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Pas plus que les gouvernements, les particuliers ne peuvent occuper ni utiliser sans droit les terres que détient un peuple autochtone en vertu de son titre foncier ancestral. C’est ce que souligne la Cour suprême du Canada lorsqu’elle écrit que « [l]e droit de contrôler la terre que confère le titre ancestral signifie que les gouvernements et les autres personnes qui veulent utiliser les terres doivent obtenir le consentement des titulaires du titre ancestral[1] ». En présence d’un empiètement sur les terres autochtones, « [l]es mesures de réparation habituelles en cas d’atteinte à des intérêts sur des terres sont disponibles, en les adaptant au besoin en fonction de la nature particulière du titre ancestral[2] ». Bien qu’ils soient exempts des obligations fiduciaires auxquelles est exclusivement tenue la Couronne dans sa conduite par rapport aux terres autochtones, les particuliers, y compris les entreprises, pourront donc être poursuivis en justice relativement à leurs activités menées sur les terres autochtones[3]. Comme l’écrit John Borrows, « [t]hird parties such as private owners may have direct obligations to Aboriginal peoples related to the avoidance of nuisance and trespass[4] ». Les tribunaux ont d’ailleurs d’emblée jugé recevables à l’étape préliminaire des recours en dommages-intérêts intentés en vertu du droit privé provincial contre des particuliers pour atteinte allégée aux droits ancestraux sur la terre et les ressources[5].

L’irruption des droits ancestraux dans le champ du droit privé ira dorénavant d’autant plus de soi que la plus haute juridiction du pays a levé en 2014 les doutes qui pesaient sur l’applicabilité constitutionnelle des lois provinciales aux situations impliquant l’exercice et la jouissance des droits ancestraux ; celles qui sont d’application générale seront opposables à condition qu’elles ne portent pas atteinte aux droits des autochtones de manière injustifiée aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[6]. Le Code civil du Québec[7] et toute autre loi québécoise pertinente peuvent en conséquence régir les situations où existe une revendication de droits ancestraux sur la terre ou les ressources dès lors que les particularismes de ces droits sont respectés et sous réserve de l’article 35.

Il faudra donc tirer de l’existence des droits ancestraux les conséquences qui s’imposent en droit privé. Le Code civil, par exemple, peut servir à la mise en oeuvre et à la protection des droits ancestraux. Dans une affaire où un groupe autochtone poursuit une entreprise privée en responsabilité civile pour violation de ses droits fonciers ancestraux, la Cour suprême admet que les autochtones peuvent fonder leur recours sur le Code civil[8] et tient pour possible un rapport symbiotique entre le droit civil et les droits fonciers ancestraux[9].

Les « réparation[s] habituelles en cas d’atteinte à des intérêts sur des terres[10] » dont parle la Cour suprême vont, en droit privé, au-delà des dommages-intérêts : elles permettent en outre de faire cesser tout empiètement sur le bien du propriétaire. Les peuples autochtones devraient donc pouvoir bénéficier des voies de recours usuelles pour mettre fin à toute entrave illicite à la libre jouissance de leurs droits fonciers. Une revendication judiciaire de titre ancestral pourra toutefois viser des terres occupées et utilisées par des tiers eux-mêmes détenteurs d’un titre, le fonds ayant été, dans un passé plus ou moins lointain, concédé en pleine propriété à un particulier par la Couronne[11]. À ce jour, toutefois, « [l]’interaction entre les revendications de titres autochtones et les droits fonciers de tiers n’est toujours pas réglée[12] ». La rencontre particulièrement sensible de deux légitimités foncières sur le même espace — titre autochtone et titre privé — a beaucoup intéressé les auteurs de l’extérieur du Québec qui ont bien circonscrit les enjeux du débat du point de vue de la common law[13]. En revanche, les juristes québécois ne se sont guère penchés jusqu’à présent sur l’épineuse question de savoir comment le droit privé traite la revendication de titre ancestral sur le domaine privé. La présente étude a pour ambition d’entamer la réflexion sur le sujet.

L’argumentaire développé dans les pages qui suivent obéit aux canons et aux méthodes qualitatives de l’analyse positiviste, c’est-à-dire qu’il appréhende la question étudiée en fonction des principes et des règles ayant vocation à trouver application devant les tribunaux québécois.

Dans la première partie, nous démontrerons que tant les règles constitutionnelles que les principes du droit civil permettent de conclure que les droits ancestraux, y compris le titre ancestral, existent toujours sur le domaine privé au Québec. La deuxième partie s’attachera à préciser les fondements en droit québécois d’une voie de recours en revendication fondée sur le titre ancestral à l’égard de terres du domaine privé. La troisième et dernière partie examinera les règles et les procédés qui permettront à un tribunal d’opérer la pondération des droits et des intérêts lorsqu’un groupe autochtone lui demandera d’ordonner à un particulier de restituer la terre ancestrale.

1 La persistance du titre ancestral sur le domaine privé

L’existence d’un titre sur la terre revendiquée constitue le fondement de la demande de restitution. Le titre ancestral devra donc être prouvé, ce qui ne se fera pas sans difficulté en raison de l’absence d’instrument juridique formel attestant son existence en faveur du peuple autochtone et en décrivant les limites. Si le peuple autochtone parvient à prouver son titre originaire, se posera alors la question de l’effet sur ce titre de l’acte de privatisation de la terre que constitue la concession en pleine propriété à un particulier. Nous verrons que la concession par la province de terres aux particuliers n’éteint pas le titre autochtone. Ce dernier ayant survécu, il ne pourra non plus disparaître avec le passage du temps ni s’intégrer dans le patrimoine d’un tiers par l’effet de la prescription acquisitive.

1.1 La preuve du titre ancestral

Le sort d’une revendication autochtone visant des terres qui sont aujourd’hui entre les mains de particuliers dépend au premier chef de la capacité du groupe revendiquant d’établir l’existence de son titre ancestral[14]. Par tous les moyens de preuve admissibles, y compris la tradition orale, le groupe doit prouver qu’il descend du groupe historique qui occupait la terre revendiquée au moment de l’affirmation de souveraineté par la Couronne[15]. Cette occupation ancestrale devra avoir été suffisante et exclusive[16]. Si le groupe revendicateur souhaite démontrer l’occupation précoloniale de la terre en excipant d’une occupation plus récente, il lui incombe alors de convaincre le tribunal de la continuité entre l’occupation récente et la situation précoloniale[17]. Toutefois, l’occupation précoloniale suffit pour constituer le titre autochtone puisque celui-ci, étant réputé originaire et préexistant[18], se cristallise dans le droit positif au moment de l’affirmation de la souveraineté par la Couronne. Ainsi, l’occupation récente ou actuelle de la terre revendiquée n’est pas une condition de survie du titre ancestral. Par ailleurs, il est maintenant clairement admis qu’un peuple traditionnellement semi-nomade peut faire valoir une occupation suffisante de son territoire ancestral dès lors qu’à l’époque précoloniale il contrôlait l’accès audit territoire[19] et y faisait « [une] utilisation régulière des terres pour la chasse, la pêche, le piégeage et la cueillette[20] ».

Le titre ancestral, qui est un droit de groupe[21], confère à son détenteur la maîtrise exclusive de la terre et des ressources qui s’y trouvent[22].

À défaut de satisfaire les conditions d’existence d’un titre, un groupe autochtone peut détenir des droits non exclusifs d’occupation, d’usage et de prélèvement, droits que la Cour suprême qualifie en français d’« usufructuaires[23] », sur son territoire ancestral[24]. Cela pourra être des droits de prélèvement minéral, forestier, hydrique, végétal, halieutique ou cynégétique aux utilités spécifiques[25]. Ces droits ne donnent toutefois pas la possession et la maîtrise exclusives du fonds de terre lui-même ; en conséquence, ils n’autorisent pas leur titulaire à évincer le particulier qui occuperait éventuellement les lieux. Même l’accès des autochtones à une parcelle de terre précise qu’occuperait un tiers ne leur est pas garanti du moment qu’une restriction à cet égard ne les empêche nullement de prélever ailleurs sur leur territoire traditionnel les ressources dont ils ont besoin et ne rend pas leurs activités substantiellement plus onéreuses[26]. La parcelle de terre occupée par le particulier devra en outre être propre aux usages traditionnels autochtones qui sont l’objet spécifique des droits de prélèvement[27]. Pour ces raisons, l’action en revendication à l’encontre d’un particulier s’appuiera en général sur la maîtrise foncière exclusive propre au titre ancestral. Dans les pages qui suivent, nous ne traiterons donc que de la revendication de titre ancestral sur le domaine privé.

1.2 La survie du titre ancestral à l’aliénation des terres domaniales

Un groupe autochtone peut cependant avoir perdu ses droits fonciers ancestraux après l’affirmation de la souveraineté parce qu’il y a librement et formellement renoncé au profit de la Couronne à l’occasion d’un accord ou d’un traité[28]. Outre l’abandon solennellement négocié avec les représentants de l’État, on pourrait théoriquement envisager l’hypothèse d’une renonciation de facto aux droits ancestraux par délaissement pur et simple indiquant une volonté non équivoque du groupe de rompre de manière libre et éclairée, et à perpétuité, son rapport à la terre ancestrale[29]. Cette hypothèse ne paraît pas revêtir un grand intérêt pratique du moment que les mutations dans l’occupation autochtone du territoire sont le résultat de politiques gouvernementales directement ou indirectement contraignantes[30] et que les tribunaux refusent de voir une volonté non équivoque de rupture définitive dans l’interruption, même de longue date, de l’usage autochtone du territoire[31].

