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Introduction

Depuis plus d’un demi-siècle, les États-Unis ont connu un développement continu d’habitats spécifiques destinés aux aînés et désignés par le terme générique de retirement communities. Cette territorialisation résidentielle par l’âge (Findlay, 1993 ; Stroud, 1995 ; Pihet, 1999 ; Chevalier et Carballo, 2004) constitue l’une des catégories emblématiques de la construction d’une forme d’entre-soi et a participé au développement des gated communities (entre autres, Blakely et Snyder, 1997 ; Le Goix, 2001 ; Billard, Chevalier et Madoré, 2005 ; Le Goix et Webster, 2008), même si tous ces ensembles résidentiels réservés aux séniors ne sont pas fermés.

Sur une aussi longue période, ces habitats n’ont pas échappé à une forte différenciation. L’allongement de la durée de vie, les pathologies propres au vieillissement et les dépendances que ces maladies provoquent ont entraîné le développement de nouveaux segments d’habitat destinés aux plus âgés et aux plus dépendants. Parallèlement, le renouvellement des personnes âgées d’abord par les boomers, et désormais par des aînés encore plus jeunes, a favorisé l’arrivée de nouvelles offres immobilières. Parmi celles-ci, les active adult communities (AAC) apparaissent les plus emblématiques. Destinées à accueillir des personnes au moins cinquantenaires, fondées sur la conviction que la sociabilité générationnelle et les activités physiques ou sportives sont primordiales pour le bien-être et la longévité, ces AAC ont d’abord été développées dans les territoires traditionnels de relocalisation de retraités ou de préretraités, avant de connaître une relative dispersion. Le succès de cette offre tient beaucoup aux aspirations des différentes catégories d’aînés étasuniens quant à leur bien-être et à leur santé, des aspirations bien relayées et entretenues par la principale organisation – l’American Association of Retired Persons (AARP) [1] – à laquelle ces personnes adhèrent.

Cependant, la territorialisation des AAC dans les régions traditionnellement accueillantes pour les personnes âgées n’est pas sans susciter des questionnements. Par exemple, en Floride, les études empiriques conduites durant les dix dernières années ont montré une diffusion évidente hors des régions métropolitaines, cette diffusion s’accompagnant parfois de processus spectaculaires de concentration. Ces observations permettent de formuler deux questions. S’agit-il d’une simple reconfiguration spatiale de l’offre immobilière associée à la saturation des régions métropolitaines, posant ainsi les termes de nouveaux modèles géographiquement situés ? Cette diffusion de l’offre immobilière pour les aînés conforte-t-elle un entre-soi basé non seulement sur la variable générationnelle, mais également raciale ? La construction de réponses devait passer, dans un premier temps, par la constitution d’une base de données géolocalisées originale [2] sur les AAC permettant de bien mettre en contexte les observations floridiennes. Et, dans un second temps, d’approfondir les études antérieures par de nouvelles recherches de terrain conduites au printemps 2015. De ces analyses, nous postulons l’existence de nouveaux modèles qu’illustrent bien les fortes concentrations d’AAC de la Floride centrale non métropolitaine.

Les AAC : un produit immobilier et social

Aux origines des AAC

La création des premières communautés résidentielles à restriction d’âge est aujourd’hui bien documentée, notamment à travers le travail effectué par l’historienne de l’urbanisation Judith Ann Trolander (2011a). Alors que la première opération recensée date du milieu des années 1950 (Youngtown, dans la banlieue occidentale de Phoenix, Arizona), il faut attendre le début de la décennie suivante pour qu’un mouvement prenne réellement forme. Deux entrepreneurs se distinguent particulièrement dans le déclenchement de ce mouvement : Del Webb, créateur des Sun Cities, et Ross Cortese, fondateur de Leisure World. Dans les deux cas, il s’est agi de profiter d’un contexte particulièrement favorable, constitué à la fois d’aides fédérales (crédits au logement pour aînés à faible revenu garantis par la Federal Housing Authority), d’opportunités foncières (Del Webb crée la première Sun City à l’ouest de Phoenix, à proximité de Youngtown, sur l’emprise d’un ancien camp réservé à la détention de Japonais et d’Américano-Japonais durant la Seconde Guerre mondiale) et de l’émergence d’une demande venant d’ouvriers qualifiés, d’employés et de cadres intermédiaires pour profiter, dans un environnement sain, de la perspective d’une retraite active dans un entre-soi sécurisant.

Tous les documents de l’époque, en particulier la très riche documentation audiovisuelle des musées créés par la Sun Cities Aera Historical Society et la Leisure World Historical Society and Museum, révèlent bien la convergence des attendus sociétaux. D’un côté, du point de vue des développeurs, est écrit le récit de la perspective d’une nouvelle ville qui ferait communauté, de l’autre, du point de vue des résidants, est écrit le récit d’une sous-culture collective faite d’activités et de sociabilité, les deux ayant la vertu de retarder le vieillissement. En résumé, comme le met bien en exergue Trolander (2011a), les projets de Del Webb et de Cortese connaissent un succès rapide, car ils s’inscrivent dans une grande tradition urbanistique étasunienne : faire une nouvelle ville et faire de celle-ci une nouvelle utopie.

Tout ceci n’est toutefois possible qu’en raison de libertés laissées aux développeurs d’introduire des normes de planification sociale par les restrictions d’âge qu’ils apportent au peuplement et qu’entretiennent les associations de propriétaires auxquelles sont confiés les instruments de la gestion collective, même lorsque ces développements résidentiels ont été incorporés en villes ou annexés par des municipalités voisines (Trolander, 2011b). La législation (fédérale ou des États) va conforter ce processus, car ni le Fair Housing Act (1968), ni le Civil Rights Act (1969) censés lutter contre les discriminations ne pourront agir contre les restrictions d’âge, ce qui sera confirmé par l’adoption du Fair Housing Amendement Act de 1988 consacrant l’exemption des ensembles résidentiels destinés aux plus de 55 ans. Le Housing for Older Persons Act (HOPA) (1995) institue même un statut particulier à ces ensembles (classés alors 55 +), à condition que les membres soient capables de prouver régulièrement qu’ils représentent au moins 80 % de la population résidante totale (Black et Bozeman, 2009).

