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Introduction

L’habitat pavillonnaire est souvent mis en cause dans les débats sur la ville durable. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de ces controverses. Nous noterons simplement que la densité y occupe une place importante (Ewing et al., 2014). La faible densité engendre tout d’abord des dépenses supplémentaires pour les infrastructures et les réseaux. Elle est également souvent estimée défavorable à la durabilité des villes. Elle suscite des mobilités plus énergivores et des déperditions dans le chauffage des bâtiments. Ensuite, à population égale, l’artificialisation des sols diminue avec la densité. Dans certains pays où les sols sont déjà très artificialisés, tels que les Pays-Bas, l’enjeu est majeur. Enfin lorsqu’elle s’accompagne de diversité fonctionnelle, la densité est souvent présentée comme un facteur déterminant de l’urbanité d’un lieu. Or, la faible urbanité encouragerait des formes d’intolérance et de repli social (pour une critique de cette hypothèse, voir Charmes et al., 2013).

Forts de ces constats, de nombreux professionnels affirment qu’il faut densifier, ou plus exactement « compacifier » les villes. Toutefois, dans la plupart des pays occidentaux, les citadins affichent une préférence marquée pour l’habitat individuel (Damon, 2011). Même dans les pays d’Europe continentale telle la France, réputée pour accorder une grande valeur aux localisations centrales, quatre personnes sur cinq disent leur préférence pour ce type de logement (Djefal et Eugène, 2004). Par ailleurs, même si l’opposition aux transformations de l’environnement résidentiel est loin d’être l’apanage des pavillonnaires, le développement de l’acronyme NIMBY (not in my back yard – « oui, mais pas dans mon jardin » ou « pas dans ma cour ») suggère clairement que les habitants des quartiers pavillonnaires sont prompts à s’opposer à la densification.

On voit ici se dessiner une tension entre désirs individuels et nécessité collective. Cette tension n’est toutefois pas insurmontable. De nombreuses recherches ont montré qu’une densité significative peut être atteinte avec l’habitat individuel (pour la France, voir Fouchier, 1998). C’est dans ce contexte que sont nées des politiques de densification des quartiers pavillonnaires sans modification de leur caractère pavillonnaire. Il s’agit d’abord de réduire les réticences locales. La densification de l’habitat individuel par l’habitat individuel serait une forme de densification « douce » pour reprendre les termes de Touati (2015). Elle permettrait ensuite de répondre aux attentes dominantes en matière de logement tout en atteignant des niveaux de densité capables de garantir la durabilité des villes. Ces politiques prennent plusieurs formes. Une variante importante dans laquelle se sont engagées depuis plusieurs décennies de nombreuses villes d’Amérique du Nord, aux États-Unis (Schafran, 2012) et au Canada (Touati, 2013), est la promotion d’appartements accessoires (ADU pour Accessory Dwelling Units). Il s’agit de créer un logement supplémentaire dans un sous-sol semi-enterré, dans un garage, dans des combles ou dans une extension (Després et al., 2000). Dans ce cas, la morphologie d’ensemble du quartier n’évolue que modérément. La densification s’effectue surtout en termes de nombre de logements et d’habitants. La France s’est engagée récemment, notamment avec la loi ALUR [1] votée en 2014, dans une politique sensiblement différente, rarement envisagée aux États-Unis (Schafran, 2012), puisqu’il s’agit de promouvoir la division parcellaire et la construction de maisons individuelles supplémentaires, éventuellement mitoyennes.

Le présent article propose d’examiner la réception sociale de la transformation des quartiers pavillonnaires par densification dans le cadre de telles politiques (Morel-Brochet, 2012) [2]. Cette analyse est centrée sur les habitants. Ce choix fait écho au fait que les promoteurs de la division parcellaire (connue en France sous l’acronyme BIMBY pour built in my back yard) mettent en avant les initiatives des habitants, considérant qu’il suffirait que, chaque année, une faible fraction des propriétaires de maisons individuelles divisent leur terrain pour répondre à l’essentiel de la demande de logements individuels, sans artificialisation supplémentaire. Plusieurs études et recherches récentes (Miet, 2012 ; Sabatier et Fordin, 2012 ; Touati, 2012) ont ainsi mis l’accent sur le fait que, pourvu qu’ils soient correctement accompagnés, les propriétaires de maisons individuelles pouvaient être les acteurs-clés d’une densification des tissus pavillonnaires. Comme pour les appartements accessoires, souvent qualifiés de Granny Flat (Hare, 1982 ; Schafran, 2012), les promoteurs de la division parcellaire mettent en avant des situations types : un ménage qui souhaiterait accueillir, dans un logement indépendant, des parents devenus âgés, ou encore des retraités qui voudraient compléter leurs revenus ou agrémenter leur quotidien en accueillant un jeune ménage dans une maison construite sur leur terrain devenu trop grand.

Sans permettre d’estimer ce « gisement », nos travaux invitent à s’interroger sur l’ampleur de cette demande sociale supposée. En effet, si l’enquête montre que les habitants ne s’opposent pas particulièrement à la transformation de leur quartier, ils ne sont pas facilement porteurs du changement, étant peu intéressés par une modification de leur parcelle. L’idéal et le rapport au chez-soi pavillonnaires définis il y a déjà plusieurs décennies (Haumont, 1966) sont toujours d’actualité, comme l’a notamment montré récemment Mercier (2006) pour l’Amérique du Nord. Cela ne veut pas dire qu’aucune transformation ne s’effectue. Seulement, celles-ci se produisent surtout à l’occasion des mutations foncières et immobilières. Le marché et les acteurs qualifiés de ce marché jouent un rôle plus déterminant que les propriétaires. Autrement dit, c’est lorsqu’ils quittent la scène que les ménages ouvrent la porte à la densification résidentielle [3] par division de leur parcelle.

Ces résultats se fondent sur un travail empirique de terrain, avec observations et enquêtes qualitatives par entretien. Trente-neuf personnes ont ainsi été interrogées, dont trois élus (figure 1).