L’extinction du titre ancestral pourrait aussi découler de la loi. L’extinction législative des droits ancestraux des peuples autochtones était effectivement possible antérieurement à la reconnaissance et à la protection de ces droits sous l’empire de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, à la condition que l’autorité ait la compétence requise et exprime de manière « claire et expresse » son intention de supprimer complètement et définitivement ces droits[32]. Il incombe alors à la partie alléguant l’extinction unilatérale d’en faire la preuve[33]. Un droit ancestral validement éteint avant l’avènement de l’article 35 n’est pas « ressuscité » par ce dernier qui ne reconnaît et confirme que les droits ancestraux « existants » au moment de son entrée en vigueur[34]. Depuis que l’article 35 s’applique, en revanche, l’extinction unilatérale et discrétionnaire des droits ancestraux n’est plus permise, et toute restriction à l’exercice et à la jouissance de ces droits devra être justifiée par la Couronne selon les critères dégagés par la Cour suprême[35].

La partie intéressée devra établir le fondement juridique précis de l’extinction alléguée. En l’absence de clause expresse d’extinction contenue dans une entente intervenue avec la Couronne, il faudra pouvoir s’appuyer sur une loi valide ou un acte juridique découlant validement de celle-ci. Au Québec, seul le territoire visé par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ)[36] et la Convention du Nord-Est québécois[37] fait l’objet d’une clause d’abandon du titre et des autres droits ancestraux sur la terre et les ressources. Par ailleurs, sous réserve du territoire visé par la CBJNQ[38], il n’existe aucun texte législatif québécois en vertu duquel le législateur prétendrait éteindre explicitement et précisément les droits ancestraux des peuples autochtones sur leur territoire traditionnel. Des lois provinciales d’application générale autorisent toutefois le gouvernement à concéder en pleine propriété des terres du domaine public, ce qui les fait ainsi passer dans le domaine privé.

Les procédés de privatisation des terres publiques sont en place depuis les premiers temps de la colonisation européenne[39]. Nous ne nous pencherons ici que sur les concessions de terres consenties aux particuliers par les autorités provinciales après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867[40] aux termes de laquelle la province est à la fois titulaire du domaine public foncier[41] et compétente pour administrer et vendre les terres publiques ainsi qu’en matière de propriété et de droits civils[42]. Ces attributions font de la province l’autorité habilitée à gérer le territoire et les ressources naturelles, et à les mettre à la disposition des colons et de l’industrie extractive sous réserve des droits ancestraux des peuples autochtones ou issus de traités conclus avec ces derniers. Au Québec comme ailleurs, un grand nombre de concessions ont été octroyées aux particuliers dans le contexte de diverses lois, dont la Loi sur les terres agricoles du domaine public[43] et la Loi sur les terres du domaine public[44].

Un particulier pourrait donc vouloir opposer à l’action en revendication autochtone un titre de propriété lui ayant été accordé conformément à la loi, ou l’ayant été à un tiers à une époque plus ou moins lointaine, et qui serait depuis passé d’un particulier à un autre par contrat, succession ou prescription jusqu’au propriétaire actuel. Dès lors qu’elle est antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la concession sera alors invoquée comme emportant extinction unilatérale, par effet de la loi, du titre ancestral revendiqué par le demandeur autochtone[45].

Ce moyen d’opposition à la demande de revendication se heurtera toutefois aux règles déterminant la validité d’un acte unilatéral extinctif de droits ancestraux. Il faut d’abord que cet acte exprime une intention « claire et expresse » de supprimer ces droits, une exigence qui s’applique à l’ensemble des lois votées depuis 1867 malgré le fait que la jurisprudence confirmant la persistance du titre ancestral ne remonte qu’à l’affaire Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique décidée en 1973[46]. Il est intéressant de noter qu’en Australie la High Court a estimé que l’octroi d’un titre de propriété à un colon emporte implicitement l’extinction unilatérale du titre ancestral en raison de l’incompatibilité juridique entre la survie de ce titre et le droit complet et exclusif de propriété accordé au particulier[47]. La plus haute juridiction australienne s’appuie sur le fait que, le native title n’ayant été reconnu par le droit australien qu’en 1992 — alors que la Couronne y concède sans formalité des terres aux colons depuis le xviiie siècle —, il serait « ahistorique » d’exiger rétroactivement de l’État qu’il ait exprimé, au moment de concéder des terres, une intention manifeste et spécifique de supprimer un titre ancestral si longtemps tenu pour inexistant[48]. Or ce raisonnement sera intenable au Canada et au Québec puisque la Cour suprême a déjà statué que l’engagement solennel de la Couronne de reconnaître et de respecter les droits ancestraux préexistants des peuples autochtones remonte en droit canadien à la Proclamation royale de 1763[49]. L’« ahistoricité » juridique ne saurait donc être alléguée, bien que ces promesses originaires aient souvent été oubliées dans les faits par la suite.

Une loi d’application générale relative à la concession des terres publiques qui ne fait aucune mention des droits des autochtones, et présume peut-être erronément qu’ils n’existent pas, n’exprime pas pour autant une volonté manifeste de les abroger. Selon la Cour suprême, « le fait de ne pas reconnaître à un droit la qualité de droit ancestral et de ne pas lui accorder une protection spéciale ne constituent pas l’intention claire et expresse requise pour éteindre le droit en question[50] ». De même, la Cour suprême a indiqué que le simple fait qu’une mesure gouvernementale soit « nécessairement incompatible » avec l’exercice continu des droits ne témoigne pas d’une intention implicite de les éteindre[51]. Elle a par exemple statué que la concession de droits exclusifs de coupe forestière à un tiers ne manifeste pas une intention claire, même implicite, d’éteindre des droits ancestraux sous-jacents de prélèvement forestier[52].

Bien que l’intention législative d’éteindre les droits des autochtones n’ait pas à être explicite[53], il faudra logiquement que la loi ait pour objectif spécifique de régir ces droits. Ainsi, la Convention sur le transfert des ressources naturelles[54], instrument constitutionnalisé destiné à clarifier la portée des droits des autochtones dans certaines provinces de l’Ouest[55], a été considérée comme ayant une finalité extinctive de droits commerciaux issus de traités. Il n’y était pas mentionné expressément que ces droits étaient éteints, mais le fait que la mesure portait précisément sur les droits autochtones et avait pour objet d’en fixer la portée de manière permanente a été déterminant[56]. Or une loi provinciale ayant pour objectif prépondérant et particulier (pith and substance) de définir la portée des droits ancestraux autochtones ne serait pas une loi d’application générale mais bien une loi relative aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens au sens de l’article 91 (24) de la Loi constitutionnelle de 1867 ; elle serait en conséquence ultra vires puisque ces matières relèvent exclusivement du Parlement fédéral[57]. Voici ce qu’explique la Cour suprême à ce sujet :

[P]ar définition, une loi provinciale d’application générale ne peut pas, sans être ultra vires, respecter la norme qui a été établie par notre Cour à l’égard de l’extinction des droits ancestraux […] Même si l’obligation de manifester une intention claire et expresse n’exige peut-être pas que le gouvernement « utilise des mots faisant explicitement état de l’extinction de droits ancestraux » […], la norme est néanmoins très élevée. Le problème que je vois est que les seules règles de droit capables d’exprimer une intention suffisamment claire et expresse d’éteindre des droits ancestraux seraient des règles de droit ayant trait aux Indiens et aux terres indiennes. En conséquence, une règle de droit provinciale ne pourrait jamais éteindre d’elle-même des droits ancestraux, puisque l’existence de cette intention aurait pour effet d’exclure cette règle de la compétence de la province[58].

Bien que la Cour suprême ait par la suite jugé que les lois provinciales d’application générale peuvent réglementer et même restreindre l’exercice des droits ancestraux, elle n’est pas revenue sur sa position en ce qui concerne l’inconstitutionnalité, au regard du partage fédératif des compétences législatives, d’une loi provinciale prétendument extinctive[59]. En conséquence, une loi provinciale d’application générale autorisant l’exécutif à concéder des terres publiques aux particuliers ne peut avoir pour effet d’éteindre ou d’autoriser l’extinction du titre ancestral parce qu’elle n’exprime aucune intention claire et expresse de le faire et parce que, si une telle intention était formulée, elle rendrait ces dispositions de la loi provinciale ultra vires[60].

On peut donc conclure qu’un acte d’aliénation par la Couronne de terres domaniales dans le contexte de la loi n’a pas mis fin à l’existence du titre ancestral préexistant[61]. Le temps écoulé, parfois considérable, depuis l’acte de privatisation n’empêchera d’ailleurs pas les tribunaux de constater et d’affirmer les contraintes constitutionnelles qui empêchent un tel acte de produire un effet extinctif des droits ancestraux[62].

1.3 L’imprescriptibilité du titre ancestral

Par ailleurs, le titre ancestral ne peut, non plus, avoir été effacé en raison du passage du temps par le jeu de la prescription extinctive aux termes du Code civil. Ce titre est perpétuel puisqu’il a vocation à durer indéfiniment par-delà les générations[63], ce qui l’empêche de s’éteindre par le non-usage de sorte que, tout comme le titre ancestral lui-même, l’action en revendication le concernant est imprescriptible.