Les AAC : un marché immobilier spécialisé

Dans une active aging industry où convergent, d’un côté, les développeurs et les fournisseurs de services immobiliers et, de l’autre, les acteurs du bien-être et de la santé des plus de cinquante ans, les AAC constituent un marché spécialisé. En effet, depuis un demi-siècle, au fur et à mesure que croissait le nombre de personnes âgées et qu’augmentait l’espérance de vie, [3] on a assisté à une segmentation de plus en plus fine du marché immobilier des aînés (Glass et Skinner, 2013). Une typologie s’est ainsi organisée sur les niveaux croissants de dépendance et sur la prise en compte de besoins associés à la progression des pathologies liées au vieillissement. L’ensemble de ce marché s’est construit sur l’alliance entre immobilier et services, cette alliance [4] apportant des produits distincts selon les âges et aussi les niveaux de revenus. Ainsi, les AAC représentent-elles un des premiers échelons de cette typologie, accueillant des préretraités, des semi-retraités ou des retraités ayant quitté leur logement précédent pour une vie nouvelle orientée vers une sociabilité fondée sur une relative proximité d’âge, des activités plus ou moins diversifiées et un état d’esprit « jeune » et « dynamique ». Il s’agit en effet de s’accorder un vieillissement progressif, heureux et serein et d’en montrer le reflet à ceux avec qui on fait (ou on est censé faire) communauté. Tout le marketing de ces développements ne cesse d’offrir les mêmes images, les mêmes récits, les mêmes slogans, la qualité des logements (individuels le plus souvent), l’environnement de l’ensemble résidentiel ainsi que les équipements et les services communs constituant le gage d’un vieillissement épanoui (Lucas, 2004).

Non seulement ce marché des AAC n’a cessé de progresser, mais il s’est diversifié afin de répondre à des demandes plus complexes à satisfaire. Les jeunes aînés d’aujourd’hui (55-70 ans) n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes exigences que ceux qui, aux mêmes âges, ont été les acquéreurs des décennies 1960-1970 et des deux suivantes (Reagor, 2014). Globalement, ce marché est aussi monté en gamme et doit répondre à des jeunes baby boomers qui peuvent avoir encore une activité professionnelle et vouloir continuer à recevoir chez eux amis et famille. Mais si ce marché est en expansion, c’est aussi en raison de l’intérêt que les municipalités ont porté aux programmes qui le visent : ces ensembles résidentiels ont l’avantage de regrouper des populations stables, disposant d’un niveau de revenu variable mais assuré, rapportant des taxes, coûtant très peu à la collectivité et, par leur densité relative, contribuant beaucoup moins à l’étalement urbain que les lotissements standards de maisons unifamiliales (Lemmon, 2003).

Les AAC : un marché de plus en plus segmenté

Les images, récits et slogans du marketing ont beau sembler homogénéiser l’offre, une analyse fine montre que les acteurs de l’industrie immobilière ont su constamment s’adapter et proposer des produits diversifiés, autant en termes de logements, d’équipements et de services que de localisation géographique.

Certains concepts ont pu disparaître de la production, comme Leisure World. Après le développement de sept résidences et le décès du fondateur en 1991, il ne subsiste plus qu’une fondation (Golden Rain Foundation) assurant la gestion décentralisée des équipements collectifs. L’autre grand concept pionnier (Sun City) a, lui, connu une profonde évolution, surtout après que Del Webb fut absorbée en 2001 par l’un des acteurs majeurs de l’immobilier : Pulte Homes. Avec plus de cinquante réalisations réparties dans une vingtaine d’États, Del Webb demeure un acteur majeur, mais en a largement fini avec les immenses Sun Cities des débuts, aux logements de qualité modeste. Il se concentre désormais dans des opérations plus petites et souvent associées dans des planned communities mixtes, l’AAC n’étant qu’une partie d’un ensemble plus vaste et diversifié. Ce changement s’est concrétisé également par l’abandon de l’appellation Sun City au profit de Del Webb, voire par l’abandon de la référence à Del Webb dans la désignation d’opérations récentes.

D’autres conceptions d’AAC ont enrichi l’offre. Ainsi celle d’Edward Robson (venu de Del Webb), mise en oeuvre à partir de 1972 dans la réalisation de Sun Lakes (à la lisière sud du comté de Maricopa, Arizona) juxtaposant cinq AAC, chacune étant organisée comme un country club. Un modèle qui ne fut dupliqué par son fondateur qu’une seule fois, au Texas, mais qui inspira de très nombreuses réalisations où le terrain de golf tient une place déterminante à la fois pour la possible activité qu’il représente et pour la qualité des espaces ouverts qu’il offre. D’autres entreprises s’appuyant sur leurs propres concepts ont contribué au développement du marché. Dans tous les cas, à une offre d’équipements et services variés et de grande qualité qui en font des Leisure Oriented Retirement Communities (LORC), comme les désignent Glass et Skinner (2013), s’ajoute une large proposition de modèles résidentiels.

Et à ces conceptions aujourd’hui largement répandues peuvent en être ajoutées d’autres, dans des registres très différents. Les Toll Brothers Active Living, par exemple, caractérisent le segment grand luxe des AAC. En raison du nombre de ménages concernés, il s’agit de complexes modestes par leur taille, mais non par leurs équipements et les très grandes maisons qui les composent. Avec un certain succès puisque, depuis 15 ans, l’entreprise originaire de Pennsylvanie a finalisé une quarantaine de communautés dans 12 États.

Il faut enfin faire une place particulière à une conception unique mais de très grande taille, développée à environ 70 km au nord-ouest d’Orlando (Floride) : The Villages. Partis d’un simple terrain de camping pour motorisés au début des années 1970, les propriétaires et développeurs (la famille Ross) ont entrepris la création de « villages » pour retraités au cours des années 1980, la dénomination The Villages ayant été donnée en 1992. En 2015, la population de l’ensemble était estimée à 114 000 habitants ! Hormis trois « villages » réservés aux familles (il faut bien des actifs pour assurer le fonctionnement de l’ensemble), tous les autres sont classés 55 +. Autant par l’ampleur de l’opération et des équipements proposés (39 parcours de golf, plusieurs centres récréatifs ou centralités de commerces et de services), que par les histoires fictionnelles construites [5] (Brian, 2014) et les formes de gouvernement (10 Community Development Districts [CDD]), il s’agit d’une organisation hors norme déstabilisant les pouvoirs des comtés et générant des polémiques relayées autant en Floride qu’au plan national. L’ouvrage de Blechman (2008) a précocement sonné l’alarme sur les dérives et les risques amenés par cette concentration.

Les AAC : un nouveau mode de vie

Les AAC existent maintenant depuis plus d’un demi-siècle et les développeurs ne manquent ni d’imagination ni de clients pour en proposer de nouvelles. Elles ont ouvert un nouvel horizon pour des ménages, ou des personnes seules, capables de passer d’un mode de vie, d’un environnement familier et de relations établies à une autre étape de leur parcours. Les enquêtes témoignent généralement de la satisfaction des choix effectués par les résidants qui, tout en privilégiant un habitat marqué par l’entre-soi générationnel, n’abandonnent pas pour autant leurs relations antérieures ni les relations avec le monde extérieur (McHugh et Larson-Keagy, 2005 ; Hebbert, 2008).