Figure 1

Profils socioprofessionnels des personnes interrogées

Profils socioprofessionnels des personnes interrogées

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La méthode d’entretien a croisé la technique semi-directive et l’entretien biographique exhaustif de type « récits de lieux de vie » (Morel-Brochet, 2006). La compréhension fine de l’histoire et des aspirations des personnes interrogées permet de déceler plus pertinemment les fondements de leurs attitudes à l’égard de la densification et de la diversification de leur quartier. L’observation et le repérage morphologique des structures et des modifications physiques des quartiers ont permis de localiser des parcelles où une restructuration parcellaire et des constructions nouvelles avaient eu lieu récemment ou étaient en cours.

Le choix s’est porté sur des quartiers anciens, ceux des faubourgs et des ensembles pavillonnaires de l’entre-deux-guerres (Fourcaut, 2000) parce qu’ils présentent l’intérêt d’être a priori favorables aux évolutions « douces ». En effet, la division parcellaire, la transformation de cabanons de jardin en studios d’appoint, l’extension de la maison par l’aménagement du garage, etc. y sont depuis longtemps choses courantes [4]. De telles transformations sont beaucoup plus rares dans les quartiers pavillonnaires plus récents, souvent desservis par des impasses et des voies en boucle, et dotés de règlements internes faisant obstacle à toute transformation significative (Charmes, 2010).

Les quartiers choisis sont le Bois-du-Roy (1800 habitants) à Avrillé, situé en périphérie immédiate d’Angers (Maine-et-Loire, Nord-Ouest de la France) et les Coudreaux, pour sa partie chelloise (7000 habitants), qui se trouvent en Seine-et-Marne (Est de Paris). Leur structure urbanistique est semblable, avec une trame orthogonale, des parcelles en lanière et la soumission au seul règlement d’urbanisme communal. De plus, ils abritent tous deux des collectifs de logements sociaux, des équipements et quelques commerces. Enfin, si ces secteurs ont une composition sociale proche de la moyenne nationale, ils sont restés plus populaires que leur commune : les ouvriers, notamment, y sont surreprésentés et les cadres sous-représentés (figures 2 à 7).

Figure 2

Catégories socioprofessionnelles des actif (15-64 ans)

Catégories socioprofessionnelles des actif (15-64 ans)

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Figure 3

Classes d'âge

Classes d'âge

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Figure 4

Type d'habitat

Type d'habitat

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Figure 5

Statuts d'occupation

Statuts d'occupation

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Figure 6

Statuts matrimoniaux

Statuts matrimoniaux

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Figure 7

Type de ménages

Type de ménages

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Les prix moyens du mètre carré dans ces communes sont plutôt élevés : Avrillé (2009 € / m2) figure parmi les communes les plus chères de son département et Chelles (2867 € / m2) se place au-dessus de la moyenne départementale [5]. Bien que la Seine-et-Marne soit le département le plus grand et le moins onéreux de la région Île-de-France, le marché immobilier y est tendu, surtout dans des villes comme Chelles, desservie par le RER et limitrophe des départements de la première couronne de Paris. L’ensemble de ces caractéristiques font du Bois-du-Roy et des Coudreaux des cas plutôt propices à la densification et les rendent attrayants parce qu’encore accessibles aux primo-accédants.

Au-delà de ces points communs, ces quartiers présentent des différences. Tout d’abord, malgré un certain renouvellement, le Bois-du-Roy est marqué, comme nombre de quartiers pavillonnaires anciens dans le monde (Morin et al., 2000) et contrairement aux Coudreaux, par un vieillissement prononcé (figure 3). Les deux quartiers s’opposent également dans leurs rapports à leur environnement urbain. Le Bois-du-Roy est bien relié à la ville (à Avrillé comme à Angers) par les transports publics ainsi que par des projets urbains en cours de réalisation (figure 8). Les Coudreaux, séparés de Chelles par une trame verte, demeurent pour leur part « une ville dans la ville » (figure 9).

Figure 8

Le Bois-du-Roy

Le Bois-du-Roy

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Figure 9

Les Coudreaux

Les Coudreaux

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L’article examine ainsi, dans un premier temps, l’intérêt que représenterait pour les habitants une densification résidentielle de leur parcelle et les contextes qui y mènent, puis la manière dont les différents processus de densification de ces quartiers sont appréciés par les habitants, comme par les élus.

Des propriétaires peu motivés pour transformer leur maison

Les diverses raisons pouvant conduire une famille à une division parcellaire ou à une transformation de leur maison sont relativement connues [6]. On retiendra principalement la volonté de construire une nouvelle maison plus adaptée, la recherche de revenus complémentaires, des stratégies d’actualisation d’un capital foncier, ou encore le souhait d’accueillir d’autres membres de la famille.

Le vieillissement apparaît ici comme une variable clé : le jardin devient progressivement difficile à entretenir et conduit à envisager d’en réduire la taille, la baisse des revenus favorise la recherche de ressources complémentaires, la perspective d’une dépendance forte à autrui s’installe et rend la présence d’une autre personne à proximité plus acceptable, etc.

Les divorces sont l’autre facteur-clé : pour que l’un des conjoints puisse acquérir l’intégralité du logement commun, il faut mobiliser des fonds, que la vente d’une partie de la parcelle peut apporter.

Dans notre enquête, ces préoccupations sont incontestablement présentes. Cependant, le passage à l’acte est peu fréquent. Plus précisément, comme on le verra ci-dessous, l’essentiel des transformations apparaît au moment des mutations, et les changements restent rares tant que les propriétaires résident dans leur logement.

