Abstracts
Résumé
Le texte qui suit propose une analyse féministe de l’utilisation de l’article 1974.1 du Code civil du Québec devant la Régie du logement. Adopté en 2006 dans le but de favoriser l’égalité femme-homme, cet article est le seul à prendre en considération les liens existant entre les violences faites aux femmes et le droit du logement. Pour évaluer son efficacité devant la Régie du logement, les autrices proposent d’abord une recherche divisée en deux parties. Premièrement, elles ont effectué une analyse quantitative des décisions qui citent cet article. Leur corpus comprenait toutes les décisions rendues par la Régie du logement pendant la période 2006-2017. Deuxièmement, elles ont élaboré une analyse qualitative féministe dans laquelle elles offrent un examen de la procédure imposée par ledit article. Ensuite les autrices remettent en question les choix interprétatifs de la Régie du logement. Finalement, elles décortiquent la résiliation du bail proposée par l’article 1974.1 sous l’angle du droit des obligations.
Abstract
The following is a feminist analysis of the use of section 1974.1 of the Civil Code of Québec before the Régie du logement. Adopted in 2006 with the aim of promoting gender equality, this section is the only one to take into consideration the ties between violence against women and housing law. In the optic of assessing its effectiveness before the Régie du logement, the authors first propose a research study divided into two parts. Firstly, they conducted a quantitative analysis of the decisions that cite this section, and their corpus included all decisions rendered by the Régie du logement between 2006 and 2017. Secondly, they developed a feminist qualitative analysis in which they examine the procedure imposed by section 1974.1. The authors then question the interpretative choices of the Régie du logement. Finally, they deconstruct the resiliation of the lease proposed by section 1974.1 from the perspective of the law of obligations.
Resumen
El siguiente texto presenta un análisis feminista acerca del uso del artículo 1974.1 del Código Civil de Quebec ante la Régie du logement (Tribunal de Inquilinato). Este artículo fue adoptado en el año 2006 con la finalidad de promover la igualdad de género, y es el único que toma en cuenta los vínculos que existen entre la violencia contra las mujeres y el derecho a la vivienda. Para evaluar su eficacia ante la Régie du logement, las autoras han propuesto inicialmente realizar un estudio de investigación dividido en dos partes. En primer lugar, se ha realizado un análisis cuantitativo de los casos que citan este artículo, y en cuyo corpus se incluyen todas las decisiones dictadas por la Régie du logement entre los años 2006 y 2017. En segundo lugar, se ha desarrollado un análisis cualitativo feminista, en el que se plantea un examen del procedimiento impuesto por dicho artículo. Seguidamente, las autoras cuestionan las interpretaciones formuladas por la Régie du logement, y finalmente, analizan la rescisión del contrato de alquiler establecida por el artículo 1974.1 desde la perspectiva del derecho de las obligaciones.
Article body
Viol, violences domestiques, harcèlement sexuel, abus sexuels […] sont autant admis dans les faits qu’ils sont interdits par le droit. L’interdit formel a très peu contribué à diminuer leur fréquence ; il a surtout rendu plus difficile de croire qu’ils sont si répandus.
Catharine A. MacKinnon[1].
Il y a déjà 30 ans, dans le célèbre arrêt R. c. Lavallée, où une conjointe en situation de violence depuis des années a tué son conjoint-agresseur, la juge Wilson écrivait : « On peut pardonner au citoyen (ou au juré) moyen s’il se demande : Pourquoi une femme supporterait‑elle ce genre de traitement ? Pourquoi continuerait‑elle à vivre avec un tel homme ? […] On s’attendrait à ce que la femme plie bagage et s’en aille[2]. » Le présent texte, en proposant une analyse de l’article 1974.1 du Code civil du Québec[3], s’intéresse aux réponses partielles que le droit administratif et le droit civil québécois peuvent apporter à ces questions. Comment une locataire, victime de violence, mais liée par un contrat, peut-elle quitter son logement ?
Dans le contexte du système légal et juridique, le traitement des violences faites aux femmes repose sur différents domaines du droit[4], le premier étant le vaste champ du droit pénal et criminel. La Charte canadienne des droits et libertés ainsi que la Charte des droits et libertés de la personne[5] sont également visées[6], puisque ces agressions violent un ensemble de droits fondamentaux, tels que le droit à la vie, à l’égalité, à la santé et à la sécurité. De manière moins évidente, et ce sera l’objet de notre article, les violences faites aux femmes concernent aussi le droit administratif et le droit civil.
À cet égard, et malgré les multiples effets au quotidien des règles du Code civil dans la vie des justiciables et les conséquences transversales des violences sexuées[7], les mots « violence » ou » agression » n’apparaissent que dans 4 articles, notamment l’article 1974.1, sur un total de 3 168 dispositions[8]. En effet, les violences faites aux femmes interfèrent fortement avec le respect de leur droit au logement[9]. Au Québec et au Canada, ce droit n’est pas explicitement reconnu dans les chartes. Cependant, il existe bel et bien un système d’habitation[10] et un droit du logement, principalement réglementé par le Code civil[11], dont les règles sur le louage résidentiel. Dans ce cadre juridique, l’article 1974.1 fait figure d’exception, puisque c’est le seul qui reconnaît l’existence des violences dans la vie des locataires. Cet article prévoit explicitement que, lorsque le logement n’est plus un endroit sécuritaire pour le ou la locataire, ou ses enfants, cette personne a le droit de résilier unilatéralement son bail, moyennant la remise d’un avis et d’une attestation au locateur ou à la locatrice[12] et le paiement de deux mois de loyer, dans le cas d’un bail de douze mois et plus.
Selon le cadre d’analyse utilisé, les violences faites aux femmes bénéficient d’une reconnaissance inégale. Ainsi, les violences commises par les hommes à l’endroit des femmes sont souvent illégales et potentiellement punissables par l’État. Or, le fait que ces violences ne correspondent pas nécessairement à des actes criminels n’empêche pas qu’elles aient des conséquences très concrètes sur chacune des sphères de la vie des femmes. C’est pourquoi nous adoptons ici un cadre d’analyse féministe, principalement inspiré du féminisme matérialiste[13]. Dès lors, les termes « violences » ou « violences conjugales » désignent toutes les formes de violence, que ce soit sous forme verbale, psychologique, économique, sexuelle ou physique. Plus encore, les violences dites « domestiques », « conjugales » ou « familiales » ne se réduisent pas à un phénomène d’ordre conflictuel et exceptionnel entre deux individus. Elles sont conceptualisées dans un système social d’oppression et d’exploitation de la classe des femmes par celle des hommes[14]. De par leur caractère systémique, ces violences touchent l’ensemble du groupe social des femmes et visent tous les domaines de la société, dont le droit étatique. Ces violences revêtent donc également un caractère politique. En effet, leur commission viole plusieurs droits des victimes qui sont pourtant des justiciables dans les États de droit canadien et québécois.
Si nous positionnons les violences commises à domicile dans un système politique, nous croyons d’autant plus pertinent de nous intéresser au rôle du droit étatique[15]. Dans cette perspective féministe, le droit n’est pas un appareil normatif neutre : il entretient plutôt un rapport dynamique avec le système patriarcal. Catharine MacKinnon n’hésite pas à en parler ainsi : « cette pratique d’État qui a affirmé sa validité en recouvrant de généralités et d’abstractions une forme de vie particulière, en s’appuyant sur le pouvoir et l’autorité[16] ». Par exemple, l’article 1974.1 souscrit aux impératifs grammaticaux de la langue française et est formulé au masculin. Ce choix rédactionnel aplanit les inégalités femmes-hommes, car il ne permet pas de saisir rapidement que la très forte majorité des victimes sont des femmes[17].
Construit sur une lutte d’intérêts antagoniques, le droit positif inclut également des outils pour contrebalancer ceux du groupe dominant. À cet égard, l’article 1974.1 semble posséder un réel pouvoir de changement et d’émancipation pour les victimes de violence. Cependant, cette impression a été critiquée de manière théorique dans un de nos articles précédents[18]. Il est maintenant indiqué d’observer son efficacité concrète devant la Régie du logement[19].
Notre thèse principale est que l’article 1974.1 manque d’efficacité devant la Régie du logement, puisqu’il s’est construit autour d’un modèle des violences, qui est conceptualisé sur un mode ponctuel, conflictuel, individuel et qui met l’accent sur les assauts physiques. Pour développer ces idées maîtresses, nous nous sommes concentrées sur l’analyse des concepts juridiques prédominants qui sous-tendent l’article 1974.1, à partir de deux grands domaines du droit positif, soit le droit administratif et le droit civil. Afin de présenter plus explicitement nos résultats, nous avons divisé notre texte en quatre parties : la première trace le portrait de l’article 1974.1 et détaille la question de recherche, la problématique et la méthodologie ; la deuxième explique le cadre d’analyse de notre recherche ; la troisième expose les résultats statistiques obtenus ; et la quatrième développe notre analyse féministe du droit administratif et civil.
1 Construire des connaissances féministes à partir du droit positif
La recherche féministe sur le droit positif peut se faire de différentes manières. C’est pourquoi nous nous focaliserons principalement sur les choix que nous avons faits et sur la manière d’interpréter nos résultats. Dans un premier temps, nous présenterons l’article 1974.1. Dans un deuxième temps, nous détaillerons le type de connaissances produit dans notre recherche et la question principale ayant guidé cette construction. Dans un troisième et dernier temps, nous décrirons la méthodologie privilégiée et les méthodes qui la constituent.
1.1 1974.1 dans le Code civil du Québec
L’article 1974.1 a été sanctionné le 16 décembre 2005 et est entré en vigueur le 1er avril 2006[20]. Cet article reflète le contenu du 46e engagement proposé dans le Plan stratégique du gouvernement libéral de Jean Charest pour lutter contre les violences conjugales[21], lequel vise explicitement à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes. Daniel Turp, député du Parti québécois, considérait l’article 1974.1 comme un moyen d’harmoniser le Code civil aux chartes canadienne et québécoise, car il constitue un outil supplémentaire pour protéger la dignité, l’égalité et la vie des femmes[22]. Cet article est aussi le fruit de revendications féministes, formulées par les milieux d’intervention en matière de violence conjugale et par des groupes de défense pour les droits des locataires, sensibles à la situation de nombreuses[23] victimes de violence, et pour qui les délais normaux de résiliation du bail[24] représentaient un fardeau juridique et financier beaucoup trop important[25]. D’ailleurs, l’article 1974.1 constitue une exception en droit positif, puisqu’il autorise une situation de rupture du contrat découlant uniquement de la volonté de l’une des parties. En cela, c’est une entorse aux principes généraux du droit civil[26].
L’article 1974.1 se lit comme suit :
Un locataire peut résilier le bail en cours si, en raison de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint ou en raison d’une agression à caractère sexuel, même par un tiers, sa sécurité ou celle d’un enfant qui habite avec lui est menacée.
La résiliation prend effet deux mois après l’envoi d’un avis au locateur ou un mois après l’envoi d’un tel avis lorsque le bail est à durée indéterminée ou de moins de 12 mois. Elle prend toutefois effet avant l’expiration de ce délai si les parties en conviennent ou lorsque le logement, étant libéré par le locataire, est reloué par le locateur pendant ce délai.
L’avis doit être accompagné d’une attestation d’un fonctionnaire ou d’un officier public désigné par le ministre de la Justice, qui, sur le vu de la déclaration sous serment du locataire selon laquelle il existe une situation de violence ou d’agression à caractère sexuel et sur le vu d’autres éléments de faits ou de documents provenant de personnes en contact avec les victimes et appuyant cette déclaration, considère que la résiliation du bail, pour le locataire, est une mesure de nature à assurer la sécurité de ce dernier ou celle d’un enfant qui habite avec lui. Le fonctionnaire ou l’officier public doit agir avec célérité.
Le locataire n’est tenu, le cas échéant, au paiement de la partie du loyer afférente au coût des services qui se rattachent à sa personne même ou à celle d’un enfant qui habite avec lui qu’à l’égard des services qui ont été fournis avant qu’il quitte le logement. Il en est de même du coût de tels services lorsqu’ils sont offerts par le locateur en vertu d’un contrat distinct du bail.
L’article 1974.1. a d’abord été proposé comme une simple modification à l’article 1974 du Code civil[27], auquel auraient été ajoutés les critères des violences et des agressions à caractère sexuelle. L’Assemblée nationale du Québec a finalement voté pour l’ajout du « .1 » afin de mettre l’accent sur l’intention du gouvernement de prendre des mesures pour lutter contre les violences conjugales[28]. Or, l’article 1974 a fortement inspiré la rédaction de son nouvel homologue. Sur le plan procédural, l’article 1974.1 impose bel et bien l’envoi d’un avis et d’une attestation au ou à la propriétaire et une compensation financière par la locataire. Lors de l’adoption de l’article, les délais prescrits pour la résiliation du bail étaient de trois mois, conformément aux demandes de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ)[29]. Inversement, les regroupements de femmes en recommandaient un seul, pour amoindrir la surcharge financière de la locataire[30]. En 2012, ce délai sera raccourci à deux mois[31]. Nous verrons plus loin en détail l’ensemble de cette procédure.
1.2 1974.1 C.c.Q. comme objet de recherche féministe
Le fait de travailler à partir d’un cadre d’analyse féministe implique des prémisses épistémologiques[32] qui diffèrent de celles qui sont plus communes dans la recherche positiviste en droit[33]. En optant pour un cadre d’analyse féministe, nous adoptons ainsi une posture externe[34] et critique[35]. Conformément à la théorie du point de vue[36], nous utilisons l’expérience des femmes comme point de départ. Notre recherche vise donc la construction de connaissances consciemment engagées pour la défense des droits des femmes et la justice sociale. Par conséquent, elle n’aspire pas à une exhaustivité positiviste.
Notre préoccupation constante étant d’évaluer l’efficacité de l’article 1974.1 pour les femmes, nous avons choisi d’utiliser le concept d’efficacité plutôt que celui d’effectivité[37] du droit, car notre recherche ne porte pas sur l’ensemble des situations sociales où cet article a été utilisé ou invoqué. Elle se restreint à son emploi devant la Régie du logement et à l’interprétation que ce tribunal lui donne. Corollairement, notre choix limite les résultats de notre recherche à l’utilisation litigieuse et judiciarisée de l’article 1974.1. Cette efficacité est mesurée à l’aune de l’intention du législateur et des objectifs promus d’égalité des sexes et de lutte contre la « violence conjugale », ainsi que de la mission et du cadre juridique de la Régie du logement.
Vu les objectifs féministes que nous avons mis en avant, l’évaluation de cette efficacité pourra sembler étroite. Par exemple, il sera impossible de tracer un portrait sociologique ou psychologique des femmes qui recourent à l’article 1974.1, et nous n’avons pas d’information entourant le contexte de violence. Or, nombre de ces limites découlent du matériel de recherche utilisé, soit la loi, la jurisprudence et les travaux parlementaires, ainsi que de la méthodologie privilégiée, c’est-à-dire une analyse des décisions de la Régie du logement. Notre recherche repose donc sur des données exclusivement produites par notre matériel de recherche. Par conséquent, de nombreuses limites factuelles et conceptuelles sont induites par les outils épistémiques du droit positif. Prendre en considération des données statistiques sur le portrait des victimes, par exemple, nous aurait écartées de notre objectif de recherche. Or, ces choix méthodologiques mènent à la production de savoirs centrés sur les mécanismes internes du droit positif. Nos résultats permettent de mettre en lumière leur rôle dans la production et la reproduction des inégalités que vivent les femmes et de formuler des modifications législatives.
Ainsi, bien qu’elle soit fondée sur une collecte de données jurisprudentielles, notre recherche ne scrutera pas la cohérence juridique des décisions rendues par la Régie du logement. Le portrait statistique produit nous servira plutôt à évaluer tout à la fois le contexte d’application de l’article 1974.1, les choix interprétatifs de la Régie du logement et les conséquences sur les locataires victimes de violences.
Dans ces conditions, la question principale de notre recherche et la problématique qui en découle sont les suivantes : l’article 1974.1 est-il efficace devant la Régie du logement ? Autrement dit, permet-il de libérer efficacement de leurs obligations les locataires victimes de violence ? Plus précisément, l’interprétation faite par la Régie du logement de cet article répond-elle aux objectifs d’égalité entre les femmes et les hommes, défendus lors de son adoption ? Les concepts et les mécanismes propres à cet article participent-ils au maintien des inégalités que vivent les locataires victimes de violence ?
1.3 Construire des connaissances féministes sur le droit positif
Dans un premier temps, nous avons effectué une recherche documentaire pour constituer le matériel jurisprudentiel et le cadre d’analyse. Le fait d’étudier un article précis du Code civil a grandement facilité la collecte de notre matériel. À partir de la base de données de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ), nous avons cherché l’ensemble des décisions qui citent l’article 1974.1. Puisque celui-ci est entré en vigueur en 2006, notre recherche de jurisprudence s’est étendue de 2006 à 2017, afin d’obtenir une pleine période de dix ans. À noter que le site Web de la SOQUIJ répertorie l’intégralité des décisions annuelles de la Régie du logement depuis 2009. Par conséquent, nous avons également mené une recherche documentaire directement à la Régie du logement, pour obtenir les décisions manquantes rendues de 2006 à 2009. Au total, nous avons réuni 273 décisions de la Régie du logement[38].
Concernant l’article 1974.1, les tribunaux judiciaires ont été avares en matière d’interprétation. De 2006 à 2017, seul un jugement de la Cour supérieure nomme cet article[39] ; quatre de la Cour du Québec le mentionnent[40]. Dans les cinq cas, l’article 1974.1 est uniquement cité, et ne concerne pas le fond des décisions rendues. Comme ces dernières n’apportaient aucun éclairage relativement à l’orientation interprétative à donner à cet article, nous les avons écartées.
Nous avons traité les 273 décisions de la Régie du logement à partir d’une méthode mixte, c’est-à-dire qui « concerne la combinaison de techniques qualitatives et quantitatives de collecte de données et leur analyse dans un seul protocole de recherche[41] ».
La recherche quantitative consiste en une compilation statistique tirée d’informations dans les décisions rendues par la Régie du logement. Ces données ont été rassemblées dans une grille d’analyse conçue précisément pour notre recherche, sur la base d’une lecture préliminaire d’une centaine de décisions[42].