La robustesse de ce modèle n’est guère surprenante quand on sait le soin qu’apportent les entreprises immobilières dans l’analyse des demandes et la négociation des contrats (Bernstein et al., 2011). Streib et al. (2007) soulignent combien les associations de propriétaires qui gèrent ces ensembles résidentiels savent s’adapter aux besoins et préférences des résidants et maintiennent une qualité de vie évidente fondée sur les équipements et services. Les conflits au sein de ces ensembles résidentiels sont plutôt rares (Streib et Metsch, 2002). Mais dans certains cas, il arrive désormais que s’opposent boomers et résidants plus âgés, en particulier à propos d’activités (Roth et al., 2012), établissant ainsi un clivage dans les supposés intérêts communs générationnels alors que les boomers se considèrent comme une cohorte ayant sa propre sous-culture plutôt que comme appartenant à la génération des personnes âgées.

Toutefois, si la question de l’âge maximum n’est jamais posée (chacun étant normalement censé savoir à quel moment il devra déménager dans une résidence spécialisée offrant des services adaptés), celle de l’âge minimum ou celle concernant l’accueil des jeunes peuvent se révéler problématiques. Hors des AAC, ces restrictions sont fréquemment décriées comme un puissant facteur de ségrégation et de fragmentation de la société. Elles peuvent également être contestées par les pouvoirs publics et faire l’objet de débats au sein même des AAC. Historiquement, ces débats internes se sont produits quand, à la suite de parcours judiciaires parfois longs, il fut admis qu’un seul membre du ménage doive avoir l’âge minimum requis pour que soit aussi autorisée la résidence à l’autre membre, plus jeune. Cela a été confirmé par le Fair Housing Amendement Act. Les débats internes surviennent aussi parfois lorsque la restriction concernant l’accueil des jeunes apparaît appliquée de manière excessivement rigide. La restriction liée à l’âge minimum a pu aussi apparaître très contraignante dans le contexte récent de crise immobilière. En effet, pour garder le statut de résidence 55 +, il ne faut jamais descendre sous les 80 % d’occupation par des plus de 55 ans. Mais que faire si des vendeurs ne trouvent pas d’acheteurs permettant de maintenir ce taux ? Alors que le statut de résidence 55 + est censé valoriser le capital (Guntermann et Thomas, 2004), la tentation est grande de préconiser l’abandon de ce statut. Parfois, ce sont les développeurs qui proposent d’alléger ces restrictions. Ainsi, à côté des age-restricted, existent de plus en plus d’age-targeted communities, plus ouvertes aux occupants plus jeunes.

Caractéristiques des AAC sur le territoire national

L’exploitation d’un annuaire

S’il n’existe pas de recensement officiel des AAC, aux États-Unis, des annuaires ont vocation à promouvoir l’offre. Plusieurs ont été analysés et le plus riche en information, intitulé 55 Places, a été exploré en mai 2015. Avant d’exploiter cet annuaire en ligne, il convient de s’interroger sur la façon dont il est construit. Ce sont les communautés positionnées sur ce créneau des 55 ans et + qui s’inscrivent gratuitement. Selon les promoteurs du site, grâce à cette gratuité, presque toutes les AAC des États-Unis sont recensées, ce qui est impossible à vérifier, bien évidemment. Reposant sur une approche déclarative, cet annuaire constitue donc une base de sondage du phénomène, dont il est impossible de mesurer la représentativité, étant donné l’absence de recensement des communautés résidentielles destinées aux aînés actifs.

Le site 55 Places semble par ailleurs très dynamique, car six mois après la constitution de la base de données, en mai 2015, une nouvelle visite du site permet d’identifier 93 nouvelles inscriptions, soit une hausse de 7 %. Il s’agit principalement de complexes déjà existants. Toutefois, si la taille de l’échantillon a augmenté, la géographie du phénomène n’a aucunement évolué, car la part de chaque État dans le total étasunien a très peu varié : elle oscille entre - 0,53 et + 0,61 point de %.

Une part du marché de l’habitat des aînés très limitée, mais en expansion

La consultation du site 55 Places a permis de compter, en mai 2015, sur l’ensemble du territoire des États-Unis, 1290 AAC comprenant 1 745 141 logements. Même si ce site ne constitue qu’une base de sondage, il est clair que ces AAC ne représentent qu’une part très faible du parc de résidences principales des ménages de 55 ans et plus aux États-Unis : 2,37 % seulement (AHS, 2013). En moyenne, chaque AAC contient 888 logements, mais la médiane est nettement moins élevée (294), car 3 communautés, comprenant entre 27 000 et 56 000 logements (The Villages), tirent fortement la moyenne vers le haut. De fait, la très grande majorité (80 %) comptent moins de 1000 logements, et 40 % en ont même moins de 200.

Les premières AAC ont été créées à la fin des années 1950. Puis le phénomène a pris de l’ampleur au cours des décennies suivantes, et les deux tiers de celles qui sont recensées dans le site de 55 Places sont apparues depuis 2000. Il n’est pas étonnant que cette période de l’extrême fin des années 1990 jusqu’à la rupture de 2008 soit une phase d’expansion, car les promoteurs anticipent en s’appuyant sur la confiance donnée par le cadre législatif (adoption du HOPA en 1995) et la promesse d’un nombre certain de futurs nouveaux acheteurs, en lien avec l’arrivée en 1996 des premiers baby-boomers à l’âge de 50 ans. Toutefois, la part des logements qui se trouve concentrée dans ces AAC créées depuis 2000 est nettement plus réduite, puisqu’elle s’élève plus ou moins au tiers seulement. Cette moindre proportion s’explique par la réduction très significative du nombre moyen de logements par communauté au cours du temps : de plus de 2000 pour celles dont la création est antérieure à 1980 à seulement 500 pour celles qui ont vu le jour entre 2000 et 2009. D’ailleurs, les 9 communautés qui dépassent les 10 000 logements ont été créées entre 1960 et 1982 et, parmi les 31 composées de 5000 à 9999 logements, 27 ont vu le jour avant 2000.