La division parcellaire face à l’idéal pavillonnaire

Notre enquête, après d’autres, montre que la plupart des pavillonnaires âgés ne souhaitent pas déménager (Després et al., 2007 ; Berger et al., 2008 ; Lord, 2010). De plus, le vieillissement entraîne peu de modifications majeures de l’organisation du bâti ou du parcellaire. Beaucoup de ménages préfèrent profiter pleinement de leurs années de santé et repoussent à plus tard les changements (Aragau et Morel-Brochet, 2013). Hormis quelques rares cas, ils ne mettent pas en place avant d’y être contraints les conditions d’habitation qui devront être les leurs lorsque la dépendance et les problèmes de mobilité surviendront : « On va finir de payer dans trois ans et puis après on verra par rapport à l’évolution de la maladie de ma femme. On verra bien » (Jean-Pierre, 67 ans, livreur retraité, Cdx).

Si l’anticipation de leur propre vieillissement ne conduit pas les personnes interrogées à transformer leur habitat, en revanche, trois d’entre eux ont réalisé des aménagements pour accueillir leur mère âgée (pour des développements québécois, voir Boulianne, 2004) : un sous-sol semi-enterré ou une extension ancienne attenante ont été transformés en logements. Dans ces exemples, l’accès au logement de la mère âgée se fait directement dans la maison [7]. L’indépendance n’est pas complète. Cette indépendance n’est pas recherchée par les quelques autres personnes interviewées qui envisageraient d’accueillir un aïeul. L’hypothèse d’une seconde construction sur la parcelle choque même certains, tel Patrice (48 ans, enseignant-chercheur, BdR) : « Et plutôt que de leur construire une cabane dans le jardin, si on doit les avoir à domicile, on a de la place pour les accueillir et on trouvera une solution à l’intérieur, me semble-t-il ! »

Ceci étant dit, accueillir un parent n’est envisagé que par une minorité, notamment par crainte de détériorer des relations dont l’équilibre repose en partie sur une « bonne distance » : « Mais moi, je ne pense pas que j’aimerais que mes parents vivent sur la même parcelle, non je ne pense pas. Je pense que pour vivre, comment dirais-je, vivre librement et pour que les relations se passent bien, je ne pense pas que ce soit souhaitable » (Brigitte, 53 ans, prof. interm., BdR). En effet, le modèle dominant dans les sociétés occidentales reste la famille nucléaire et, si la proximité du réseau de parenté est appréciée et effective (Bonvalet et al., 1999), ce n’est pas le cas de la cohabitation entre parents et enfants adultes.

Ces réticences devant la cohabitation sont encore plus vives pour les descendants. Aucun participant à l’enquête (jeunes adultes ou parents de jeunes adultes) ne se projette dans le partage d’un même toit ou d’une même parcelle.

Notre principe, c’est de pousser du bec nos enfants pour qu’ils volent de leurs propres ailes. Et puis moi, dans mon tempérament, on envisagerait plutôt de vendre ici, mais je ne me vois pas faire le même système avec mes enfants qu’on a fait avec ma belle-mère. Ça ne me conviendrait pas. Et puis c’est plus la même époque. Nos enfants, on les aide en gardant leurs petits. Mais non, je ne veux pas dépendre de mes enfants. Ce n’est pas envisageable

Dominique, 62 ans, courtier en assurance, Cdx

La « bonne distance » pourrait sans doute plus facilement être trouvée avec une famille inconnue. Mais dans ce cas, d’autres réticences s’expriment. En règle générale, les personnes interrogées se sont montrées très réservées à l’idée de partager leur terrain avec des inconnus. Les perspectives de troubles de voisinage, d’une cohabitation difficile suffisent en général à écarter l’option d’une construction nouvelle. « Ça dépend sur qui on tombe. Ils peuvent paraître très bien et puis ils changent du tout au tout […] l’indépendance, c’est bien, non non. Les terrains doubles non non. Ou, alors, il faut vraiment deux entrées indépendantes. Mais même, non non » (Jean-Pierre). Dans les recherches pionnières sur l’habitat pavillonnaire, menées dans les années 1960, être tranquille chez soi, être indépendant, être libre avaient été des valeurs jugées cardinales (Haumont, 1966 ; Gans, 1967 ; Raymond et al., 2001). Encore aujourd’hui, ces valeurs restent bien présentes dans les esprits. Cette indépendance, cette liberté sont en partie garanties par la superficie du jardin, qu’il faut donc préserver.

Tout est bien sûr relatif et il reste à évaluer à partir de quel seuil l’argument financier peut pallier les inconvénients de la division parcellaire. Quoi qu’il en soit, dans les cas étudiés, cet argument n’est guère pris en considération : le gain ne semble pas valoir le trouble potentiel : « Moi, jusqu’à présent, j’ai réussi à m’en sortir, maintenant ça y est. Je me débrouille. J’ai pas envie de... de m’embêter avec ça. Ici, en plus, je suis bien » (Denise, 80 ans, ex-vendeuse dans les grands magasins, BdR). Beaucoup estiment de surcroît que l’investissement immobilier demande des compétences qu’ils n’ont pas. La complexité, le coût et l’importance des travaux effraient aussi. « Et sinon pour rigoler, ça m’a effleuré l’esprit de vendre […] Les gars de l’urbanisme m’ont dit : [Louis], il y a une bonne affaire à faire ! […] En francs, je gagnais 10 briques de gain. Je ne suis pas agent immobilier, ça ne me tentait pas » (Louis, 72 ans, ex-contrôleur dans l’industrie, BdR).

Apparaît enfin, en filigrane des discours, la tension classique entre valeur d’usage et valeur d’échange (Logan et Molotch, 2007). Pour les personnes rencontrées, une maison (le logement, son jardin, ses annexes) n’a pas vocation à être fractionnée, ni monnayée. Soit le pavillon reste intègre, soit il faut le vendre et partir ; c’est une chose qu’un jardin qu’on a entretenu pendant 20 ans soit ravagé par un chantier après qu’on a vendu sa maison, c’en est une autre de le faire soi-même. La relation au logement conserve toujours une dimension affective, même si cet attachement est à durée limitée. Toucher à l’intégrité de sa maison, c’est attenter à une identité personnelle et familiale. « Et puis j’ai mes attaches ici, dans cette maison. La famille, les voisins… On a des racines comme les vieux arbres. Et donc nous sommes là, dans notre maison qui est comme ça, et nous espérons y rester » (Jules, 63 ans, ex-agent de maîtrise dans la banque, BdR). Ainsi, pour nombre de pavillonnaires, les hypothèses de partage, de découpage, semblent incompatibles avec l’idéal pavillonnaire.