Le traitement des 273 décisions s’est avéré réaliste, parce qu’elles sont en majorité extrêmement courtes. En moyenne, elles comptent deux ou trois pages. Par contre, ce nombre de pages très limité signifie également que la démonstration du raisonnement juridique est rarement étoffée, pour ne pas dire inexistante. La quantité d’informations à notre disposition, sur le plan tant factuel que juridique, se révèle donc inégale et lacunaire. Dès lors, il est pratiquement impossible de considérer d’autres caractéristiques que le sexe des locataires, lui-même déduit du prénom employé par les victimes et de l’usage du pronom personnel « elle » par les régisseurs et les régisseuses pour les désigner. En effet, rien dans les décisions ne permet de savoir si les victimes sont de nouvelles arrivantes, si elles sont racisées ou autochtones ou encore si leur niveau socioéconomique est connu, par exemple. Par conséquent, à partir du corpus choisi, nous n’avons pu évaluer si l’article 1974.1 est mieux adapté à certains groupes de femmes que d’autres, ni déterminer celles qui n’ont pas accès à cette protection. Nous estimons que ce manque d’informations constitue une limite pour une théorisation féministe intersectionnelle de la situation des locataires victimes de violence.
En plus de la collecte de données quantitatives, notre recherche utilise plus largement une méthode qualitative. Nous appuyant sur la lecture systématique des décisions, nous avons mis en évidence certains concepts et mécanismes juridiques et nous les avons analysés d’après le cadre théorique féministe sous deux angles, soit les violences faites aux femmes dans le contexte de la conjugalité et le statut des victimes dans le système juridique.
La portion de notre collecte documentaire centrée sur la recherche de travaux féministes qui abordent le traitement des violences faites aux femmes relativement au droit des contrats ou en droit administratif a été plutôt difficile à mener à bien, tout en étant révélatrice d’un grand vide analytique. Malgré la forte interaction entre le droit des contrats, le droit administratif et les conséquences des violences faites aux femmes, il n’existe que très peu de littérature féministe, faite par des juristes, sur la question[43]. Les textes portant directement sur l’article 1974.1 sont rares, et ils n’ont pas de visée féministe[44]. C’est pourquoi les articles féministes que nous avons trouvés pour mieux comprendre le rapport entre les victimes de violence et le système de justice canadien portent majoritairement sur le droit criminel.
Finalement, nous avons lu les débats parlementaires tenus en 2005 relativement à l’adoption de l’article 1974.1 et ceux qui avaient trait à sa modification en 2012. Cette lecture nous a permis de mieux comprendre l’intention du législateur et de cibler les groupes d’intérêts touchés par cet enjeu.
2 Une conceptualisation tacite et problématique de la « violence conjugale »
La deuxième partie de notre texte est consacrée à la présentation du cadre théorique féministe sous-jacent à l’analyse de l’article 1974.1. Ainsi, nous examinerons en premier lieu les conséquences du modèle explicatif des incidents de violences physiques faites aux femmes, qui se produisent dans le contexte de la conjugalité. Cette conceptualisation semble soutenir implicitement la mise en vigueur de l’article 1974.1. Une fois ce modèle présenté, nous expliquerons un modèle proposé par Evan Stark[45]. Comme nous le verrons, ce modèle est mieux adapté à la réalité du phénomène de la domination sexuelle récurrente à laquelle font face certaines femmes. De plus, la conceptualisation du chercheur américain permet de proposer des solutions plus adaptées à la réalité et expose les failles de la protection offerte par l’État. En second lieu, nous mettrons en lumière la figure de la victime, innomée dans le Code civil, et pourtant omniprésente dans les situations de violence ou d’agression. Dans l’article 1974.1, le législateur a fait le choix de maintenir les femmes victimes de violence dans leur statut de locataire. Comme nous le verrons, cela a pour effet de les « surresponsabiliser », car la solution de la loi se limite alors à clore le rapport contractuel.
2.1 Cadres théoriques et définitions : un concept implicite défavorable aux victimes
Il existe différents modèles explicatifs pour comprendre la violence[46] multiforme faite aux femmes, particulièrement celle qui est vécue dans les limites de la conjugalité. Au Québec et dans plusieurs pays occidentaux, le modèle qui s’appuie sur les « incidents violents » est couramment utilisé, et ce, pour mettre au point des outils de sensibilisation et de soutien destinés aux victimes et de contrôle de la violence[47]. En ciblant les gestes de nature à provoquer des sévices physiques, ce modèle simplifie les ramifications de la violence. En effet, il gomme de multiples aspects toxiques de la relation, ce qui peut avoir comme conséquence de repousser les limites du seuil de violence acceptable par la victime elle-même et par le réseau d’intervention et de soutien. Ledit modèle peut aussi conduire à mal évaluer la dangerosité d’un conjoint[48].
Une telle simplification peut, en partie, s’expliquer par la définition de la violence conjugale retenue par le modèle privilégié au Québec : « acte commis avec l’intention ou l’apparente intention d’occasionner des douleurs physiques ou des blessures à une autre personne[49] ». La définition met donc l’accent sur les sévices corporels plutôt que sur la prise de contrôle par le conjoint. D’une perspective juridique, ce modèle et la définition de la violence conjugale qu’il retient facilitent la tâche aux forces policières, car ils permettent de faire correspondre certains des sévices vécus par les victimes à des infractions au Code criminel. Or, Evan Stark rappelle que les sévices physiques passibles d’une accusation sont rarement des actes isolés. Il fait valoir que de 95 à 99 % des actes de violence conjugale impliquent des agressions qui ne seraient pas susceptibles d’une condamnation[50] : donner une poussée, bousculer, serrer le bras, gifler, etc.
Avant même l’apparition de ces gestes physiques, le conjoint aura usé de stratégies pour installer chez sa victime de la crainte par du dénigrement, de la surveillance et des menaces. Des paroles ou des actes qui auront comme objectif de dégrader l’estime de la partenaire, mais qui, pris isolément, sembleront insignifiants. L’instauration d’un climat où la violence psychologique est omniprésente peut même rendre inutiles les incidents violents qui seraient reconnus par le droit criminel, car le contrôle s’établit sans recourir à la violence physique. Ainsi, le rapport de domination devient un phénomène continuel sur lequel le droit criminel n’a pas de prise. Même dans le cas où il y aurait davantage de dénonciations, dans plusieurs situations les forces de l’ordre ne pourraient entreprendre d’actions parce que les comportements déviants en cause ne correspondent pas à des infractions au Code criminel.
Selon Evan Stark, le modèle fondé sur des « incidents violents » n’est donc pas un modèle théorique qui mène à une vision juste du problème. En effet, il masque le contrôle envers la conjointe et les moyens utilisés pour y arriver comme l’intimidation, le harcèlement, l’humiliation ou le contrôle des sorties et des amitiés. Il n’offre pas d’interventions adaptées, et il minimise les conséquences psychologiques sur la victime[51]. Ainsi, le chercheur dira que ce modèle « dissimule la nature historique des abus, fragmente et banalise l’oppression subie, et suscite des perceptions et des attentes parmi les fournisseurs de service, ce qui aggrave la situation déjà difficile des femmes[52] ».
Le modèle qu’Evan Stark retient, et qu’il nomme le « contrôle coercitif », contraste avec le modèle des « incidents violents », car il tient compte de toutes les facettes du rapport de contrôle d’un homme envers sa conjointe. Dès lors, toutes les tactiques en vue de l’établir sont considérées dans un continuum qui s’amplifie au cours de la relation. Souvent appelé l’« escalade de la violence conjugale », ce continuum est constitué d’une multitude d’actes de domination qui s’insèrent dans un contexte social global d’inégalités sexuelles persistantes. Les violences physiques, qui sont reconnues comme des actes criminels, s’y produisent lorsque la dynamique de violence est déjà bien établie. Ce sont les manifestations les plus graves d’un rapport fondé sur l’abus et la domination.
Evan Stark a recours dans son modèle à une définition plus englobante de la violence qui a d’abord été proposée par David Adams. Dans un article paru en 1988, traitant d’une approche clinique d’intervention pour les conjoints violents, il décrit le terme « violence » comme « any act that causes the victim to do something she does not want to do, prevents her from doing something she wants to do, or causes her to be afraid[53] ». Notons que cette proposition ne cible pas que la perte de contrôle de l’agresseur et les sévices physiques qu’il pourrait infliger, mais bien toutes les tactiques utilisées pour amener la victime à perdre son libre arbitre. Ainsi, ce sont les effets provoqués par les tactiques des agresseurs qui sont ciblés, ce qui reflète davantage la réalité quotidienne des victimes, leur perte d’autonomie et leur incapacité à vivre leur vie selon leur propre choix.
La définition de David Adams rend plus explicite le fait que les violences d’un conjoint envers sa conjointe restreignent le libre arbitre de cette dernière. Evan Stark dira que, sous cet angle, la violence conjugale est davantage un « crime contre la liberté plutôt qu’[…] une forme d’assaut, et place l’utilisation de la violence dans un contexte d’abrogation des droits qui se trouve à être à la fois crucial au développement socioéconomique global et à notre capacité à accomplir nos objectifs dans le monde[54] ». À ses yeux, la reconnaissance du contrôle coercitif nécessite de définir un nouveau crime de comportement et de l’accompagner de sanctions reflétant l’importance des droits compromis et des libertés individuelles restreintes.
Comme nous le verrons, les résultats de notre recherche soulèvent les mêmes enjeux que ceux qui ont été ciblés dans le constat d’Evan Stark. Fonder l’évaluation de la situation de danger pour la locataire à l’aune de la perpétration d’incidents criminels par le conjoint perpétue le rapport de domination sexuelle dans plusieurs situations conjugales et brime les droits fondamentaux de la locataire. Rétablir l’égalité et la liberté des femmes qui vivent cette dynamique doit se faire par une diversité de moyens qui ne se limite pas à la condamnation des assauts physiques. C’est pourquoi mettre au point une procédure en droit civil pour permettre aux femmes de quitter leur logement à la condition qu’elles aient porté plainte à la police ou après la survenance d’actes criminels comme des menaces de mort et des voies de fait peut porter atteinte à leur égalité, à leur dignité et à leur liberté. Étant étroitement liée à un système de droit criminel inadapté à la réalité des victimes, la mise en oeuvre de l’article 1974.1 n’offre pas une protection appropriée pour s’attaquer au contrôle coercitif des conjoints. Ce contrôle est pourtant un enjeu central d’égalité des droits dans les situations de violence conjugale[55].
2.2 La victime en droit civil, un concept invisible, mais une personne « surresponsabilisée »
L’article 1974.1 porte sur le droit des locataires. Il ne mentionne pas précisément que ces locataires sont aussi nécessairement des victimes. Paradoxalement, l’utilisation de cet article repose sur la figure centrale qu’est la victime. Pourtant, elle n’existe pas nommément en droit civil. Dans cette section, nous nous intéresserons donc au pouvoir conceptuel du droit étatique de qualifier et de catégoriser les phénomènes sociaux, à partir de ses propres outils épistémiques. Avant tout, nous mettrons en exergue les conséquences de ce pouvoir qui permet au système juridique de rendre étrangers l’un à l’autre le statut de victime et celui de locataire.
En apparence, parce qu’ils sont centrés sur la résiliation du bail, l’article 1974.1 et les décisions de la Régie du logement qui s’y rapportent semblent loin du droit criminel. Or, des parallèles peuvent être faits, notamment quant à la critique féministe du modèle juridique de la victime en matière d’agression sexuelle. Plusieurs chercheuses féministes dénoncent la construction mythique du viol en droit criminel canadien[56] et la responsabilisation qui en découle pour la victime[57]. En droit criminel, l’agression sexuelle est très souvent appréhendée comme un événement unique, isolé et exceptionnel, complètement décontextualisé d’un spectre beaucoup plus large des violences faites aux femmes. De cette conception découle l’attente d’une réaction responsable, proactive (résistance active, plainte rapide à la police), uniforme et surtout idéalisée de la part de la victime qui nuit grandement aux droits des femmes. Il n’y a pas de prise en considération d’une diversité de réponses possibles à la violence pour les victimes. Par exemple, transposer en droit civil le fait de qualifier de « déguerpissement » le réflexe d’une locataire de se sauver d’un conjoint violent est incorrect. Ce départ n’est pas « sans motif[58] » : au contraire, l’idée est d’assurer la sécurité d’une locataire. De plus, toute caractéristique qui place la victime en marge du modèle idéal, en particulier le fait d’être une femme racisée ou autochtone ou se trouvant dans une situation économique précaire, devient alors un critère qui nuit à sa crédibilité[59].
Ces constats féministes sur la construction de la victime par le droit criminel sont utiles pour l’analyse. En privilégiant la relation contractuelle, l’article 1974.1 réduit la victime à son statut de locataire, duquel découle un comportement juridique attendu. À titre de cocontractante, la locataire doit nécessairement aviser l’autre partie locatrice (avis obligatoire) et rendre publics les faits allégués (attestation obligatoire). Ce faisant, la procédure imposée par l’article 1974.1 autorise une dissociation entre le contexte de violence vécue par la locataire et la rupture contractuelle. Pourtant, cette procédure, de laquelle découle la possibilité pour la locataire de résilier son bail prématurément, dépend directement de la reconnaissance légale de son statut de victime. Plus encore, puisque c’est la locataire qui demande la résiliation, elle doit s’acquitter de l’intégralité de la responsabilité financière de cette rupture[60].
En effet, la loi assure au ou à la propriétaire le paiement de deux mois de loyer. Comme nous le verrons, ses droits sont également protégés par la rigidité procédurale, le maintien de la solidarité et les recours qu’accorde l’article 1971. Quant au colocataire, qui est aussi très souvent l’agresseur, il ne voit en rien sa responsabilité modifiée en vertu de l’article 1974.1. La « surresponsabilisation » a donc un effet de hiérarchisation entre les parties au bail où les droits de la victime sont relégués derrière ses obligations à titre de locataire.
Cette façon d’envisager la résiliation du bail se révèle conforme également à la philosophie libérale qui sous-tend le Code civil[61]. Dans ce courant de pensée, les sujets de droit sont présumés libres et égaux. Malgré une protection d’ordre public à l’endroit du bail résidentiel qui limite la liberté contractuelle[62], une telle philosophie est sous- jacente à la structure même du bail résidentiel et du droit des obligations. Pourtant, de manière évidente, la locataire en situation de violence n’est plus dans une position de liberté et d’égalité par rapport aux autres parties au bail. La responsabilité que lui impose la procédure obligatoire de l’article 1974.1 et le paiement de deux mois de loyer priorisent plutôt les intérêts financiers du ou de la propriétaire et font oublier la responsabilité de l’agresseur.
Toujours dans le contexte libéral du Code civil, le consentement offert au moment de la signature du bail est présumé libre et éclairé[63]. Dès lors, la loi et l’interprétation proposée par la Régie du logement créent une présomption de connaissance de la part de la victime de l’article 1974.1 et, conséquemment, du savoir nécessaire pour accomplir la procédure exigée. De cette prise en charge individuelle découle également pour la victime un devoir de diligence afin de se conformer à la procédure exigée. Autrement, les délais dus à ses retards, si justifiés soient-ils, s’ajouteront aux deux mois imposés par la loi.
N’oublions pas qu’en droit civil la responsabilisation se traduit fréquemment par un appel au caractère raisonnable du comportement. L’objectif ici n’est pas de présenter une critique féministe complète de la « personne raisonnable[64] ». Nous voulons plutôt rappeler que le spectre du critère de la « personne raisonnable », malgré son changement d’appellation[65], n’est pas lavé de tous ses relents patriarcaux[66]. La professeure Louise Langevin souligne que les critiques féministes ont analysé le modèle de la personne raisonnable pour en dénoncer le caractère faussement neutre et universel.
Sur ce point, nous reprenons les mots de la juge Wilson dans l’arrêt R. c. Lavallée, qui se transposent au droit civil, malgré leur référence au droit criminel :
S’il est difficile d’imaginer ce qu’un « homme ordinaire » ferait à la place d’un conjoint battu, cela tient probablement au fait que, normalement, les hommes ne se trouvent pas dans cette situation. Cela arrive cependant à certaines femmes. La définition de ce qui est raisonnable doit donc être adaptée à des circonstances qui, somme toute, sont étrangères au monde habité par l’hypothétique « homme raisonnable »[67].
Selon notre analyse jurisprudentielle, jamais ce critère de la « personne raisonnable » n’est explicitement mentionné devant la Régie du logement. Il est cependant transversal dans le Code civil et figure dans plusieurs articles[68]. Il se trouve fort probablement sous-jacent à la procédure imposée. Une locataire « raisonnable » en situation de violence voudra résilier légalement son bail. Pour ce faire, elle respectera la procédure imposée et le paiement des deux mois de loyer qui lui est demandé.
Pourtant, dans d’autres domaines du droit, notamment en matière de harcèlement sexuel[69], les tribunaux peuvent être éclairés par la méthode contextuelle qui permet d’évaluer la « raisonnabilité » du comportement dans un contexte personnalisé. Ils tiendront alors compte des contraintes de la victime. Son comportement sera remis dans le contexte où elle évolue et non dans un climat présumé neutre. Ainsi, plus la situation sera éclairée par les connaissances d’experts et d’expertes, plus le critère de la personne raisonnable sera modulable et l’attitude de la victime comprise selon les contraintes vécues. Dans les décisions de la Régie du logement que nous avons examinées, aucune n’offre une analyse contextuelle des violences vécues par les locataires.
3 Démontrer en données statistiques l’inefficacité de 1974.1 C.c.Q.
Au total, nous avons lu et analysé 273 décisions de la Régie du logement. Rappelons que notre collecte de données s’est faite à partir des informations contenues dans les jugements. Par conséquent, nous n’avons pas pu répertorier de renseignements personnels sur les victimes, ni sur le contexte des violences, pas plus qu’il ne nous a été possible de distinguer si la situation portait sur de la violence conjugale ou sur une agression à caractère sexuel. En outre, initialement, nous pensions pouvoir calculer le pourcentage d’économie d’argent qu’aurait permis l’application de l’article 1974.1 par rapport à sa non-utilisation. Finalement, considérant le peu de détails contenus dans chaque décision, mais surtout les variations importantes dans la valeur des loyers payés, nous n’avons pas retenu ce critère.
Les jugements sont répartis sur une base annuelle et régionale de la manière illustrée dans le tableau 1.
