « reflète […] [la] contrepartie du droit de l’emprunteur de rembourser par anticipation au pair (option de remboursement anticipé)[210] ». La clause de remboursement anticipé correspond ainsi à « l’évaluation du comportement des emprunteurs en matière de remboursement anticipé[211] », et elle a « un prix pour l’emprunteur et son exercice est lié aux taux d’intérêt[212] ».

2.3 Quelques pistes de réflexion

Il appert clairement de notre étude que l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[213] ne convient plus à la réalité du marché hypothécaire canadien depuis les années 70. Il en va de même pour le Code civil du Québec, où le terme et la subrogation n’assurent pas une protection efficace à l’emprunteur, et pour la LPC, qui n’encadre tout simplement pas ces opérations. Enfin, le Code de conduite pour les institutions financières sous réglementation fédérale — Information sur le remboursement anticipé des hypothèques[214], présenté par le ministre des Finances du Canada en 2012, est malheureusement inapproprié, sinon pour clarifier le libellé des contrats hypothécaires.

Quelle approche doit prendre le législateur ? Comme le souligne la Directive 2014/17/UE, « [s]i les États membres prévoient que le prêteur a droit à une indemnisation, il devrait s’agir d’une indemnisation équitable et objectivement justifiée pour les coûts directement encourus du fait du remboursement anticipé du crédit conformément à la réglementation nationale en matière d’indemnisation[215] ». Nous approuvons cette nécessité de balancer les intérêts en jeu, soit le droit de l’emprunteur de rembourser son prêt hypothécaire avant le terme convenu, et le droit du prêteur d’obtenir le remboursement de ses frais. Dans un monde idéal, l’approche danoise devrait être favorisée. Cela implique un changement majeur de culture financière auprès des prêteurs, qui devront adapter en conséquence le financement des termes de prêts hypothécaires, et planifier statistiquement les remboursements anticipés. Selon nous, cette solution présente plusieurs avantages : aucuns frais de remboursement anticipé pour l’emprunteur[216] ni pour le prêteur, celui-ci pouvant transférer ses risques vers l’investisseur. Néanmoins, au-delà de l’option scandinave, et malgré les tentatives de modification de l’article 10 survenues au cours des années 1976, 1984 et 1994, qui n’ont malheureusement pas été couronnées de succès, il faut reconnaître que le délai de cinq ans, prévu dans l’article 10, qui est un particularisme canadien, n’a plus sa raison d’être.

En conséquence, si la solution danoise ne convient pas aux yeux du marché hypothécaire canadien, un montant maximal devrait être imposé au consommateur, lequel devra tenir compte de l’indemnisation du prêteur pour sa perte financière. Pour leur part, les Français ont choisi une indemnité qui ne peut excéder six mois d’intérêt ou 3 p. 100 du capital non remboursé. Dans le cas d’un emprunt hypothécaire de 200 000 $, ce serait alors une indemnité d’environ 6 000 $, ce qui est considérable. Au Canada, les banques ont retenu la solution inverse pour les prêts comportant un terme égal ou inférieur à cinq ans — non encadrés par la Loi sur l’intérêt[217] —, soit l’exigence d’une indemnité qui équivaut au plus élevé de trois mois d’intérêt ou du différentiel de taux d’intérêt, en sus de divers frais (administration, enregistrement, honoraires des notaires), ce qui cause habituellement une mauvaise surprise au consommateur. Dans ces circonstances, le respect des articles 1436 et 1437 C.c.Q. soulève quelques doutes. Bien que les modalités de temps et de montant puissent être discutables, la vision française nous paraît plus appropriée pour alimenter une réflexion sur cette question, car elle présente la qualité d’assurer une meilleure transparence pour le consommateur que celle qui existe actuellement au Canada et, surtout, elle lui permet de connaître le montant maximal de la pénalité. Quel est le plafond de la pénalité qui garantit le respect des intérêts du créancier et du débiteur ? Le plafond de la pénalité devra-t-il être d’un semestre ou d’un trimestre ou encore équivaloir à un pourcentage du capital non remboursé ?

À nos yeux, une solution mitoyenne entre les approches française, danoise et canadienne est souhaitable. Nous suggérons une indemnité de sortie qui se calcule selon le moindre des deux montants suivants : un plafond de trois mois d’intérêt (comme c’est actuellement le cas pour les prêts hypothécaires de plus de cinq ans au Canada) ou 1,5 p. 100 du capital non remboursé. Le premier élément considère l’abrogation du délai de cinq ans de l’article 10 (1) de la Loi sur l’intérêt[218] et applique la pénalité de trois mois à n’importe quel moment durant le terme. Le second élément s’inspire de la solution française, mais se révèle plus équitable, croyons-nous, pour le consommateur, tout en permettant aux institutions financières de récupérer leurs frais[219]. Une interrogation demeure : la banque sera-t-elle tentée d’augmenter les taux pour y ajouter une prime de risque en cas de remboursement par anticipation ? Une telle prime existe pour les prêts de plus de cinq ans, certes, mais elle ne justifie pas à elle seule le différentiel de taux entre un prêt de sept ou dix ans et un prêt de cinq ans, puisque le risque est principalement dû aux aléas du marché à long terme.

Considérant que la compétence du législateur fédéral n’apparaît pas exclusive en matière d’encadrement d’un remboursement par anticipation d’un prêt hypothécaire, le législateur québécois devrait sérieusement considérer l’idée de prendre l’initiative à cet égard.

Conclusion

De nombreuses raisons incitent le consommateur à rembourser son prêt hypothécaire par anticipation : une baisse favorable des taux d’intérêt, l’achat d’une nouvelle résidence ou même un héritage. Depuis les années 70, les prêts hypothécaires sont habituellement structurés selon des termes de cinq ans, dont l’intérêt est calculé sur un amortissement de 25 ans (pour les prêts assurés). Le délai de cinq ans correspond à la limite de la pénalité prévue par l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[220], qui encadre le remboursement des prêts garantis par hypothèque de plus de cinq ans. Conçu et adopté à une époque où les prêts hypothécaires étaient effectués à long terme, l’article 10 de la Loi sur l’intérêt[221] est inapproprié depuis plusieurs décennies. S’il ne prohibe pas le remboursement anticipé, il laisse libre cours aux prêteurs pour prévoir les indemnités de sortie. Le consommateur se sent en quelque sorte piégé : d’une part, si ce droit lui est reconnu, il ne peut se fier aux autres sources d’encadrement normatif, également inadaptées ; d’autre part, le prêteur désire obtenir le remboursement de ses frais. En l’espèce, l’indemnité constitue la pierre d’achoppement de cette question.

Notre analyse a démontré la nécessité de modifier cette situation. En effet, une analyse en droit comparé laisse voir que le modèle danois semble particulièrement attrayant, car le remboursement anticipé est permis en tout temps et sans frais pour le consommateur. Le risque du prêteur est même transféré à l’investisseur, et le premier ne paie aucuns frais dans l’opération. Le modèle français, pour sa part, fonctionne à l’inverse du modèle canadien, c’est-à-dire qu’il plafonne l’indemnité de sortie au moindre d’un semestre d’intérêt ou à 3 p. 100 du capital non remboursé, pour tous les paiements hypothécaires, et non seulement les prêts supérieurs à cinq ans. Ces approches devraient alimenter la réflexion des intervenants, soit les institutions financières et les législateurs fédéral et québécois, dans la quête d’une meilleure protection pour le consommateur qui contracte un emprunt hypothécaire. Le moindre d’une pénalité équivalant à trois mois d’intérêt ou à 1,5 p. 100 du capital non remboursé nous apparaît à propos.