Des changements au moment des mutations

Ceci étant, des transformations ont régulièrement lieu dans les deux quartiers étudiés. Des parcelles sont divisées pour construire une nouvelle maison, des extensions sont ajoutées, des maisons sont divisées en plusieurs logements. Ces transformations ont été particulièrement intenses au cours des décennies 1950 et 1960. Les divisions ont également été nombreuses à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Et on note, mais dans une moindre mesure, une accélération au Bois-du-Roy depuis quelques années. Sans doute l’annonce d’un projet de tramway circulant sur l’une des voies bordant le quartier et d’un écoquartier sur un ancien aérodrome situé de l’autre côté de cette voie a-t-elle fait monter la pression immobilière (figure 1).

Ces transformations s’effectuent rarement aujourd’hui lorsque les propriétaires résident sur place, et plus fréquemment lors de mutations immobilières. Ainsi, pour les deux ménages rencontrés dont les maisons sont implantées en fond de parcelle, les divisions et les constructions ont été réalisées avant leur arrivée. « C’étaient deux personnes âgées qui ont, si vous voulez, fait une division au moment où ils sont partis […] Et donc, c’est ceux avant nous, je crois, qui ont fait construire ici en 1986. Moi, j’ai 570 m2 et l’autre terrain, il fait 900 m2, quelque chose comme ça » (Jacques, 69 ans, ex-ouvrier, Cdx).

À l’occasion des mutations, les enjeux financiers (gérer une succession, acquérir un nouveau logement) occupent le devant de la scène. Diviser permet aux vendeurs de bénéficier d’une plus-value par rapport au montant de la vente de la parcelle en un seul lot. « Plutôt que de vendre une maison à… mettons 300 000 euros, ils vendent une maison à 270 000 euros, plus un terrain à 100 000. C’est tout bénéfice […] la plupart du temps, ça se fait quand la maison se vend » (Responsable du service urbanisme, Avrillé).

La division parcellaire peut aussi faciliter la vente, notamment dans un contexte de marché immobilier tendu. La maison sur une parcelle amputée vaut moins cher et trouve donc plus facilement acquéreur. C’est ce que montre l’exemple de Pierre (51 ans, instituteur, Cdx) :

Grand ? Mon jardin aurait dû l’être s’il n’y avait pas eu cette petite maison au fond, cette dépendance qui a été aménagée par les anciens propriétaires […] quand un de leurs enfants s’est marié […] Ça nous aurait fait, si on avait acheté l’ensemble, des remboursements qui dépassaient à l’époque allègrement les 10 000 francs. Alors, même avec deux salaires […] ça faisait juste juste, quoi. Voilà. Donc l’ancien propriétaire, euh […] du coup… elle a vu avec son notaire et puis un géomètre, pour faire… pour vendre en deux lots, en fait. Faire un petit lot avec cette sorte de F3 qui est de plain-pied au fond, avec une allée qui longe la maison et qui va jusqu’à la rue.

Les mutations sont d’autant plus propices aux divisions qu’elles s’accompagnent d’interventions de professionnels tels qu’agents immobiliers, notaires, promoteurs, géomètres… mais aussi agents des services d’urbanisme (Touati, 2012).

Comme le montre l’enquête, les agents immobiliers ont tout intérêt à favoriser une division pour faciliter la transaction, voire entreprendre une nouvelle construction. L’exemple de Justine illustre bien ces interventions :

Nos amis… Ils sont à 200 mètres d’ici. Le terrain était plus grand que le nôtre, mais ils ont vendu la moitié du terrain à l’achat… à l’agent immobilier. En fait, [il] était intéressé pour vendre la moitié du terrain, parce qu’il pouvait acquérir la moitié du terrain à côté […] Il savait que le terrain était grand, que mes copains n’avaient pas forcément le budget pour prendre tout. Il s’est dit que ça les arrangerait peut-être bien de vendre un bout du jardin

31 ans, kinésithérapeute CHU, BdR

Les interventions des professionnels peuvent aller plus loin en suscitant des ventes. Exerçant une veille sur les ventes et les terrains qui leur apparaissent intéressants, certains intermédiaires et professionnels de l’immobilier peuvent approcher les propriétaires afin de les inciter à la vente.

Ainsi se trouve expliqué l’apparent paradoxe entre des propriétaires peu intéressés par la transformation de leur maison, et encore moins de leur parcelle, et des modifications malgré tout significatives du paysage des quartiers pavillonnaires étudiés. Nous ne disposons pas de statistiques précises sur les mutations dans ces quartiers, mais régulièrement des biens immobiliers changent de main. Ces mutations offrent autant d’occasions de transformation par division parcellaire, potentiel évidemment renforcé par la pression foncière et immobilière.

En somme, le potentiel de densification des quartiers pavillonnaires étudiés dépend moins des besoins financiers des propriétaires que des difficultés des acquéreurs à rassembler les sommes demandées. La nécessité de prix d’acquisition moins élevés pousse à des divisions parcellaires et à la construction de nouveaux pavillons (Touati, 2013). Dans ce cadre, l’actualisation du potentiel de densification serait moins à chercher du côté des habitants que de celui des différents acteurs du marché immobilier, notamment des intermédiaires que sont les agents immobiliers, parce qu’ils ont une certaine connaissance du marché, des entrepreneurs du bâtiment et des règlements.