Le tableau 1 montre que l’article 1974.1 a été cité dans 19 districts judiciaires, alors que le Québec en compte 36[70]. Bien que notre analyse ne se fonde pas sur des données relatives au territoire, soulignons qu’il ne semble pas possible d’établir de corrélation entre la taille de la population servie dans un district judiciaire et l’utilisation de l’article 1974.1. Il y aurait certainement différentes pistes de recherche à poursuivre à partir d’une approche qui serait davantage géolocalisée, par exemple : l’accessibilité au Tribunal administratif du logement (TAL) sur l’ensemble du territoire québécois ; la corrélation statistique entre la population locataire d’un district et le nombre de décisions entendues devant le TAL ; l’accès à des services d’accompagnement pour les locataires victimes de violence dans chacune des régions du Québec.
Les 273 décisions considérées ont été l’objet d’une analyse statistique poussée. Nous les avons divisées en deux catégories distinctes : la première précise certains choix méthodologiques et explique la raison pour laquelle nous avons écarté des décisions ; la seconde expose nos données statistiques détaillées.
3.1 Des données non-significatives, mais utiles
Afin de respecter notre objectif d’évaluer l’efficacité de l’article 1974.1 devant la Régie du logement, nous avons dû mettre de côté plusieurs décisions qui le citent. En effet, cet article est nommé dans diverses causes pour une multitude de raisons, celles-ci n’étant pas toujours directement liées à notre recherche. Sur le plan de la méthode, cette exclusion témoigne des limites d’une recherche par numéro d’article.
Ainsi, n’ont été considérés comme pertinents pour notre analyse que les jugements qui portent précisément sur un litige entre le ou la propriétaire et la locataire. Par conséquent, nous avons écarté différents types de décisions, principalement pour les raisons suivantes :
-
celles où la locataire n’est pas une partie en cause, puisqu’elle a déjà été libérée de ses obligations en vertu de l’article 1974.1 ;
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celles où l’article est cité simplement à titre d’exemple d’une situation permettant de résilier un bail ;
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celles où la référence à l’article 1974.1 nous semble découler d’une erreur matérielle, notamment une possible confusion avec l’article 1974 ;
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celles qui portent sur une modification aux règlements de l’immeuble pour y intégrer l’article 1974.1 ;
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celles qui concernent un litige exclusivement entre les locataires ;
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celles dont les faits sont nettement trop éloignés de nos objectifs de recherche.
Les données étant peu nombreuses par catégorie, nous les avons regroupées en une seule nommée « décisions exclues », dans le tableau 2.
En effectuant ce tri, les données du tableau 2 permettent de constater qu’au total 70 % des décisions trouvées seront analysées.
3.2 Des données concluantes, mais peu surprenantes
Notre présentation statistique de l’analyse quantitative des décisions de la Régie du logement se détaille en cinq sous-sections : la première porte sur le sexe des personnes qui ont recours à l’article 1974.1, qui sont aussi les victimes de violence ; la deuxième, sur le sexe des personnes qui commettent les agressions ; la troisième, sur la solidarité contractuelle ; la quatrième, sur l’identité contractuelle des personnes en demande ; et la cinquième, sur l’efficacité ou non de l’article 1974.1.
3.2.1 Les femmes, comme victimes de violence : un monopole statistique
Pour répertorier le sexe des locataires dans les causes analysées, nous avons déterminé quatre types de situation. Dans aucune des décisions répertoriées, la victime ne s’est décrite comme transsexuelle, intersexuelle ou encore comme refusant de s’identifier à l’une des deux catégories de sexes. La catégorisation retenue a donc été binaire. Ainsi, dans le tableau 3, les personnes en situation de violence pouvaient être soit une femme, soit un homme, soit une femme et un homme ou encore de sexe inconnu.
Le tableau 3 met en lumière que la très grande majorité des locataires en situation de violence sont des femmes.
3.2.2 Une conjugalité et une proximité dangereuse
Dans le tableau 4, nous avons également répertorié le sexe des personnes qui ont commis une agression[71]. Pour les raisons que nous avons exposées précédemment, nous avons utilisé une catégorisation binaire. Le fait que les décisions n’offrent aucun espace à l’analyse du contexte a comme conséquence que l’identité de l’agresseur est souvent imprécise, voire qu’il n’est pas identifiable. Il peut être décrit comme un conjoint, un ex-conjoint ou un colocataire ou encore ne pas être présenté du tout. À vrai dire, il est souvent difficile de savoir si le conjoint est aussi le colocataire ou vice versa. De plus, le langage employé par les régisseurs et les régisseuses pour décrire les relations en question et parfois même les situations de violences vécues se révèle très approximatif et souvent réducteur[72].
Pour toutes ces raisons, nous plaçons dans la catégorie commune des « hommes » tout agresseur identifié à titre de colocataire, de conjoint ou d’ex-conjoint. Nous y ajoutons les situations qui font référence à de la violence conjugale ou domestique, si le colocataire était un homme. Par contre, nous avons considéré l’identité de l’agresseur comme « inconnue » lorsque la décision manque de détails sur le sujet ou que la situation concerne une locataire qui habite seule, même si l’on fait référence à de la violence conjugale. Quelques rares décisions concernent des agressions commises par des tiers, soit un voisin ou un invité : elles ont été classées dans les catégories « homme » ou « identité inconnue », selon les informations à notre disposition.
Nous avons estimé nécessaire de mettre en exergue la commission des agressions par les locateurs. Ces données statistiques s’apparentent à un épiphénomène. Des recherches menées par le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF) témoignent pourtant que les violences commises par les propriétaires en relation avec des femmes locataires ne sont pas un phénomène isolé[73]. Les données obtenues dans notre analyse donnent à réfléchir sur la pertinence de la procédure actuelle. En effet, remettre un avis et une attestation au locateur, s’il est également l’agresseur, a clairement un effet dissuasif pour les victimes.
Dans le tableau 4, il est notable que la proportion des agresseurs identifiés comme homme est pratiquement égale à celle de la catégorie « identité inconnue ». Ce résultat est révélateur du peu d’attention accordée par les régisseurs et les régisseuses à l’analyse de la situation de violence, tel que nous l’avons relevé dans notre analyse.
3.2.3 Une solidarité coûteuse
Dans plusieurs des décisions analysées, la locataire habite seule, à tout le moins, elle est l’unique signataire du bail. Au regard de nos objectifs de recherche, si elle partage une responsabilité solidaire avec une caution, elle a été considérée comme vivant seule. Lorsqu’il y avait une multiplicité de locataires, nous avons répertorié, au tableau 5, les cas de responsabilité solidaire. Autrement, nous avons présumé que la locataire est conjointe, conformément à la présomption de l’article 1525 du Code civil.
Cette information s’avère importante, car elle aura des conséquences sur la responsabilité financière des locataires. Pour les décisions où la responsabilité est solidaire, même lorsque l’article 1974.1 est utilisé de manière conforme à la loi et que la locataire a fourni sa part pour les deux ou trois mois de loyer imposés, celle-ci demeure responsable de la part du loyer de son colocataire[74]. Cette responsabilité lui incombera si ce dernier a cessé ses paiements, qu’importe si ses comportements violents sont à l’origine de la demande de résiliation de bail. Si la locataire ne paie pas, le bail sera résilié en vertu de l’article 1971 du Code civil malgré le recours à l’article 1974.1. Que la victime puisse être responsable financièrement des dettes de son conjoint violent représente une injustice flagrante. Une modification législative à l’article 1974.1, qui autoriserait les régisseurs et les régisseuses à lever la solidarité, aurait un caractère libératoire efficace pour les victimes.
Il ressort du tableau 5 que, au-delà des enjeux liés à la multiplicité des débiteurs et des débitrices, le tiers des locataires visées par l’article 1974.1 habitaient seules ou encore étaient l’unique responsable du bail.
3.2.4 Qui est en demande ?
Afin de mieux comprendre le contexte d’utilisation de l’article 1974.1, nous avons également voulu savoir qui s’adressait au tribunal, soit les propriétaires, les locataires ou les deux, dans le cas d’une demande reconventionnelle. Ces données sont répertoriées au tableau 6. Dans la très forte majorité des cas, c’est le ou la propriétaire. Son recours prend appui sur l’article 1971 du Code civil. Il ou elle réclame la résiliation du bail, suivant un retard de trois semaines ou plus dans le paiement du loyer.
Les locataires présentent une demande dans différents contextes, dont celui de la rétractation de jugement. La locataire plaide alors n’avoir jamais reçu de convocation au tribunal et conteste la condamnation subie[75].
Ces statistiques, répertoriées au tableau 6, et la place prédominante des propriétaires en demande expliquent pourquoi 1974.1 est principalement utilisé en défense.
3.2.5 Un article globalement inefficace
L’« efficacité » que nous avons pu mesurer correspond à une acception très restreinte. Tel que répertorié au tableau 7, nous avons considéré comme efficaces des décisions qui citaient l’article 1974.1 et à l’intérieur desquelles ce dernier a permis la résiliation du bail pour la locataire, dans le contexte de la procédure devant la Régie du logement. Malgré cette efficacité, les conséquences financières demeurent significatives pour la locataire. En plus de l’obligation de payer deux ou trois mois de compensation et la possible responsabilité solidaire, la charge financière s’alourdit, s’il y a eu un délai entre le moment de la réception de l’avis par le ou la propriétaire et celui de la remise de l’attestation. Par ailleurs, l’article 1974.1 ne libère pas des arrérages passés ni de leurs intérêts, pas plus que de l’indemnité additionnelle prévue dans l’article 1619 du Code civil. Dans presque tous les cas, la locataire doit payer, même si elle a respecté l’ensemble de la procédure.
La « non-efficacité » d’une décision signifie que l’article 1974.1 n’a pas permis de résilier le bail de la locataire. Dans ces cas, c’est alors le régime traditionnel du bail résidentiel qui s’applique, peu importe la situation de violence ou d’agression vécue par la locataire[76]. Cette non-efficacité résulte principalement de trois cas de figure :
-
Premièrement, il est question d’une procédure incomplète : il manque alors soit l’avis, soit l’attestation. Dans ce cas, la protection de l’article 1974.1 devient complètement inutile[77] ;
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Deuxièmement, l’article 1974.1 n’a carrément pas été invoqué par la locataire ;
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Troisièmement, il y a concurrence des délais entre les trois semaines découlant de l’article 1971 du Code civil et la période de deux à trois mois de l’article 1974.1. Dans ces exemples, le délai le plus court de l’article 1971 aura prédominance, au détriment des locataires. Conséquemment, le bail sera résilié pour non-paiement de loyer.
Notre conclusion, tirée des données disponibles du tableau 7, est donc que l’article 1974.1 est inefficace dans la majorité des cas devant la Régie du logement et que le plus haut taux d’efficacité annuel se situe à 57 %.
Finalement, l’une des parties était représentée par un avocat ou une avocate dans 16 des 192 décisions analysées (8 %). Sans pour autant y voir une corrélation directe, nous nous questionnons sur le manque de diversité dans les stratégies argumentaires des parties, plus précisément des victimes de violences ou d’agression. Le manque de référence à d’autres articles du Code civil, tels que le droit du louage et des obligations en général, pourrait être le résultat d’une méconnaissance de leurs droits par les locataires. Cependant, les données recueillies ne nous permettent pas d’approfondir cette hypothèse.
4 Critiquer le droit en vigueur en vue d’améliorer le droit des femmes
Nous nous concentrerons maintenant sur la portion qualitative de notre analyse féministe de l’article 1974.1. À partir du cadre conceptuel élaboré précédemment autour de la notion de « contrôle coercitif » et de « surresponsabilisation de la victime », nous examinerons trois aspects liés au droit administratif et au droit civil. En premier lieu, nous développerons une critique de la procédure, telle qu’elle a été imposée par le législateur et mise en application par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). En deuxième lieu, nous mettrons en lumière différentes failles dans le processus décisionnel de la Régie du logement. En troisième et dernier lieu, nous relèverons des incohérences qui concernent l’article 1974.1 à l’aune du droit général des obligations.
4.1 Une procédure inappropriée sur le plan humain et juridique
La procédure établie par l’article 1974.1 est complexe et intrusive[78]. Pour démontrer cet état de fait, nous décrirons d’abord les nombreuses étapes imposées par le libellé de cet article. Nous décortiquerons en particulier les deux éléments prévus par la procédure, soit l’avis et la demande d’attestation. Ensuite, nous expliquerons la raison pour laquelle le DPCP doit analyser les demandes. Enfin, nous proposerons des solutions en vue de simplifier les exigences procédurales afin de respecter davantage la vie privée des victimes et de créer une meilleure correspondance entre le libellé de l’article et l’intention recherchée lors de son intégration au Code civil.
4.1.1 Le long parcours de la combattante
Une locataire qui souhaite utiliser l’article 1974.1 pour résilier son contrat de bail devra faire plusieurs démarches. La procédure imposée n’a pas pour objet de lui simplifier la tâche, bien au contraire. Elle devra accepter de révéler beaucoup de détails sur sa vie privée de même que sur la personnalité et le potentiel de dangerosité de l’agresseur. Elle devra fournir tous les renseignements exigés, et ce, qu’elle souhaite ou non porter plainte au criminel, parallèlement à sa démarche de résiliation de bail en droit civil. Nous verrons en détail le contenu de l’avis et les répercussions des renseignements exigés pour remplir la demande d’attestation.
4.1.1.1 Un avis inutilement intrusif
La locataire qui choisit de quitter son appartement pour assurer sa sécurité, en cas de violence ou d’agression, doit remettre un avis écrit[79] au ou à la propriétaire. Cet avis est un formulaire qu’elle peut télécharger depuis le site Web de la Régie du logement[80]. Il comprend plusieurs informations sur les motifs de la demande. D’abord, la locataire doit préciser si la source de la violence provient du conjoint ou d’un ex-conjoint ou encore si elle a subi une agression sexuelle commise « même par un tiers ». Elle doit spécifier si c’est sa propre sécurité qui est menacée ou bien celle d’un ou d’une enfant qui habite avec elle. Il nous apparaît intrusif et inutile d’indiquer autant de détails car le ou la propriétaire, comme nous le verrons ci-dessous, ne pourra remettre en cause l’évaluation faite par un officier ou une officière du DPCP[81]. Afin de respecter la vie privée de la locataire, l’avis devrait plutôt indiquer que la situation fait partie des exceptions prévues par l’article 1974.1 sans autres détails.
À noter que la réalité ne correspondra pas toujours aux trois cas de figure retenus dans l’article 1974.1. Par exemple, une personne rencontrée en ligne et vue à quelques reprises correspond-elle à la définition d’un conjoint[82] ? Si elle est plutôt assimilable à un tiers, il serait limitatif que les actes violents qui donnent ouverture à l’application de cet article doivent être des agressions sexuelles. D’après le formulaire d’avis qui divise le libellé de cet article en trois catégories d’agresseurs, la victime qui craindrait un tiers menaçant ou harcelant ne pourrait évoquer cette crainte pour résilier son bail en vertu de cet article. Selon toute vraisemblance, cette catégorisation implique une agression à caractère sexuel si un tiers est en cause, à moins que cette expression ne soit interprétée très largement, ce qui ne se présume pas sans définition. Or, l’avis et l’attestation ne contiennent aucune définition des mots violence et agression à caractère sexuel. Enfin, notre examen de la jurisprudence ne nous a pas permis de clarifier davantage ce que les termes agression à caractère sexuel englobent, les motifs qui justifient l’envoi de l’avis n’étant pas analysés dans les décisions rendues. Ce flou important sur le sens des termes employés et sur la distinction factice entre les gestes commis par un conjoint ou un ex-conjoint, d’une part, et un tiers, d’autre part, remet en cause le libellé même de l’article 1974.1[83]. L’énumération aurait pu être formulée ainsi : en raison de la violence, y compris d’une dynamique de contrôle coercitif, ou des agressions à caractère sexuel, d’un conjoint, d’un ex-conjoint ou d’un tiers.
L’avis doit être soumis, selon la loi, en même temps que l’attestation. Notre analyse jurisprudentielle montre que l’attestation n’est pas toujours remise au ou à la propriétaire au même moment que l’avis. En réalité, c’est rarement un processus planifié où la locataire réunit toutes les pièces à l’avance. Selon la jurisprudence consultée, il peut s’écouler de quelques semaines à quelques mois entre l’envoi de l’avis et celui de l’attestation. Comme nous l’avons vu précédemment, le délai initial de deux mois, prévu dans le Code civil pour obtenir la résiliation du bail à la suite de l’envoi de l’avis, peut devenir plus important. En effet, il ne commencera à courir qu’après réception de l’attestation, même si le ou la propriétaire a déjà reçu l’avis[84]. Aucune obligation d’entreprendre des démarches pour relouer le logement ne lui est imposée durant la période d’attente, et il ou elle pourra réclamer les loyers[85].
4.1.1.2 Une attestation aux frontières du droit civil et pénal
Afin d’obtenir l’attestation, la locataire devra remplir un formulaire qu’elle trouvera sur le site Web du ministère de la Justice[86] ou en format papier dans différents établissements publics. Elle devra fournir une copie du bail avec sa demande, bien que le Code civil n’impose pas de bail écrit. Cette obligation ne respecte pas la hiérarchie des normes, puisque la directive comporte un critère que sa loi habilitante n’impose pas. Alors que la situation de la locataire s’avère conforme au droit en vigueur, il n’est pas clair de savoir si sa demande d’attestation sera analysée si elle n’y joint pas un bail écrit. Le formulaire prévoit une description des faits survenus, sauf si la locataire a déjà porté plainte à la police pour les mêmes événements. Elle devra donner des détails sur les motifs qui lui font craindre pour sa sécurité ou celle de son enfant et autoriser la personne qui gère le dossier à communiquer avec toute personne pouvant détenir des renseignements utiles au traitement de la demande.
L’officier ou l’officière doit évaluer le risque de dangerosité à partir de la directive produite par le DPCP[87]. Il lui est possible de refuser de fournir l’attestation si, à son avis, les faits soumis ne rendent pas ce risque assez sérieux. De plus, la présence de personnes mineures pourrait imposer un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse sans que le formulaire permette à l’officier ou à l’officière de connaître l’ensemble des faits concernant la situation de l’enfant. Ce potentiel signalement peut générer des démarches supplémentaires pour la locataire, ce qui risque de complexifier la situation à un moment critique de sa vie[88]. Du point de vue de la victime, la lourdeur administrative de ces processus entremêlés peut la faire reculer dans ses démarches et avoir l’effet de favoriser son déguerpissement ou son maintien involontaire dans la situation à risque. Sous l’angle du respect des droits, cette procédure nuit notamment à sa vie privée, à son autorité parentale et à sa liberté.