Quant au type d’habitat, les AAC offrent pour l’essentiel un logement individuel, encore plus que le parc de logements des États-Unis, dominé par le pavillonnaire : 70 % (AHS, 2013). C’est le cas exclusif de 83 % d’entre elles, les autres 17 % proposant des appartements (10 %) et un habitat mixte (7 %). Par ailleurs, des murs et des clôtures peuvent matérialiser les limites des AAC, les assimilant alors à des gated communities (enclaves résidentielles sécurisées). C’est le cas de 639 d’entre elles, soit la moitié, celles-ci concentrant 60 % de l’offre en logements dans ces communautés. Cette proportion est élevée puisque, selon l’American Housing Survey (AHS), près de 11 millions de ménages, soit un dixième du total, vivaient dans une gated community aux États-Unis, en 2009 (dernière enquête ayant recensé cette variable). À l’image de l’ensemble des gated communities, la présence d’une barrière physique marque de son empreinte les États du sud, [6] où la majorité des AAC sont fermées. La Floride pointe en tête (88 %), suivie de la Californie (69 %), de la Géorgie (61 %), du Nevada (59 %), du Texas (58 %), de la Caroline du Sud (56 %) et de l’Arizona (50 %). En revanche, dans les États du nord-est, la proportion de gated communities parmi les AAC est nettement minoritaire, sauf dans l’État de New York où elle atteint les trois quarts. Enfin, si 50 % des AAC ne sont pas fermées, les allées et venues des non-résidants sont néanmoins surveillées dans certaines, notamment grâce à des programmes de type surveillance de quartier.

Un marché de l’habitat abordable, mais très segmenté en termes de prix

Le site de 55 Places donne les prix de vente des logements dans les AAC qui y sont répertoriées. C’est une fourchette de prix qui est mentionnée, ce qui permet de connaître la valeur du ticket d’entrée, mais aussi la différenciation intracommunauté.

L’éventail des prix des logements vendus dans les AAC aux États-Unis est très ouvert. Alors qu’on peut accéder à certaines communautés avec un budget inférieur à 100 000 $ US, [7] dans d’autres, on n’obtient rien à moins de 1 million $, sachant que le maximum s’élève à 6 millions $. Toutefois, dans 83 % des communautés, le ticket d’entrée est inférieur à 300 000 $ et, dans un quart, il se situe même en-deçà de 100 000 $. Ces proportions sont proches de celles observées pour l’ensemble des propriétaires occupants âgés de 65 ans et plus vivant aux États-Unis : 77 % des unités d’habitation qu’ils occupent ont une valeur inférieure à 300 000 $ et, dans 30 %, elle est même inférieure à 100 000 $ (AHS, 2013).

Par ailleurs, la majorité des AAC sont relativement homogènes en termes de prix : dans 58 % d’entre elles, le coefficient multiplicateur entre le prix le plus élevé et le plus bas est inférieur à deux. En revanche, dans 10 % d’entre elles, la valeur marchande des biens les plus onéreux est au moins quatre fois plus élevée que celle des biens les moins chers, laissant deviner l’existence de segmentations internes fortes.

Il semble donc que ces communautés résidentielles soient accessibles à la majorité des aînés et ne se situent pas, pour l’essentiel, dans le registre des complexes élitistes. Ce résultat confirme les travaux de Pihet (1999 : 429), qui notait que « ce sont les ménages à revenus moyens […] qui constituent l’essentiel du peuplement ».

Une offre résidentielle surreprésentée dans la Sun Belt et, dans une moindre mesure, le nord-est

Selon le site de 55 Places, en mai 2015, la proportion d’États pourvus en AAC est très élevée : 45 sur 51, soit 88 %. Les six États où aucune communauté n’a été recensée ne représentent que 1,5 % de la population des États-Unis en 2010. Lors d’une nouvelle consultation du site, en octobre 2015, il ne reste plus qu’un seul État qui en soit dépourvu. Par ailleurs, des AAC ont été recensées en mai 2015 dans 266 comtés, soit près de 9 % des 3077 comtés étasuniens, et dans 668 villes ou municipalités. Pour bien faire ressortir ce déploiement géographique des AAC, nous avons réalisé une cartographie à l’échelle des États, en montrant le nombre et la densité pour 100 000 habitants d’AAC et de logements dans ces complexes, puis en faisant ressortir le semis de points correspondant à la localisation précise de chaque AAC (figure 1). Cette cartographie montre que l’ubiquité du déploiement des AAC ne signifie pas égalité territoriale, car ces communautés marquent fortement de leur empreinte trois zones géographiques.

La prééminence des États du sud-est (Caroline du Nord, Caroline du Sud, Géorgie et Floride) et du sud-ouest (Arizona, Californie et Nevada) est nette. Ces régions concentrent respectivement 39 % et 30 % de l’offre en logements dans des AAC, soit plus des deux tiers du total national, pour 29 % et 16 % des communautés. Sans surprise, la Floride (32 % des logements pour 19 % des communautés) et l’Arizona (16 % et 7 %) sont en tête, à la fois pour le nombre et la densité de logements (au regard de leur population) : ils regroupent quasiment la moitié de l’offre répertoriée en mai 2015 sur le site 55 Places. Une troisième grande zone de concentration est constituée des 14 États qui s’égrènent le long du littoral atlantique depuis la Virginie jusqu’à la Nouvelle Angleterre, avec 18 % des logements pour 39 % des communautés. De fait, si la présence d’AAC est élevée dans le nord-est, l’offre y est plus limitée en nombre de logements. Ainsi, le New Jersey et la Pennsylvanie, les deux États les mieux dotés en communautés dans cette zone géographique (16 % et 9 % du total national), ne détiennent que 10 % et 2 % de l’offre en logements.

Figure 1

Géographie des AAC aux États-Unis en 2015. Nombre et densité d’AAC et de logements pour 100 000 habitants par État ; répartition des AAC

Géographie des AAC aux États-Unis en 2015. Nombre et densité d’AAC et de logements pour 100 000 habitants par État ; répartition des AAC

Figure 1 (continuation)

Géographie des AAC aux États-Unis en 2015. Nombre et densité d’AAC et de logements pour 100 000 habitants par État ; répartition des AAC
Conception : Sébastien Angonnet, 2016. Source : United States Census Bureau, 2010 ; 55 Places, 2015 ; UMR ESO, 2016

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Cette différence géographique nord-sud entre la proportion d’AAC et de logements situés dans ces communautés s’explique par une taille médiane des communautés plus élevée dans les États de la Sun Belt. C’est très clair, notamment sur la façade orientale du pays : en Pennsylvanie et dans le New Jersey, la médiane s’établit à 144 et 296, contre 796 en Floride. D’ailleurs, le calcul de la différence (en points de %) entre la part d’AAC et de logements situés dans ces communautés pour chaque État est très éclairant : cette différence n’est positive que dans sept États, tous situés dans le sud ou à l’ouest du pays. Deux États ressortent tout particulièrement et représentent les trois quarts du différentiel positif : la Floride (+ 13,3 points) et l’Arizona (+ 9,3). À l’opposé, deux États du nord-est, la Pennsylvanie (- 6,9) et le New Jersey (- 6), cumulent 40 % du différentiel négatif.