Les pavillonnaires face aux changements de leur environnement

Si les propriétaires occupants de pavillons ne sont généralement pas intéressés par la vente d’une partie de leur terrain ou par la réalisation d’un investissement locatif sur leur parcelle, comment réagissent-ils lorsque d’autres le font, lorsqu’ils ne sont pas acteurs d’une transformation morphologique de leur environnement résidentiel, mais seulement spectateurs ? La réponse paraît évidente. L’idéologie supposément très individualiste des pavillonnaires paraît propice au développement d’un esprit de type Nimby (Genestier, 2007). Les habitants sont en tout cas particulièrement soucieux de la stabilité de leur environnement résidentiel et on les dit régulièrement enclins à attaquer les permis de construire de leurs voisins (Léger, 2010). Pourtant, dans les deux quartiers étudiés, et malgré un soin particulier à y chercher toute trace de protestation et de mobilisation contre les constructions nouvelles, la densité, etc., ces hypothèses ne se confirment pas. Ceci, alors même qu’au Bois-du-Roy il y a quelques années, une association de riverains s’est mobilisée pour obtenir la couverture de l’autoroute A11. Pourquoi cette passivité ou cette indifférence ?

Une relative passivité : effet de l’individualisme pavillonnaire ?

Les participants à l’enquête ne sont évidemment pas indifférents aux transformations de leur quartier. Les appréciations et les inquiétudes diffèrent cependant selon les personnes, le contexte et le projet. Au Bois-du-Roy, par exemple, plus que l’apparition de nouveaux pavillons et la densification par division parcellaire, ce sont les nouveaux immeubles collectifs de l’avenue Pierre Mendès-France (figure 10) qui suscitent de l’inquiétude et des commentaires :

Bien sûr, ça ne va pas être une tour de 50 étages, on est bien d’accord [...]. Les gens qui habiteront dans cette résidence seront certainement des gens charmants, il n’y a pas de raison… Mais ça change l’âme du quartier. […] C’est vrai que ça peut entraîner des déménagements, ce genre de changements. [D’ailleurs, je connais une dame] elle me disait oui, vous savez, on a peur que ça ne devienne que des immeubles… Ça se dit. […] Et ça peut faire de l’ombre. Les gens de la rue des Oiseaux, dans les jardins, ça peut faire de l’ombre. Je pense très souvent à eux

Nicole, 59 ans, comptable, BdR

Les projets qui dérangent ou inquiètent occasionnent avant tout des rumeurs et des conversations de voisinage. Il arrive également que les habitants appellent la mairie ou s’y rendent pour avoir des précisions sur les projets (privés comme publics). Ils font alors part de leur mécontentement ou de leurs interrogations. Mais, au Bois-du-Roy comme aux Coudreaux, il est rare que les manifestations d’inquiétude aillent au-delà. En règle générale, quels que soient les projets, les permis ne font pas l’objet de recours. À propos des immeubles construits le long du tramway, seule une menace de recours a pu être recensée, alors que les transformations sont importantes (figure 10).

Figure 10

Avenue Pierre Mendès-France (Avrillé)

Avenue Pierre Mendès-France (Avrillé)

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Les entretiens permettent de comprendre en partie ce caractère velléitaire des protestations. Même lorsque le projet les gêne ou leur déplaît, les personnes rencontrées estiment qu’elles n’ont pas de légitimité particulière pour l’entraver. Bon nombre d’entre elles affichent une posture de résignation, un peu fataliste face au règlement d’urbanisme : « Et puis de toute façon, il faut bien qu’on accepte, on n’a pas le choix » (Brigitte). Certains vont même jusqu’à reprendre à leur compte les discours sur la nécessité de construire des logements, si possible collectifs : « C’est très bien qu’il y ait du collectif et juste à côté des maisons […] ne serait-ce que pour les jeunes […] Parce que, sinon, il faut qu’ils aillent habiter à Segré. Je veux bien, mais il faut se la faire quand même, la route ! » (Muriel, 59 ans, sans profession, BdR).

En somme, les habitants sont peu mobilisés face aux changements morphologiques de leur quartier et aux transformations sociales qui peuvent en découler. Lorsque la nouvelle d’un projet se diffuse, une certaine émotion se fait jour dans tout ou partie du quartier, mais une fois que les gens cernent le projet ou apprennent qu’il respecte le règlement, les débats retombent peu à peu.

Outre ce légalisme, on peut voir là une manifestation inattendue de l’individualisme pavillonnaire. Plutôt que d’encourager les recours pour défendre la valeur de son bien, cet individualisme favoriserait une acceptation des projets du voisin : « [À propos d’un propriétaire ayant vendu son terrain à une société immobilière qui a construit un immeuble de 23 logements au milieu des pavillons] On n’était pas très content, y en a plein qui ont gueulé, mais bon, après tout, tant mieux pour lui ! Il a fait une bonne affaire » (Jules).

L’idée apparaît souvent, dans les entretiens, que les gens n’ont rien à dire à leur voisin sur ce qu’il fait chez lui et inversement : « Je ne vois au nom de quoi, si ma voisine a envie de se faire construire une maison avec un toit plat, j’irai entamer une procédure pour qu’elle ne la fasse pas » (Patrice, 48 ans, enseignant-chercheur, BdR). On retrouve un raisonnement de ce type aux États-Unis, chez McKenzie (1994), dans la critique de ce qu’il a appelé la privatopia, c’est-à-dire l’ensemble pavillonnaire géré par un gouvernement privé. Selon lui, un tel gouvernement est antinomique avec la liberté de faire, consubstantielle à l’idéal pavillonnaire.

L’explication par le chacun-est-maître-chez-lui paraît toutefois insuffisante. On sait en effet que, spécialement dans les ensembles pavillonnaires récents, la volonté d’être maître chez soi n’est pas toujours incompatible avec l’acceptation de quelques contraintes collectives pour préserver son cadre de vie (Charmes, 2005 ; Loudier-Malgouyres, 2013) et les recours juridiques ne sont pas rares (Desgrandchamps et al., 2010 ; Léger, 2010).

Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer ces contrastes. Toutes sont formulées ici à titre d’hypothèses et mériteraient d’être confrontées à d’autres enquêtes. Il est tout d’abord possible de mettre en cause le niveau de revenu. On le sait, la valeur d’un bien immobilier n’est pas seulement déterminée par ses caractéristiques propres, mais aussi par son environnement. Au Bois-du-Roy, l’environnement est relativement banal et a moins pesé dans le prix d’achat qu’ailleurs. Ceci peut contribuer à ce que ses habitants aient moins que d’autres le sentiment d’avoir un droit de propriété sur leur cadre de vie. Cette hypothèse est étayée par le cas d’un quartier voisin, tout aussi ancien, mais qui s’est significativement embourgeoisé en raison d’un paysage plus appréciable et plus verdoyant. Le minimum parcellaire [8] y est fixé à 800 m2 et, à la différence du Bois-du-Roy où ce minimum est de 300 m2 et où les différents règlements de droit privé sont tombés en désuétude, un cahier des charges spécifique a été maintenu, signe d’habitants plus vigilants à l’égard de l’évolution de leur quartier. Comme l’explique une personne rencontrée au service d’urbanisme de la mairie : « C’est vrai que c’est un quartier prisé, parce que c’est un quartier très paysagé, en bordure de l’Étang Saint-Nicolas… mais il est aussi ancien […] Au Bois-du-Roy, il n’y a pas eu de permis attaqué. Au Parc de La Haye, oui ! Ils sont, disons, plus exigeants. »

En continuité de ces propos, cette personne mentionne le cas d’un autre ensemble pavillonnaire :

Au Domaine de l’étang, c’est encore pire : très récent, très prisé ! On dit un peu comme ça que c’est notre "Wisteria Lane". Il faut que la pelouse soit bien tondue. Si la fumée du barbecue du voisin arrive chez moi, c’est limite, on va appeler la mairie. Les gens sont très très exigeants. Là, ils ont un règlement beaucoup plus strict que le POS [Plan local d’urbanisme].

Cette remarque invite à une deuxième hypothèse, car le Domaine de l’Étang, créé dans le cadre d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) au cours des années 1990, dispose d’une desserte typique des ensembles pavillonnaires des dernières décennies, dominée par les voies en boucle et les impasses (Southworth et Ben-Joseph, 1997). Or, ce type de desserte favorise, chez les riverains de la voie, le sentiment d’appartenir à un collectif particulier et invite à tenir à l’écart des « extérieurs », comme ils sont souvent qualifiés (Appleyard, 1981 ; Charmes, 2010). Manifestation de la vigueur de ce corps collectif dans le cas du Domaine de l’Étang, l’association syndicale libre du domaine est particulièrement active avec un site Internet et un blogue [9].

Autre hypothèse, les quartiers du Bois-du-Roy et des Coudreaux sont anciens et se sont constitués au fil du temps ; les divisions foncières, les modifications et les constructions (malgré quelques phases plus intenses) ont lieu de façon continue. Ils accueillent en leur sein des immeubles et notamment des logements sociaux. Aussi, ces quartiers n’ayant jamais été figés morphologiquement, leurs habitants, ceux qui y ont grandi comme ceux arrivés plus tard, ont intégré la diversité et la possibilité du changement : « C’est vrai qu’il y a de tout ! Et même des maisons très modernes avec des toits plats » (Justine).

Enfin, dernière hypothèse, les préoccupations des habitants de ces quartiers quant à leur cadre de vie font passer à l’arrière-plan les changements du cadre bâti. Pour Avrillé, l’attention est concentrée sur les projets précédemment évoqués. Aux Coudreaux, elle est absorbée par la mauvaise réputation du quartier. Toutes les personnes interrogées ont ainsi décrit spontanément l’image des Coudreaux, à Chelles et ailleurs [10]. « C’est un quartier qui est déjà très loin du centre ville. […] auquel on s’intéresse peu, si ce n’est pour en dire du mal », nous dit Julien. Françoise et Dominique, quant à eux, se sont laissés dire qu’ils avaient acheté « dans un coupe-gorge » ! Quant à Jacques, originaire de Chelles, il disait toujours à Huguette : « Jamais j’irai aux Coudreaux ! » Même s’ils estiment que, depuis quelques années, le quartier est « beaucoup plus calme », qu’ils ont « tout sous la main », ils souffrent de cette image « qui [leur] colle à la peau ». Dans un tel contexte, la question de la construction d’un pavillon supplémentaire sur une parcelle voisine apparaît relativement secondaire.

Si une densification préoccupe, c’est plutôt la densification humaine avec l’augmentation du nombre de ménages occupant une maison individuelle (décohabitation tardive des enfants, pavillons de rapport divisés en appartements, location de pièces à des étudiants…). Cette forme de densification donne lieu le plus souvent à des tensions relatives au stationnement. Elle peut aussi être perçue comme un signe de la dégradation sociale du quartier (Cartier et al., 2008). Enfin, les divisions de maison en appartements – dont témoignent les boîtes aux lettres – se développent, notamment en Île-de-France, et suscitent des inquiétudes. L’encadrement réglementaire de ces initiatives locatives est d’ailleurs en cours [11] « en vue de prévenir la production de logements dégradés et de renforcer les outils juridiques des collectivités territoriales pour contrer un phénomène qui n’est pas sans effet sur leurs dépenses » (Levray, 2014) [12]. D’une certaine manière, la situation apparaît ici inverse de celle de l’Amérique du Nord (Després et al., 2000 ; Schafran, 2012 ) où les transformations morphologiques font l’objet d’un fort rejet et où les politiques privilégient la densification de l’occupation des espaces bâtis existants.

La collectivité locale comme relais du collectif

Il ressort de ce qui précède que la commune est l’espace de référence pour la gestion des règles collectives. Le règlement d’urbanisme est donc aussi une entrée privilégiée pour lire la volonté collective au Bois-du-Roy ou aux Coudreaux. Si ce type de document est élaboré pour l’ensemble de la commune, les conseils municipaux sont attentifs aux revendications des habitants de ces quartiers qui, l’un comme l’autre, représentent près 15 % de la population communale (Avrillé compte environ 12 800 habitants et Chelles 52 800).