Enfin, l’officier public ou l’officière publique doit procéder avec célérité à l’évaluation de toute demande. Ce terme vague n’a pas été défini[89] à l’article 1974.1 ni dans les directives. Il n’y a donc aucun délai précis à respecter pour renvoyer le document à la locataire. Lors des débats parlementaires à ce sujet, Louise Riendeau, porte-parole du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, considérait que le délai de trois mois pourrait être dépassé en raison de l’attente pour recevoir l’attestation[90]. Ce délai flou risque de prolonger les obligations contractuelles de la locataire envers son ou sa propriétaire et induit un danger pour sa sécurité. Une modification législative pourrait prévoir qu’une attestation reçue dans un délai de trois mois suivant l’envoi de l’avis serait considérée comme reçue rétroactivement au même moment que l’avis. Cette modification accorderait le temps nécessaire au DPCP afin de procéder aux évaluations correctement, sans obliger la locataire à porter le fardeau financier des délais.
De plus, le processus actuel minimise la compétence et la crédibilité des personnes-ressources et des spécialistes qui accompagnent la locataire et qui pourraient témoigner de la situation. L’attestation pourrait être supprimée du processus et remplacée par une lettre d’un organisme qui travaille auprès des victimes de violence conjugale ou qui fait partie du réseau de la santé et des services sociaux. C’est d’ailleurs la solution retenue dans le Règlement sur l’attribution des logements à loyer modique[91]. Lors des débats parlementaires, le représentant de la Société d’habitation du Québec (SHQ) a rappelé que la violence conjugale était une priorité dans le mode de sélection des locataires et dans leur transfert d’édifice. Il mentionnait que la preuve de cette situation pouvait être faite par tout moyen. La locataire, en justifiant sa demande grâce à un écrit d’un organisme de soutien, serait en contrôle du processus et ferait commencer plus rapidement les délais.
La SHQ n’était pas seule durant les débats parlementaires à soutenir une procédure simplifiée. Les groupes de femmes insistaient pour que les personnes désignées par le Code civil connaissent les dynamiques de violences. Durant les débats parlementaires, seule la CORPIQ a fait la demande expresse que les démarches d’évaluation du risque soient menées par une instance de nature pénale, externe à la Régie du logement :
[N]ous voulons nous assurer que l’attestation sera délivrée par des personnes qui auront les compétences nécessaires pour évaluer le risque réel […] Rien par contre nous confirme […] qu’une autorité compétente en la matière sera impliquée dans le processus. Nous aimerions avoir la garantie de la part du ministre de la Justice que les services policiers et les services du Procureur général du Québec vont être impliqués dans la procédure[92].
Comme nous l’avons vu précédemment, le système criminel n’est pourtant pas conçu pour assurer une protection des droits des victimes dans plusieurs cas de violence conjugale. Certes, l’article 13 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales[93] autorise le DPCP à exercer « toute autre fonction qui lui est confiée par le procureur général ou le ministre de la Justice », telle l’évaluation de l’attestation. Malgré ce pouvoir légal, la question se pose à savoir si le DPCP est l’instance la plus compétente pour évaluer le niveau de dangerosité d’une personne qui n’est pas témoin dans une cause criminelle.
Ce choix peut aussi être contestable parce qu’une frange importante des victimes pourra être laissée pour compte. Ainsi, les représentantes des groupes de femmes ont fait état, durant les débats parlementaires, des difficultés supplémentaires que représentent les procédures actuelles pour des femmes marginalisées qui parviennent plus difficilement à s’organiser afin de réaliser les démarches prévues[94]. Le point de vue de ces groupes est soutenu par des données[95] qui démontrent que les femmes qui ont des problèmes de santé ou de consommation et qui sont sans emploi sont plus à risque en matière de violence et moins enclines à porter plainte. Ainsi, la complexité des procédures accentue la vulnérabilité de celles qui auraient le plus besoin d’être protégées par une disposition d’exception au droit civil.
4.1.2 Des directives issues d’une instance criminelle et pénale plus exigeantes que les normes civiles
Nous verrons maintenant que les procédures administratives vont au-delà des exigences de la loi et que le recours à un officier ou à une officière qui travaille en droit criminel rend le processus inadapté à l’habituel cloisonnement entre le droit civil et le droit criminel.
Selon la hiérarchie des normes, une loi devrait toujours avoir préséance sur une directive administrative qui en découle. Au moment où nous avons commencé nos recherches, il existait une directive d’application de l’article 1974.1 au DPCP, qui a été abrogée le 16 novembre 2018[96]. À la suite d’une demande effectuée par courriel en avril 2020 au DPCP, nous avons reçu confirmation qu’une nouvelle politique devait bientôt être appliquée. La nouvelle directive[97] a effectivement été mise en vigueur le 10 juin 2020. Cependant, elle comporte les mêmes éléments problématiques que la directive précédente quant au respect de la hiérarchie des normes.
La nouvelle directive reprend les termes de l’article 1974.1 et prévoit que les renseignements fournis par la locataire doivent être accompagnés d’éléments de faits ou de documents provenant de personnes en contact avec elle et appuyant sa déclaration. La directive détaille ensuite les types de documents qui doivent être fournis avec le formulaire. À noter que le libellé de 1974.1 n’oblige pas la présentation d’un document corroborant les dires de la locataire. Il y est simplement écrit ceci : « sur le vu d’autres éléments de faits ou de documents ». Le terme employé étant « ou », et non « et », les éléments de faits supplémentaires devraient suffire. Selon ce libellé, il serait conforme et acceptable d’indiquer par exemple qu’une voisine a reçu des confidences sur les abus vécus, qu’elle a entendu des échanges ou vu des situations à risque. Pourtant, selon la directive en vigueur, une telle corroboration ne semble pas acceptable pour analyser la demande d’attestation.
Nous avons demandé au DPCP, par courriel en avril 2020, si une plainte à la police ou un document d’une tierce personne faisant partie du réseau des services sociaux ou de santé devaient absolument accompagner l’attestation pour que la locataire reçoive une réponse positive. Aucune confirmation ne nous a été transmise à cet égard. Une autre demande est restée sans réponse dans nos échanges de courriels concernant l’obligation de fournir un bail écrit, comme nous l’avons mentionné dans la section 4.1.1. Si un bail écrit est obligatoire, les procédures exigées par les directives vont au-delà des exigences imposées par la loi, puisque le Code civil ne l’impose pas. Ainsi, des attestations pourraient être refusées parce que la locataire n’a pas fourni un document d’un organisme spécifié dans la directive[98] ou n’a pas déposé un bail écrit. Enfin, soulignons qu’il n’y avait pas de balises administratives formelles qui guidaient la décision du personnel du DPCP de novembre 2018 à juin 2020, aucune directive n’étant en vigueur durant cette période.
4.1.3 Des procédures qui remettent en question le cloisonnement des normes du droit civil et criminel
La nouvelle directive spécifie, tout comme l’ancienne, qui joue le rôle d’un officier public ou d’une officière publique[99]. Concrètement, c’est donc un procureur ou une procureure de la Couronne qui doit autoriser l’attestation, alors que le Code civil n’impose pas à la victime qu’un acte criminel ait été commis pour réclamer la résiliation de son bail. Il y a là un décloisonnement entre le droit civil et le droit criminel qui crée de la confusion sur les intentions de la locataire.
En effet, la demande d’attestation fait plusieurs liens avec une plainte qui pourrait être déposée à la police, alors que les données probantes sur la violence et les agressions confirment que le phénomène se révèle beaucoup plus important que les cas dénoncés aux autorités[100]. Il faut donc user de prudence au moment d’évaluer une situation où aucune plainte n’est déposée. Cela ne signifie pas que la sécurité de la locataire est moins menacée. Rappelons que l’intention du législateur est de permettre à la locataire de rompre des liens contractuels qui nuisent à son patrimoine si elle doit se reloger. L’inciter à faire une dénonciation à une instance criminelle pour favoriser la résiliation de son bail porte atteinte à son libre arbitre. La locataire est la mieux placée pour évaluer les risques entourant le dépôt d’une plainte[101]. Des procédures en droit civil ne devraient pas lui forcer la main afin qu’elle entame des procédures pénales si elle n’est pas prête à agir en ce sens ou ne souhaite pas les entreprendre. Cette interprétation selon laquelle il y a incitation à la dénonciation ne repose pas seulement sur une analyse des dispositions prévues. Elle s’appuie également sur les propos du ministre de la Justice Yvon Marcoux, tenus lors des débats parlementaires, où il affirmait qu’un des objectifs visés par l’intégration de l’article 1974.1 au Code civil était d’inciter les victimes à porter plainte aux autorités judiciaires et d’augmenter le taux de maintien des poursuites criminelles pour cause de violence conjugale[102].
Comme nous l’avons vu ci-dessus, les procédures prévues dans l’article 1974.1 favorisent la dénonciation d’un acte reconnu par le droit criminel. Ces procédures correspondent au modèle des « incidents violents », qui est mal adapté aux connaissances actuelles relativement aux stratégies de contrôle[103] qui engendrent la violence et ses effets sur la victime. Ce modèle insiste, redisons-le, sur les sévices infligés et repousse les limites du seuil de violence, car il met l’accent sur les manifestations qui portent atteinte à l’intégrité physique de la victime. Les critères pour obtenir cette attestation sont adaptés à des agresseurs qui représentent un grand potentiel de dangerosité et à l’évaluation du risque des sévices physiques qu’ils peuvent infliger plutôt qu’à un examen de leur prise de contrôle sur la vie de leur victime dans différentes sphères du quotidien, comme l’économie du ménage, les rapports sexuels, l’éducation ou le contrôle de la liberté de sortie. La recherche démontre que le plus haut niveau de dangerosité pour une femme prise dans l’engrenage de la violence se situe au moment où elle souhaite en sortir, car cela démontre à son partenaire qu’il n’a plus de contrôle sur elle[104]. La décision de partir se révèle cruciale dans une dynamique de violence[105]. Elle doit être soutenue par des moyens simples et rapides qui favorisent une prise de décision autonome de la locataire. La complexité des procédures ne tient pas compte du fait que la victime est sous l’emprise de toutes sortes de moyens de contrôle qui limitent sa capacité d’action et sa prise de décision autonome.
En outre, nous avons observé plus haut que les procédures imposées multiplient les étapes[106] afin que la locataire fasse la démonstration des faits qui justifient sa demande en vertu de l’article 1974.1. Faut-il rappeler qu’en droit civil et devant la Régie du logement le standard de preuve n’est pas hors de tout doute raisonnable[107] ? En effet, le tribunal doit décider en fonction des faits et de la preuve entendue selon la balance des probabilités[108]. Soulignons que, dans la jurisprudence analysée, le tribunal considère que la réception de l’attestation fait foi de la situation : il n’est donc pas ouvert à entendre des éléments de preuve qui la remettrait en cause. Cette façon d’interpréter la preuve n’est pas celle du droit civil. Ladite preuve devrait pouvoir être contestée, et le tribunal devrait en tenir compte selon la balance des probabilités.
Considérant cela, les procédures prévues dans l’article 1974.1 imposent à la locataire de faire une preuve des événements qui ressemble à une preuve hors de tout doute raisonnable, et ce, pour résilier un bail. Précisions de nouveau que, pour obtenir cette attestation, la locataire doit remplir un formulaire qui détaille les motifs pour lesquels elle souhaite résilier son bail. Son attestation assermentée doit ensuite être accompagnée d’une lettre d’un organisme public crédible qui confirme ses dires. L’exigence de cette double preuve est discutable d’abord parce qu’elle laisse supposer que la parole de la locataire n’est pas suffisante pour être crue, ensuite parce que réclamer deux preuves donne l’impression qu’il ne peut subsister aucun doute sur la survenance des faits ou sur leur interprétation comme étant de la « violence conjugale » ou une agression sexuelle. Enfin, présenter une demande à un officier ou à une officière, généralement procureur ou procureure de la Couronne, participe à cette confusion entre le droit civil et le droit criminel. Puisque la personne en autorité vient d’un système de droit distinct du droit administratif, on peut se demander d’après quel fardeau de preuve les faits sont analysés par le DPCP : selon la balance des probabilités ou hors de tout doute raisonnable ?
En faisant un parallèle avec la cession de bail[109], la locataire pourrait par exemple envoyer un avis, accompagné d’une lettre d’un groupe de soutien. Ensuite, si le ou la propriétaire avait un motif sérieux de douter des faits relatés ou de l’appui reçu par le groupe, il lui serait possible de contester l’avis devant la Régie du logement. Si celle-ci lui donnait raison après analyse des preuves présentées, le départ de la locataire pourrait être considéré comme un déguerpissement. Cette façon de faire harmoniserait les démarches imposées dans l’article 1974.1 à d’autres dispositions en vue de résilier le bail, allégerait les démarches pour la locataire et favoriserait sa sécurité.
4.2 Le Droit administratif : failles du processus décisionnel et pouvoirs des régisseurs et des régisseuses
La Loi sur la justice administrative[110] a été adoptée en 1996 après la diffusion des recommandations du Rapport du Groupe de travail sur certaines questions relatives à la réforme de la justice administrative[111]. Elle crée deux catégories d’instances administratives au Québec, selon les fonctions remplies par les organismes auprès de la population. La première catégorie regroupe les instances qui ont une fonction administrative et doivent agir selon un critère d’équité envers les usagers et les usagères. La seconde catégorie d’instances sera considérée comme des tribunaux administratifs et devra avoir une procédure souple, tout en maintenant un standard d’impartialité et d’indépendance plus proche des tribunaux de droit commun[112]. La Régie du logement[113] appartient à la seconde catégorie : son niveau d’indépendance est plus élevé que celui d’autres instances administratives, et c’est pourquoi elle peut être vue comme un tribunal quasi judiciaire.
Les juges du droit administratif doivent appliquer les principes d’équité et de justice naturelle. En vertu de ces derniers, leur rôle consiste à offrir une audience équitable et impartiale[114]. De plus, au Québec, la Charte québécoise[115] fournit des garanties aux citoyens et aux citoyennes, concernant le principe d’impartialité devant les tribunaux administratifs. À la lumière de ces garanties, il nous est apparu contestable qu’une procédure puisse imposer une prise de décision sur dossier, par le DPCP. Cette étape préalable à l’audience de la Régie du logement s’avère la décision déterminante pour l’issue de la cause. D’autant plus que, selon la jurisprudence que nous avons analysée, ces décisions du DPCP ne sont jamais remises en cause, malgré la preuve soumise lors de l’audience. Au départ, c’est cet élément qui a motivé l’analyse de la disposition au regard du droit administratif. En développant notre analyse, nous avons constaté, par ailleurs, que certains choix effectués par le tribunal administratif restreignaient également une application optimale de la disposition.
Nous verrons d’abord ci-dessous l’incidence des procédures choisies par le législateur sur l’indépendance du tribunal administratif. En effet, le recours au DPCP ne permet pas une interprétation de l’ensemble des faits par la Régie du logement et leur mise en cause par les justiciables. Ensuite, nous expliquerons la raison pour laquelle l’article 1974.1 n’offre pas une protection optimale aux victimes en raison de l’interprétation restrictive de la disposition. Enfin, nous soulèverons quelques constats concernant la gestion des audiences.
4.2.1 Une procédure qui limite la Régie du logement dans ses fonctions quasi-judiciaires et restreint les garanties procédurales offertes aux justiciables.
Dans un rapport de gestion, la Régie du logement énonce qu’elle « décide des litiges dont elle est saisie, dans le cadre d’une procédure simple et respectueuse des règles de justice naturelle[116] ». Ce principe général du droit administratif est également précisé à l’article 12 de la Loi sur la justice administrative qui prévoit que l’instance juridictionnelle doit donner aux parties l’occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d’en débattre[117]. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la procédure choisie dans l’article 1974.1 se révèle complexe pour la victime, et elle ne lui permet pas d’être entendue par le DPCP, malgré les risques encourus pour sa vie et sa sécurité[118]. Une locataire qui voit sa demande d’attestation refusée recevra le formulaire « Refus d’attestation selon l’article 1974.1 C.c.Q.[119] ». Ce dernier ne contient aucune explication précise sur les motifs de refus. Pour sa part, la Régie du logement constate la plupart du temps l’absence d’attestation, sans chercher les raisons de cette absence. Force est de remarquer que, dans la jurisprudence analysée, le témoignage des victimes sur les faits vécus ou la présentation de preuves pertinentes (autres que l’avis et l’attestation) ne changera pas l’issue des décisions[120].
La procédure imposée par l’article 1974.1 empêche donc les victimes d’être entendues d’emblée sur les faits soumis par écrit : le DPCP pourra, seulement s’il le juge nécessaire, communiquer avec elles pour plus d’informations. Bien sûr, la locataire sera entendue par la Régie du logement mais, comme nous l’avons expliqué ci-dessus, celle-ci ne remet pas en cause un refus du DPCP en se fondant sur des éléments présentés lors du témoignage de la locataire[121]. De plus, l’analyse jurisprudentielle ne nous permet pas de savoir si le régisseur ou la régisseuse pourrait interroger l’officier ou l’officière qui aurait refusé de produire une demande d’attestation. Aucune décision ne concerne ce type de témoignage. Selon la politique[122] qui encadre la délivrance de l’attestation, il est prévu qu’un refus de remettre l’attestation doit être suivi de l’envoi à la requérante d’un formulaire de refus[123]. Il est également indiqué que la personne qui a évalué les documents doit se rendre disponible pour répondre aux questions de la requérante. À la lumière de ces informations et en l’absence de toute référence à un appel possible de la décision rendue, il faut en conclure que la requérante insatisfaite de la décision ne pourrait que recourir au dépôt d’une plainte selon les procédures habituelles du DPCP[124] pour manifester son mécontentement.
Une autre situation problématique se pose si le débat n’est pas possible entre la locataire et le ou la propriétaire concernant la décision prise par le DPCP, car cette absence de débat contrevient à l’article 12 de la Loi sur la justice administrative. Enfin, aucune procédure de contestation du refus du DPCP n’est prévue dans l’article 1974.1, malgré les droits fondamentaux des victimes qui peuvent être ainsi touchés. En somme, sur la base d’une évaluation des faits externe au tribunal qui prendra la décision, et sans tenir compte des éléments de preuve soumis lors de l’audience, la démonstration de l’envoi d’un avis et de l’attestation scelle l’issue de l’audience.