Pour mieux faire ressortir encore les États sous-dotés ou surdotés en AAC, nous avons calculé le différentiel entre l’effectif constaté et l’effectif attendu de communautés et de logements en nous basant sur l’hypothèse d’une densité identique dans tous les États. Les zones sur-dotées correspondent fort logiquement aux trois zones où l’offre est surreprésentée, à savoir le sud-est, le sud-ouest et la façade atlantique nord-est. Trois États apparaissent ainsi fortement excédentaires : la Floride et l’Arizona pour le nombre de communautés et plus encore pour l’effectif de logements, puis le New Jersey, mais surtout pour le nombre de communautés (figure 2). À l’inverse, les États les plus déficitaires se localisent principalement dans le Midwest et son extension sud jusqu’au Texas, ainsi qu’en Californie : cet État, bien que doté de nombreuses AAC (quatrième rang national et même troisième pour le nombre de logements dans une AAC), enregistre le plus fort différentiel négatif derrière le Texas car, compte tenu de son poids démographique élevé (37,2 millions d’habitants en 2010), sa dotation en AAC est finalement relativement modeste comparativement à bien d’autres États.

Figure 2

Différentiel entre l’effectif constaté et l’effectif attendu d’AAC et de logements dans ces AAC par État en 2015 (hypothèse : densité identique dans tous les États)

Différentiel entre l’effectif constaté et l’effectif attendu d’AAC et de logements dans ces AAC par État en 2015 (hypothèse : densité identique dans tous les États)
Conception : Sébastien Angonnet, 2016. Source: United States Census Bureau, 2010 ; 55 Places, 2015 ; UMR ESO, 2016

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Si les AAC sont surreprésentées dans certains États de la Sun Belt, en particulier l’Arizona et la Floride, leur déploiement y a été également plus précoce. Les trois États où la majorité de ces communautés ont vu le jour avant les années 2000 sont en effet l’Arizona (69 %), la Californie (59 %) et la Floride (50 %). À l’inverse, dans les États du nord-est, une forte majorité de ces communautés ont été créées depuis 2000 : c’est le cas dans le Delaware (100 %), l’Ohio (96 %), le Massachusetts (93 %), le Connecticut (92 %), le Maryland (90 %), et si cette proportion est plus limitée dans les deux États les mieux dotés, elle y est néanmoins nettement majoritaire, atteignant 80 % en Pennsylvanie et 65 % dans le New Jersey.

Au total, la géographie des AAC aux États-Unis est marquée par quatre faits majeurs : aucun État n’échappe au phénomène, ce qui est en lien avec la diversification des flux migratoires des personnes âgées aux États-Unis observée depuis les années 1990 (Pihet et Viriot-Durandal, 2009) ; la façade orientale et le sud-ouest apparaissent les mieux dotés ; l’offre la plus abondante en logements est présente dans la Sun Belt, où deux États (l’Arizona et la Floride) concentrent la moitié de l’offre ; enfin, une vision géodynamique révèle un processus de diffusion depuis une aire primitive, située principalement dans des États de la Sun Belt, vers l’ensemble du territoire étasunien et en particulier les grandes métropoles du nord-est.

Cette analyse du déploiement spatial des AAC aux États-Unis corrobore des travaux antérieurs datant de la décennie 1990, notamment ceux de Stroud (1995) repris par Pihet (1999 : 423) : « Le mouvement s’accélère et se diffuse à peu près partout, y compris à proximité des métropoles du nord-est à partir des années 1970 et 1980 » ; « néanmoins, c’est dans les États de la Sun Belt que ces concentrations atteignent des tailles significatives. » Cette permanence semble indiquer, a priori, que l’annuaire de 55places constitue une bonne base de sondage pour apprécier la géographie des AAC aux États-Unis.

Ce que nous enseigne l’exploration des AAC en Floride, l’un des États les plus concernés par le phénomène

Bien que la Floride ne soit pas le berceau des premières AAC, l’analyse de l’annuaire de 55places.com montre que, en 2015, aucun autre État ne possède une telle concentration d’AAC aux États-Unis. La Floride offre ainsi un terrain extrêmement riche pour analyser les phénomènes de concentration spatiale mais également de segmentation de l’offre.

La Floride : terre privilégiée des retraités

Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que la Floride commence à s’établir en tant que région touristique importante. Jouissant d’atouts naturels indéniables (climat, littoral, disponibilités foncières), elle va bénéficier de la hausse générale du niveau de vie aux États-Unis et de l’essor des transports aériens pour s’imposer comme un pôle touristique de masse : de 5 millions de touristes en 1955, la Floride passe à 36 millions en 1980, dont environ la moitié de Canadiens (Dorel, 1992). À la fin des années 1980, environ 15 millions de retraités affluent en Floride chaque année, de novembre à avril : une migration saisonnière qui peut s’accompagner d’une relocalisation résidentielle soutenue financièrement par la généralisation des mutuelles de retraite, l’allongement de l’espérance de vie et l’avènement d’une société hédoniste, mais également le dynamisme de l’offre immobilière sur ce marché des AAC. Becker (2008) conclut que les promoteurs des AAC, en développant ces « lifestyle communities », répondent à une demande de plus en plus hédoniste de la part des plus de 55 ans, qui aspirent à une vie débarrassée des soucis du quotidien (prise en charge de l’animation, de la sécurité, de l’entretien des parties communes, voire du logement) afin de mieux se concentrer sur leurs loisirs.

Ainsi, depuis 1960, l’âge médian en Floride n’a cessé de croître, passant de 31,2 ans à 40,7 ans en 2010 (37,2 ans aux États-Unis). Cet État détient le record national de population de plus de 65 ans, en pourcentage (17,3 % de ses habitants) et en valeur absolue (4,5 millions). Quatre comtés floridiens (Clearwater, Hialeah, Cape Coral, Miami-Dade) sont classés parmi les dix possédant le plus fort pourcentage de population de plus de 65 ans aux États-Unis. Par ailleurs, cinq comtés affichent un âge médian supérieur à cinquante ans !

Aux États-Unis, le revenu annuel médian des personnes de plus de 65 ans est de 34 381 $. Les aînés floridiens affichent un revenu supérieur d’environ 700 $ (35 024 $). Même si ce revenu est très largement inférieur au reste des Floridiens (44 409 $), la forte densité d’AAC contribue à attirer et à maintenir une population d’aînés ayant des revenus suffisants pour s’offrir une retraite « rêvée ».