Or, malgré les injonctions des lois récentes et l’adhésion des milieux professionnels à la densification comme idéal, on n’observe pas d’évolution favorable à la densification dans les règlements locaux d’urbanisme. Ainsi, les élus d’Avrillé, sans vouloir absolument protéger le caractère pavillonnaire du Bois-du-Roy, n’ont pas pour objectif sa densification. Au moment de l’enquête, le minimum parcellaire (fixé à 300 m2) devait être maintenu car, comme l’explique un membre du service d’urbanisme de la mairie, « c’était une volonté des élus […] Ils estiment que, en-deçà, c’est pas des conditions idéales pour construire une maison… Et cette volonté, elle est encore là ». Mieux, le règlement actuel à l’égard des constructions collectives (dont la hauteur est limitée à 18 m) pourrait se faire plus restrictif. Dans la même veine, si aucune règle ne restreint les créations de parcelles en drapeau, tout laisse à croire que cela pourrait changer (figure 11).

Figure 11

Plan cadastral et vue depuis la rue d'une construction en fond de parcelle

Plan cadastral et vue depuis la rue d'une construction en fond de parcelle

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En effet, lors de l’élaboration du PLU de l’agglomération de 2006, annulé en 2009, certaines règles tendaient à les freiner. Comme une personne du service d’urbanisme d’Avrillé l’a indiqué :

Il y avait des règles qui limitaient la construction en seconde position, en fond de parcelle. Parce que si vous construisiez à plus de 15 mètres de la rue, vous ne pouviez vraiment pas construire en hauteur, enfin des règles vraiment très contraignantes. […] Parce que c’est pas toujours évident en termes de fonctionnalité et de cohabitation, ces constructions derrière… Il y a les défenseurs et les détracteurs. Et comme ça a été de nouveau possible avec le [retour au] POS, on a eu, en un peu plus d’un an, davantage de divisions foncières. Ce n’est pas énorme, mais c’est là.

La pression nationale contre de telles restrictions est ressentie, mais on voit bien qu’elle s’oppose à la manière dont, dans leur majorité, les élus et les personnels municipaux souhaitent que le Bois-du-Roy évolue. « Et puis c’est pareil, dans l’écriture du nouveau PLU, est-ce qu’on va continuer à autoriser les divisions foncières comme ça, en drapeau ? Est-ce qu’il faut limiter ça ? Est-ce que… ? Avec quand même en fond d’écran, le Grenelle 2 qui dit : « densification »… ? Donc c’est… c’est toute la problématique » (Service d’urbanisme, mairie d’Avrillé).

Aux Coudreaux, des mesures ont déjà été prises pour réduire la densification en coeur d’îlot. Plusieurs règles limitent actuellement la construction de deux habitations séparées sur la même parcelle et les constructions en fond de parcelle. L’emprise au sol des annexes isolées, hors garage, ne peut excéder 10 % de la superficie du terrain, le coefficient d’espaces verts est fixé à 30 %, toute construction principale à usage d’habitation (sauf extension) au-delà de 25 mètres de profondeur à partir de la rue est interdite et, surtout, « la construction de plusieurs bâtiments à usage d’habitation non contigus sur une même parcelle n’est pas autorisée » (Article UC 8). Cette dernière règle signifie que, pour ajouter une habitation individuelle, il faut d’abord procéder à une division foncière. Avec un minimum parcellaire fixé à 500 m2, cela n’est possible qu’avec un terrain initial d’au moins 1000 m2. Ceci n’annihile pas toutes les possibilités de transformation des Coudreaux, mais cela les restreint significativement.

Il semble que, pour les élus comme pour les techniciens rencontrés, une densification maîtrisée dans le cadre notamment d’une ZAC (Petitet, 2013) ou d’un remembrement (Vilmin, 2012 ; Charmes, 2014) soit préférable à une densification progressive des quartiers pavillonnaires par ajout de pavillons. Cette dernière leur paraît porteuse de plus de problèmes, aussi bien en termes de voisinage que d’équipements ou de stationnement. Ainsi, dans le secteur du Bois-du-Roy, Avrillé a clairement privilégié la construction de collectifs dans le cadre d’une opération d’urbanisme maîtrisée[13] au détriment d’une augmentation progressive de la densité pavillonnaire. Plutôt que de laisser la densification se diffuser dans le secteur, en lien avec la construction de l’écoquartier sur l’ancien aérodrome voisin, la ville a préféré accompagner la mutation des parcelles d’habitat individuel situées le long de l’axe du futur tramway.

Le caractère représentatif de ce point de vue reste à vérifier, mais il a été relevé dans d’autres contextes, notamment lors d’une enquête conduite dans la région métropolitaine lyonnaise (Rousseau, 2012). L’esprit de ce choix politique est bien exprimé dans cette longue citation d’une élue, chargée de l’urbanisme :

Avenue Pierre Mendès-France, l’idée, c’était de dire voilà : il y a un transport en commun en site propre qui passe. Il faut densifier un peu les choses. On ne densifie pas ailleurs, mais là il faut densifier un peu. […] Mais non, maintenant, on ne touchera pas au pavillonnaire du Bois-du-Roy. […] Non, on ne cherche pas à densifier. […] Non, on maîtrise l’espace comme ailleurs, mais on est parti aussi sur l’idée que, oui, les gens veulent une maison avec un peu de terrain et que la concentration n’a jamais été quelque chose de bon. Faire 25 maisons dans un mouchoir de poche, ce n’est pas une solution non plus. Parce qu’après, vous avez des conflits d’usage. Donc notre position, ça a été plutôt d’anticiper cela et essayer de prévenir plutôt que… Mais notre objectif, cela a été de garder quand même un minimum [parcellaire] parce que, sans cela, on laisse faire tout et n’importe quoi, et ce n’est pas évident. […] C’est vrai qu’on est aussi dans l’élaboration d’un PLU et, moi, je ne suis pas du tout opposée à protéger un peu les quartiers pavillonnaires. […] Je préfère qu’on densifie sur des espaces nouveaux, où c’est prévu, avec des voiries et tout, et on ne bidouille pas dans les quartiers pavillonnaires.