Au Québec, l’effet du passage du temps sur la perte ou l’acquisition de biens est déterminé par la loi[64] ; le juge n’a pas la discrétion voulue pour s’autoriser des principes d’équité afin de déclarer, par une sorte de « prescription judiciaire », la déchéance temporelle définitive d’un droit. Le droit québécois se distingue notablement à cet égard des règles ayant cours au sein des tribunaux de common law. Dans une affaire très connue à l’extérieur du Québec, la Cour d’appel de l’Ontario a par exemple appliqué la doctrine « équitable » des délais préjudiciables (laches[65]) pour rejeter, parce qu’elle la jugeait notamment trop tardive, une action intentée par un groupe autochtone contre des particuliers en vue de récupérer des terres grevées d’un titre ancestral[66]. Dans un jugement concernant une province de common law, la Cour suprême a d’ailleurs indiqué qu’elle pourrait appliquer les délais préjudiciables et les autres défenses issues de l’equity pour écarter des demandes de réparation personnelle intentées par les autochtones lorsque ces demandes impliquent des manquements anciens aux obligations constitutionnelles de la Couronne[67]. Cette jurisprudence n’est pas transposable en droit québécois puisqu’un recours de type pétitoire n’est pas régi par la notion de réclamation équitable (equitable claim), ni donc par celle de défense équitable (equitable defence) si décisives dans les provinces de common law. C’est la loi qui régit les droits des parties en matière de prescription.

Notons en outre que les dispositions du Code civil relatives à la prescription extinctive[68] n’expriment aucune intention claire d’éteindre le titre ancestral, ce qu’elles ne pourraient du reste pas faire d’un point de vue constitutionnel[69].

Il faut également exclure l’hypothèse voulant que, à défaut d’une extinction du titre ancestral par la concession de la terre au particulier ou par le jeu de la prescription extinctive, cette concession aurait tout de même fait passer les droits fonciers autochtones dans le patrimoine du particulier visé par l’action en revendication[70]. En raison de sa nature et de ses attributs singuliers, le titre ancestral autochtone n’est en effet pas transmissible à autrui par contrat, par usucapion ou par tout autre moyen prévu par la loi[71]. Dans l’affaire Guerin c. La Reine, le juge en chef Dickson, après avoir affirmé que le titre ancestral est de la même nature que le droit de la bande sur une réserve, écrit que « le droit des Indiens sur une réserve est un droit personnel, il ne peut être transféré à un cessionnaire, que ce soit Sa Majesté ou un particulier. La “cession” entraîne l’extinction de ce droit[72] ». Le magistrat emploie les termes « droit personnel » non pas au sens du droit des biens, mais pour décrire à sa façon cette caractéristique déterminante du titre ancestral qu’est son incommutabilité, c’est-à-dire le fait qu’il ne peut juridiquement avoir d’autre titulaire que le groupe autochtone spécifique qui le tient de ses ancêtres propres[73], au point où ce qui est couramment qualifié de « cession » de terres à la Couronne n’est en vérité nullement un acte translatif de droits ancestraux, mais une dissolution pure et simple de ceux-ci laissant à l’État un titre foncier intégral.

L’incommutabilité des droits ancestraux résulte de leur rapport consubstantiel à l’« autochtonité » : ce sont des « droits détenus par les autochtones parce qu’ils sont des autochtones[74] ». En outre, le principe d’ancestralité postule que ces droits ne sont susceptibles de n’exister qu’en faveur du seul groupe contemporain capable de justifier d’un rattachement à une communauté ancestrale déterminée. Le titre ancestral est une tenure lignagère découlant du « rapport physique et culturel particulier qu’un groupe peut entretenir avec les terres[75] ». Les droits ancestraux étant l’héritage exclusif et spécifique d’un groupe autochtone, il en découle l’impossibilité de leur transmission en dehors du groupe. Bien que les droits ancestraux puissent être délaissés par leurs titulaires à la faveur d’une entente avec la Couronne, ils ne peuvent passer dans un autre patrimoine tout en conservant leur qualité de droit ancestral. Ainsi, lorsqu’un groupe autochtone abandonne ses droits par entente avec la Couronne, il ne fait que créer les conditions juridiques habilitant le gouvernement à octroyer par la suite à des tiers des droits qui n’ont aucun caractère ancestral, mais qui découlent plutôt de la législation relative à l’aliénation du domaine public[76].

Incommutable, le titre ancestral est aussi imprescriptible : les particuliers ne pourront s’approprier, même par prescription acquisitive, un bien qui ne peut avoir d’autre propriétaire ou possesseur que le groupe autochtone revendiquant[77] et qui, en l’absence d’une extinction unilatérale valide, ne peut par ailleurs quitter le patrimoine autochtone que par la voie d’un accord avec la Couronne qui sera alors tenue d’agir honorablement. Un mécanisme légal opérant l’acquisition de droits ancestraux par un tiers par l’effet de la simple possession et du passage du temps viendrait de plus neutraliser le rôle constitutionnel de la Couronne fédérale dans le processus d’abandon des droits ancestraux et priverait les autochtones d’une protection juridique au coeur de la relation spéciale qui existe entre eux et Sa Majesté.

À cet égard, l’article 2876 du Code civil se trouve parfaitement en phase avec la spécificité du titre ancestral[78] en énonçant que ce « qui est hors commerce, incessible ou non susceptible d’appropriation, par nature ou par affectation, est imprescriptible ». Le titre ancestral est assimilable à un bien hors commerce et incessible par affectation puisqu’il assure, pour la génération actuelle et les générations futures, la pérennité d’un lien exclusif à la terre ancré dans une culture distinctive[79]. Un tribunal n’a d’ailleurs pas le pouvoir discrétionnaire de déclarer prescrit ce qui se révèle imprescriptible aux termes de la loi[80]. Les effets de la prescription déterminés notamment par les articles 916[81], 2875[82] et 2910[83] du Code civil sont exclus expressément par l’article 2876, ce qui empêche le juge de constater le transfert par usucapion du titre ancestral, même en faveur d’un possesseur de longue date et de bonne foi[84]. En conséquence, contrairement à ce qui se produirait éventuellement en présence d’une action en revendication de droit commun, le possesseur qui s’oppose à la revendication de titre ancestral ne pourra pas se prévaloir de la prescription acquisitive.

L’absence d’intention claire et expresse d’éteindre le titre ancestral ainsi que l’incapacité constitutionnelle des provinces d’éteindre ce titre, de même que son incommutabilité, son incessibilité et son imprescriptibilité, font en sorte qu’il subsiste en tant que droit ancestral « existant » du groupe autochtone visé au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et ce, malgré la concession par la Couronne de la terre à un particulier. Compte tenu de l’affirmation de la Cour suprême voulant que le groupe autochtone détenteur d’un titre ancestral puisse se prévaloir des voies de recours « habituelles » pour assurer le respect de ses droits, il faut mettre en évidence les moyens de se pourvoir en justice qu’offre le droit québécois.

2 L’action en revendication fondée sur la Charte des droits et libertés de la personne

Nous démontrerons dans cette partie que, la jurisprudence de la Cour suprême niant au titre autochtone la nature de « droit réel » au sens des dispositions du Code civil, c’est dans la Charte des droits et libertés de la personne[85] que le peuple autochtone pourra trouver le recours le plus adapté aux caractéristiques singulières de ses droits fonciers. En effet, malgré l’unicité du titre ancestral, nous verrons que ce dernier est protégé par l’article 6 de la Charte québécoise qui assure à toute « personne » la libre jouissance de son « bien ».

2.1 L’obstacle jurisprudentiel à l’action pétitoire du Code civil du Québec

Aux termes des articles 912 et 953 du Code civil, le propriétaire d’un bien ou le détenteur de tout autre droit réel, peut s’adresser à un tribunal (la Cour supérieure) afin de mettre fin à une dépossession ou à tout empiètement entravant la jouissance de son bien[86]. Pouvant de la sorte se pourvoir en reconnaissance d’un droit réel et en revendication de son bien, le propriétaire « bénéficie d’un arsenal de recours propres à assurer la défense de sa propriété[87] ». Ces recours de droit commun, qualifiés de « pétitoires[88] », devraient en principe être ouverts aux titulaires du titre autochtone ancestral selon la position exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, sous réserve de la nécessité de les adapter « au besoin en fonction de la nature particulière du titre ancestral et de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les titulaires du titre ancestral[89] ». La question consiste donc à savoir si les dispositions du Code civil sont susceptibles de s’adapter à la singularité du titre ancestral. Tout en soulignant que ce titre « n’équivaut pas à la propriété en fief simple et […] ne peut pas non plus être décrit au moyen des concepts traditionnels du droit des biens[90] », la Cour suprême en résume comme suit les attributs et les particularismes :

Le titre ancestral confère des droits de propriété semblables à ceux associés à la propriété en fief simple, y compris le droit de déterminer l’utilisation des terres, le droit de jouissance et d’occupation des terres, le droit de posséder les terres, le droit aux avantages économiques que procurent les terres et le droit d’utiliser et de gérer les terres de manière proactive.