La décision du DPCP qui octroie ou refuse l’attestation est si déterminante qu’à notre avis elle remet en cause la fonction quasi judiciaire de la Régie du logement. Nous l’avons expliqué plus haut, le rôle du régisseur ou de la régisseuse est de vérifier si les démarches procédurales ont été réalisées, comme ce serait le cas pour un ou une fonctionnaire, par exemple, au moment de délivrer un permis de construction. Très peu de décisions analysent la survenance des violences ou des agressions[125]. À vrai dire, les décisions ne font pas l’analyse des preuves qui ont permis au DPCP de rendre une décision, et aucune ne renverse une décision prise par ce dernier. Les décisions que nous avons analysées concernent davantage l’absence d’attestation, ce qui empêche toute possibilité d’obtenir la résiliation du bail[126]. Les dispositions juridiques qui encadrent le fonctionnement de la Régie du logement et les principes du droit administratif lui accordent une indépendance décisionnelle, que la procédure mise en place dans l’article 1974.1 ne lui permet donc pas d’exercer. Dans la décision rendue dans l’affaire Lanctôt c. Cloutier, la régisseuse écrira ceci : « Or, comme il a été expliqué à la locataire, l’issue du présent litige ne tient pas au fait que la locataire aurait été victime de violence ou non, mais uniquement sur le fait qu’elle aurait rempli ou non les exigences de l’article 1974.1 du Code civil du Québec[127]. » Cette interprétation démontre un manque d’articulation du droit, si une procédure de droit civil ne permet pas à un tribunal administratif de jouer pleinement son rôle, en interprétant les faits selon son propre cadre normatif.
4.2.2 Les effets délétères de l’interprétation et de la gestion des dossiers sur la mise en oeuvre de l’article 1974.1 C.c.Q.
Selon une étude exhaustive portant sur la justice administrative québécoise, l’indépendance des régisseurs et des régisseuses se trouve bien garantie par une procédure réglementaire de sélection[128]. Toutefois, selon la même étude, il existe des lacunes concernant la prise de décision au sein des tribunaux administratifs, que nous avons aussi constatées. À la suite de notre analyse jurisprudentielle, nous concluons, tout comme le fait l’étude de Pierre Noreau et France Houle, que la qualité des compétences techniques ne suffit pas pour prononcer un jugement qui respecte les principes du droit administratif[129].
Dans le cas spécifique de l’article 1974.1, les problèmes d’interprétation relativement au fonctionnement du droit administratif sont d’abord liés au libellé même de l’article, puisqu’il retire à la Régie du logement sa capacité d’interpréter l’ensemble des faits. Ensuite, les problèmes interprétatifs se situent à un autre niveau : la Régie du logement réduit sa capacité d’interprétation en analysant la preuve de manière très étroite et rédige des décisions fort peu détaillées.
L’analyse globale de la jurisprudence de l’article 1974.1 permet de conclure à une interprétation stricte de la disposition. Ainsi que nous l’avons exposé précédemment[130], cet article est considéré par la Régie du logement comme une mesure d’exception au droit des contrats[131]. À l’image de toute mesure qui contrevient aux principes généraux du droit civil, elle est interprétée restrictivement. Bien que la Régie du logement n’erre pas en interprétant ainsi une mesure exceptionnelle selon le droit civil, elle aurait pu élargir son interprétation car, à titre de tribunal administratif, elle se voit soumise aux règles interprétatives de ce droit spécifique. Elle aurait très bien pu s’appuyer sur l’article 11 de la Loi sur la justice administrative. En effet, la Régie du logement est responsable de la conduite de l’audience. La Loi sur la justice administrative l’énonce d’ailleurs en ces termes : « [Elle] doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit[132]. »
L’expression « Mener les débats avec souplesse » ne va pas dans le sens d’une interprétation restrictive. Comme le souligne Yves Ouellette, l’intérêt « d’attribuer des pouvoirs décisionnels à un tribunal administratif plutôt qu’aux cours de justice, c’est […] une culture décisionnelle différente, moins formaliste et solennelle que le processus judiciaire[133] ». Ainsi, la nature du droit administratif est de rendre la justice accessible pour le justiciable, et ce, tant par la forme que sur le fond. Faire apparaître le droit peut sembler une tournure vieillie, mais cela implique de fonder sa décision en ayant à l’esprit l’intention du législateur lorsqu’il a choisi d’intégrer un article au droit. En ce qui concerne l’article 1974.1, les intentions de protection des victimes étaient clairement nommées par le législateur. L’interprétation très restrictive de cet article par la Régie du logement cadre mal avec cet objectif de protection : elle privilégie plutôt une interprétation civiliste dans un contexte juridique administratif qui souhaite s’affranchir d’un formalisme strict, imposé par les principes civilistes.
En outre, sans porter un jugement sur les qualités individuelles des régisseurs et des régisseuses, nous tenons à souligner que leur indépendance d’esprit ne ressort pas comme un facteur déterminant de notre analyse[134]. Pourtant, selon Pierre Noreau et France Houle, il faut insister sur les capacités de communication, de contextualisation et de pragmatisme des personnes en position d’autorité dans les tribunaux administratifs. Ces habiletés les rendent plus aptes à rendre des décisions justes et équitables. Cependant, à la lumière des décisions que nous avons lues, lesdites habiletés ne ressortent pas, car les jugements sont très similaires et s’arrêtent peu aux faits en cause.
Ainsi, nous avons pu constater que de nombreuses décisions sont expéditives et font l’économie d’une analyse individualisée du cas. La formulation générique et le peu de détails sur les spécificités de chaque affaire nous portent à croire qu’une gestion managériale, dans l’idée de gérer efficacement les coûts de gestion du tribunal, peut, en partie, expliquer les décisions laconiques étudiées. Le professeur Ouellette rappelle pourtant que l’ensemble de la preuve devrait être soupesé et évalué au cas par cas, afin de s’assurer de sa fiabilité et de sa pertinence pour déterminer le bien-fondé de la cause[135]. Cette pratique du droit administratif se reflète peu dans les décisions lues, qui sont généralement très courtes et où figurent très peu d’éléments de preuve et d’analyse des faits, ce qui rend improbable la conviction que chaque décision est vraiment soupesée au cas par cas.
Souvent, il manque des informations pour comprendre les liens entre les faits et les règles de droit applicables[136]. Par exemple, les régisseurs et les régisseuses nuancent rarement leurs conclusions et omettent de citer l’article 1974.1. Si la décision n’est pas lue en entier, il s’en dégage la fausse impression que le bail est résilié pour défaut de paiement, ce qui peut nuire à la réputation d’une locataire pour un bail futur. La rapidité d’écriture des décisions entendues et la quantité de dossiers traités semblent donc être davantage au premier plan des préoccupations.
En résumé, l’analyse externe des faits, qui permet (ou non) d’obtenir l’attestation, ne respecte pas l’application de certains principes du droit administratif, notamment la possibilité de contester des preuves et d’en débattre. Cette analyse par le DPCP empêche la Régie du logement d’exercer complètement ses fonctions quasi judiciaires, car elle réduit les fonctions des régisseurs et des régisseuses à celle de fonctionnaires qui examinent si les procédures ont été remplies. De plus, une interprétation stricte de l’article 1974.1 ne correspond pas à l’esprit du droit administratif, à l’article 11 de la Loi sur la justice administrative ni à l’intention du législateur en intégrant ledit article au Code civil. Enfin, en raison de l’absence d’analyse des motivations de la locataire, il résulte de l’application de l’article 1974.1 une interprétation mécanique, centrée sur le respect des procédures, en dérogation au mode d’évaluation de la preuve en droit administratif.
4.3 Résiliation unilatérale, théorie des risques, obligation de garantie et force majeure, quatre concepts inadéquats pour lutter contre les violences à l’endroit des locataires
Nous l’avons déjà mentionné, l’article 1974.1 constitue une mesure d’exception dans le contexte de la relation contractuelle. En effet, il autorise expressément la rupture d’un contrat bilatéral, suivant la volonté d’une seule des deux parties[137]. En cela, il rompt avec le caractère irrévocable du contrat, qui découle de sa force obligatoire[138].
À notre avis, une remise en question féministe s’impose. Le Code civil, et plus particulièrement le rapport contractuel, repose sur la rencontre d’un accord de volonté[139], entre des sujets libres et égaux. Par conséquent, c’est aussi par un acte de volonté qu’une partie, autorisée par la loi, peut mettre fin à un contrat[140]. Pourtant, on table sur une fausse prémisse si l’on envisage le départ d’une locataire violentée et la nécessité de mettre fin à un contrat qui la lie comme un acte de volonté. Cela laisse sous-entendre la possibilité d’un choix construit sur un ensemble de possibles. Or, son départ n’est pas motivé par la volonté de rompre un contrat. Juridiquement, cette rupture contractuelle précoce est secondaire et surtout nécessaire à la protection de droits fondamentaux tels que le droit à la vie, à la sécurité et à l’égalité. Par conséquent, l’idée d’un acte de volonté camoufle la position de nécessité dans laquelle se trouvent les victimes. La présomption de volonté a pour effet de rendre secondaire la protection de droit fondamentaux au rapport contractuel, ce qui se révèle contraire à la hiérarchie des normes en droit positif.
Pour déconstruire le concept de résiliation unilatérale contenu à l’article 1974.1, nous procéderons en trois étapes. Dans un premier temps, nous comparerons les exigences procédurales et financières de la résiliation offerte aux locataires avec un autre scénario possible de résiliation unilatérale tiré du Code civil. Dans un deuxième temps, nous revisiterons la théorie des risques. Dans un troisième temps, nous examinerons l’utilisation possible comme moyen de défense de la force majeure pour les locataires en situation de violence à domicile et l’intensité des obligations juridiques.
4.3.1 La résiliation unilatérale en vertu de 1974.1 C.c.Q., des exigences abusives
Au sein de cette logique positiviste, l’article 1974.1 n’est pas le seul article du Code civil à offrir la possibilité de résilier de manière unilatérale un contrat[141]. Bien sûr, il est comparable à l’article 1974 en matière de louage résidentiel, mais des parallèles peuvent aussi être faits avec la résiliation unilatérale autorisée en faveur du client ou de la cliente pour le contrat d’entreprise ou de service[142]. L’intérêt analytique de cette comparaison est de faire ressortir les exigences disproportionnées prévues dans l’article 1974.1 par rapport à d’autres situations juridiques semblables. Le contraste est d’autant plus frappant que l’article en question défend l’idée de protéger une partie vulnérable, soit une victime de violence, ce qui n’est pas explicitement le cas dans d’autres contrats.
Ainsi, en matière de résiliation d’un contrat d’entreprise ou de service par l’une ou l’autre des parties, les règles ne sont pas symétriques[143]. Toute personne qui achète un bien ou un service peut résilier volontairement le contrat[144], mais pas le ou la prestataire de services qui doit avoir un « motif sérieux[145] » pour le rompre. Le client ou la cliente a l’obligation de payer au ou à la prestataire la valeur des travaux exécutés jusqu’au moment où la résiliation prend effet de même que la valeur des biens qui sera conservée[146]. Dans l’arrêt Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral[147], l’entrepreneuse Agrostis avait signé un contrat d’entretien de pelouse avec le Club de golf Balmoral. Insatisfait du travail effectué, celui-ci a résilié le contrat, alors qu’il restait plusieurs mois d’ouvrage prévus. Les honoraires pour l’entretien effectué avaient été payés. L’entrepreneuse estimait subir un préjudice étant donné la perte de ses gains futurs. Sur cette question, la Cour supérieure a refusé son argumentaire, de même que la Cour d’appel. En effet, cette dernière, à la suite des choix législatifs effectués dans le nouveau Code civil, a opté pour une interprétation restrictive. Ce faisant, elle a écarté la possibilité d’une indemnisation pour les gains futurs perdus par la prestataire de services : « Il ne faut pas perdre de vue que le client, dans le cas d’une résiliation unilatérale, exerce un droit strict que lui confère l’article 2125. Il est inconcevable de penser qu’il doit être placé dans la même situation que celui qui commet une faute contractuelle en invoquant un motif non fondé[148]. » Effectivement, la résiliation autorisée par la loi en faveur du client ou de la cliente ne repose en rien sur l’idée de la commission d’une faute[149]. Afin de maintenir l’utilité de l’article, la Cour d’appel n’a donc pas tenu compte des pertes causées par le fait d’avoir résilié le contrat. A contrario, la locataire a un fardeau financier plus important que le client ou la cliente, puisqu’elle doit tenir compte des pertes futures de son ou de sa propriétaire en lui remettant deux mois de loyer.
4.3.2 La locataire assume le risque lors d’une rupture contractuelle
L’obligation de payer une compensation de deux mois de loyer pour la locataire fait appel à la théorie des risques en droit civil[150]. En réalité, ce montant correspond à une indemnisation pour la perte de gains futurs à l’endroit du locateur ou de la locatrice.
Pour bien situer ce qu’est la « théorie des risques » en matière de droit des obligations, voyons ce qu’en disent Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin :
Lorsque le débiteur d’une obligation contractuelle n’exécute pas la prestation à laquelle il s’était engagé, deux hypothèses sont possibles : ou bien l’inexécution lui est imputable, ou bien elle ne l’est pas […] Dans le second cas[151], où le débiteur n’est pas en faute et où l’inexécution résulte d’une force majeure, la situation est plus complexe. Puisqu’il ne saurait y avoir alors de « responsabilité » pour l’inexécution […] Le premier problème est donc de savoir si le débiteur de l’obligation dont l’exécution est rendue impossible en raison d’une force majeure est, ou non, totalement libéré[152].
Tout comme le soulèvent ces auteurs, si le contrat est rompu en raison du défaut du débiteur ou de la débitrice, il importe ensuite de déterminer s’il y a eu faute ou non. S’il n’y a pas eu de faute, le défaut sera alors attribuable à une force majeure[153]. Il est tout d’abord frappant que cette théorisation des risques s’applique a priori à des situations où le débiteur ou la débitrice est en défaut. La prise en charge du risque lié à la fin d’un contrat n’appartient pas à la résiliation unilatérale, mais plutôt à des situations où le contrat est rompu en raison d’un défaut. Or, la locataire qui utilise l’article 1974.1 n’est pas, de prime abord, en défaut de paiement. La rédaction de la loi rend malgré tout la victime des violences responsable des pertes de gains futurs de son ou de sa propriétaire, sans aucune obligation corollaire pour cette personne de rechercher activement à relouer son appartement. Cela a aussi pour effet de déresponsabiliser l’agresseur des risques financiers. Ainsi, le fait de rendre la locataire seule responsable d’indemniser son locateur ou sa locatrice revêt un caractère incohérent dans la logique de la théorie des risques.
Par conséquent, nous constatons que la compensation de deux mois de loyer actuellement imposée par l’article 1974.1 crée une présomption de défaut et de faute à l’égard de la locataire pour le terme prématuré qu’elle impose au bail. Ces a priori ne correspondent pas à la réalité des victimes de violence et contredisent les objectifs d’égalité et de sécurité mis en avant lors de l’adoption de cet article en 2005.
4.3.3 Assimiler les violences commises à domicile à une force majeure, les enjeux féministes et juridiques
Dans cette dernière partie, nous visons à explorer la possibilité d’assimiler les violences vécues par les locataires à une force majeure. Celle-ci est définie « comme un événement que le débiteur ne pouvait prévoir, auquel il ne pouvait résister et qui a rendu impossible l’exécution de l’obligation[154] ». L’article 1470 al. 2 du Code civil et la doctrine considèrent que la force majeure a un caractère « imprévisible », « irrésistible » et potentiellement « extérieur à la sphère d’activités ou sous le contrôle du débiteur »[155]. Nous présenterons, dans un premier temps, certaines réserves conceptuelles à l’endroit d’une telle assimilation et, dans un second temps, le potentiel de cette stratégie.
4.3.3.1 Des réserves conceptuelles
Notre objectif est ici de concevoir un argumentaire stratégique pour libérer les locataires des risques financiers liés à la résiliation du bail, qui soit cohérent avec les outils offerts par le droit civil. Toutefois, cette partie est traversée par une tension conceptuelle. En effet, et nous le détaillerons sous peu, assimiler les violences vécues par les locataires à une force majeure se révèle problématique pour ce qui est de la théorie féministe. De plus, même au sein de la logique positiviste, cette stratégie impose d’approuver les incohérences analytiques que nous avons soulevées dans la section précédente relativement à la théorie des risques. Pour rappel, la locataire qui utilise l’article 1974.1 n’est pas en défaut, mais elle n’a pas non plus commis de faute, et la cause qui provoque la résiliation du bail est une cause extérieure sur laquelle elle n’a pas le contrôle, soit la violence d’un homme. À cet égard, et comme le soulignent des auteurs, « suivant en cela la jurisprudence, [le Code civil] assimile à la force majeure l’acte d’un tiers qui empêche l’exécution[156] » d’une obligation. Comme nous l’avons observé dans notre analyse statistique, un bon nombre des locataires qui ont plaidé leur cause en se basant sur l’article 1974.1 ou auraient pu le faire habitaient seules. Dans les circonstances, l’agresseur est effectivement un tiers dont le comportement force la locataire à mettre un terme à ses engagements contractuels. Ainsi, il semble plus cohérent, en droit positif, d’assimiler les violences à une force majeure plutôt qu’à une faute de la victime, qualification actuellement sous-entendue dans le fait de lui imposer les risques financiers de la fin du bail. Pour ajouter à l’intérêt de cette stratégie, ajoutons que la survenance d’une force majeure permet de libérer de leurs obligations mutuelles le débiteur ou la débitrice, ainsi que le créancier ou la créancière, « jusqu’à concurrence de son enrichissement[157] ». Ainsi, lorsque aucune faute n’a été commise par le débiteur ou la débitrice et que le défaut est attribuable à une force majeure, les articles 1693 et 1694 du Code civil encouragent la libération des parties, et ne soutiennent pas l’enrichissement sans cause. Dans les circonstances, cet enrichissement est au profit du ou de la propriétaire, puisque la locataire doit payer deux mois de loyer à un cocontractant ou à une cocontractante qui n’a pratiquement plus d’obligation à son égard, considérant qu’elle n’occupe généralement plus les lieux.