Ceci conduit à ajouter une dernière hypothèse pour expliquer la relative passivité des habitants des Coudreaux ou du Bois-du-Roy face aux transformations de leur environnement. Ces transformations sont modérées et la municipalité souhaite qu’il en reste ainsi. Si la municipalité appuyait des transformations plus fortes, les habitants auraient certainement un point de vue différent. C’est ce qu’indique le cas du quartier des Bas-Heurts, à Noisy-le-Sec, en banlieue est de Paris. Dans ce quartier pavillonnaire, le maire souhaite une transformation radicale avec construction d’immeubles en lieu et place des pavillons. La résistance est forte (Touati, 2013). [14]

Conclusion

Notre enquête conduite dans des lotissements français de l’entre-deux-guerres ouvre des perspectives et invite à des comparaisons. Même en s’en tenant au cas français, il conviendrait de s’intéresser aux quartiers pavillonnaires plus récents, souvent desservis par des impasses et des voies en boucle et où les règlements d’urbanisme sont doublés de cahiers des charges restrictifs. Les études disponibles montrent en France, en effet, que ces quartiers sont plutôt inertes morphologiquement et que leurs habitants sont souvent mobilisés contre les transformations des parcelles voisines (Léger, 2010 ; Loudier-Malgouyres, 2010).

Il conviendrait également d’approfondir le rôle des variables économiques en analysant, d’une part, le rôle du revenu des ménages et de leur position socioéconomique et, d’autre part, l’impact de l’état du marché immobilier. À partir de quand, pour les ménages aux revenus moyens notamment, le bénéfice d’une division parcellaire peut-il contrebalancer les résistances ? De même, comment les prix immobiliers se combinent-ils avec l’environnement social pour créer des conditions favorables à la division parcellaire au moment des mutations ? En effet, dans les quartiers huppés, les prix élevés n’entraînent pas nécessairement de transformation. Dans les quartiers plus modestes, la demande prenant appui sur des capitaux moins importants, le mécanisme d’ajustement des prix proposés par réduction de la taille des terrains peut plus facilement s’enclencher.

Enfin, il serait intéressant de comparer la situation française avec la situation nord-américaine. Comme on l’a dit, en Amérique du Nord, la transformation des quartiers pavillonnaires est plus envisagée en termes de densité d’occupation qu’en termes morphologiques, alors qu’en France, cette transformation est d’abord envisagée sous l’angle morphologique, et la densification d’occupation sans constructions nouvelles apparaît plutôt problématique. En Île-de-France, en particulier, les professionnels et les responsables politiques voient un signe de dégradation dans la densification d’occupation des pavillons des quartiers populaires (Davy et al., 2014).

Au demeurant, l’article met en perspective les discours actuellement tenus dans les milieux professionnels français sur le gisement foncier et immobilier qui résiderait dans les quartiers pavillonnaires. Dans les cas étudiés, ce gisement est réel, mais l’accent mis par certains lobbyistes (Miet, 2012) sur le rôle déterminant des propriétaires fonciers mérite d’être discuté. En effet, même dans des contextes favorables à la densification pavillonnaire comme ceux étudiés dans cet article, les ménages s’avèrent dans leur large majorité peu sensibles à l’attrait d’une adaptation de leur logement à leurs vieux jours ou d’un revenu complémentaire. De plus, l’accueil d’un nouveau ménage sur sa parcelle (après division ou pas) entre en conflit avec « l’idéologie pavillonnaire » telle qu’elle a été décrite dès les années 1960, dans les études du Centre de recherche d’urbanisme (CRU). Plus particulièrement, l’insistance sur la figure de la grand-mère qui pourrait être logée chez ses enfants ou qui pourrait accueillir un jeune ménage pour compléter ses revenus semble relever plus du marketing politique que d’une tendance sociale significative. La « grand-mère » joue certes encore un rôle dans quelques cas, mais ces cas semblent appelés à devenir résiduels, avec le renouvellement des générations.

Ceci ne veut pas dire que les quartiers pavillonnaires étudiés ne se transforment pas et ne vont pas continuer à le faire. Notre enquête ne permet pas de dire quel peut être le rythme d’évolution, mais elle montre que les transformations se font essentiellement à l’occasion d’un départ des propriétaires, et sous l’impulsion première d’initiés, comme les agents immobiliers. La densification du pavillonnaire par ajout de pavillons apparaît ainsi très clairement liée aux mécaniques qui régissent les transactions immobilières.

Enfin, en matière d’urbanisme, le marché n’est pas maître de tout et il doit s’adapter aux règlements locaux décidés par les collectivités. Dans les cas étudiés, les élus et techniciens se montrent très réservés face à un assouplissement réglementaire. Cette volonté de ne pas encourager, sinon de limiter, la densification progressive des tissus pavillonnaires n’est pas seulement l’expression de conservatismes locaux, elle témoigne aussi du souci des collectivités locales de maîtriser les évolutions urbaines. Cette densification soulève en effet des problèmes significatifs en matière d’équipement. Par ailleurs, la logique marchande, dont l’expression est facilitée par la relâche des contraintes réglementaires, tend difficilement vers un optimum collectif (Petitet, 2013 ; Charmes, 2014). La figure sympathique, empruntée à l’Amérique du Nord, du Granny Flat ne doit pas faire oublier les enjeux urbanistiques de la transformation des quartiers pavillonnaires. Avec une densification progressive, mais encadrée seulement réglementairement, les bénéfices des transformations sont essentiellement privés, notamment parce que les différentes taxes d’urbanisme et d’aménagement restent très modestes (Vilmin, 2011) [15].