Cependant, le titre ancestral comporte une restriction importante – il s’agit d’un titre collectif détenu non seulement pour la génération actuelle, mais pour toutes les générations futures. Cela signifie qu’il ne peut pas être cédé, sauf à la Couronne, ni être grevé d’une façon qui empêcherait les générations futures du groupe d’utiliser les terres et d’en jouir. Les terres ne peuvent pas non plus être aménagées ou utilisées d’une façon qui priverait de façon substantielle les générations futures de leur utilisation[91].

Le Code civil accorde les recours pétitoires au « propriétaire » ou au titulaire « de tout autre droit réel ». Pour que ces recours soient mis à la disposition d’un peuple autochtone, il faudrait appliquer les notions civilistes de « propriété[92] » ou de « droit réel » au titre foncier ancestral. Un spécialiste du droit des biens a fait valoir que « le titre ancestral peut être envisagé comme un droit réel innommé, modalité ou démembrement de la propriété, puisque la faculté de constituer des droits réels autres que ceux prévus au Code civil est reconnue au Québec[93] ». La Cour suprême se montre toutefois fortement réfractaire à toute qualification de la tenure ancestrale autochtone comme un droit réel selon la classification civiliste des biens. Dans l’arrêt Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam)[94], qui se rapporte à une poursuite intentée par les Innus contre une société extractive, la plus haute juridiction du pays devait statuer sur une requête en radiation d’allégations contenues dans l’acte de procédure des demandeurs. Le motif avancé au soutien de la radiation était que les allégations querellées concernaient des droits réels sur des terres situées dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, échappant ainsi à la compétence des tribunaux québécois en vertu des dispositions du Code civil en matière de droit international privé régissant les « actions réelles[95] ». Dans cet arrêt, la majorité de la Cour suprême oppose aux requérants un refus catégorique de qualifier les droits ancestraux portant sur la terre de « droits réels » et donc de considérer une action en reconnaissance de ces droits comme une « action réelle ». Estimant que les droits ancestraux « ne sont ni définis ni directement régis par le Code civil[96] », les juges majoritaires invoquent la singularité de ces droits, notamment leur ancrage originaire dans une relation de type fiduciaire avec la Couronne et leur incessibilité[97], pour les décrire ainsi :

Ce ne sont ni des droits réels ni des droits personnels au sens du droit civil, ce sont des droits sui generis […] les droits garantis par l’art. 35 ne peuvent pas être compartimentés dans une des catégories de biens du droit civil, encore moins lorsque la question concerne exclusivement le droit international privé. Les droits ne peuvent pas être caractérisés différemment selon les domaines du droit civil. Une approche fragmentaire, qui suggérerait, par exemple, qu’on pourrait qualifier différemment les droits garantis par l’art. 35 pour l’application du Livre quatrième (« Des biens ») du Code civil, serait, à notre avis, inacceptable[98].

La majorité de la Cour suprême qualifie alors la demande des Innus d’« action mixte non classique qui n’a tout simplement pas été envisagée par le Code civil[99] » et insiste par ailleurs sur l’importance d’assurer aux autochtones un accès effectif à la justice et, donc, de ne pas les astreindre à intenter simultanément des poursuites judiciaires longues et coûteuses dans deux provinces au risque d’obtenir des jugements contradictoires[100].

Paradoxalement, cette affirmation très volontaire de l’irréductibilité des droits ancestraux aux catégories de biens connus du droit civil — faite notamment au nom du droit d’accès à la justice — viendra étayer la position de ceux qui, à l’avenir, voudront nier aux autochtones un accès égal et effectif aux réparations pétitoires offertes par le droit commun aux titulaires d’« intérêts sur des terres[101] ». Afin de donner aux peuples autochtones au moins la même protection que celle dont jouissent les titulaires non autochtones de droits fonciers au Québec, il serait envisageable, comme l’a montré un auteur[102], d’interpréter largement les mots « titulaire d’un autre droit réel[103] » employés dans l’article 913 du Code civil pour englober les droits ancestraux sur la terre. Il n’est toutefois pas nécessaire de qualifier, à l’encontre de la position non équivoque désormais adoptée par la plus haute juridiction canadienne, le titre ancestral de droit réel au sens civiliste du terme pour conjurer une différence de traitement préjudiciable aux groupes autochtones en droit privé québécois. La Charte québécoise protège en effet toute personne contre une atteinte à la « jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens[104] » et affirme le droit de la victime d’obtenir « la cessation de cette atteinte[105] ».

2.2 La protection offerte par l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne

Pour se prévaloir de l’article 6 de la Charte québécoise, il faut être une « personne » détenant un « bien ». Deux questions préalables sont donc posées :

  1. Un groupe autochtone détenteur d’un titre ancestral constitue-t-il une « personne » ?

  2. Le titre ancestral est-il un « bien » au sens de la Charte québécoise ?

Un peuple autochtone pourra jouir de la personnalité juridique exigée par l’article 6 soit en vertu de la loi, soit sur le fondement d’une interprétation pragmatique et fonctionnelle de la Charte québécoise. Parfois, le groupe demandeur aura constitué une personne morale, conformément à la loi, aux fins de la revendication et de l’exercice de ses droits ancestraux[106]. Cette personne morale aura alors la qualité pour se prévaloir de l’article 6. Certains groupes n’auront toutefois pas créé de personne morale, ce qui soulèvera le problème de savoir s’ils pourront néanmoins être considérés comme des « personnes » au sens de la Charte québécoise. Le Code civil s’est distancié de la conception de la personnalité morale fondée sur la théorie dite de la réalité selon laquelle cette personnalité peut exister, à certaines conditions, indépendamment d’une loi[107]. La théorie de la fiction est désormais retenue, l’article 299 du Code civil énonçant que « [l]es personnes morales sont constituées suivant les formes juridiques prévues par la loi, et parfois directement par la loi[108] ».

Il n’est toutefois pas acquis que cette disposition du Code civil vient rendre l’article 6 de la Charte québécoise inaccessible à un groupe autochtone non constitué en personne morale aux termes de la loi. La Charte québécoise est en effet un instrument qui s’ajoute au Code civil, comme le reconnaît la Cour suprême dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession)[109]. Traitant de la portée des réparations prévues par l’article 49 de la Charte québécoise, la plus haute juridiction du pays admet la vocation de ces réparations à s’affranchir, au besoin, des règles du droit commun pour servir les « finalités distinctes de la mise en oeuvre de la Charte, ainsi que de la nécessité de laisser à celle-ci toute la souplesse nécessaire à la conception des mesures de réparation adaptées aux situations concrètes[110] ». La Cour suprême estime que, en « raison de son statut quasi constitutionnel, ce document, [rappelons-le], a préséance, dans l’ordre normatif québécois, sur les règles de droit commun[111] » et qu’appliquer de manière mécanique les conditions générales du droit commun « revient à assujettir la mise en oeuvre des droits et libertés que protège la Charte aux règles des recours de droit civil. Rien ne justifie que soit maintenu cet obstacle[112] ». Il n’y a pas de raison d’aborder autrement la question du rapport entre la protection des biens sous l’empire de la Charte québécoise et le droit commun[113].

Refuser à un groupe autochtone la qualité pour agir au motif qu’il n’est pas une « personne » reviendrait à le placer en marge d’un instrument fondamental en droit québécois pour la reconnaissance et la protection de ses droits fonciers. Privés du recours pétitoire offert par le Code civil et de la protection des biens consacrée dans la Charte québécoise, les peuples autochtones seraient en quelque sorte bannis du droit privé québécois.

Or la Charte québécoise n’exclut pas la possibilité de traiter comme une personne le groupe autochtone détenteur du titre ancestral afin de refléter la réalité organique et juridique de ce groupe. Le régime juridique du titre ancestral induit en fait une forte logique de personnalisation du groupe autochtone qui le détient. Ce titre « est un titre intrinsèquement collectif[114] » ; il n’est pas juridiquement dévolu aux individus qui composent le collectif, de sorte que c’est le peuple autochtone lui-même qui prend, par l’entremise d’organes de direction qu’il se donne, les décisions concernant son exercice ou sa cession à la Couronne[115]. Cette dévolution du titre directement au groupe investit ce dernier de la capacité juridique nécessaire à la revendication de son titre devant les tribunaux de même qu’à la détermination des modalités d’exercice de ses droits. Comme l’écrit Kent McNeil, les peuples autochtones « have the capacity to hold title to property and therefore have legal personality, at least in that respect[116] ». L’article 6 de la Charte québécoise doit être interprété d’une manière qui respecte les caractéristiques du titre ancestral et qui se conforme au droit du groupe autochtone d’accéder à la justice[117], ce qui exige de lui reconnaître la qualité requise pour défendre ses droits[118].

Les individus appartenant au groupe pourraient en outre détenir, dans le contexte du régime par lequel celui-ci aménage l’exercice de son titre par ses membres, un intérêt personnel suffisamment individualisé pour leur conférer la qualité pour agir en leur nom propre aux fins de la Charte québécoise. La Cour suprême a elle-même formulé l’hypothèse de droits de jouissance individualisés en affirmant ce qui suit dans l’arrêt Behn c. Moulton Contracting Ltd. :

Il suffit de reconnaître qu’en dépit de l’importance cruciale que revêt l’aspect collectif des droits ancestraux et issus de traités, des droits peuvent parfois être attribués à des membres des collectivités autochtones ou exercés par eux sur une base individuelle, ou encore être créés en leur faveur. On pourrait affirmer, de façon générale, que ces droits leur appartiendraient peut-être ou qu’ils comporteraient un aspect individuel malgré leur nature collective. Il ne convient pas d’en dire davantage pour l’instant[119].