Malgré les apparences prometteuses en droit positif de l’assimilation des violences faites aux locataires à une force majeure, cette idée mérite une analyse plus approfondie sur le plan conceptuel. L’assimilation en question se révèle problématique dans une perspective féministe matérialiste. Premièrement, assimiler les violences faites aux femmes à une force majeure a un effet réducteur et fataliste. Souvenons-nous que la force majeure repose sur l’idée d’une situation incontrôlable socialement. Or, les violences faites aux femmes n’ont rien d’une tempête de verglas. Elles n’ont pas un caractère accidentel et hors de l’ordinaire ; au contraire, elles sont extrêmement quotidiennes. Utiliser le concept de force majeure pour les décrire, quoique cette façon de faire semble séduisante sur le plan de la stratégie juridique, ne permet pas de leur reconnaître un caractère systémique et ciblé à l’endroit d’un groupe social précis. Cette stratégie a donc un impact profond sur l’explication des causes des violences à l’endroit des femmes. En ignorant leur caractère systémique, une telle stratégie confine dans la sphère individuelle, conflictuelle et même accidentelle les violences faites aux femmes à leur domicile même.
Deuxièmement, qualifier les violences faites aux femmes de force majeure ne permet pas de reconnaître explicitement et nommément la responsabilité des agresseurs. Loin d’être une catastrophe naturelle ou un évènement fortuit (act of God), ces violences sont bel et bien le fait des hommes. Malgré les rapprochements possibles entre le fait d’un tiers et la force majeure, ainsi que nous l’avons expliqué précédemment, le caractère « imprévisible et irrésistible » reconnu à la force majeure dans le Code civil n’est pas compatible avec la mise en place graduelle et sur une longue période du contrôle coercitif.
De cette critique en découle une autre. Avoir recours à l’argument de la force majeure pour libérer les locataires victimes de violence oblige une réflexion féministe sur le concept de la personne raisonnable. Pour déterminer le caractère imprévisible d’un événement, « [l]a jurisprudence fait donc appel, encore une fois, à la notion classique, relative, de la personne raisonnablement prudente et diligente et se pose la question suivante : l’événement était-il normalement prévisible pour une telle personne placée dans les mêmes circonstances[158] ? » Il est juridiquement attendu que la personne raisonnable ne se mette pas volontairement dans une situation dangereuse qui revêt un caractère prévisible. Le critère de l’« imprévisibilité » est pratiquement vicié d’emblée. Comme nous l’avons exposé plus haut, le climat de violence dans le contexte de la conjugalité se construit graduellement. En ce sens, pour une personne extérieure à la relation de pouvoir, la violence pourrait revêtir un caractère prévisible, en apparence du moins. Si tel était le cas, la « raisonnabilité » attendue d’une locataire en situation de violence est fortement discutable et devrait absolument être évaluée avec prudence et une importante considération pour le contexte résultant de la dynamique de violence conjugale. En effet, les stratégies multiples de contrôle employées diminuent la capacité de la victime à exprimer ses choix et à prendre ses propres décisions, même dans un contexte qui la met en danger. L’utilisation d’un modèle féministe de l’analyse des violences devient d’autant plus nécessaire dans les circonstances.
Ces critiques féministes mettent l’accent sur le caractère inapproprié de l’appareillage théorique actuellement élaboré dans le Code civil pour défendre l’égalité des femmes et assurer leur sécurité à domicile.
4.3.3.2 Des ouvertures stratégiques
Malgré les nombreux problèmes conceptuels que nous avons soulevés jusqu’ici, nous aborderons maintenant, sur le plan de la pratique du droit positif, la manière dont la force majeure représente une défense intéressante pour décrire les violences à l’endroit des locataires
Considérer la force majeure, à titre de motif d’exonération, dépend d’abord et avant tout de l’intensité de l’obligation, comme le soulignent les professeurs Baudouin et Jobin[159]. Effectivement, cette défense n’est admissible que pour les obligations de moyen et de résultat : elle ne serait donc pas acceptable pour les obligations de garantie. En permettant la résiliation du bail, l’article 1974.1 vise à libérer la locataire de l’ensemble de ses obligations. Or, son obligation la plus importante est très certainement celle de payer un loyer, car c’est « l’essence même du contrat de bail[160] ». Selon nos recherches, l’intensité de l’obligation du ou de la locataire de payer son loyer n’a pas été explicitement qualifiée dans la doctrine ni dans la jurisprudence. Il est donc difficile d’établir incontestablement si elle est considérée comme une obligation de garantie. Toutefois, les auteurs qualifient « l’obligation de payer une somme d’argent[161] » de garantie. Cette qualification a d’abord été faite par Paul-André Crépeau en 1989[162] et reprise par Didier Lluelles et Benoît Moore[163].
Le fait que le paiement du loyer est probablement une obligation de garantie pourrait expliquer l’imposition du paiement de deux mois de loyer. Vue sous cet angle, la résiliation unilatérale autorisée par l’article 1974.1, parce qu’elle entraîne la libération d’au moins une obligation de garantie (le paiement du loyer) d’une cocontractante (la locataire), nécessite que celle-ci assume les risques associés à ce terme prématuré. Cependant, une telle logique contractuelle civiliste se révèle problématique à plusieurs égards. Tout d’abord, le fait d’assimiler le paiement du loyer à une obligation de garantie est hypothétique, dans les limites où cette qualification n’a pas été clairement nommée par la loi ou devant les tribunaux. Plus encore, maintenir l’intensité d’une obligation de garantie à l’endroit d’une locataire en situation de violence semble en opposition avec les objectifs législatifs d’égalité qui soutiennent l’adoption de l’article 1974.1. Cela a alors pour effet de nuire à la protection de droits fondamentaux des locataires. Par conséquent, cette conception rigide du droit des obligations semble non conforme à la hiérarchie des normes, en priorisant un principe du droit civil au lieu des droits enchâssés dans les chartes canadienne et québécoise.
À première vue, traiter l’obligation de payer le loyer comme une obligation de garantie disqualifie nécessairement l’usage d’une défense fondée sur la force majeure. Le seul motif d’exonération possible en cas de défaut d’une obligation de garantie est le fait du créancier. Dans les circonstances, cela signifie qu’une locataire pourrait résilier son bail et être libérée complètement du paiement de son loyer seulement lorsque le locateur est aussi l’agresseur. Dans ce cas, le créancier se trouve alors responsable de la nécessité de mettre fin prématurément au contrat. Limitée à ce seul scénario, la possibilité de se décharger de son obligation devient extrêmement restreinte pour la locataire.
Or, cette incompatibilité relevée par la doctrine entre une obligation de garantie et une défense fondée sur la force majeure n’est pas immuable devant les tribunaux. Parfois, les juges témoignent d’une ouverture sur le plan de l’interprétation. Nos recherches, qui ne revêtent pas un caractère exhaustif sur la question, nous ont permis d’identifier deux décisions de la Cour supérieure qui assimilent des agressions physiques à des situations de force majeure[164]. Une autre décision reconnaît qu’une agression peut être assimilée à une force majeure, mais la juge estime alors que le défaut du débiteur et de la débitrice n’est pas dû à cette agression[165]. Dans la décision 9151-4562 Québec inc. c. Benrouayene[166], la juge résilie un bail ainsi que la promesse d’achat qui en découlait et rejette une réclamation pour des arrérages de loyer. Elle libère ainsi complètement la débitrice de ses obligations à l’endroit d’une société par actions, dont le seul actionnaire était l’ex-conjoint violent de la défenderesse. Dans ce jugement, les violences subies par la plaignante sont assimilées au fait du créancier, défense acceptée en matière d’obligation de garantie, et qui exonère la débitrice de toute responsabilité.
Nous n’avons pas trouvé de décision concernant directement la libération du paiement du loyer de la partie locataire à la suite la survenance d’une force majeure. Par contre, une décision de la Régie du logement vient nuancer le caractère incompatible de la force majeure et de l’obligation de garantie. Après la crise du verglas en janvier 1998, plusieurs locataires ont demandé le remboursement du loyer payé pour ce premier mois de l’année. En raison des coupures d’eau et d’électricité, ces locataires n’avaient pas pu occuper leur appartement. À leur avis, leurs propriétaires avaient manqué, entre autres, à une obligation de garantie, soit « de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail[167] ». La décision Bilodeau c. Lareau[168] de la Régie du logement a servi de modèle sur la question. Essentiellement, la Régie du logement y conclut que la crise du verglas est assimilable à une force majeure. Par conséquent, elle libère d’emblée les propriétaires de toutes leurs obligations de résultat. Quant à l’obligation de garantie, la Régie du logement conclut qu’elle ne s’applique pas dans les circonstances. Or, elle ajoute tout de même ceci :
D’autre part, même en considérant que l’obligation de garantie prévue à l’article 1854(2) C.c.Q., s’applique ici, l’inexécution provient d’une tempête de verglas d’une force extraordinaire qui s’est abattue sur la province et a empêché Hydro-Québec de fournir l’électricité. Cet élément se situe en dehors du champ de l’obligation contractuelle assumée par le locateur. Dans les deux cas, il y a exonération de responsabilité[169].
Ce bref aperçu jurisprudentiel permet d’observer une ouverture des tribunaux à accepter une défense fondée sur la force majeure, même pour une obligation de garantie. Envisager l’assimilation des violences à des situations de force majeure devient ainsi imaginable.
Après notre analyse et malgré nos réserves sur le plan théorique, nous estimons que l’idée d’assimiler les violences faites aux locataires à une force majeure serait porteuse. Il nous semblerait stratégique et plus fidèle aux objectifs d’égalité de l’article 1974.1 d’apporter une modification législative qui créerait une présomption ayant pour effet de qualifier de force majeure les violences faites aux femmes. Ainsi, les victimes seraient immédiatement libérées de toutes leurs obligations contractuelles découlant du bail, peu importe leur intensité.
Conclusion
« Pourquoi [une femme victime de violence conjugale] continuerait […] à vivre avec un tel homme ? […] Pourquoi ne part-elle pas refaire sa vie[170] ? » : voilà des questions posées par la Cour suprême en 1990. Notre texte n’offre pas de réponse à ces interrogations. En revanche, il démontre que ces réflexions populaires témoignent d’une grande méconnaissance des mécanismes sous-jacents à l’organisation du droit du logement au Québec et des violences faites aux femmes. Il ressort de notre recherche et de notre analyse jurisprudentielle une inadéquation des mécanismes juridiques prévus dans l’article 1974.1 pour répondre à la complexité des situations de violence à domicile vécues par les locataires.
Tout d’abord, nous avons observé un grand décalage entre l’intention du législateur et l’application de l’article 1974.1 devant la Régie du logement. Les statistiques démontrent que le recours à cet article n’est pas efficace auprès de ce tribunal. Ledit article ne permet pas la libération des obligations financières pour une majorité de locataires. De plus, sa rédaction repose sur un modèle conceptuel d’« incidents violents » qui ne reflète pas l’ampleur du contrôle exercé par le conjoint dans le contexte de la vie conjugale. Cette domination en vient à diminuer le libre arbitre de la victime par des moyens qui, très souvent, sans être des actes criminels, n’en sont pas moins des atteintes graves à l’exercice de ses droits fondamentaux. Ainsi, confier une partie des procédures au DPCP n’entraîne que des désavantages pour la locataire : cette façon de faire complexifie la procédure, réduit ses garanties procédurales au moment de l’audience à la Régie du logement et laisse dans l’ombre le contrôle coercitif qui s’établit progressivement et qui nuit grandement à sa sécurité et à sa liberté.
En outre, nous avons remarqué que l’analyse des faits conduite par le DPCP diminue la fonction quasi judiciaire de la Régie du logement. Cette obligation imposée par l’article 1974.1, principalement à la demande de la CORPIQ, empêche une indépendance décisionnelle pleine et entière des régisseurs et des régisseuses. De surcroît, la Régie du logement, en adoptant une posture très restrictive relativement à l’interprétation de cet article, ne contribue pas à le rendre plus efficace. Enfin, une gestion expéditive des cas, qui se manifeste par des décisions génériques, très courtes, centrées sur le respect des procédures plutôt que sur les faits spécifiques des causes entendues, ne convient pas au traitement de la preuve qui devrait être fait de manière individualisée.
Finalement, notre analyse du droit des obligations nous permet de constater l’inadéquation conceptuelle du droit civil pour lutter contre les violences faites aux femmes. La résiliation, telle qu’elle est prévue par l’article 1974.1, impose des obligations plus contraignantes que d’autres situations comparables inscrites dans le Code civil, et l’intensité de l’obligation de garantie rend pratiquement inutilisable la grande majorité des moyens de défense. De plus, la survalorisation du lien contractuel par rapport à la protection des droits fondamentaux des locataires va à l’encontre de la hiérarchie des normes.
Ces conclusions invitent à une refonte majeure de l’article 1974.1, puisque cette manière de concevoir les violences a pour effet de « surresponsabiliser » la victime au niveau procédural et financier, avec pour corollaire une déresponsabilisation des propriétaires et des locataires/agresseurs.
Nous avons soumis plusieurs suggestions au fil de notre texte pour rétablir une équité dans les responsabilités assumées par chacune des parties impliquées. Selon nous, il serait plus équitable d’éliminer le critère de l’obligation solidaire afin que la victime ne soit pas responsable des défauts de paiement de son agresseur. Il faudrait simplifier la procédure pour les victimes en supprimant l’attestation et en la remplaçant par une lettre d’un organisme spécialisé en intervention auprès des victimes de violence conjugale ou en matière de santé et de services sociaux. Ainsi, la locataire maîtriserait davantage les démarches et pourrait faire commencer plus rapidement les délais. Grâce à cette procédure modifiée, la Régie du logement analyserait l’ensemble des preuves soumises, ce qui serait plus cohérent au regard des pouvoirs délégués à ce tribunal quasi judiciaire. Enfin, il importerait d’abolir la responsabilité liée au paiement de deux mois de loyer au ou à la propriétaire au moment de la résiliation en assimilant les violences faites aux locataires à une force majeure, et ce, malgré d’importantes lacunes sur le plan de la théorie féministe[171].
Notons que, même à l’intérieur du cadre positiviste, des outils existent, quoiqu’ils servent très rarement aux plaidoiries devant les tribunaux, pour décharger les locataires victimes de violence. Aucune des décisions analysées ne réfère à des obligations autres du locateur ou de la locatrice ou encore des autres locataires. Par exemple, une locataire victime de violence pourrait plaider la perte de la jouissance paisible, selon l’article 1855 du Code civil.
Bien que notre analyse ne contienne pas de cadre analytique issu de la discipline de la science politique, nous reconnaissons qu’individualiser les violences subies dans un contexte conjugal s’harmonise avec la tendance néolibérale à accentuer la responsabilité individuelle[172]. Cette responsabilisation, qui s’incarne dans un ensemble de démarches complexes que la victime devra entreprendre, nie le caractère structurel des violences faites aux femmes[173]. À cet égard, une question reste toujours pertinente : qui doit prendre en charge le coût de la résiliation des baux lorsque le logement n’est plus sécuritaire ? Les propriétaires ? Les agresseurs ? La société ? Notre recherche nous amène à constater que le législateur maintient cette responsabilité sur les épaules des victimes dans le libellé de l’article 1974.1, et nous avons démontré par notre analyse le caractère injuste de ce choix. Dans ce cas, pourquoi ne pas imaginer une solution à caractère plus social, notamment par la création d’une taxe qui permettrait de financer un fonds public de prise en charge collective des frais de loyer ?
Cette reconnaissance collective pourrait être un moyen, parmi d’autres stratégies d’action plus ciblées, qui offrirait un soutien accru aux femmes désireuses de mettre fin à une situation de contrôle coercitif. Que ce dernier mène ou non à des actes reconnus par le droit criminel ne représenterait plus un enjeu majeur, car le combat serait davantage orienté vers le respect du droit à l’égalité, à la liberté et à la sécurité des femmes.
Appendices
Notes
-
[1]
Catharine A. MacKinnon, Le féminisme irréductible. Discours sur la vie et le droit, Paris, Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2005, p. 22.
-
[2]
R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, 871.
-
[3]
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (ci-après « C.c.Q. »).
-
[4]
Pour une critique des effets du « cloisonnement » du droit et sur la manière dont il dessert et même complexifie le traitement des violences dans la vie des justiciables et de leur famille, voir : France Dupuis et Marcela Dedios, « L’impact de la violence conjugale sur les enfants : quel parent est responsable ? », Recherches féministes, vol. 22, no 2, 2009, p. 59 ; Dominique Bernier et Catherine Gagnon, Violence conjugale devant les tribunaux de la famille : enjeux et pistes de solution, Montréal, Service aux collectivités de l’UQAM et Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, juin 2019 ; Linda C. Neilson, Renforcement de la sécurité : affaires de violence conjugale faisant intervenir plusieurs systèmes juridiques (en matière de droit pénal, de droit de la famille et de protection de la jeunesse). Perspective du droit de la famille sur la violence conjugale, 2e éd., Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2013 ; Groupe de travail spécial fédéral-provincial-territorial sur la violence familiale, Établir les liens dans les cas de violence familiale : collaboration entre les systèmes de droit de la famille, de protection de la jeunesse et de justice pénale, rapport, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, novembre 2013.
-
[5]
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)] (ci-après « Charte canadienne ») ; Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte québécoise »).
-
[6]
Lise Gotell, « The Ideal Victim, the Hysterical Complainant, and the Disclosure of Confidential Records : The Implications of the Charter for Sexual Assault Law », (2002) 40 Osgoode Hall L.J. 251.
-
[7]
Nous employons l’adjectif « sexuées » afin de désigner le caractère ciblé de ces violences à l’endroit de la classe des femmes.
-
[8]
Les trois autres articles du Code civil sont les suivants : 1402, 2926.1 et 2927. Ils traitent respectivement de la crainte comme vice de consentement et des délais de prescription.
-
[9]
Pour une définition en droit international du « droit à un logement suffisant », voir : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can no 46, art. 11 (entrée en vigueur au Canada 19 août 1976) ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale 4 : le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1 du Pacte), 6e session, 1991, [En ligne], [www.hlrn.org/img/documents/GC_4_FR.pdf] (3 novembre 2021).
-
[10]
John David Hulchanski et Michael Shapcott (dir.), Finding Room. Options for a Canadian Rental Housing Strategy, Toronto, Centre for Urban and Community Studies, University of Toronto, 2004, p. 5 et 6.
