Chronique bibliographique

Constance Backhouse, Claire L’Heureux-Dubé. A Life, Vancouver, UBC Press, 2017, 768 p., ISBN 978-0-7748-3632-6[Record]

  • Louise Langevin

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  • Louise Langevin
    Université Laval

Claire L’Heureux-Dubé a entrepris ses études à la Faculté de droit de l’Université Laval en 1948. Il y avait alors 2 femmes dans un groupe de 51 étudiants. En 1952, elle sera la neuvième diplômée en droit de l’Université Laval. À noter que les femmes ont été admises comme membres du Barreau du Québec à partir de 1941. Son père lui avait fortement déconseillé d’aller en droit, car ce n’était pas l’avenir qu’il entrevoyait pour son aînée. Par ailleurs, la Faculté de droit avait refusé de lui accorder une bourse d’études. Cependant sa mère, qui n’avait pas eu la chance d’étudier, l’avait beaucoup encouragée à poursuivre ses études. Sa mère, qui sera affaiblie par la maladie au cours des années mais qui conservera son optimisme, demeurera son inspiration. Celle qui deviendra la première juge à la Cour d’appel du Québec et la deuxième femme à occuper un poste de juge au plus haut tribunal canadien sera aussi la première à exercer la profession d’avocate dans la ville de Québec. En 1952, elle fera son stage auprès de Sam Bard, avocat juif de Québec, le seul à lui avoir offert cette occasion. Elle deviendra son associée. À la faveur d’une plus grande accessibilité du divorce à partir de 1968, elle développera une pratique en droit de la famille. Elle sera une des plus éminentes avocates de la ville de Québec. Claire L’Heureux-Dubé a été une pionnière dans de nombreux domaines, à une époque charnière de l’histoire du Québec et du Canada, avec l’arrivée des femmes dans la profession juridique, la sortie du Québec de la Grande Noirceur et les premières interprétations de la Charte canadienne des droits et libertés. C’est ce qu’analyse Constance Backhouse dans une biographie absolument fascinante. À travers la vie d’une femme remarquable, l’historienne féministe documente et explique l’évolution de la société québécoise et canadienne, celle du droit canadien et de la Cour suprême du Canada. La somme de travail est monumentale, et le résultat s’avère impressionnant. Dans une langue vivante, l’auteure livre une histoire intimiste, toute en nuances et sans complaisance de la vie d’une femme singulière, intelligente, rebelle, une juge extraordinaire, à la trajectoire de vie particulière, qui n’a certes pas fait l’unanimité, mais dont l’influence a été marquante sur l’évolution du droit canadien. L’opinion concurrente de la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt R. c. Ewanchuk et les réactions qui ont suivi constituent l’événement à l’origine du projet de recherche et de rédaction de Backhouse, projet qui durera neuf ans. Dans cette affaire d’agression sexuelle, Claire L’Heureux-Dubé dénonce les stéréotypes sexuels à l’encontre des femmes victimes de violence sexuelle. Historiquement dans ce genre de procès, les tribunaux n’ont pas cru les femmes et leur ont imposé des règles de preuve très strictes. Elles devaient s’être débattues, avoir crié, s’être sauvées, avoir porté plainte à la police immédiatement après l’agression pour démontrer qu’elles n’avaient pas consenti à l’acte sexuel. Le principe de base voulait qu’elles consentent à l’acte sexuel. Un non ne voulait pas dire « non ». Leur vie sexuelle et privée était examinée pour tenter d’y découvrir une forme de consentement. Elles ne devaient pas être vêtues légèrement lors des événements ni avoir eu des activités sexuelles antérieures, le cas contraire laissant supposer qu’elles étaient de petite vertu et consentantes. Ce sont ces stéréotypes que Claire L’Heureux-Dubé déboulonne dans son opinion, à laquelle concoure le juge Gonthier, dans l’affaire Ewanchuk. La Cour suprême infirme ainsi la décision de la Cour d’appel de l’Alberta qui avait maintenu l’acquittement en première instance de l’accusé Ewanchuk. L’opinion de la juge L’Heureux-Dubé par elle-même est majeure pour les …

Appendices