Le fait que le droit protégé par l’article 6 de la Charte québécoise est celui d’une « personne » ne devrait donc pas constituer un obstacle rédhibitoire à un recours fondé sur le titre ancestral.

Toutefois, il faut encore déterminer si le titre ancestral constitue un « bien », notion qui est au coeur de l’article 6, mais a été laissée sans définition dans la Charte québécoise. Pour ce faire, il n’est pas nécessaire de trancher la question — qui a tant mobilisé l’attention de la Cour suprême dans l’arrêt Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) — de savoir si l’objet de droit en question procure à son titulaire « un droit réel » ou « un droit personnel » au sens du Code civil. Dès lors que l’on est en présence d’un droit de nature patrimoniale, c’est-à-dire approprié ou appropriable et comportant une valeur pécuniaire, on peut, selon la doctrine, d’emblée ranger ce droit dans la nomenclature des biens[120]. Il ne faut en effet pas faire un usage trop catéchistique des classifications consacrées et accepter la fluidité, voire l’incomplétude des catégories :

Les classifications sont un trait épistémologique de la tradition civiliste. Leur valeur ne dépend pas de leur habilité à englober toutes les situations juridiques, mais le plus grand nombre d’entre elles. Il appartient aux juristes de donner la meilleure solution aux cas se situant à la limite des catégories […] rien en droit n’empêche d’admettre de nouvelles catégories de biens, pour autant que leur spécificité le justifie[121].

En ayant à l’esprit la nécessité de prendre acte du caractère sui generis du titre ancestral dans l’interprétation de la Charte québécoise, on conclura sans difficulté que celui-ci est un bien. On ne peut douter que ce titre soit approprié puisqu’il « confère au groupe qui le détient le droit exclusif de déterminer l’utilisation qu’il est fait des terres et le droit de bénéficier des avantages que procure cette utilisation[122] ». Il autorise de plus le groupe à exclure les tiers[123]. Tout en mettant en exergue son particularisme, la Cour suprême décrit sans ambages le titre comme pouvant « concurrencer sur un pied d’égalité d’autres droits de propriété[124] » et comme étant une « form[e] de propriété[125] » ; elle n’hésite donc pas à tenir les autochtones pour des « propriétaires fonciers[126] ».

Le titre comporte à la fois une dimension économique et une dimension culturelle. Dans la première, il autorise une mobilisation marchande des richesses de la terre, ce qui en fait un vecteur précieux de développement économique et lui donne une grande valeur pécuniaire. Comme le reconnaît la Cour suprême, « le titre aborigène a inévitablement une dimension économique, particulièrement quand on tient compte des utilisations qui peuvent être faites aujourd’hui des terres détenues en vertu d’un titre aborigène[127] ». Sous réserve de la limite intrinsèque qui protège la seconde dimension du titre, « le groupe qui détient le titre a le droit de choisir les utilisations qui sont faites de ces terres et de bénéficier des avantages économiques qu’elles procurent[128] ». La Cour suprême ajoute que « les titulaires du titre ont droit aux avantages associés aux terres — de les utiliser, d’en jouir et de profiter de leur développement économique[129] ». En somme, le détenteur du titre ancestral a la possibilité d’exploiter la terre et les ressources à des fin industrielles et commerciales du moment que cette exploitation n’obère pas le lien à la terre pour les générations futures ; il peut établir des partenariats d’affaires avec des opérateurs économiques en vue de la mise en valeur de ses terres ; il lui est loisible, en échange d’une contrepartie financière, d’autoriser un particulier à utiliser ses terres et à les occuper temporairement[130].

En outre, l’incessibilité destinée à sauvegarder le lien culturel unique à la terre et sa continuité intergénérationnelle[131] n’empêche pas le groupe autochtone de disposer de sa terre ancestrale à titre onéreux aux termes d’une entente avec la Couronne[132]. De fait, les accords intervenus entre certains peuples autochtones et les gouvernements engagent ceux-ci à verser à la partie autochtone des sommes substantielles d’argent en contrepartie de la renonciation à ses droits ancestraux relativement aux terres visées par l’entente[133]. Dès lors, l’incessibilité est relative, et le titre ancestral lui-même s’avère en quelque sorte pleinement monnayable malgré son indisponibilité directe au marché immobilier ordinaire[134]. Par ailleurs, la bonne exécution par Sa Majesté de son obligation fiduciaire afférente à la protection du titre ancestral présente aussi une forte composante pécuniaire corrélée à la valeur économique de ce titre. La Cour suprême affirme en effet que de cette valeur découle l’obligation pour le gouvernement d’indemniser le détenteur du titre ancestral lorsque les autorités autorisent un projet ou une initiative de nature à entraver la capacité des autochtones à profiter des avantages économiques de leur domaine[135].

En définitive, on peut affirmer que l’indéniable originalité du titre ancestral n’autorise pas à lui nier la qualité de « bien » au sens de la Charte québécoise ni d’ailleurs au sens du Code civil. Une telle approche rejoint celle qui a été privilégiée par les tribunaux et les instances internationales qui ont unanimement statué que la protection des « biens » inscrite dans les chartes des droits s’étend aux droits singuliers des peuples autochtones sur la terre et les ressources[136].

En somme, un groupe autochtone en mesure de prouver son titre ancestral, et possiblement aussi ses membres qui seront à même d’établir l’existence d’intérêts individualisés, dispose aux termes de la Charte québécoise d’un recours de nature pétitoire à l’encontre de tout empiètement ou de toute dépossession du fait d’un particulier. Il est vrai que la libre jouissance des biens est protégée par l’article 6 de la Charte québécoise, « sauf dans la mesure prévue par la loi[137] ». Toutefois, pour les raisons mentionnées dans la première partie de notre étude, ni la législation autorisant la concession des terres de la Couronne aux particuliers, ni les dispositions du Code civil relatives à la prescription ne permettent de neutraliser l’invocabilité de l’article 6, car ces lois n’ont pas éteint le titre ancestral ni fait passer ce dernier entre les mains des concessionnaires. De plus, toute loi qui restreindrait de manière injustifiée la libre jouissance du titre ancestral serait inopérante d’après l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le titre ancestral emportant le droit d’exclure les tiers, le particulier devra-t-il impérativement restituer aux autochtones le bien qu’il a possédé sans le consentement des détenteurs originaires, même de bonne foi et de longue date ? Une réponse catégoriquement affirmative supposerait que la Charte québécoise accorde une valeur absolue au droit à la libre jouissance des biens protégé par l’article 6 dans les cas où la limite mentionnée dans cette disposition n’est pas applicable[138]. Or ce n’est pas le cas puisque le premier alinéa de l’article 9.1 de la Charte québécoise vient compléter le régime de protection des biens en droit québécois en disposant que les « libertés et les droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens[139] ».

Selon ses termes explicites, cette disposition « parle de la façon dont une personne doit exercer des libertés et des droits fondamentaux[140] » ; elle ne sert pas à justifier une mesure gouvernementale a priori attentatoire aux droits fondamentaux, mais a plutôt pour objet de contrôler la jouissance et l’exercice d’un droit et d’une liberté par son titulaire[141] en vue de pondérer les droits et les intérêts en présence[142]. Pour la Cour suprême, il faut apprécier la revendication d’un droit mentionné dans les articles 1 à 9 de la Charte québécoise à l’encontre d’un particulier « en regard “des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec” dont fait état l’art. 9.1 », ce qu’elle tient pour un « exercice complexe, nuancé et tributaire des faits propres à chaque espèce[143] ». L’article 9.1 permet donc d’apprécier la légalité du refus du particulier de restituer la terre au peuple autochtone et de décider si ce refus se justifie au nom du respect de valeurs liées au bien-être d’autrui de manière à restreindre le droit d’un peuple autochtone fondé sur l’article 6 de jouir pleinement de son titre ancestral sur une partie du domaine privé[144].

Il n’est pas question ici d’opposer radicalement le titre ancestral au bien-être général puisque ce titre jouit d’une protection inscrite dans la loi fondamentale du pays justement pour protéger des intérêts d’une grande importance sociale. Il convient plutôt d’admettre que le bien-être général des citoyens et l’ordre public peuvent justifier une pondération raisonnable des droits en fonction des circonstances.

3 La restitution à l’aune de l’ordre public et du bien-être général des citoyens

La troisième et dernière partie de notre texte porte sur les arbitrages envisageables en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise et jauge la conformité de ces solutions aux exigences de la Constitution canadienne. Comme nous le démontrerons, bien que la restitution en nature ne soit pas systématiquement accordée, elle s’imposera dans certains cas. Des formules de restitution partielle ou conditionnelle seront aussi à la disposition du tribunal qui devra par ailleurs s’assurer que la Couronne se conforme à son obligation de fiduciaire. Cette responsabilité de la Couronne pourrait donner lieu à une restitution par équivalence ou à une réparation compensatoire, mais aussi à des dispositifs de gouvernance territoriale qui font une place au peuple autochtone privé totalement ou partiellement d’une terre qui continue néanmoins de faire partie de son patrimoine inaliénable.