Une offre résidentielle marquée par une forte concentration spatiale

L’analyse de la répartition spatiale des AAC en Floride laisse apparaître un important phénomène de concentration, avec trois zones majeures (figure 3). La première se situe sur la côte sud-est de la Floride, dans le comté de Palm Beach, avec une cinquantaine d’AAC dans les municipalités de Boca Raton, Delray Beach, Lake Worth et, surtout, Palm Beach. Sur la côte sud-ouest, sur le golfe du Mexique, du sud de Tampa à Naples, là aussi, une cinquantaine de communautés sont recensées, dont une trentaine dans le seul comté de Lee (municipalités de Bonita Springs, Cape Coral et Fort Myers) ! Ces deux aires de concentration, à la fois méridionales et littorales, ne constituent en rien une particularité territoriale. Effectivement, l’implantation historique des AAC dans ces secteurs balnéaires correspond à un effet de contiguïté fonctionnelle, les résidences pour aînés s’insérant ainsi dans une offre touristique plus classique (complexes hôteliers, resorts, résidences secondaires individuelles ou sous forme de master-planned communities).

De manière plus singulière, une troisième zone se démarque dans cette géographie de la diffusion des AAC en Floride : il s’agit d’un large espace dans la grande périphérie ouest de l’agglomération d’Orlando. Cette localisation, principalement le long de l’axe Orlando-Gainesville (vers le nord-ouest) et vers Tampa (sud-ouest), correspond à une logique d’implantation répondant à une autre stratégie de la part des promoteurs. « En Floride, les comtés méridionaux comme Miami, zones de réception anciennes, reçoivent désormais proportionnellement moins de migrants (seniors) que les comtés demeurés ruraux et faiblement métropolisés de la Floride centrale » (Pihet et Viriot Durandal, 2009 : 143). Déjà évoqué, le cas de The Villages (comté de Lake) est emblématique de cette intensification de la construction d’AAC en zone peu dense, depuis la fin des années 1990. Au sein de ce même comté, la ville de Leesburg concentre à elle seule 7 AAC pour un total de 8739 logements (55 Places, 2015), soit 75 % de l’offre immobilière communale (US Census, 2010).

Figure 3

Localisation des ACC en Floride

Localisation des ACC en Floride
Conception : Sébastien Angonnet, 2016

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Dans cette zone centrale, la croissance démographique est supérieure au rythme observé en Floride entre 2010 et 2014 (+ 3,8 %). Les comtés de Polk (+ 5,5 %), Lake (+ 6,2 %) et surtout Sumter (+ 22,4 %), bien qu’éloignés des grandes zones d’emplois attractives floridiennes, profitent sans aucun doute de l’effet d’entraînement de l’implantation des AAC, qui génère des besoins en main-d’oeuvre dans les services (médicaux, par exemple), les commerces ou l’immobilier (construction, commercialisation, entretien, sécurité). La disponibilité foncière abondante ainsi que la faible pression immobilière permettent aux promoteurs de proposer des produits résidentiels de masse, accessibles aux retraités de la classe moyenne, sans sacrifier les équipements qui font le succès des AAC (golf, piscine, terrain de tennis, espace vert, salles communes). En reprenant l’exemple de Leesburg, la valeur médiane d’un logement occupé par son propriétaire est estimée à 115 400 $ en 2014 contre 160 200 $ pour la Floride.

Ainsi, certains espaces de la Floride centrale semblent se spécialiser dans l’offre résidentielle pour aînés actifs. Le long de la route US-27 N, reliant Orlando à Ocala (127 km au nord-ouest), parcelles agricoles, lacs et centres commerciaux alternent avec d’immenses résidences pour aînés actifs. Parfois, de manière improbable, comme posés au milieu de nulle part, se dressent un hôpital flambant neuf ou un complexe médical plus modeste rappelant ainsi la nécessité de proposer des services de santé de proximité à cette clientèle. Ce linéaire routier est également balisé par de nombreux et imposants panneaux d’affichage (figure 4) qui vantent aux retraités à la fois l’hédonisme à la floridienne (« marre de passer vos hivers à déneiger, venez pêcher ou vous promener en Floride centrale ») et la qualité de vie de telle ou telle AAC. C’est sans doute ce marketing dense, ostentatoire et très segmenté qui frappe en premier lieu l’oeil du chercheur parcourant la US-27 N, voire le Florida’s Turnpike vers Gainesville : tout est fait pour « capter » les aînés, comme le démontre d’ailleurs la « force de frappe » de l’industrie immobilière. Une visite de la résidence Esplanade at Highland Ranch (comté de Lake), en cours de construction, permet ainsi de découvrir 8 maisons témoins entièrement meublées et aménagées (piscine, patio, spa, jardin paysager), dont la valeur individuelle peut être estimée entre 212 995 $ et 337 995 $, des logements qui seront entièrement détruits ou démontés, une fois les 457 lots vendus ! Ce choix marketing de soigner la première rencontre entre l’acheteur potentiel et un bien immobilier n’est pas anodin. Une enquête réalisée par le 50 + Housing Council of the National Association of Home Builders (NAHB), en 2008, démontre que la décoration des pièces ainsi que l’apparence extérieure du logement sont les deux principaux éléments déclencheurs d’un achat dans une AAC.

Figure 4

Exemple de panneau d’affichage en Floride centrale

Exemple de panneau d’affichage en Floride centrale
Source : Billard et Madoré, 2015

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Visite guidée au coeur d’une AAC : Legacy of Leesburg

Legacy of Leesburg [8] a été construite par le groupe Florida Leisure Communities (FLC) à partir de 1996 (figure 5). Par ses caractéristiques morphologiques, sociales et fonctionnelles, elle représente un exemple type de la majorité des produits immobiliers situés dans ce secteur de la Floride centrale. En effet, cette AAC compte en 2016 environ mille maisons individuelles détachées en accession à la propriété (gestion par les copropriétaires). D’un point de vue social, même si l’aspect paysager (lac, nombreux sentiers pédestres, parcelles arborées…) est soigné et les équipements communs de qualité (deux courts de tennis, une piscine, une grande salle de bal et de réunion et plusieurs salles d’activités), Legacy est plutôt destinée à une clientèle de la classe moyenne. Ainsi, le revenu médian annuel de la population du census tract d’appartenance de cette AAC est inférieur à 25 000 $, soit nettement moins que celui de la Floride (44 409 $) (US Census, 2010) et des plus de 65 ans aux États-Unis (34 381 $) sachant que ce tract inclut, outre Legacy, une autre AAC (Plantation at Leesburg) présentant une valeur monétaire des logements presque équivalente (55 Places, 2015), ce qui valide la méthode consistant à utiliser cette maille du census tract pour approcher le portrait démographique et social de Legacy.

