Article body

Décrite comme « le deuxième âge de la machine », l’ère numérique bouleverse notre façon de vivre, de travailler, de consommer. Si la première phase de l’automatisation fut marquée par la mécanisation des tâches manuelles simples, la deuxième période verrait l’automatisation de plusieurs fonctions fondées sur le savoir et leur exécution à grande échelle. En effet, ce qui distingue cette période d’avancées technologiques, ce n’est point le rôle majeur joué par le savoir et l’information, mais plutôt « l’application de ceux-ci aux procédés de création des connaissances et de traitement/diffusion de l’information en une boucle de rétroaction cumulative entre l’innovation et ses utilisateurs pratiques[1] ».

La période contemporaine est ainsi caractérisée par le développement d’une société de l’information. Concept apparu au Japon dans les années 60’, la société de l’information évoque de manière sociologique l’idée d’une « société post-industrielle » dans laquelle les progrès technologiques facilitent la communication et la transmission de données de toute nature entre les hommes à l’échelle mondiale[2]. La circulation rapide et massive des données est facilitée par l’exploitation d’infrastructures de transport existantes et le développement d’une nouvelle génération de moyens de communication transfrontaliers. Ces réseaux de communication, qui constituent le socle de l’Internet, sont désormais fréquentés par un nouveau type d’objet : l’information numérique. La numérisation est une technique permettant de réduire l’information à une suite de chiffres élémentaires. Cette technique consacre la dématérialisation du support de l’information. La numérisation engendre les phénomènes de la convergence des techniques et des médias et de l’interactivité offerte à l’utilisateur de l’information.

À l’instar d’autres sphères de la société, l’ère numérique est ainsi en train de transformer la manière de concevoir, produire et distribuer les biens et services. La révolution numérique appelle de ce fait une adaptation de la régulation juridique des activités économiques digitales des entreprises. Le droit des activités économiques ou droit des affaires revêt dans ce contexte une acception large regroupant l’ensemble des règles juridiques applicables aux entreprises et à leurs relations de droit privé. Ainsi conçu de manière pragmatique, le droit économique et des affaires a comme champ de mire les activités économiques de production, d’intermédiation, de distribution et de services des entrepreneurs et des entreprises.

Le présent numéro des Cahiers de droit contient des contributions savantes qui consacrent la rencontre entre le droit économique et la période numérique dans laquelle nous nous imprégnons dans nos vies quotidiennes. Elles mettent en lumière les questions et problématiques que pose l’économie numérique aux différents secteurs et champs du droit économique et des affaires. Il en est ainsi des usages et finalités des registres d’entreprises à l’ère numérique. Nous savons que le but essentiel de la publicité légale des entreprises consiste à stimuler la confiance entre les différents acteurs économiques afin de promouvoir des transactions commerciales sécuritaires. Dans son texte, la professeure Pascale Cornut St-Pierre, dans une approche historique, examine les finalités de la publicité légale des entreprises dans le contexte de l’économie numérique. Elle constate que si la numérisation de la publicité légale des entreprises a été initialement menée dans un esprit de libéralisation économique, elle a simultanément élargi le cercle des usagers potentiels de l’information publiée et doté la société civile d’un nouvel instrument de surveillance des entreprises à travers l’instauration de registres d’entreprise numériques.

La confiance est aussi au coeur des obligations contractuelles nouées à l’ère de l’économie numérique, comme en atteste l’avènement du contrat intelligent. Dans sa contribution, le professeur Reza Moradinejad apprécie l’aptitude du contrat intelligent à instaurer la confiance dans le domaine contractuel. Il met en exergue le positif potentiel de rétablissement de la confiance entre les parties que sont susceptibles d’apporter la transparence et la garantie d’exécution conforme du contrat. En effet, le contrat intelligent résulte du double mouvement de l’informatisation de son contenu contractuel et du recours à la technologie de la chaîne de blocs qui lui assurent ses caractéristiques techniques de contenu infalsifiable et d’exécution automatique.

Dans les secteurs bancaire et financier, qui demeurent l’un des domaines les plus automatisés et dans lesquels beaucoup de nouveaux services ont vu le jour, les professeurs Marc Lacoursière et Ivan Tchotourian abordent les questions relatives à la protection du consommateur de services financiers qui est ainsi confronté à la multitude d’offres nouvelles liées aux technologies financières (FinTech) et à l’adaptabilité d’un encadrement juridique qui tiendrait suffisamment compte de la multiplication des prestations financières ou bancaires automatisées (nouveaux services de paiement, de crédit et d’investissement).

Tout projet entrepreneurial requiert un financement adéquat. À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, la toile, par sa capacité surnaturelle de collectivisation, peut servir de creuset entre solliciteurs et pourvoyeurs de fonds. Dans ce sens, le développement du financement participatif (sociofinancement) peut se présenter comme une opportunité inouïe pour une kyrielle de porteurs de projets qui n’ont besoin que d’un financement moyen pour lancer leurs affaires. Dans ce contexte, la professeure Michelle Cumyn et le doctorant Wend-Nongdo Justin Ilboudo proposent que le Québec se dote d’une Loi uniforme sur les appels informels aux dons du public pour pallier les lacunes du droit actuel. À cet effet, ce régime pourrait s’inspirer de la pratique éprouvée des autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) dans le domaine de l’encadrement juridique du sociofinancement sous forme d’investissements.

Ce numéro spécial des Cahiers de droit contient de plus une étude du chercheur Vicaire Bepyassi Ouafo qui planche sur les questions relatives à la portée économique des technologies de l’information dans le droit des activités économiques au sein de l’espace de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Il examine le dispositif règlementaire encadrant les finalités économiques de l’utilisation des technologies du numérique dans la CEMAC mis en place en 2008. Ce texte appelle une intégration des conséquences juridiques de l’économie numérique dans le développement économique.

Au-delà de leur diversité, les différentes contributions réunies dans ce numéro des Cahiers de droit montrent les défis d’adaptabilité que pose l’économie numérique au droit économique. Nous osons espérer qu’elles serviront de point de départ à plusieurs problématiques qu’elles tentent d’élucider en raison de cette rencontre inévitable et réelle.