3.1 L’application harmonisée de la Charte des droits et libertés de la personne et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982

L’application de l’article 9.1 de la Charte québécoise dans le contexte d’une action en revendication autochtone à l’encontre d’un particulier permettra au tribunal de tenir compte, dans l’application de l’article 6, des intérêts d’autrui et des exigences du bien-être général et, dans les cas qui le justifient, de rejeter la demande autochtone de restitution ou de ne la recevoir que partiellement. Cette hypothèse pose toutefois le problème préalable de savoir si une loi provinciale comme la Charte québécoise peut validement, au regard de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, autoriser un particulier à refuser de rendre la terre aux autochtones et ainsi conserver la pleine possession et la jouissance d’un bien grevé du titre ancestral. Le titre ancestral ayant persisté, il en va de même de l’obligation de fiduciaire de la Couronne. Or cette dernière n’est-elle pas tenue alors d’intervenir pour mettre fin à tout empiètement sur les terres autochtones par un tiers ? Et si le refus de restituer et la perpétuation de cet empiètement sont, par hypothèse, rendus possibles par la loi, c’est-à-dire par l’article 9.1 de la Charte québécoise, ne faut-il pas dès lors déclarer inopérante cette disposition législative dans la mesure où elle viole les droits constitutionnellement protégés des autochtones ? En permettant de laisser aux particuliers la propriété de terres grevées du titre ancestral, sans le consentement autochtone, la Charte québécoise porterait sans nul doute atteinte au titre ancestral, situation qui devrait être justifiée au regard de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[145]. Or, il paraît d’emblée possible de faire de l’article 9.1 une application conforme à la Constitution.

Il s’avère en effet que l’article 9.1, en raison de sa symétrie presque parfaite avec la démarche de pondération que commande l’article 35, permet au droit québécois de prendre en charge de manière particulièrement efficace la tâche complexe de gérer les revendications autochtones sur le domaine privé. Ainsi, la prise en considération de l’ordre public et du « bien-être général des citoyens » comme facteur limitatif de la jouissance et de l’exercice des droits autochtones sous l’empire de l’article 9.1 de la Charte québécoise rejoint le principe de justification dégagé par la Cour suprême lorsque l’atteinte aux droits ancestraux « sert l’intérêt général du public[146] ». La Cour suprême reconnaît que l’intérêt général exige, au besoin, la conciliation des intérêts autochtones et ceux des autres secteurs de la société puisque « les sociétés autochtones distinctives existent au sein d’une communauté sociale, politique et économique plus large, communauté dont elles font partie[147] ». La plus haute juridiction du pays écrit à cet égard :

Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Delgamuukw, le processus de conciliation des intérêts autochtones avec l’intérêt général de la société dans son ensemble constitue la raison d’être du principe de la justification. Les Autochtones et les non-Autochtones sont « tous ici pour y rester » et doivent forcément favoriser un processus de conciliation (par. 186). Pour constituer un objectif impérieux et réel, l’objectif général du public invoqué par le gouvernement doit poursuivre l’objectif de conciliation, compte tenu des intérêts autochtones et de l’objectif général du public[148].

En outre, comme l’a décidé la Cour d’appel du Québec, l’article 9.1 de la Charte québécoise n’autorise à limiter la jouissance des droits que par « des moyens raisonnables[149] » et par une restriction qui « apparaisse comme nécessaire » pour atteindre l’objectif poursuivi, tout en étant « menée de la façon la moins intrusive possible[150] ». Ces normes de rationalité et de proportionnalité qui président à l’application de la Charte québécoise font écho à celles que comporte le test de justification d’une atteinte aux fins de l’article 35. La Cour suprême les énonce comme suit :

[L]’obligation fiduciaire de la Couronne insuffle une obligation de proportionnalité dans le processus de justification. Il ressort implicitement de l’obligation fiduciaire qu’a la Couronne envers le groupe autochtone que l’atteinte doit être nécessaire pour atteindre l’objectif gouvernemental (lien rationnel), que le gouvernement ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (atteinte minimale) et que les effets préjudiciables sur l’intérêt autochtone ne l’emportent pas sur les avantages qui devraient découler de cet objectif (proportionnalité de l’incidence). L’exigence de proportionnalité est inhérente au processus de conciliation énoncé dans l’arrêt Delgamuukw[151].

L’impératif de proportionnalité commun à l’article 9.1 de la Charte québécoise et à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet ainsi au tribunal d’appliquer cette charte de manière à tenir compte de l’obligation de fiduciaire de la Couronne dans la quête d’une solution à la concurrence de droits autochtones et de droits privés sur un même espace. La règle de l’atteinte minimale aux droits des autochtones exige de privilégier des solutions qui minimisent ou atténuent leur dépossession. Il existe aussi un lien entre le principe de proportionnalité et l’obligation procédurale de consulter les autochtones[152]. En effet, l’exclusivité du titre soumet a priori tout empiètement au consentement du peuple qui le possède. Pour prouver l’atteinte minimale au titre, il faudra donc démontrer que tous les efforts raisonnables ont été fournis pour obtenir le consentement des autochtones, ce qui ne peut se faire que par l’entremise de consultations approfondies.

En somme, le tribunal appelé à appliquer l’article 9.1 de la Charte québécoise à une revendication autochtone fondée sur l’article 6 devra, et pourra, le faire en harmonie avec la Constitution[153], ce qui l’amènera, devant le refus du particulier de rendre la terre, à vérifier si la jouissance par les autochtones de leur bien peut être restreinte au nom des droits d’autrui, de l’intérêt général et selon des modalités proportionnées et conformes à l’obligation de fiduciaire de la Couronne. Cette dernière sera inévitablement partie au litige porté devant le tribunal non seulement parce qu’elle « a sans aucun doute un intérêt marqué et légitime à participer à cette instance[154] », mais aussi parce que le groupe autochtone demandera au tribunal de la contraindre à respecter ses obligations fiduciaires qui sont indissociables du titre ancestral ayant survécu sur le domaine privé.

Il convient à présent de considérer le type de réponses qui pourraient être données, en application de l’article 9.1 de la Charte québécoise, à la demande autochtone de restitution de terres détenues par un particulier.

3.2 Une réponse prudente et proportionnée à la demande de restitution

Les gouvernements provinciaux ont concédé des terres du domaine public à de très nombreuses personnes en vue du peuplement, du développement du territoire et de l’exploitation des ressources naturelles. La jurisprudence reconnaît que ce sont des objectifs d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction du titre ancestral[155]. Il s’ensuit logiquement que la sécurisation des titres de propriété octroyés aux particuliers dans le contexte des politiques gouvernementales d’établissement des populations et de développement du territoire constitue une préoccupation se rapportant au « bien-être général des citoyens » au sens de l’article 9.1 de la Charte québécoise. La confirmation des droits fonciers des particuliers de bonne foi détenteurs de titres acquis en vertu de la loi répondrait rationnellement à cette préoccupation. Des auteurs ont décrit l’ampleur des enjeux économiques, sociaux et politiques soulevés par le débat sur la restitution aux autochtones des terres réputées faire partie du domaine privé. John Borrows écrit que, bien que la propriété privée ne soit pas protégée par la Constitution, « land ownership is a primary source of wealth for most Canadians. It is also a source of individual pride and identity[156] ». Pour sa part, Malcolm Lavoie souligne que « [p]rivate property rights in land are foundational to British Columbia’s economy. Billions of dollars have been invested on the assumption that these rights will be secure[157] ». Il ajoute ce qui suit :

Private property rights are foundational to the political, social, economic, and legal structure of Canadian society. Property rights are central to how liberal societies govern themselves, in the sense that these societies rely on the system of delegated decision-making in relation to resources that private property facilitates. Private property rights are thus an important part of our constitutional identity. The personal and social significance of existing property interests should also not be underestimated. Certain forms of property, like the family home, can be constitutive of the personal identity of some people, and thus possibly deserving of special protection. Property interests can also play a role in protecting the reliance placed by individuals on existing social relationships[158].

McNeil, de son côté, met en exergue la corrélation entre l’objectif de réconciliation et la protection des droits de propriété des particuliers[159].

Convenons qu’il sera difficile de faire l’impasse sur la situation suivante : la population majoritaire allochtone a vu depuis des générations sa présence sur le territoire autorisée, valorisée et légitimée par l’État, et il en a résulté un investissement à la fois économique, culturel et identitaire du territoire par les non-autochtones. Le pays d’aujourd’hui donne à voir deux légitimités territoriales sédimentées par le long travail de l’histoire et entremêlées dans un inéluctable destin commun. Il paraît donc raisonnable de penser que l’ordre public et le bien-être général des citoyens justifient d’envisager, dans le contexte de l’article 9.1 de la Charte québécoise, la restriction du droit des autochtones à jouir pleinement de leur bien, et de limiter ou d’écarter la dépossession du particulier visé par la revendication. Nous verrons plus loin que l’entrelacement des légitimités foncières autochtones et non autochtones pourra dicter des solutions complexes de tenures partagées ou superposées.