Figure 5

Legacy of Leesburg : maquette, logement et équipements

Legacy of Leesburg : maquette, logement et équipements
Source : Billard et Madoré, 2015

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Le prix des logements neufs se situe dans une fourchette de 146 000 $ (maison de 120 m2) à 227 000 $ (255 m2). Ces prix ont tendance à augmenter lors de la revente en raison, notamment, des aménagements intérieurs qui ajoutent une plus-value aux biens. Néanmoins, il faut ajouter aux coûts d’acquisition des logements des charges mensuelles (électricité, gaz, assurance logement, taxe de propriété, charges de copropriété – soit environ 750 $ / mois), qui peuvent vite avoir un effet sur le budget des propriétaires. De manière assez étonnante pour ce segment immobilier, les logements ne sont pas spécialement aménagés pour recevoir des personnes âgées, un constat qui s’explique en partie par la taille et l’agencement initial standard des pièces (larges portes et couloirs, salle de bain fonctionnelle, plain-pied...).

La promesse d’une socialisation réussie et d’une retraite active est un point fort du discours marketing pour attirer les futurs résidants. En 2015, la communauté résidentielle de Legacy ne compte pas moins de 97 clubs différents. Cette offre pléthorique se décline principalement dans les domaines du sport (tennis, aérobique, balle molle, canoë-kayak, marche, golf, quilles, tai chi, vélo, yoga, aquagym), de la danse (afro-caraïbe, chorégraphie de groupe, hawaïenne, orientale, zumba, danses assises), des jeux de cartes et de société (poker, bridge, ma-jong, bingo, billard…), d’activités manuelles ou intellectuelles (loisirs créatifs, cuisine, peinture, jardinage, théâtre, lecture…) ou encore de clubs plus insolites (propriétaires de motorisés, petit déjeuner aux crêpes, geeks, jeu de fer à cheval et même entraînement au tir sur jeux vidéo !). Au registre des activités collectives un peu étonnantes, notons la présence d’un groupe de surveillance de quartier, c’est-à-dire d’un groupe assurant une surveillance « informelle » de la résidence, sachant que celle-ci est déjà en grande partie close et surveillée. L’accès à la communauté se fait par une barrière automatique déclenchée par un code barre collé sur le pare-brise, alors qu’un badge permet d’entrer dans les parties communes. Comme dans beaucoup d’AAC, la possibilité de recevoir des visiteurs âgés de moins de 55 ans, y compris sa propre famille, est limitée : le règlement fixe à un maximum de trente jours par an l’ensemble de ces visites. Au final, cette impression visuelle de huis clos générationnel est confirmée à l’échelle du census tract d’appartenance de Legacy. En effet, au-delà de 85 % des occupants sont âgés de plus de 55 ans, ce qui est logique étant donné que ce census n’est composé que deux AAC (la restriction d’âge ne se posant que pour le propriétaire, l’autre membre du couple pouvant avoir moins de 55 ans). Par ailleurs, plus de 90 % de la population de Legacy est blanche non hispanique, ce qui ajoute une dimension raciale à cet entre-soi générationnel. La clientèle est principalement américaine, notamment originaire du nord-est du pays (information fournie par l’agent immobilier lors de la visite).

Que retenir du cas de la Floride centrale ?

Bien entendu, le seul exemple de la communauté de Legacy ne peut résumer l’exhaustivité de l’offre pour aînés actifs dans le centre de la Floride. Néanmoins, plusieurs visites de résidences [9] ont conforté l’idée d’une sorte de modèle Central Florida, hybridation entre AAC classique et particularisme local.

Tout d’abord, la notion d’entre-soi est bien entendu exacerbée avec des résidences imposant très majoritairement le principe de la restriction d’âge, couplé à un maximum de jours (une trentaine en général) autorisés pour recevoir des amis et sa famille dans l’année. Ce fonctionnement en vase clos est évidemment entretenu par la présence d’équipements qui renforcent les effets de socialisation ou de club (Charmes, 2009) au sein même de la communauté. La présence d’un centre communautaire (Legacy, Esplanade, Cherrywood), voire deux (Pine Run Estates, Sandpiper Golf and Country Club), plus ou moins imposants, abritant de nombreux clubs sociaux (jeux de cartes, cuisine, activités manuelles, lecture, informatique...) et permettant la tenue de manifestations collectives (danses, bingos, expositions) peut être considérée comme le « coeur du village ». Révélatrices d’une gamme plus élevée, les activités communes proposées à Esplanade at Highland Ranch se veulent plus raffinées : baptisées signature events, elles regroupent des soirées à thème de découverte de l’art, des cours d’oenologie ou encore des concerts de jazz. Les brochures des promoteurs rappellent un autre point essentiel : il s’agit d’offrir un lieu de vie assurant une pratique régulière et diversifiée du sport, principalement en extérieur. Tennis, piscine, spa, salle de conditionnement physique, sentiers de randonnée pédestre et pistes cyclables font généralement partie des infrastructures de base des AAC. Certaines offrent aussi la possibilité de pratiquer le golf. Parmi ces activités extérieures, trois équipements sont particulièrement prisés : les bocce ball courts (terrain en gazon permettant la pratique de jeux de boules), les courts de shuffleboard (piste sur laquelle les joueurs font glisser des palets, un jeu bien connu des croisiéristes – figure 6) et les jeux de fer (piste plantée de piquets autour desquels les joueurs doivent lancer des fers à cheval). En offrant des lieux et des activités communautaires, les AAC sont une promesse d’épanouissement à la fois physique et social, et ce, dans un environnement sécurisé. En Floride, 88 % des AAC sont fermées et sécurisées (gated), ce qui démontre une forte volonté d’assurer le contrôle de l’espace résidentiel. Mais l’absence de barrière ne signifie en rien que les non-résidants peuvent aller et venir à leur gré. La présence de nombreux panneaux à l’entrée des résidences « ouvertes » (figure 7) indique clairement aux visiteurs que le lieu fait l’objet de patrouilles de sociétés privées de sécurité et du shérif, épaulés par les citoyens (surveillance de quartier). [10]

Figure 6

Les incontournables voiturettes de golf garées devant les courts de shuffleboard, à Sandpiper Golf and Country Club

Les incontournables voiturettes de golf garées devant les courts de shuffleboard, à Sandpiper Golf and Country Club
Source : Billard et Madoré, 2015

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Figure 7

Panneaux à l’entrée de la communauté de Sandpiper Golf and Country Club

Panneaux à l’entrée de la communauté de Sandpiper Golf and Country Club
Source : Billard et Madoré, 2015

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Au-delà de ces éléments communs à bon nombre d’AAC en Floride, mais également aux États-Unis, deux singularités semblent marquer l’offre résidentielle de la Floride centrale. La première réside dans l’isolement relatif de ces communautés pour aînés. La zone de concentration des AAC dans les comtés de Polk, Lake, Sumter et Marion se situe à environ une heure et demie de voiture d’Orlando ou de Tampa, les deux aires métropolitaines les plus proches. Plus marquant encore, les AAC sont implantées le long d’axes routiers, formant ainsi une sorte de linéaire résidentiel continu, mais peu dense : il faut souvent rouler plusieurs kilomètres pour accéder à des centres commerciaux ou des centres urbains. Contrairement à la France où l’accès à pied au centre-ville, aux services et commerces ou encore à un arrêt de transport en commun est valorisée, dans le centre de la Floride, la distance fait référence à une logique automobile : les agents immobiliers parlent ainsi de proximité des grandes enseignes commerciales ou des services médicaux quand un bien immobilier est situé à environ vingt minutes de voiture. L’aîné y est extrêmement dépendant de l’automobile et donc de ses capacités physiques à conduire durant ses trente ou quarante ans de vie restante.