-
[11]
Claude Thomasset, « Le logement, entre l’État et l’entreprise : genèse d’un droit en devenir », dans Robert D. Bureau et Pierre Mackay (dir.), Le droit dans tous ses états : la question du droit au Québec, 1970-1987, Montréal, Wilson & Lafleur, 1987, p. 245, à la page 269.
-
[12]
Dans notre texte, nous emploierons également le terme épicène « propriétaire » pour désigner le locateur ou la locatrice.
-
[13]
Voir notamment Christine Delphy, L’ennemi principal, t. 1 « Économie politique du patriarcat » et t. 2 « Penser le genre », Paris, Syllepse, 1998.
-
[14]
Les groupes des femmes et des hommes sont ici théorisés comme des groupes sociaux, construits dans un rapport dialectique et de domination. Le sexe n’est donc pas un donné naturel, mais une catégorie nécessaire au maintien du rapport de domination de la classe des hommes sur celle des femmes.
-
[15]
Pour une critique féministe matérialiste du droit civil balisant le droit du logement québécois, voir Marie-Neige Laperrière, Critique féministe matérialiste du droit civil québécois : le travail « domestique » et les violences sexuées, les « impensés » du droit du logement, thèse de doctorat, Montréal, Faculté de droit, Université de Montréal, 2015.
-
[16]
Catharine A. MacKinnon, « Féminisme, marxisme et postmodernité », traduit par Elizabeth Tuttle et Annie Bidet-Mordrel, dans Annie Bidet-Mordrel (dir.), Les rapports sociaux de sexe, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 76, à la page 78.
-
[17]
Michaël Lessard et Suzanne Zaccour, « Quel genre de droit ? Autopsie du sexisme dans la langue juridique », (2017) 47 R.D.U.S. 227, 254 et 255 ; Danielle Pinard, « Le langage et l’interprétation du droit : au masculin seulement ? », dans Hélène Dumont (dir.), Femmes et droit : 50 ans de vie commune… et tout un avenir. Les journées Maximilien-Caron 1991, Montréal, Éditions Thémis, 1993, p. 199.
-
[18]
Ce cadre théorique est davantage développé dans Marie-Neige Laperrière, « Perspective féministe sur l’article 1974.1 du Code civil du Québec. Une protection efficace dans la vie des femmes locataires victimes de violences ? », (2018) 33 R.C.D.S. 41.
-
[19]
Malgré le changement de nom de la Régie du logement pour le Tribunal administratif du logement le 31 août 2020, nous conserverons tout au long de notre texte l’appellation « Régie du logement », puisque toutes les décisions analysées datent au plus tard du 31 décembre 2017 : Loi visant principalement l’encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l’amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, L.Q. 2019, c. 28. Pour l’entrée en vigueur de cette loi, voir le Décret 597-2020, (2020) 152 G.O. II, 2689.
-
[20]
Loi insérant l’article 1974.1 au Code civil, projet de loi no 133 (sanctionné – 16 décembre 2005), 1re sess., 37e légis. (Qc).
-
[21]
Gouvernement du Québec, Plan d’action gouvernemental 2004-2009 en matière de violence conjugale, Québec, Gouvernement du Québec, décembre 2005.
-
[22]
Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 1re sess., 37e légis., 6 décembre 2005, « Consultations particulières sur le projet de loi no 133 – Loi modifiant l’article 1974 du Code civil », 15h30 (M. Daniel Turp) (ci-après « Journal des débats »).
-
[23]
Étant donné la très forte prédominance statistique des femmes (voir la section 3.2.1), l’emploi du féminin sera privilégié pour désigner les locataires victimes de violence.
-
[24]
Art. 1942 et 1946 C.c.Q.
-
[25]
Malgré le droit qu’ont les locataires de demeurer dans les lieux (art. 1936 C.c.Q.), les groupes de femmes privilégient le départ de la locataire. Dans le Journal des débats, préc., note 22, 11h40 (Mme Caroline Farly), la Fédération de ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec justifie ainsi cette position : « Si le conjoint ne sait pas où habite la victime, il y a moins de nouveaux incidents et moins de frais juridiques. Une femme qui a une adresse inconnue de son conjoint violent a franchi [une] étape cruciale vers son bien-être mental et physique et celui de ses enfants. »
-
[26]
Claude Fabien, « La rupture du contrat par volonté unilatérale en droit québécois », (2006) 36 R.G.D. 85, 87.
-
[27]
Cet article, adopté en 1991, permet la résiliation d’un bail, moyennant une compensation de deux mois de loyer, lorsqu’un ou une locataire se voit attribuer un logement à loyer modique ou si le logement occupé ne convient plus en raison d’un handicap, ou encore si une personne âgée déménage « dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée, dans une ressource intermédiaire, dans une résidence privée pour aînés ». Pour une réflexion critique sur cet article, voir Marie Annick Grégoire, « Les baux en résidences pour personnes âgées : quelle effectivité pour la protection des droits ? », (2016) 46 R.G.D. 277.
-
[28]
Sur l’ajout de la mention « .1 », voir le Journal des débats, préc., note 22, 17h10 (M. Daniel Turp).
-
[29]
Id., 13h10 (M. Luc Courtemanche).
-
[30]
Id., 15h50 (Mme Carole Tremblay).
-
[31]
Loi modifiant le Code civil concernant certains cas de résiliation du bail d’un logement, projet de loi no 22 (sanctionné – 30 novembre 2011), 2e sess., 39e légis. (Qc), art. 6 et 7.
-
[32]
Michèle Ollivier et Manon Tremblay, Questionnements féministes et méthodologie de la recherche, Paris, L’Harmattan, 2000.
-
[33]
François Chevrette et Hugo Cyr, « De quel positivisme parlez-vous ? », dans Pierre Noreau et Louise Rolland (dir.), Mélanges Andrée Lajoie : Le droit, une variable dépendante, Montréal, Éditions Thémis, 2008, p. 33.
-
[34]
François Ost et Michel Van De Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? » dans F. Chazel et J. Commaille (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, coll. « Collection Droit et société », Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1991, p. 67-80.
-
[35]
Rémi Bachand, « Pour une théorie critique en droit international », dans Rémi Bachand (dir.), Théories critiques et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 115.
-
[36]
Sur la théorie du « point de vue » : Marcel Stoetzler et Nira Yuval-Davis, « Standpoint Theory, Situated Knowledge and the Situated Imagination », Feminist Theory, vol. 3, no 3, p. 315.
-
[37]
Guy Rocher, « L’effectivité du droit », dans Guy Rocher et autres (dir.), Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal-Bruxelles, Éditions Thémis-Bruylant, 1998, p. 133.
-
[38]
Pour consulter la liste complète des décisions trouvées devant la Régie du logement, voir : Régie du logement, « Annexe 2 : Liste des décisions de la Régie du logement », [En ligne], [uqoca-my.sharepoint.com/:w:/g/personal/lapema01_uqo_ca/Eau2MJzAFE1FvyOxgO7xzO8B48ctU9oivjmGom0hIKabnQ?e=TDykIE] (12 octobre 2021).
-
[39]
Droit de la famille – 0825, 2008 QCCS 46.
-
[40]
Boucher c. Montréal (Office municipal d’habitation de), 2014 QCCQ 5 ; Boucher c. Montréal (Office municipal d’habitation de), 2015 QCCQ 3062 ; Kristof c. Agence du revenu du Québec, 2017 QCCQ 14975 ; Kristof c. Agence du revenu du Québec, 2017 QCCQ 14974.
-
[41]
Emmanuelle Turcotte, « Les méthodes mixtes dans la recherche féministe : enjeux, contraintes et potentialités politiques », Recherches féministes, vol. 29, no 1, 2016, p. 111, à la page 111.
-
[42]
Pour consulter le modèle de tableau utilisé, voir Régie du logement, « Annexe 1 : Modèle de tableau utilisé pour la compilation des données », [En ligne], [uqoca-my.sharepoint.com/:w:/g/personal/lapema01_uqo_ca/ET9Fb5xypWJBvY7wYj7-LxEBvSvjRqsQlb38nifNLUTyXw?e=F60U97] (12 octobre 2021).
-
[43]
Voir, par exemple, Louise Langevin, « Liberté contractuelle et relations conjugales : font-elles bon ménage ? », Nouvelles Questions féministes, vol. 28, no 2, 2009, p. 24.
-
[44]
Voir : Charles-Olivier Bernard, « Commentaire sur la Loi insérant l’article 1974.1 au Code civil du Québec », Repères, Mars 2006, EYB2006REP465, p. 1 (PDF) (La référence) ; Pierre Gagnon, « Chronique – La mise à terme anticipée de son occupation par le locataire résidentiel », Repères, Avril 2014, EYB2014REP1496, p. 1 (PDF) (La référence).
-
[45]
Evan Stark est professeur émérite à la School of Public Affairs and Administration de la Rutgers University. Formé en sociologie et en travail social, il a publié en 2007 un ouvrage qui a eu un impact très important sur la compréhension du phénomène de la violence conjugale : Evan Stark, Coercive Control. The Entrapment of Women in Personal Life, New York, Oxford University Press, 2007. Il a reçu pour cet ouvrage le Prix de la meilleure publication de 2008 en sociologie et travail social de l’American Publishers’ Association.
-
[46]
À noter que l’article 1974.1 ne précise pas la signification du terme « violence », peut-être pour maintenir un caractère évolutif à la disposition. Par ailleurs, ce terme aurait pu être défini dans la jurisprudence de la Régie du logement, mais notre analyse révèle que son sens n’a soulevé aucun débat.
-
[47]
Evan Stark, « Une re-présentation des femmes battues. Contrôle coercitif et défense de la libertés », dans Maryse Rinflet-Raynor et autres (dir.), Violences envers les femmes. Réalités complexes et nouveaux enjeux dans un monde en transformation, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2014, p. 33, à la page 50.
-
[48]
Jacquelyn C. Campbell et autres, « Risk Factors for Femicide in Abusive Relationships : Results from a Multisite Case Control Study », American Journal of Public Health, vol. 93, no 7, 2003, p. 1089.
-
[49]
Richard J. Gelles, Intimate Violence in Families, Thousand Oaks, Sage, 1997, p. 14, cité et traduit dans E. Stark, préc., note 47, à la page 37.
-
[50]
E. Stark, préc., note 47, à la page 37 ; E. Stark, préc., note 45, p. 89.
-
[51]
E. Stark, préc., note 47, à la page 34.
-
[52]
Id.
-
[53]
David Adams, « Treatment Models of Men who Batter : A Profeminist Analysis », dans Kersti Yllo, et Michele Bograd (dir.), Feminist Perspectives on Wife Abuse, Newbury Park, Sage, 1988, p. 176-199, à la page 191.
-
[54]
E. Stark, préc., note 47, aux pages 35 et 36.
-
[55]
Cette volonté est clairement établie dans Gouvernement du Québec, Plan d’action gouvernemental 2012-2017 en matière de violence conjugale, Québec, Direction des communications du ministère de la Justice, 2012, dans la section « Mot des ministres » qui fait office de préambule : « Ce rapport de domination, cette prise de contrôle d’une personne sur une autre, ou d’un groupe de personnes sur un autre, constitue l’antithèse du principe même du droit à l’égalité reconnu à toutes les Québécoises et à tous les Québécois. »
-
[56]
Voir sur le sujet : Melanie Randall, « Sexual Assault Law, Credibility, and “Ideal Victims” : Consent, Resistance, and Victim Blaming », (2010) 22 C.J.W.L. 397 ; Lise Gotell, « When Privacy Is Not Enough : Sexual Assault Complainants, Sexual History Evidence and the Disclosure of Personal Records », (2006) 43 Alta L. Rev. 743 ; Elizabeth A. Sheehy, « Legal Responses to Violence against Women in Canada », Canadian Woman Studies, vol. 19, nos 1-2, 1999, p. 62 ; Janice Du Mont, Karen-Lee Miller et Terri L. Myhr, « The Role of “Real Rape” and “Real Victim” Stereotypes in the Police Reporting Practices of Sexually Assaulted Women », Violence against Women, vol. 9, no 4, 2003, p. 466 ; Jason Maclean, Nadia Verrelli et Lori Cambers, « Battered Women under Duress : The Supreme Court of Canada’s Abandonment of Context and Purpose in R. v. Ryan », (2017) 29 C.J.W.L. 60 ; Holly Johnson, « Why Doesn’t She just Report It ? Apprehensions and Contradictions for Women Who Report Sexual Violence to the Police », (2017) 29 C.J.W.L. 36.
-
[57]
Elizabeth Comack et Tracey Peter, « How the Criminal Justice System Responds to Sexual Assault Survivors : The Slippage between “Responsibilization” and “Blaming the Victim” », (2005) 17 C.J.W.L. 283.
-
[58]
Art. 1975 C.c.Q.
-
[59]
À titre d’exemple, voir Janine Benedet, « The Sexual Assault of Intoxicated Women », (2010) 22 C.J.W.L. 435.
-
[60]
E. Comack et Tr. Peter, préc., note 57, 299.
-
[61]
André-Jean Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise, Paris, L.G.D.J., 1973.
-
[62]
Art. 1893 C.c.Q.
-
[63]
Art. 1399 C.c.Q.
-
[64]
Louise Langevin, « Mythes et réalités : la personne raisonnable dans le livre “Des obligations” du Code civil du Québec », (2005) 46 C. de D. 353.
-
[65]
Avec le nouveau Code civil du Québec, la « personne prudente et diligente » a remplacé la norme du « bon père de famille » contenue dans le Code civil du Bas Canada, par exemple à l’article 1045.
-
[66]
Pour une réflexion sur le « bon père de famille », voir aussi : Louise Langevin, « Bon père de famille », dans Suzanne Zaccour et Michaël Lessard (dir.), Dictionnaire critique du sexisme linguistique, avec la collab. de Ianik Marcil, Québec, Éditions Somme toute, 2017, p. 29 ; Alexandra Popovici, « Le bon père de famille », dans Benoît Moore et Générosa Bras Miranda (dir.), Mélanges Adrian Popovici. Les couleurs du droit, Montréal, Éditions Thémis, 2010, p. 125 ; Marie-France Bich, « Pater Familias et Imbelicitas Sexus : vagabondage socio-juridique et cri(s) du coeur », dans H. Dumont (dir.), préc., note 17, p. 245.
-
[67]
R. c. Lavallée, préc., note 2, 874.
-
[68]
Par exemple, on retrouve ce critère de raisonnabilité à l’article 7 C.c.Q.
-
[69]
Voir, par exemple, L. Langevin, préc., note 64, 369.
-
[70]
Ministère de la Justice du Québec, « Les districts judiciaires », [En ligne], [www.justice.gouv.qc.ca/nous-joindre/recherche-dun-district/les-districts-judiciaires/] (13 mai 2021).
-
[71]
Pour parler de celui ou celle qui commet l’agression, nous emploierons uniquement le masculin « agresseur », car ce terme désigne la très grande majorité des personnes visées en ce cas.
-
[72]
Sur le manque de rigueur dans le vocabulaire en matière de violences faites aux femmes et les difficultés analytiques qui en découlent, voir D. Bernier et C. Gagnon, préc., note 4. Pour un exemple jurisprudentiel, voir l’affaire Pelletier c. Jeannotte, 2017 QCRDL 13123, où la régisseuse parle d’une « séparation non harmonieuse entre conjoints » (par. 16).
-
[73]
Le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF) a produit un photoroman à partir d’une centaine de témoignages de locataires agressées par « un propriétaire, un voisin, un concierge ou un co-chambreur ». Il est consultable en ligne : Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF), Chaîne et résistance. Contre les violences vécues par les femmes locataires, [En ligne], [www.ceaf-montreal.qc.ca/files/chaines-et-resistance.pdf] (18 octobre 2021). Voir aussi Marie-Ève Desroches, « Conceptualisation du harcèlement sexuel dans le logement : une recension des écrits », Nouvelles Pratiques sociales, vol. 30, no 2, 2019, p. 219.
-
[74]
Pour un exemple des effets de la responsabilité solidaire, voir l’affaire Côté c. Tremblay, 2011 QCRDL 48212.
-
[75]
Pour un exemple, voir l’affaire Doumit c. Que-OPS, 2015 QCRDL 40489.
-
[76]
La locataire peut même être rendue responsable des dommages causés à l’appartement en raison des violences du conjoint. À titre d’exemple, voir l’affaire Desrosiers c. Paine, 2015 QCRDL 3073.
-
[77]
Par exemple, le fait que la locataire s’abrite dans le bar de son propriétaire durant un épisode de violence ne sera pas considéré comme ayant fait office d’un avis justifiant ses craintes : Clermont-Mignault c. Cotoia, 2016 QCRDL 3420.
-
[78]
Pour consulter les formulaires à remplir, voir Régie du logement, « Annexe trois : Avis de résiliation du bail en raison de violence conjugale ou d’agression à caractère sexuel », [En ligne], [uqoca-my.sharepoint.com/:b:/g/personal/lapema01_uqo_ca/EeHiY8ogmyBPsGmfRiJWtiAB4UnNHOZ-4souMZFzQH_QRQ?e=wdqAvD] (18 octobre 2021).
-
[79]
À noter que l’article 1974.1 n’indique pas que l’avis doit être écrit, mais le libellé « l’envoi d’un avis » a été interprété par la Régie du logement comme étant un avis écrit.
-
[80]
Les formulaires ayant été modifiés depuis le changement de la Régie du logement en Tribunal administratif du logement, les liens Web qui menaient aux formulaires que nous avions trouvés ne sont plus valides.
-
[81]
Mazerolle c. Dubois, [2007] no AZ-51204570 (R.D.L.).
-
[82]
La notion de conjoint a été longuement discutée lors de l’étude détaillée du projet de loi, mais les propos ne semblaient pas s’appuyer sur des données précises. La question des actions du tiers a été débattue, et la députée de Matane, Mme Nancy Charest, avait proposé que le tiers puisse commettre des violences ou du harcèlement, mais sa suggestion n’a pas été retenue. Voir le Journal des débats, préc., note 22, 15h20 (Mme Nancy Charest).
-
[83]
Cette distinction ressort de façon plus évidente dans la rédaction du formulaire d’avis que dans le libellé lui-même de l’article.
-
[84]
Brassard c. Bélanger, 2015 QCRDL, 25057.
-
[85]
Bellerive c. Boulanger, 2012 QCRDL 9304.