Le tribunal se trouvera en outre à opérer une véritable mise en balance de droits sur la terre en litige. Une fois le titre ancestral autochtone prouvé, le titre du particulier ne sera pas inéluctablement frappé de nullité. Il sera maintenu et confirmé si le tribunal rejette la demande de restitution ou encore si le groupe autochtone accepte éventuellement de renoncer à ses droits aux termes d’un accord avec la Couronne. Dans l’un ou l’autre de ces cas, un nouveau titre n’aura pas à être concédé au particulier, car son titre préexistant sera simplement reconnu et confirmé[160].

Faut-il pour autant appliquer une règle générale et stricte d’intangibilité de la propriété privée et donc de non-restitution ? C’est la solution que semblent privilégier certains observateurs au nom de l’équité et de l’intérêt général. McNeil plaide, en faveur des particuliers, que « [t]o dispossess these people because the province never had the authority to create the interests they thought they had received would clearly be unjust, with the injustice increasing with the age of the interests and the value of the improvements[161] ». Lavoie est du même avis et estime que des solutions de rechange permettraient de rendre justice aux autochtones, tout en évitant les conséquences systémiques délétères qu’il attribue à la restitution[162]. La politique fédérale de négociation territoriale consistant à refuser d’inclure les terres appartenant à des particuliers dans le domaine grevé de droits issus de traités participe de la même logique de primauté de la propriété privée[163].

D’autres voix s’expriment, toutefois, et des perspectives différentes se font jour. Borrows, par exemple, montre bien le paradoxe qui consisterait à privilégier systématiquement des droits privés infraconstitutionnels au détriment des droits autochtones protégés par la loi fondamentale :

[W]e must not presume « private » ownership would universally limit declarations of Aboriginal title rights in Canada. It would be passing ironic if non-constitutionalized non-Aboriginal property interests were regarded as being absolute relative to Aboriginal title. Such a conclusion would bring the administration of justice into disrepute because of the seeming bias such a result would reveal[164].

Déclarer intouchable la propriété du particulier aurait pour effet mécanique de ravaler durablement le titre ancestral à la place médiocre d’un droit subalterne par nature. La règle de proportionnalité ne favorise pas une telle hiérarchie inamovible de sorte que la balance de la justice n’est pas réglée pour favoriser systématiquement le titre privé au détriment du titre ancestral. Dans la démarche de conciliation empirique, il faudrait certes éviter de réparer une injustice historique par une autre injustice, sans pour autant négliger le fait nodal que les droits ancestraux sont des droits qui préexistent à ceux du propriétaire privé et que les autochtones ont été privés de la terre sans leur consentement.

De fait, le rejet dogmatique de toute possibilité de restitution ne serait pas en accord avec la démarche pragmatique et ergonomique qu’impose l’article 9.1 de la Charte québécoise, démarche qui conduit le juge à opérer une mise en balance proportionnée des droits en fonction des nécessités et des possibilités que révèle chaque affaire. La sacralisation du dominium du particulier sur sa parcelle ne serait pas, non plus, nécessairement conforme à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour suprême trace une première ligne rouge, celle de la limite intrinsèque, lorsqu’elle statue que les « atteintes au titre ancestral ne peuvent donc pas être justifiées si elles priveront de façon substantielle les générations futures des avantages que procurent les terres[165] ». La restitution s’imposera donc dans les cas où la terre entre les mains du particulier serait d’une importance si grande pour le groupe détenteur du titre ancestral que lui en refuser l’usage et la jouissance pour l’avenir empêcherait la génération actuelle et les générations futures de pérenniser leur relation avec le territoire ancestral. La limite intrinsèque, qui a valeur constitutionnelle, empêchera par conséquent le tribunal d’appliquer l’article 9.1 de manière à porter gravement atteinte au lien des générations futures avec la terre autochtone.

Dans d’autres situations, la non-restitution sera une atteinte disproportionnée aux droits autochtones. Ainsi, la règle de la proportionnalité des incidences énoncée par la Cour suprême proscrit, dans le contexte de l’article 9.1 de la Charte québécoise, une restriction au droit du groupe autochtone de jouir de son bien protégé par l’article 6 dont les conséquences sur les autochtones seraient clairement plus préjudiciables que l’avantage qui en découle du point de vue de l’intérêt général. L’hypothèse qui vient à l’esprit serait celle d’un terrain en zone forestière ou rurale laissé vacant, ou quasiment inutilisé, par son « propriétaire », alors qu’il constitue un lieu important pour le groupe autochtone dont le territoire ancestral est visé. L’affaire de l’îlot Grace en Colombie-Britannique montre que ce n’est pas pure fiction. Inhabité et laissé intouché par l’activité humaine depuis très longtemps, l’îlot a été acheté par un homme d’affaires de Calgary caressant le projet d’y ériger une résidence en vue de sa retraite. Or une évaluation archéologique préalable à la construction a révélé la présence de plusieurs sépultures autochtones plus ou moins anciennes. En présence d’une revendication de titre ancestral sur l’îlot par des peuples autochtones, et devant l’impossibilité de protéger l’intégrité des sépultures, le gouvernement provincial a racheté l’îlot et pris des mesures pour en assurer la conservation[166]. Il n’est pas déraisonnable de penser que, si un tel scénario se produisait au Québec, le tribunal appelé à statuer sur une demande de restitution fondée sur la Charte québécoise, et étayée par la preuve d’un titre ancestral, serait justifié d’ordonner que la maîtrise et la jouissance du site soient rendues au peuple autochtone.

L’impératif de proportionnalité devrait en outre interdire d’octroyer au particulier ce qui équivaudrait à un traitement plus favorable que celui qui est réservé au possesseur par le droit commun. Ainsi, lorsque la terre a été concédée par la Couronne depuis moins de dix ans, il faudrait ordonner la restitution, comme on le ferait en faveur d’un propriétaire privé, car le possesseur ne pourrait dans ce cas se prévaloir de l’usucapion aux termes du Code civil[167].

Les quelques exemples qui précèdent montrent que la restitution de la terre ancestrale au demandeur autochtone serait juste et appropriée dans une gamme variée de situations. Par ailleurs, par-delà la dichotomie restitution/non-restitution, des solutions d’entre-deux devront être envisagées, telles que des mesures partielles de restitution minimisant la dépossession des autochtones lorsque l’équilibre des droits est par ailleurs préservé. La superposition bien balisée de droits fonciers serait concevable comme solution de compromis entre les droits intégraux de l’un et la dépossession totale de l’autre. Le tribunal pourrait, par exemple, juger bon de réserver au groupe autochtone des droits sur le fonds du particulier, qui seraient de la nature d’une servitude, tel un droit de passage, lorsque, par hypothèse, une telle utilité serait nécessaire pour accéder à un site essentiel pour la poursuite des activités autochtones sur le territoire traditionnel.

D’autres procédés analogues pourront être mis en place, inspirés notamment de modèles connus du droit des peuples autochtones. Ainsi, la Cour suprême a statué que le droit reconnu aux autochtones par certains traités de prélever des ressources aux fins de subsistance s’étend aux terres privées qui ne sont pas « requises ou prises », c’est-à-dire qui ne font pas l’objet d’une utilisation visible et incompatible avec les pratiques autochtones[168]. Le droit d’accès des autochtones au domaine privé ne vaudra que dans les cas où l’usage autochtone « n’a pas pour effet d’entraver l’utilisation et la jouissance des terres en question par le propriétaire et l’occupant[169] ». Des formules originales de cohabitation foncière de ce type devraient émerger à la faveur du travail d’équilibrage qui incombera au tribunal dans le contexte de l’article 9.1 de la Charte québécoise ; elles tendent sans conteste à réduire l’effet préjudiciable des droits de propriété privée sur la capacité des autochtones de se prévaloir effectivement de certaines des utilités que procure le titre ancestral. Lorsque la situation sur le terrain le permet, le juge saisi de l’action en revendication pourrait de cette manière y faire droit partiellement sans craindre de traiter le particulier injustement.

Enfin, si la restitution en nature complète ou partielle n’était ni juste ni appropriée, il conviendrait d’envisager des mesures de restitution « morale », c’est-à-dire des ordonnances qui confirmeraient le lien immatériel imprescriptible entre le peuple autochtone et sa terre ancestrale, même lorsque cette terre est durablement passée dans le patrimoine privé. Il pourrait s’agir, par exemple, de permettre l’installation sur le terrain d’une plaque ou d’un monument rappelant l’occupation ancestrale autochtone et faisant état du titre ancestral.

Une ordonnance de type restitutoire, lorsqu’elle se révèle partielle ou morale, n’est donc pas invariablement incompatible avec l’objectif légitime de protection des droits et des intérêts des particuliers de bonne foi détenant la terre en vertu d’un titre réputé valable. De fait, l’objectif de préservation des intérêts des tiers ne peut être évacué, même lorsque la restitution intégrale en nature est tenue pour juste et appropriée. Cette restitution devrait par conséquent être conditionnelle à l’indemnisation du particulier contraint de rendre la terre au groupe autochtone, à hauteur de la juste valeur de son bien au moment de l’introduction de l’instance. Le droit des autochtones de récupérer la possession et la pleine jouissance de la terre n’étant pas absolu, il peut, en application de l’article 9.1 de la Charte québécoise, être assujetti à cette restriction afin d’équilibrer les droits en présence au nom du bien-être général des citoyens. En pratique, ce sera ultimement la Couronne qui, en raison de son obligation de fiduciaire, prendra en charge le coût de l’indemnité due au particulier, car il ne saurait être question pour Sa Majesté de laisser au peuple autochtone irrégulièrement dépossédé le fardeau financier de payer pour les manquements de l’État à son égard[170].