Avec l’instabilité des coûts énergétiques, la possession d’un véhicule, indispensable pour tout déplacement, suscite un questionnement autour de la problématique financière. Bien que cette zone centrale de la Floride ait été plutôt épargnée par la crise des prêts hypothécaires à risque (subprimes) et les procédures de saisie de maisons (Florida Legislature, 2015), démontrant ainsi la relative solvabilité des propriétaires, les AAC visitées dans ce secteur ciblent plutôt une clientèle de la classe moyenne. Mises à part Esplanade at Highland Ranch dont certaines maisons peuvent atteindre environ 350 000 $ pour un primo-accédant, voire Legacy (de 145 000 $ à 227 000 $), les autres communautés (Sandpiper Golf and Country Club, Pine Run Estates ou encore Cherrywood) peuvent offrir des biens en accession à moins de 100 000 $ (figure 8). Il semble ainsi que certains secteurs de cette région du centre de la Floride se spécialisent dans l’accueil des aînés, une stratégie quasi industrielle qui vise plutôt la quantité que le haut de gamme. Sur les 21 AAC recensées en Floride centrale, 12 sont localisées dans un census tract dont la population affiche un revenu médian inférieur à 25 000 $ / an et, pour les 9 autres, on ne dépasse pas 50 000 $, alors que le revenu médian des Floridiens s’élève à 44 409 $. À titre de comparaison, dans le secteur plus huppé et recherché de Sarasota (côte ouest de la Floride), sur les 41 AAC dénombrées, seules 3 se retrouvent dans un census tract dont la population possède un revenu médian inférieur à 25 000 $, contre 33 à plus de 50 000 $, soit au-dessus du revenu médian floridien, 6 dépassant même le seuil des 100 000 $. Ainsi, la tentation est grande de parler d’une offre low cost pour caractériser une grande partie des AAC de la Floride centrale.

Figure 8

Maisons témoins à Esplanade (en haut) et à Cherrywood (en bas)

Maisons témoins à Esplanade (en haut) et à Cherrywood (en bas)
Source : Billard et Madoré, 2015

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Conclusion : perspectives du vieillissement et du vivre-ensemble

En 2009, Pihet et Viriot-Durandal attiraient l’attention sur une tendance à « l’émigration » de certains retraités floridiens vers des États comme la Géorgie, la Caroline du Nord ou le Texas... conséquence des maux dont souffrirait la Floride : « Sous l’effet de la pression des promoteurs, les prix de l’immobilier ont considérablement augmenté, la circulation automobile est devenue problématique sans que les transports publics aient pris le relais. Les risques climatiques (cyclones récurrents) et aussi ceux liés à la pollution croissante ne sont pas non plus négligeables. Autant d’éléments qui dégradent la qualité de vie recherchée alors que s’offrent d’autres espaces d’accueil avec des aménités [sic] de plus en plus comparables sans les contraintes découlant de la forte fréquentation du Sunshine state » (2009 : 144-145).

Toutefois, cette hypothèse d’une dégradation de la qualité de vie en Floride n’a, pour l’instant, pas d’effet sur la croissance démographique : entre 2010 et 2030, la population de l’État devrait croître d’environ 5 millions et les plus de 60 ans devraient représenter 55 % des gains démographiques. Ceci ouvre de nouvelles perspectives pour les promoteurs immobiliers, mais soulève de nombreuses questions en matière de fourniture de services, de ressources naturelles (foncier, eau) et d’infrastructures. En Floride, si aujourd’hui on dénombre trois personnes actives pour un retraité (quatre pour un aux États-Unis), ce ratio chutera à deux pour un en 2030, faisant peser de lourdes incertitudes sur le financement de la politique d’accompagnement du vieillissement (Florida Legislature, 2012).

Mais une autre question attire particulièrement notre attention : celle de l’exclusivité sociale et donc de la ségrégation volontaire générée par ce type de produit immobilier. Si la restriction d’âge ou l’âge ciblé empêchent ou limitent le principe de mixité intergénérationnelle dans ces communautés, la mixité sociale et ethnique n’est pas non plus au coeur de la démarche marketing des promoteurs d’AAC. Dans les brochures et affiches, la très nette visibilité, voire l’exclusivité, des photos de couples blancs traduit un positionnement laissant peu de place à l’ambiguïté. Comme le souligne Giband (2016), aux États-Unis, le logement constitue la matrice des autres formes de ségrégation et même si les vieux mécanismes de la ségrégation résidentielle (redlining, par exemple) n’ont plus cours, cette dernière reste élevée pour les Afro-Américains et les Hispaniques. Notre étude sur le cas des AAC floridiennes laisse ainsi très nettement transparaître la persistance d’un fort communautarisme blanc. Les 62 AAC de la Floride centrale et de la région de Sarasota s’inscrivent toutes dans des census tracts abritant moins de 15 % de personnes afro-américaines et, pour 42 d’entre-elles, moins de 10 % d’Hispaniques, alors que les deux communautés représentent respectivement 16 % et 23 % de la population floridienne (US Census, 2010).

Même si la segmentation ethnique du marché immobilier, surtout dans les planned-master communities, est fréquente, voire acceptée aux États-Unis, elle n’en reste pas moins une pratique remettant en question le vivre-ensemble. Les expériences de senior cohousing (habitat participatif) qui se développent dans le centre-nord des États-Unis (Minnesota, Wyoming) ou sur la côte ouest (Californie, Oregon, Washington), bien que trop peu nombreuses pour concurrencer les AAC, [11] offrent néanmoins un autre choix aux aînés actifs désirant échapper au modèle standardisé et segmenté des grands groupes privés. Basé sur les principes de solidarité intergénérationnelle et d’entraide ; de tolérance religieuse et ethno-raciale ; de mixité sociale et de démocratie participative et consensuelle et de partage d’activités, le co-housing offre véritablement une approche innovante pour les retraités désirant vieillir chez eux. Il n’en reste pas moins que l’annuaire mis en ligne par The Cohousing Association of The United States (Coho / US) ne dénombre que quatre expériences de ce type en Floride…