-
[86]
Le lien suivant renvoie aux nouveaux formulaires qui ont été modifiés (peu sur le fond mais plutôt sur la forme) depuis le remplacement de la Régie du logement par le Tribunal administratif du logement : Gouvernement du Québec, « Mettre fin à votre bail en cas de violence conjugale ou d’agression sexuelle », 1er juin 2020, [En ligne], [www.justice.gouv.qc.ca/victimes/violence-conjugale/la-resiliation-dun-bail-residentiel-en-raison-de-violence-conjugale-ou-dagression-sexuelle/] (18 octobre 2021).
-
[87]
Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Politique encadrant le traitement par les officiers publics des demandes d’attestation en vue de la résiliation d’un bail résidentiel pour motifs de violence conjugale ou d’agression à caractère sexuel, 10 juin 2020, [En ligne], [www.dpcp.gouv.qc.ca/ressources/pdf/01322_PO_Resiliation_bail_Internet.pdf] (18 octobre 2021) (ci-après « Politique du DPCP 2020 »), prévoit qu’il faut tenir compte des actes allégués, de leur gravité et de leur fréquence, des antécédents judiciaires, du contexte de la relation, de la présence d’enfants, de la situation personnelle de l’agresseur en considérant certains facteurs comme sa consommation d’alcool ou de drogues, la présence de troubles mentaux, la possession d’armes ainsi que ses traits de personnalité.
-
[88]
Cet aspect est souligné dans le Journal des débats, préc., note 22, 11h40 (Mme Caroline Farly) : « En fait, ces femmes font face à une course à obstacles qui est pavée de démarches juridiques, médicales, administratives ou encore en immigration. Si elles ont des enfants, parfois s’ajoutent les procédures avec la Direction de la protection de la jeunesse, sinon avec les écoles. »
-
[89]
Bien qu’il y ait eu de longues discussions lors des débats parlementaires entourant le délai que devrait avoir le DPCP pour analyser l’attestation, aucune période précise n’a finalement été déterminée, et le terme « célérité » a été jugé acceptable. Le Journal des débats, préc., note 22, 15h20 (M. Daniel Turp), rappelle pourtant que, lors de discussions précédentes, des représentantes des groupes de femmes (aucun groupe n’est nommé en particulier) revendiquaient un terme court de 5 à 7 jours. On y mentionnait que la rapidité d’action était un facteur fondamental et que, pour pallier des situations particulières, l’article aurait pu comprendre une exception par l’ajout de la mention : « sauf circonstance exceptionnelle ».
-
[90]
Id., 12h10 (Mme Louise Riendeau).
-
[91]
Règlement sur l’attribution des logements à loyer modique, RLRQ, c. S-8, r. 1, art. 14 et 23.
-
[92]
Journal des débats, préc., note 22, 12h40 (M. Luc Courtemanche, président de la CORPIQ).
-
[93]
Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, RLRQ, c. D-9.1.1, art. 13.
-
[94]
Dans le Journal des débats, préc., note 22, 11h50 (Mme Louise Riendeau), on trouve ces propos de la porte-parole du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale : « Une femme qui, dans un passé proche ou récent, aurait eu peur et n’aurait pas collaboré avec la couronne, qui essayait de traiter une plainte de violence conjugale, risque d’être assez gênée de se représenter au bureau des procureurs. Pensons aussi aux femmes autochtones qui ont des problèmes particuliers en matière d’habitation […] pour nous, le choix du professionnel est très important, et peut-être qu’il va falloir penser d’avoir plus qu’un type de professionnels pour s’assurer qu’on ne crée pas de barrières ».
-
[95]
Frédéric Ouellet et Marie-Marthe Cousineau « Les femmes victimes de violence conjugale au Québec. Examen des caractéristiques de la femme, de l’homme, et de la relation », dans M. Rinflet-Raynor et autres (dir.), préc., note 47, p. 117, à la page 134.
-
[96]
Voir DPCP, Sommaire cumulatif des envois, p. 6, section « Envoi no 65 », [En ligne], [www.dpcp.gouv.qc.ca/ressources/pdf/envoi/Sommairecumulatifdesenvois-DM_no71.pdf] (26 avril 2020).
-
[97]
Voir la Politique du DPCP 2020, préc., note 87.
-
[98]
Id., point 7.1. Il s’agit, soit :
-
[99 ]
Id., préambule. Les mots « officiers publics » et « officières publiques » désignent les procureurs et les procureures aux poursuites criminelles et pénales.
-
[100]
Fr. Ouellet et M.-M. Cousineau, préc., note 95, aux pages 118 et 119. En outre, comme nous l’avons vu dans la section 2.1, plusieurs comportements ayant pour objet de contrôler la victime ne correspondent pas à des actes criminels.
-
[101]
Il faut toutefois spécifier que, si une plainte est déposée à la police et que le prévenu est déclaré coupable, la victime pourra bénéficier de l’application de l’article 6.2 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, RLRQ, c. I-6. Celui-ci prévoit un remboursement des frais de loyer engagés pour un maximum de deux mois au montant de 1 116 $ par mois. À noter que ce montant est indexé au moins de janvier de chaque année. Rappelons que seules les personnes qui répondent aux conditions prévues par l’article 3 de la même loi sont reconnues comme des victimes d’actes criminels. Elles doivent avoir été tuées (personnes à charge qui bénéficient de la protection) ou blessées ou bien avoir subi un préjudice matériel.
-
[102]
Voici un extrait des propos du ministre dans le Journal des débats, préc., note 22, 11h30 (M. Yvon Marcoux) :
La modification proposée encouragera aussi les victimes à demander l’aide des autorités judiciaires et contribuera, je le souhaite, à réduire le taux d’abandon des poursuites criminelles. C’est d’ailleurs là un des objectifs visés par l’engagement 46 du Plan d’action gouvernemental en matière de violence conjugale, en plus de celui d’assurer la sécurité et la protection des victimes et de leurs proches.
-
[103]
Robert Ayotte et autres, La légitimité du pouvoir chez les conjoints dominants : une étude exploratoire des stratégies de justification du modèle du processus de domination conjugale (PDC), rapport de recherche, Trois-Rivières, L’Accord Mauricie (Centre d’aide pour conjoints à comportements violents ou contrôlants), 2007, [En ligne], [accordmauricie.com/Pdf/RechercheLaLegitimiteDuPouvoir.pdf] (1er décembre 2020).
-
[104]
Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, Comprendre et prendre en compte les réalités des femmes victimes de violence familiale en instance de divorce afin de garantir leur sécurité et celle de leur enfant, mémoire présenté à l’occasion de la consultation du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-78, 2018, p. 6, [En ligne], [maisons-femmes.qc.ca/wp-content/uploads/2018/11/Memoire- C-78-Regroupement-des-maisons-pour-femmes-victimes-de-violence-conjugale.pdf] (19 novembre 2020). Une proportion importante des actes d’agression est commise par des ex-conjoints : Gouvernement du Québec, Politique d’intervention en matière de violence conjugale : prévenir, dépister, contrer la violence conjugale, Québec, 2015, [En ligne], [publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2000/00-807/95-842.pdf] (18 octobre 2021).
-
[105]
Le Bureau du coroner, Agir ensemble pour sauver des vies. Premier rapport annuel du Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale, Québec, 2020, p. 22, [En ligne], [www.coroner.gouv.qc.ca/fileadmin/Media/Rapport_annuel_2018-2019_Version_amendee_20201207.pdf] (8 décembre 2020), note que la rupture et la perte de contrôle du conjoint sont parmi les facteurs de risque les plus présents (huit cas sur dix) dans la cause des décès étudiés.
-
[106]
La demande d’attestation est un document de sept pages qui impose une description précise des faits, qui établit plusieurs liens avec une plainte au criminel et qui autorise la personne évaluant la demande à chercher des renseignements supplémentaires. Rappelons que cette demande doit aussi être accompagnée d’une lettre d’un service de santé ou social qui corrobore la version de la locataire.
-
[107]
Vincent Karim, « Preuve et présomption de bonne foi », (1996) 26 R.D.U.S. 429, 442.
-
[108]
Id.
-
[109]
Voir les articles 1870 et 1871 C.c.Q.
-
[110]
Loi sur la justice administrative, L.Q. 1996, c. 54, art. 1.
-
[111]
Ministère de la Justice, Rapport du Groupe de travail sur certaines questions relatives à la réforme de la justice administrative. Une justice administrative pour le citoyen, Québec, ministère de la Justice, 1994. À noter qu’à compter des années 70 s’est produite une multiplication désordonnée d’instances administratives québécoises aux pouvoirs variés, et le gouvernement a souhaité mettre de l’ordre dans cette structure chaotique. Trois groupes de travail ont alors proposé des réformes pour regrouper et mieux articuler les différentes instances administratives : Hélène Kovachich, « L’éthique dans la justice administrative », dans S.F.C.B.Q., Congrès annuel du Barreau du Québec (2012), p. 2-4, [En ligne], [edoctrine.caij.qc.ca/congres-du-barreau/2012/1755866972] (18 octobre 2021).
-
[112]
Id., p. 6.
-
[113]
Le mandat spécifique de la Régie du logement est prévu par l’article 5 de la Loi sur la Régie du logement, RLRQ, R-8.1.
-
[114]
Yves Ouellette, Les tribunaux administratifs au Canada. Procédure et preuve, Montréal, Éditions Thémis, 1997, p. 66 et 67 ; Pierre Noreau, France houle et autres, La justice administrative : entre indépendance et responsabilité. Jalons pour la création d’un régime commun pour les décideurs administratifs indépendants, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.
-
[115]
L’article 23 de la Charte québécoise, préc., note 5, reconnaît notamment que la cause ne doit pas être préjugée, tandis que l’article 56.1 précise que le mot « tribunal » doit inclure les organismes exerçant des fonctions quasi judiciaires.
-
[116]
Régie du logement, Rapport annuel de gestion 2017-2018, Québec, 2018, p. 13, [En ligne], [www.tal.gouv.qc.ca/sites/default/files/Rapport_annuel_2017-2018.pdf] (18 octobre 2021).
-
[117]
L’article 12 de la Loi sur la justice administrative, préc., note 110, prévoit également que les décideurs et les décideuses doivent apporter durant l’audience un secours équitable et impartial aux parties. Cependant, une attitude proactive transparaît rarement des décisions lues.
-
[118]
Rappelons que par l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, la Cour suprême a obligé le système d’immigration canadien de l’époque à entendre les demandeurs, car leur requête mettait en cause l’article 7 de la Charte canadienne, préc., note 5. Cet article pourrait aussi s’appliquer dans les cas de violence conjugale : il prévoit en effet que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’une atteinte à un de ces droits par l’État ne peut se faire qu’en respectant les principes de justice fondamentale qui incluent le droit d’être entendu.
-
[119]
Voici le document qui doit être envoyé aux requérantes qui se voient refuser l’attestation : DPCP, Formulaire – Refus d’attestation selon l’article 1974.1 Code civil du Québec, [En ligne], [www.dpcp.gouv.qc.ca/ressources/pdf/resiliation_bail/FO_Resiliation_bail_3_Refus_Attestation_VF.pdf] (26 août 2021) (ci-après « Formulaire de refus »).
-
[120]
Domaine Lasalle c. Ngombe, 2010 QCRDL 2094 : dans cette décision, la locataire a soumis en preuve la lettre d’une personne-ressource qui l’avait accompagnée, mais aucune valeur probante n’a été accordée à cette preuve. Le même type de situation s’est produit dans l’arrêt Hoxha c. Bombu Mpoutu, 2016 QCRDL 36239.
-
[121]
Sur l’ensemble des décisions analysées, aucune ne remet en cause un refus de délivrer une attestation par le DPCP.
-
[122]
Politique du DPCP 2020, préc., note 87.
-
[123]
Formulaire de refus, préc., note 119.
-
[124]
Voir DPCP, Politique concernant le traitement des plaintes formulées par les citoyens, 7 avril 2008, [En ligne], [cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/org/dpcp/PDF/pol_lignes_dir/PO_plaintes_DPCP_2017-05-08_VF.pdf ?1619097896] (26 août 2021).
-
[125]
Gestion Y. Fogel c. Petiquay, 2010 QCRDL 25208 : cette décision d’une page ne comprend aucun détail ni analyse des éléments de preuve. La seule mention concernant la survenance de la violence est la suivante : « Les documents présentés par la locataire ne démontrent pas qu’elle soit dans la situation prévue à l’article 1974.1 du Code civil du Québec. » Impossible de savoir s’il est question de l’avis et de l’attestation ou d’autres preuves. Voir également l’affaire Klenso inc. c. Bommarito, 2012 QCRDL 18419 : dans ce jugement d’une demi-page, la régisseuse énonce qu’il y a eu envoi d’un avis de résiliation sans mentionner la date ; par ailleurs, elle ne parle pas de l’attestation et ne donne aucun autre détail.
-
[126]
Rappelons que la Loi sur la Régie du logement, préc., note 113, maintenant la Loi sur le tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, art. 91, prévoit qu’aucun appel des décisions n’est possible dans le cas où le seul objet du litige est le recouvrement d’une créance qui n’excède pas la compétence de la Cour du Québec en matière de recouvrement des petites créances.
-
[127]
Lanctôt c. Cloutier, 2017 QCRDL 34507.
-
[128]
Le processus de nomination comprend suffisamment de mesures pour éviter la collusion ou le favoritisme et éviter que les postes disponibles ne soient des sinécures pour services rendus : P. Noreau, F. Houle et autres, préc., note 114, p. 77.
-
[129]
Id., p. 41.
-
[130]
Voir supra, section 1.1.
-
[131]
Costantini c. Voyer, 2008 QCRDL 31.
-
[132]
Loi sur la justice administrative, préc., note 110, art. 11.
-
[133]
Y. Ouellette, préc., note 114, p. 66.
-
[134]
Nous n’avons pas été en mesure de confirmer si les régisseurs et les régisseuses avaient reçu une formation sur l’article 1974.1. En effet, même en considérant l’année 2006, où il y a eu mise en application de l’article, nous n’avons pas trouvé de documents sur le site Web de la Régie du logement qui traitent de la formation reçue.
-
[135]
Y. Ouellette, préc., note 114, p. 295.
-
[136]
Cardone c. Espinal, 2013 QCRDL 15106. Nous sommes encore devant une décision d’une demi-page où aucun détail n’est donné sur les preuves soumises. Le régisseur dira ceci : « La preuve soumise ne démontre pas que les formalités de l’article 1974.1 du Code civil du Québec aient été respectées par le locataire présent, ni même que cet article s’appliquait à lui » (par. 4). À noter qu’il n’y a pas qu’un locataire en cause, mais aussi une locataire.
-
[137]
Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 1028 et suiv. ; Cl. Fabien, préc., note 26 ; Daniel Jutras, « La résiliation unilatérale ou les joies de l’exégèse », (2002) 81 R. du B. can. 153.
-
[138]
Art. 1439 C.c.Q.
-
[139]
Art. 1378 C.c.Q.
-
[140]
J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, préc., note 137, p. 1028.
-
[141]
Pour des exemples, voir, en matière de mandat, les articles 2176 et 2178 C.c.Q. et, en matière de droit du travail, l’article 2094 C.c.Q.
-
[142]
Patrick Girard et Frédéric Poirier, « La résiliation unilatérale du contrat d’entreprise ou de services : le client a-t-il toujours raison ? », (2002) 36 R.J.T. 315.
-
[143]
Considérant l’assimilation qui est faite dans le Code civil de ces deux contrats (art. 2098 C.c.Q.), nous ne parlerons ici que de « contrat de service » pour alléger la rédaction.
-
[144]
Art. 2125 C.c.Q.
-
[145]
Art. 2126 C.c.Q.
-
[146]
Art. 2129 C.c.Q. et Cl. Fabien, préc., note 26, 98.
-
[147]
Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral, [2003] R.J.Q. 3043 (C.A.).
-
[148]
Id., par. 36.
-
[149]
Art. 2125 C.c.Q.
-
[150]
Pour une réflexion féministe sur les effets de responsabilisation de la victime lié à la notion de risque en matière d’agression sexuelle, voir M. Randall, préc., note 56, 415.
-
[151]
Le premier cas suppose la responsabilité du débiteur. Il faut alors se référer au régime de la responsabilité civile contractuelle : J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, préc., note 137, p. 1064.
-
[152]
Id.
-
[153]
Art. 1470 C.c.Q.
-
[154]
J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, préc., note 137, p. 1052.
-
[155]
Id., p. 1055.
-
[156]
Id., p. 1062.
-
[157]
Art. 1693 et 1694 C.c.Q. Voir aussi J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, préc., note 137, p. 1068.
-
[158]
J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, préc., note 137, p. 1053.
-
[159]
Id., p. 1051.
-
[160]
Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, p. 420. Voir aussi Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 23-25.
-
[161]
J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, préc., note 137, p. 50 et 51.
-
[162]
Paul-André Crépeau, L’intensité de l’obligation juridique ou des obligations de diligence, de résultat et de garantie, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, p. 13.
-
[163]
Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2018, par. 112.
-
[164]
Étienne c. Montréal (Société de transport de la Communauté urbaine de), J.E. 2003-527, [2003] R.R.A. 312 (rés.) (C.S.) ; L’Heureux c. Dongar, 2013 QCCQ 15261.
-
[165]
Pentor Finance Corporation c. Belmat Énergie Canada inc., 2017 QCCS 1331.
-
[166]
9151-4562 Québec inc. c. Benrouayene, 2018 QCCS 4042.
-
[167]
Art. 1854 al. 2 C.c.Q.
-
[168]
Bilodeau c. Lareau, [1999] J.L. 77, [1998] no AZ-50066179 (R.D.L.). Cette décision a été confirmée en révision judiciaire par la Cour supérieure (Lareau c. Régie du logement, [1999] R.J.Q. 1201, [1999] J.L. 187 (C.S.)) et en appel par la Cour d’appel du Québec (Lareau c. Régie du logement, [2003] no AZ-0319037, B.E. 2003BE-193 (C.A.)).
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[169]
Bilodeau c. Lareau, préc., note 168, p. 7.
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[170]
R. c. Lavallée, préc., note 2, 871 et 872.
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[171]
Voir la section 4.3.3.
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[172]
Sur la responsabilisation individuelle d’un problème social en matière de logement, voir aussi Marie Annick Grégoire, « Les baux en résidences pour personnes âgées : quelle effectivité pour la protection des droits ? », (2016) 46 R.G.D. 277, 294.
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[173]
Sur les liens entre les effets du néolibéralisme et la « surresponsabilisation » des victimes, voir E. Comack et Tr. Peter, préc., note 57, 304-308.