Il ne faut toutefois pas s’attendre que les ordonnances de restitution intégrale soient systématiques dès lors que :

  1. la protection des droits des particuliers de bonne foi est reconnue comme une finalité légitime selon le test des articles 9.1 de la Charte québécoise et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ;

  2. la non-restitution est rationnellement liée à cet objectif ;

  3. la non-restitution sera souvent le seul moyen d’atteindre l’objectif de sécurisation foncière des tiers ; et

  4. le tribunal, par la voie de diverses ordonnances décrites plus loin, s’assurera que l’obligation de fiduciaire de la Couronne sera respectée de manière à minimiser l’effet préjudiciable de la non-restitution sur le peuple autochtone.

Les tenants de l’intangibilité des droits de propriété des particuliers évoquent le risque systémique que la moindre ouverture judiciaire à la restitution ferait peser, selon eux, sur la vie économique dont le principe cardinal est la sécurité des titres. Ils craignent que, en offrant aux autochtones la possibilité de récupérer leurs terres, les tribunaux ne remettent en cause l’ordre juridique lui-même en créant une précarité foncière généralisée[171] qui, par ricochet, dévaluera le capital foncier, inhibera la production de richesse et minera le système économique[172].

D’aucuns agitent aussi le spectre d’une détérioration des relations intercommunautaires. Bien qu’elles s’avèrent légitimes, leurs inquiétudes paraissent alarmistes. Elles passent sous silence le fait que, depuis l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le jugement rendu dans l’arrêt Nation Tshilqot’in est le seul à avoir reconnu l’existence du titre ancestral d’un peuple autochtone au Canada. Elles sous-estiment la réelle difficulté juridique et technique pour un peuple autochtone de prouver son titre ancestral ainsi que les délais et les coûts exorbitants associés à la saisine des tribunaux[173]. Elles ne tiennent pas compte du fait qu’en pratique les groupes autochtones privilégient les solutions négociées et s’abstiennent souvent, à tout le moins jusqu’à ce jour, d’exiger la restitution des terres détenues par des particuliers même lorsqu’ils demandent que ces dernières soient incluses dans un territoire grevé du titre ancestral[174]. Elles masquent aussi le fait que, en ce qui concerne le Québec, la restitution en nature ne sera, selon toute probabilité, ordonnée par les tribunaux qu’avec prudence parce que, justement, la démarche de pondération des droits fondée sur un objectif de protection des intérêts des tiers est parfaitement calibrée pour éviter la dépossession arbitraire des citoyens de bonne foi s’étant gouvernés selon les lois ayant apparemment conféré des titres réguliers.

3.3 Les droits des autochtones en l’absence de restitution

Si le tribunal estime qu’une ordonnance de restitution ne serait pas appropriée, il devra s’assurer que la Couronne respecte par ailleurs son obligation de fiduciaire à l’égard du peuple autochtone. En effet, cette obligation exigera du gouvernement qu’il prenne part à la résolution juste de l’affaire, étant entendu que le titre ancestral perdure sur le domaine privé. Le juge devra d’abord adapter le déroulement de l’instance pour tenir compte de l’obligation de la Couronne de consulter le peuple autochtone en vue d’obtenir son consentement à la confirmation des droits du particulier et, à défaut d’obtenir ce consentement, pour déterminer les solutions de nature à accommoder les autochtones en minimisant les conséquences de la non-restitution. Le tribunal pourra, à la demande de la partie autochtone, rendre des ordonnances assurant le respect des obligations de la Couronne.

À la faveur des négociations, les parties pourront privilégier une restitution par équivalence, soit l’octroi aux autochtones de terres publiques de substitution, de valeur et de qualité équivalentes à celles des terres qu’ils sont contraints de laisser au particulier[175]. Le gouvernement devrait aussi compenser les autochtones qui auront perdu la jouissance de leurs terres au profit du particulier. Comme nous l’avons mentionné précédemment, si la restitution a été ordonnée, la Couronne ne pourra laisser au groupe autochtone la charge de verser l’indemnité payable au particulier évincé.

De plus, certains attributs du titre ancestral peuvent persister malgré le rejet de la demande de restitution à l’encontre du particulier. Il en va ainsi du droit du groupe de décider de l’usage du territoire grevé du titre ancestral qui pourrait obliger le gouvernement à faire participer à l’avenir le groupe détenteur du titre à la définition des orientations de développement et d’aménagement du territoire[176], surtout lorsque les terres privées sont des enclaves sur les terres domaniales grevées du titre ancestral. Si le droit autochtone à l’autonomie gouvernementale était un jour reconnu par la Cour suprême, les terres privées pourraient relever de la compétence autochtone[177].

Lorsque la terre laissée au particulier revêt un grand intérêt stratégique pour le groupe autochtone en raison de sa situation géographique et de ses caractéristiques — par exemple, une terre privée dont la réunification au domaine effectif autochtone permettrait d’assurer la continuité territoriale autochtone —, il serait idoine d’accorder au groupe autochtone des moyens qui lui permettront de récupérer la terre de gré à gré. Ces exemples n’épuisent bien sûr pas la gamme des mesures potentiellement exigibles de la Couronne au nom de son obligation de fiduciaire qui la contraint à protéger les droits ancestraux « existants ». À défaut pour la Couronne de s’entendre avec le peuple autochtone dans un délai raisonnable, il reviendra au tribunal de mettre un terme à l’affaire en déterminant une solution conforme à l’obligation de fiduciaire de l’État.

La manière d’aborder la restitution proposée ici se rapproche quelque peu de celle qui a été formulée dans l’article 28 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones[178] qui ne fait pas de la restitution un impératif strict, étant admis qu’elle ne sera pas toujours juste, auquel cas le remplacement des terres ou la réparation pécuniaire s’imposeront[179]. La pondération des droits est aussi privilégiée notamment par la Cour interaméricaine des droits de l’homme :

La restriction du droit de propriété privée individuelle peut être nécessaire afin d’atteindre l’objectif collectif de la préservation des identités culturelles dans une société pluraliste et démocratique, dans le sens que lui attribue la Convention américaine, et cela peut être proportionnel dans la mesure où une juste compensation est payée à ceux qui sont affectés […] Cela ne signifie pas que, chaque fois qu’il y a un conflit entre les intérêts fonciers de particuliers ou de l’État et ceux des membres des communautés autochtones, ces derniers doivent prévaloir sur les autres. Lorsque les États sont incapables, pour des raisons concrètes et justifiées, d’adopter des mesures afin de rendre le territoire traditionnel et les ressources communes aux populations autochtones, les compensations doivent d’abord être accordées en fonction de la signification que revêt la terre pour eux[180].

Conclusion

Devant une revendication de titre ancestral sur le domaine privé dans les provinces de common law, les tribunaux, les particuliers et les gouvernements ne disposent pas de l’instrument législatif de pondération des droits présent dans la Charte québécoise. Les spécialistes de la common law débattent de l’opportunité d’appliquer à la revendication autochtone les règles de l’equity — règles qui permettent de rejeter au stade préliminaire un recours jugé tardif ou préjudiciable aux droits du possesseur de bonne foi. À ce jour, la jurisprudence a plutôt favorisé cette solution[181], la Cour suprême ayant néanmoins ouvert la porte à la recevabilité d’un recours autochtone de nature purement déclaratoire à l’encontre de la Couronne dans l’affaire Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général)[182].

Notre étude montre que l’action en revendication autochtone à l’encontre d’un particulier est admise en droit québécois et que les juges ne peuvent refuser d’en connaître en raison du délai écoulé depuis la concession de la terre en litige par la Couronne ou de la bonne foi du possesseur. Elle montre aussi que la Couronne devra être partie à l’instance afin de trouver une issue juste et conforme à son obligation de fiduciaire. Le Québec ne connaît donc pas ce que l’on a appelé, ailleurs au pays, « the extinguishment of Aboriginal claims by judicial fiat[183] », une extinction judiciaire qui ne tient sans doute pas suffisamment compte de la persistance possible du titre ancestral sur le domaine privé, ni de l’objectif de conciliation proportionnée des droits au coeur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Comme l’affirme un auteur, « [e]xtending the extinguishment framework through a questionable reliance on principles of equity bypasses opportunities for creative and important thinking on the relationship between title and private interests[184] ».

À l’extérieur du Québec, le droit sera sans nul doute développé et précisé à la faveur d’un contentieux qui s’intensifie actuellement. Le droit québécois, pour sa part, n’exclut pas la possibilité d’ordonner à un particulier de restituer la terre aux autochtones, même lorsque celle-ci est passée dans le domaine privé depuis longtemps. À l’instar de la Constitution, la Charte québécoise reconnaît toutefois que l’objectif de protection des droits des particuliers détenteurs de titres est d’intérêt général et que leur dépossession complète au profit des autochtones ne s’imposera pas nécessairement, étant entendu que des mesures de minimisation de l’incidence de la non-restitution sur les détenteurs du titre ancestral s’imposeront.

En définitive, à la faveur du régime décrit dans les pages précédentes, les revendications autochtones sur le domaine privé pourront être traitées par les tribunaux d’une manière qui favorise le destin commun des peuples premiers et de ceux qui les ont rejoints sur la terre aujourd’hui appelée « Québec ».